Laval théologique et philosophique
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Laval théologique et philosophique
Les catholiques et les « autres »
André Naud
Volume 22, numéro 1, 1966
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Éditeur(s)
Faculté de philosophie, Université Laval et Faculté de théologie
et de sciences religieuses, Université Laval
ISSN 0023-9054 (imprimé)
1703-8804 (numérique)
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Citer cet article
André Naud "Les catholiques et les « autres »." Laval théologique
et philosophique 221 (1966): 133–138.
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Université Laval, 1966
Les catholiques et « les autres » *
Tout au cours de cette brève communication, lexpression « les
autres » désignera les non-chrétiens. Et je le dis clairement dès le
départ, cest sur le statut ecclésiologique des non-chtiens que je
veux marrêter ici, en prolongeant toutefois ma réflexion jusquà
une recherche de ce que devraient être les relations des chtiens
avec les non-chrétiens.
Je nignore pas létendue et la difficulté de ce projet. Aussi me
suis-je préoccupé, sur ce terrain trop vaste, de limiter et circonscrire
le plus possible la question que je veux traiter. On me permettra
aussi de ne prétendre y apporter quun essai de réponse, au surplus
modeste et timide. Étant, par les hasards de létude et de lensei
gnement, philosophe plus que théologien, je nai aucune envie de
mengager dans des jugements qui exigeraient une connaissance
approfondie de lhistoire des débats théologiques sur le statut eccsial
des non-chrétiens. Mais le Concile, dune manière à la fois discrète
et prudente, a abordé la question que je veux traiter. A titre de
moin de cet énement capital, je pourrai peut-être dire avec un peu
dexactitude et malgré la difficulté du sujet, comment lÉglise, dans
les textes quelle vient de promulguer et dans lesprit qui la animée
au Concile, a été amenée à considérer « les autres » et sa mission
envers eux.
Je fais cette communication à un moment le dernier mot
du Concile sur notre sujet nest pas encore prononcé, lultime dac
tion du schéma sur les missions nayant été ni discue ni votée.
Mais la constitution Lumen Gentium nous fournit déjà des indications
sûres sur ce quest la pensée du Concile, et je mappuyerai sur ces
indications.
Je ne crois pas imprudent daffirmer que cest la relation des
non-chrétiens à lÉglise qui a été posée avec le moins de vigueur,—
et peuttre avec le moins de rigueur — au Concile. Le concile
Vatican II fut dominé par le souci de lunité chrétienne ; il ne fut
pas hanté au même point par le souci missionnaire. Le débat sur
le statut eccsial des non-chrétiens na pas vraiment polarisé lat
tention de lassemblée conciliaire. Malgré cela, la mise au point
de la constitution Lumen Gentium, qui a été faite avec un soin parti
culier, me semble avoir permis une évolution réelle et importante,
quoique subtile, de la pene catholique. Les remarques des Pères
sur le problème des membres de lÉglise, sur les motifs de lactivité
* Communication présentée à la Soccanadienne de Théologie, le 30 at 1965.
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missionnaire, ont obligé les responsables du schéma à des rédactions
successives nombreuses et où se perçoivent des transformations aux
implications profondes. Il se pourrait bien que ces transformations
suscitent une évolution remarquable dans notre manière de voir
« les autres )). Car si les vues du Concile sur « les autres » nont
pas conduit à la psentation dune doctrine plus précise, elles ont
ouvert la voie à des formulation plus souples, plus ouvertes à des
visions nouvelles.
Je diviserai mes penes en deux groupes de réflexions. Un
premier groupe répondra à la question : Que sont pour nous « les
autres » ? Un second groupe essayera damorcer une recherche sur
la nature du dialogue que nous pourrions entretenir avec «les autres».
I. Que sont pour nous « les autres » ?
D une fon très commune, «les autres» apparaissent principale
ment aux catholiques comme des êtres qui ont besoin deux pour
être sauvés. Cela est si vrai que le problème « des autres )) simpose
dembe comme étant celui du salut des infidèles. N est-ce pas,
dailleurs, ce souci du salut des infidèles qui suscite et entretient
le dynamisme des missions catholiques ? « Les autres » sont des
êtres à sauver : comment le Concile a-t-il traité cette vue tradition
nelle ?
D une part, on doit remarquer que tout au long de la constitution
Lumen Gentium on continue de parler de lÉglise comme dune insti
tution de salut et de la mission de lÉglise comme dune mission de
salut. Il ny a certes pas là de quoi étonner : lÉglise perpétue la
mission du Christ, qui est le Sauveur. D autre part, cependant,
quand on létudie attentivement, on constate que le texte conciliaire
a éliminé toutes les affirmations fortes qui invitaient à considérer
« les autres » comme des êtres à sauver. Personne na songé un seul
instant, évidemment, que le Concile allait crire les non-chtiens
comme des êtres irrévocablement voués à lenfer. On nest pas
étonné de lire dans la constitution des paroles aussi rassurantes que
celles-ci : «... ceux qui, sans faute de leur part, ignorent lÉvangile
du Christ et son Église, et cependant cherchent Dieu dun ur
sincère, et sefforcent, sous linfluence de la grâce, daccomplir dans
leurs œuvres la volonté de Dieu quils connaissent par la voix de
leur conscience, ceux-là peuvent obtenir le salut éternel. » Ces
paroles sont claires, réconfortantes, mais non pas étonnantes. Ce
qui est remarquable, cest que le Concile a évité de présenter les non-
chrétiens comme des hommes pour qui le salut serait plus difficile
quaux chrétiens, et quil a évité de donner pour objectif à la mission
de rendre à tous la voie du salut plus large et plus facile. Continuant
la tradition de lencyclique Mystici Corporis, une première rédaction
LES CATHOLIQUES ET « LES AUTRES » 135
comprenait de telles pensées. Elles ont été sciemment élimies de
la rédaction définitive.
Seule une histoire très minutieuse et fléchie des gestes du
Concile pourra nous dire tous les motifs qui ont conduit les Pères
à prendre cette décision. Toutefois, on peut déjà affirmer quelle
fut principalement dice par la prudence. Le Concile a maintes
fois manifes le souci de ne pas endosser inutilement les doctrines
controversées. La doctrine de la nécessi de lÉglise pour le salut
est traditionnelle : elle a été reprise et, remarquons-le, dans les
termes traditionnels. La doctrine selon laquelle le salut serait rendu
plus facile par lappartenance formelle et extérieure à lÉglise est
controvere et elle nest pas manifestement traditionnelle : on a
préféré ne pas lassumer dans les textes conciliaires et ne se prononcer
ni pour ni contre. Voilà tout simplement ce qui sest passé.
Loption que le Concile a prise sur le point qui nous concerne
dans cette étude est très significative et elle pourrait fort bien orienter
les flexions autour du statut eccsial des non-chrétiens sur des
pistes encore assez peu fquenes, surtout dans lenseignement
ordinaire de lÉglise. Il se pourrait bien que, refusant de supputer
les chances de salut « de lautre », on le considère de plus en plus,
désormais, comme celui qui, contre le vœu du Christ, nest pas pleinement
incorporé à Vinstitution et à la communauté de salut que le Christ a
fondées et voulues. Permettez-moi de vous dire pourquoi cette dernière
approche au statut ecclésiologique des non-chrétiens me paraît
préférable à lautre.
La thèse de ceux qui croient le salut plus difficile aux infidèles
quaux chrétiens ne serait-elle pas une solution de repliement? Il
semble quon y soit venu quand, après avoir découvert les véritables
dimensions historiques et géographiques de lhumani, on se rendit
compte quon ne peut sainement penser quà ces masses innombrables
qui ignorent le Christ le salut soit totalement inaccessible. On crut
devoir trouver alors dans lidée que le salut leur était plus difficile
quaux chrétiens le motif de continuer, avec le même élan, lapostolat
missionnaire. Mais la faiblesse de cette thèse me semble résider
surtout dans ce quelle comporte de spéculations assez risquées et
abstraites sur les chances comparées des chrétiens et des non-chtiens
en face du salut.
Lautre manière de voir les non-chrétiens respecte, au contraire,
le mysre des voies par lesquelles Dieu peut et veut sauver les hom
mes, et les sauve de fait : elle se refuse à calculer les chances de
salut de chacun. Non seulement elle dilate les frontières de lÉglise
des sauvés à la mesure de la géographie vraie de la terre habie et
aux dimensions nouvellement découvertes de lhistoire de lhomme,
mais devant limmense multitude des générations qui nont jamais
été, qui nont jamais pu être pleinement incorporées à lÉglise du
Christ, elle invite à faire un acte de pleine confiance en la souveraine
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bonté de Dieu qui veut le salut de tous et qui peut le réaliser par
des voies dont le secret nous échappe. Mais, surtout, cette manière
de voir « lautre » braque nos regards sur sa condition actuelle plut
que sur le sort futur que Dieu lui réserve : il est celui qui nest pas
pleinement incorporé à cette grande communau de foi qua voulue
le Christ et à cette institution de salut dont le Christ a voulu quon
la reconnaisse comme lunique voulue par lui. « L ’autre » est celui
en qui le vœu du Christ nest pas alisé. Un important placement
du poids de lattention saccomplit ici. Certes, lattention ne se
détourne pas du prochain, ni de lintérêt quon doit avoir pour son
salut. Le travail missionnaire reste une mission de salut et qui est
orientée vers « lautre ». Mais plut que de chercher à incorporer
« lautre » à lÉglise pour lui rendre le salut plus facile, on entretient
en soi le désir de rentrer dans le projet du Christ, de lembrasser,
de sadonner à sa réalisation, abandonnant avec confiance à Dieu
tous ceux-là quon ne peut atteindre. Les vœux du Christ prennent
alors une importance nouvelle, pour la première fois peuttre toute
limportance quils méritent : c’est à les réaliser quon se consacre.
D une façon toute particulière, on assume le désir du Christ que
le salut de tous les hommes soit poursuivi dans lunique communau
religieuse visible quil a voulue.
Il nest pas exclus, dailleurs bien au contraire quon
sadonne aussi à lapostolat missionnaire parce quon a compris que
les exigences de la vérité clament elles-mêmes cet effort : si tout
salut vient du Christ, il est bien loin dêtre indifrent que toutes
les créatures, après lavoir reconnu, lèbrent leur unique Sauveur.
De la même manière, si tous les sauvés sont mystérieusement faits
membres de la famille du Père, il est évident que lial dune seule
communauté religieuse unissant tous les hommes doit hanter tous
les chrétiens.
On croit ts souvent que seule une description pessimiste de la
condition « des autres » par rapport au salut peut entretenir la ferveur
et la générosi missionnaire des chrétiens. Cette vue est assez
courte. Lœcuménisme est un mouvement au dynamisme indéniable.
Et pourtant ce mouvement ne se nourrit pas de calculs pessimistes
sur les chances de salut de nos frères sépas, ni de pitié à leur égard.
Il salimente dans la méditation de la volon du Christ et de lidéal
de cette communion universelle dans le Père et lEsprit que le Christ
a voulue. Lidéal, voulu par le Christ, dun seul troupeau sous un seul
pasteur est assez puissant pour inspirer le mouvement œcuménique.
Il devrait être assez puissant pour inspirer aussi le mouvement mis
sionnaire. Le dynamisme de ces deux mouvements et leur sens
profond sont très semblables et ils sinspirent à la même source.
« Ut sint unum ! » Tout autant quils entretiennent la nostalgie de
lunité chrétienne, ces mots du Christ sont capables de susciter le
projet missionnaire de lÉglise.
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