MÉMOIRE ET ESPT
Les patients qui souffrent d’ESPT présentent des épisodes de
reviviscence de la scène traumatique, qualifiés de flash-back, qui
sont considérés par certains auteurs comme une forme spécifique
de mémoire (26, 27). D’autres auteurs comme M.A. Conway (28)
considèrent qu’il s’agit de la fragmentation et de la désorganisa-
tion de la mémoire autobiographique. Les patients qui présentent
un ESPT souffrent également de cognitions intrusives qui sont
communément rencontrées dans l’ESPT, la dépression, l’anxiété,
le TOC, mais également chez des sujets sains et chez certaines
personnes qui à un moment de leur existence peuvent manifes-
ter de tels phénomènes, à un degré plus ou moins important (29,
30). Les rappels intrusifs, ou souvenirs intrusifs, et l’oubli partiel
des événements traumatiques sont des phénomènes caractéris-
tiques de l’ESPT (31), mais les patients présentant un ESPT souf-
frent également de plaintes subjectives associant des chutes de la
concentration et un déficit de mémoire (32-35) ; leurs capacités
attentionnelles sont détournées et l’allocation de ressources atten-
tionnelles se fait préférentiellement en faveur des stimuli
effrayants (36-38). L’ESPT est associé à un déficit de mémoire
et d’attention et à une chute des capacités intellectuelles (39-40).
Le déficit cognitif dans l’ESPT est considéré par certains auteurs
comme un déficit de la mémoire déclarative (41, 42) et par
d’autres comme un déficit de la mémoire de travail et de l’atten-
tion (33). Les expériences de J.D. Bremner et al. (41) ont mis en
évidence une diminution des performances de la mémoire ver-
bale en rappel différé ou immédiat chez des vétérans du Vietnam
souffrant d’ESPT, comparés à des témoins sains. Cette même
équipe, deux années plus tard, montrait une mémoire verbale dif-
férée ou immédiate diminuée dans les performances de 21 per-
sonnes victimes d’abus sexuels dans l’enfance et présentant des
symptômes d’ESPT, comparées à 20 témoins appariés. Une cor-
rélation significative entre la performance en mémoire verbale et
la sévérité du traumatisme était retrouvée dans ces deux études.
Des preuves expérimentales ont été apportées par S.J. Hellawell
et C.R. Brewin (43) qui ont montré que certains passages de dis-
cours décrivant le traumatisme et énumérés par les patients souf-
frant d’ESPT correspondaient à des flash-back, et que ces élé-
ments pouvaient être totalement distincts du reste du discours, en
plusieurs points. Ces flash-back étaient considérés comme des
phénomènes mnésiques associés à une chute sélective de la per-
formance dans des tâches visuospatiales ainsi qu’à une augmen-
tation du comportement moteur et du degré de stimulation du
système nerveux autonome. Ces mêmes auteurs considèrent que
les flash-back diffèrent totalement de la mémoire ordinaire en ce
qu’ils utilisent un contenu et une forme grammaticale spéci-
fiques.
Certains chercheurs soutiennent que les situations traumatiques
sont susceptibles de provoquer des souvenirs très prolongés,
mais, curieusement, un petit nombre d’études a tenté de caracté-
riser précisément les souvenirs des événements traumatiques
vécus par les patients souffrant de telles pathologies. B.A.Van der
Kolk et R.E. Fisler (44) ont étudié les patients souffrant d’ESPT
en leur demandant de décrire les souvenirs qu’ils avaient des évé-
nements traumatiques, mais aussi d’événements non trauma-
tiques d’intensité élevée. En comparant les contenus de ces sou-
venirs, ces auteurs ont remarqué qu’ils différaient de manière
nette. Les événements traumatiques étaient rappelés sous forme
d’expérience somato-sensorielle fragmentaire, d’intensité élevée,
par flash-back. Le discours des patients concernant ce type d’ex-
périences n’apparaissait que secondairement, après le trauma-
tisme. Les événements non traumatiques, quant à eux, étaient
rappelés assez constamment, sous une forme narrative, et aucun
flash-back n’était décrit.
Un certain nombre d’études ont tenté de mettre en évidence des
pensées intrusives, notamment celle de D.A. Clark (45), qui a
comparé des patients psychiatriques et des témoins dans une ana-
lyse factorielle. Cet auteur identifie trois dimensions de pensées
négatives : les cognitions dépressives (comme “je n’ai pas d’ave-
nir” ou “mon avenir est bouché”) ; les images ou pensées d’hu-
miliations ou d’expériences douloureuses (“je n’en peux plus”,
“je suis épuisé”) ou les pensées à contenu anxieux (“j’ai des
images ou des pensées qui me persuadent que je suis en mauvaise
santé ou que je suis tombé malade”) ; les pensées intrusives
comme des pensées ou images “de devoir dire des choses inac-
ceptables à quelqu’un”. Pour P.M. Salkovkis (30, 46), les pensées
intrusives et les cognitions répétitives négatives sont fondées sur
l’imagination et sont irrationnelles et égodystoniques.
Les déficits cognitifs dans l’ESPT sont rapportés au fonctionne-
ment de régions cérébrales spécifiques. Le déficit en mémoire
déclarative peut être la conséquence d’un dysfonctionnement hip-
pocampique qui viendrait révéler des lésions de stress chronique
sur les cellules hippocampiques (47, 42). Les capacités atten-
tionnelles et la mémoire de travail déficitaires pourraient révéler
une atteinte préfrontale (48). Cependant, les déficits cognitifs
pourraient précéder l’apparition de l’ESPT chez ces patients, et
on ne peut exclure qu’ils se développent tout au long de l’évolu-
tion de cette pathologie. La première hypothèse serait confortée
par des études mettant en évidence un quotient intellectuel plus
faible chez les vétérans du Vietnam qui développent plus tard un
ESPT (49). Le déficit en mémoire déclarative qui apparaît très
précocement après un événement traumatique pourrait résulter
d’une inhibition hormonale induite par le stress et ses consé-
quences sur les fonctions hippocampiques (47).
Il est donc très important de comprendre et d’évaluer les liens qui
peuvent exister entre les symptômes de l’ESPT et le déficit
cognitif de cette maladie. Les patients qui présenteraient très pré-
cocement des symptômes d’ESPT particulièrement intenses
seraient susceptibles de développer des formes plus sévères ou
d’avoir un risque plus élevé d’ESPT que les autres (50). Les défi-
cits cognitifs sont susceptibles d’interférer avec la capacité du
patient de récupérer à la suite d’un traumatisme, processus qui
demande un réapprentissage et une réadaptation (51). Les défi-
cits cognitifs précoces pourraient conduire à un déficit d’acqui-
sition des souvenirs traumatiques et expliquer partiellement
l’amnésie de certaines scènes. L’absence de dysfonctionnement
cognitif précoce chez les survivants qui présentent des symp-
tômes suggère qu’un déficit cognitif pourrait survenir et se déve-
lopper tout au long de l’ESPT. Il est donc important d’évaluer les
La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
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