dom schneider - Christiane Geoffroy

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Entretien de Dominique SCHNEIDER & Christiane
GEOFFROY. 2007. WWW :christianegeoffroy.com
Christiane Geoffroy est artiste et professeur à l’école supérieure des Arts Décoratifs
de Strasbourg
Les équipes de Richard Lenski (Microbiology and Molecular Genetics Department,
East Lansing, Michigan State University, USA) et Dominique Schneider (Laboratoire
Adaptation et Pathogénie des Microorganismes, UMR, CNRS, Université Joseph
Fourier, Institut Jean Roget, Grenoble, France) ont associé leurs savoirs pour
travailler sur la plus longue stratégie d’évolution expérimentale aujourd’hui en cours,
en utilisant une bactérie Escherichia coli. Cette stratégie consiste à propager cette
bactérie dans un environnement constant pendant des dizaines de milliers de
générations. Plus de 40 000 générations ont été obtenues et sont conservées
actuellement. Cette expérience utilise un concept minimaliste. Elle fonctionne avec
un ancêtre et douze lignées. Chaque jour, le protocole de reproduction des bactéries
est identique. Cette recherche permettra une approche comparative (phénotypique,
génétique et génomique) de l’ancêtre et des 12 lignées ainsi qu’une validation des
théories darwiniennes par des expériences.
- Êtes-vous à l’origine de cette recherche ?
Non, c’est Richard Lenski qui a initié cette expérience en 1988 et je me suis associé
à cette thématique, à la fin des années 90.
- Qu’est-ce qui fait la différence entre vous et lui ?
C’est quelqu’un d’extraordinaire au sens littéral du mot, il est fabuleux pas seulement
à un niveau scientifique mais aussi humainement. Il a une façon de travailler avec
ses collaborateurs qui n’a rien à voir avec ce que l’on peut imaginer du modèle
américain. Il a des connaissances considérables en évolution. Personnellement, j’ai
eu une formation en génétique moléculaire. Nous sommes complémentaires. Grâce
à lui, j’ai appris beaucoup de choses sur l’évolution, en même temps, j’ai développé
le domaine concernant la génétique moléculaire. Nous échangeons et nous
travaillons strictement sur les mêmes problématiques. C’est une vraie collaboration,
une grande complémentarité, ainsi qu’une forte amitié.
- Pourquoi avez-vous choisi un microorganisme ?
Richard Lenski a choisi une bactérie E. coli et non un organisme plus complexe car
les bactéries sont faciles à cultiver. Elles se divisent toutes les heures, lorsqu’elles
sont dans un milieu approprié et elles engendrent ainsi un grand nombre de
générations. Elles sont faciles à manipuler génétiquement. Elles se conservent au
congélateur à l’état dormant et se revivifient facilement. Ce système nous permet
donc d’avoir accès à des données fossiles. En effet, nous avons au congélateur et
l’ancêtre et tous les intermédiaires de l’évolution, à différents temps et dans chacune
des douze lignées. Et tous ces individus peuvent être revivifiés et comparés.
Contrairement aux fossiles minéraux, nous pouvons ainsi les comparer directement à
l’ancêtre. Nous pouvons aussi analyser le taux d’amélioration produit par l’évolution
dans un laps de temps donné. L’équivalent pour l’Homme serait par exemple de
trouver des os fossiles de la période de Néanderthals, de les ramener à la vie et de
concevoir une recherche comparative. Comme les processus évolutifs sont longs
pour être détectables à l’échelle humaine, ce système permet d’accéder à des
événements exceptionnels, impossibles à obtenir sur des populations humaines ou
sur des animaux. Les avantages de cette stratégie d’évolution expérimentale sont
tels que nous pouvons aussi établir des comparaisons directes entre des individus
évolués et l’ancêtre. C’est une véritable machine à remonter le temps qui permet de
rejouer le film de l’évolution, en reproduisant expérimentalement des phénomènes
évolutifs.
- Est-ce que le génome de cette bactérie était déjà décodé, au début de
l’expérience en 1988 ?
Non, le premier séquençage d’un génome d’E. coli date de 1997. Mais cette bactérie
est un modèle et elle est étudiée depuis très longtemps dans de nombreuses
disciplines. Ces connaissances concernant E. coli sont importantes, car dans cette
expérience, nous devons non seulement décrire les changements qui s’opèrent mais
nous devons surtout comprendre comment et pourquoi.
Aujourd’hui, nous disposons du génome séquencé de l’ancêtre, ainsi que de deux
individus isolés (à la 2 000e et 20.000e générations d’une des 12 lignées). D’autres
vont suivre très prochainement.
Ces séquençages nous aident à aller plus loin dans nos recherches. Les bactéries
vont continuer à évoluer et à se diversifier avec les nouvelles générations, et notre
compréhension co-évoluera
aussi avec les découvertes des chercheurs et les
progrès technologiques. L’ensemble de tous ces éléments représente une grande
richesse.
- Après la sélection de l’ancêtre, qu’est-ce qui a déterminé la création de ces
douze populations ?
L’ancêtre a été mis en culture dans un flacon avec 10 ml de nourriture appropriée.
Puis, il a été cultivé pendant 24h à 37°. Dans ce milieu de culture, lorsqu’une cellule
se divise, elle donne naissance à deux cellules, puis quatre, ensuite huit… Jusqu’à
épuisement de la nourriture. En moyenne, ces bactéries se divisent environ 6,64 fois
en 24h. Cet ancêtre a été mis en culture dans douze flacons différents et a initié
douze lignées. Un des objectifs consistait à répondre aux questions suivantes :
l’évolution se répète t-elle de la même manière, si l’ancêtre est identique et le milieu
constant? Existe-t-il des solutions diverses et variées à un même challenge évolutif?
- Pourquoi le nombre 12 ?
12 représente un nombre suffisant pour effectuer des tests statistiques. En dessous
de 12, il est difficile d’en tirer des principes généraux et au-dessus, les expériences
sont difficiles à gérer.
- Qu’est-ce qu’il se passe avec les 12 lignées?
Au bout de 24 heures, nous obtenons une population de 500 millions de bactéries.
Tous les jours, nous réduisons cette population à 5 millions et nous la cultivons dans
un milieu frais et à nouveau nous obtenons 6,64 divisions etc. Comme une bactérie
n’a pas de reproduction sexuée, en théorie elle se reproduit à l’identique. Mais des
mutations peuvent se produire au hasard. Certaines mutations peuvent être neutres
ou néfastes. Dans ce cas-là, nous pouvons perdre les individus qui les portent.
D’autres seront bénéfiques et permettront aux individus qui les possèdent de devenir
majoritaires. On appelle ce phénomène, un événement de sélection périodique. La
diversité génétique augmente entre deux événements de sélection périodique et plus
globalement cette diversité génétique s’accroît au cours du temps évolutif. C’est ce
que nous avons démontré en utilisant des marqueurs génétiques. Actuellement nous
en sommes à 40 000 générations. Si nous reportons cela à l’échelle humaine, nous
sommes à peu près à l’Homo erectus, au moment où les hommes sont partis du
continent Africain pour coloniser l’Europe. Avec notre système expérimental évolutif,
nous essayons de comprendre certains mécanismes liés à l’évolution. La même
démarche est reprise 12 fois puisqu’il y a douze lignées indépendantes.
En utilisant le séquençage des génomes, nous aurons accès à de nouvelles
données. Par exemple, nous pourrons établir des comparaisons entre les taux de
changements génomiques et phénotypiques sur un laps de temps donné.
Auparavant, ces données pouvaient uniquement être estimées. Ces comparaisons
sont très importantes pour comprendre l’évolution, mais aussi pour trouver la source
d’organismes pathogènes évoluant dans la nature à des intervalles de temps
semblables à ceux de notre expérience. Bien que la diversité génétique augmente de
façon quasi constante au cours du temps évolutif, les changements phénotypiques
eux décroissent au cours du temps. Vont-ils réaugmenter plus tard dans l’expérience
d’évolution ? C’est une question que l’on peut se poser.
- Pourquoi est-ce que les protocoles d’expérience sont toujours identiques ?
Dans les recherches sur l’évolution, les paléontologues ont essentiellement comparé
les strates fossiles entre elles, afin de retrouver des ancêtres. Pour comprendre ces
phénomènes, il faut avoir des indications sur le climat, ce qui est possible, mais
retrouver des éléments sur l’environnement est plus difficile. Or, ces éléments
peuvent influencer les organismes vivants. Alors, pour cette expérience,
l’environnement doit être le plus constant possible pour éliminer les effets
environnementaux.
- Utilisez-vous des protocoles particuliers pour conserver votre arbre
généalogique d’E.coli?
La collection est conservée dans du glycérol car celui-ci est un cryo-protectant. Les
bactéries se congèlent à –80°. La théorie veut qu’à cette température, rien ne se
passe. La collection est basée aux Etats-Unis. Elle est répartie dans plusieurs
congélateurs et dans des bâtiments différents pour des raisons de sécurité (panne
d’électricité…). J’en possède une copie dans mon laboratoire.
- Au fil des générations, quels sont les changements les plus visibles ?
Les cellules d’E.coli deviennent deux à trois fois plus grosses par rapport à l’ancêtre.
Les temps de division changent. Par exemple, l’ancêtre met une heure pour se
diviser et donner deux cellules. Lorsque nous observons des individus à la 20 000e
génération (ce qui correspond à 500 000 ans à l’échelle humaine, ce qui est peu), ils
se divisent en 40 minutes. Forcément, ces bactéries auront plus de descendants. Il y
a une disparition du temps de latence et une amélioration des réseaux de régulation,
qui contrôlent le comportement global de la cellule.
- Est-ce qu’E. coli possède un cycle circadien ?
Non, les seules bactéries à posséder un cycle circadien sont les cyanobactéries.
Elles font de la photosynthèse comme les plantes et se calent sur un cycle de 24
heures. Nous nous sommes posés la même question puisque les cellules d’E. coli
sont mises en culture toutes les 24 heures,. Mais, ce n’est pas le cas. Pour posséder
l’horloge la plus simple, il faut la présence de trois gènes. C’est impossible par
mutation car il faut acquérir de l’ADN.
- Acquérir de l’ADN est impossible chez E. coli?
Cette acquisition est tout à fait possible. Il y a deux grands mécanismes d’évolution :
les mutations et le brassage des gènes lors de la reproduction sexuée (ce que l’on
appelle la recombinaison de l’ADN). Il n’y a pas de vrai « sexe » chez les bactéries.
Mais des possibilités d’acquisition de nouveaux gènes par des mécanismes de
brassage existent. C’est ce qu’on appelle du transfert horizontal de gènes. Lorsqu’on
analyse le génome d’E. coli, 20 % des gènes ne lui appartiennent pas. Ce
phénomène est très intéressant car les échanges peuvent se faire chez des
bactéries non seulement entre des individus d’une même espèce mais aussi entre
individus d’espèces voire de genres différents. La notion de barrière d’espèce chez
une bactérie est soumise à de nombreux débats. En fait, notre expérience
d’évolution est simplifiée en ne donnant pas aux cellules d’E. coli la possibilité
d’acquérir de nouveaux gènes par transfert horizontal. Ces phénomènes sont testés
par d’autres expériences d’évolution expérimentale, notamment en utilisant des
organismes digitaux (voir plus bas). Je voudrais également ajouter que, chez les
bactéries, mis à part le fait que l’acquisition de nouveaux gènes par transferts
horizontaux peut être source de nouvelles fonctionnalités, acquérir de l’ADN étranger
est également un apport nutritif considérable. À l’origine, le sexe et la reproduction
n’étaient peut-être qu’une histoire de nourriture.
- Quelle différence faites-vous entre mutation et adaptation ?
Il n’y a pas de différence. Les mutations permettent l’adaptation.
- J’aurais aimé aborder l’évolution darwinienne et ce qui se passe actuellement
au sujet du créationnisme aux Etats-Unis et dans certains pays musulmans ?
L’évolution darwinienne est à l’opposé d’une origine divine de la vie. Elle est basée
sur l’origine commune de tous les êtres vivants. Ils descendent tous d’un ancêtre
commun. Nos résultats apportent des faits expérimentaux en faveur du darwinisme
et contre le créationnisme. Le créationnisme ne repose sur aucun fait expérimental.
Ce n’est pas une science. Il existe des recherches similaires aux nôtres qui se font
non pas avec des bactéries, mais avec des programmes informatiques. Le protocole
est identique : un ordinateur est dans son réseau, et possède un programme qui
pourrait porter le nom d’ancêtre. Très vite, chaque programme du réseau va essayer
de gagner le plus de cpu (central processing unit) possible sur la machine. Autrement
dit, il va gagner du temps sur la machine. Richard Lenski et Charles Ofria travaillent
sur ce type de recherche afin d’avancer d’autres arguments sur le darwinisme. Cette
recherche en informatique permet d’obtenir des centaines de milliers de générations
en quelques secondes et nous enseigne que, pour obtenir de nouvelles fonctions, il
doit se produire une succession de mutations, dans un ordre bien précis. Là, nous
revenons aux principes du darwinisme. Il faut du temps évolutif pour arriver à créer
un organe complexe. Cette stratégie d’évolution d’organismes digitaux a notamment
été utilisée pour tester le rôle du sexe et de la reproduction sexuée dans les
processus évolutifs.
CG
Godan, Saint-Mesmin
9 décembre 2OO7.
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