Grèce, Athènes, un jour chaud de Metageitnon 499 avant notre ère…

LES AVENTURES D'ENDYMION LE SCULPTEUR
UN ROMAN GREC DU IIIÈME siècle
Édité par les
Éditions de l'Océane
Octobre 2005
Avertissement au lecteur : toute ressemblance avec des personnages ayant
existé ou ayant foulé le sol de Grèce en mai 2005 est pure coïncidence….
I
Grèce, Athènes, un jour chaud de Metageitnon 449 avant notre ère…
LES AVENTURES
D'ENDYMION
LE SCULPTEUR
UN ROMAN GREC
2
De retour dans son atelier du Céramique, après sa sieste quotidienne sur
l’Agora (rituel quasi sacré pour lui : une heure d’intenses ronflements toujours sous le
même olivier, derrière l’Héphaïstéion), Endymion eut une très mauvaise surprise. La
statue qu’il polissait depuis trois longs jours, le chef d’œuvre de sa vie, son triomphe,
sa fierté, son « kléos »1, la Korè d’Athéna que lui avait commandée Phidias en
personne, celle qui lui avait brisé quatre couteaux, deux assistants et même ses
doigts, « la » statue gisait à terre, en cinq morceaux pitoyables qui ne laissaient plus
rien voir de leur splendeur passée. La tête elle-même était fendue, son beau sourire
figé en un affreux rictus, comme si le marbre avait souffert dans la chute.
Quand il passa le seuil et vit la catastrophe, Endymion blêmit et se mit à
trembler comme feuille au printemps. Le soleil frappait pourtant très fort, on était au
mois de Metageitnon2, la chaleur coupait les genoux, et rien n’avait pu calmer la fièvre
d’Endymion : ni la décoction de menthe pouliot ni l’ombre de son olivier préféré n’avait
pu rafraîchir notre sculpteur tout échauffé par l’été et surtout par le désir de toucher
enfin le salaire promis par Phidias : 1/2 talent ! Jamais Endymion n’avait reçu autant
d’argent ! Et jamais, deux ans auparavant, il n’eût rêvé d’être sollicité par le grand, le
célèbre Phidias, le chef de chantier de l’Acropole, l’ami de Périclès, le sculpteur béni
des dieux que tout apprenti souhaitait avoir pour maître… Et pourtant, en deux ans, il
était devenu, lui Endymion, le disciple préféré du célèbre Phidias. Et il travaillait
depuis six mois sur une commande d’envergure, une Korè « à l’ancienne », aux longs
cheveux torsadés, au fin sourire et à la robe plissée. « Qu’elle soit en tout point
semblable à celle du vieux temple » avait dit Périclès. « Les anciennes, on ne les
reverra plus. J’en veux une à l’identique. Sur un socle de bronze elle accueillera le
pèlerin de l’Acropole. Elle sera le témoin des anciens temps, du temps le Perse
n’avait pas encore profané la Colline et les statues d’Athéna ». C’était un ordre et
personne ne discutait les ordres de Périclès. Phidias lui avait confen sous-main la
commande et Endymion s’était mis au travail, gardant un souvenir très vif de ces
belles Korès aux cheveux rouges, enfouies à jamais dans la terre après la souillure
perse (Que Zeus les foudroie !). « Puissent-elles reposer en paix et puisse la mienne
s’en faire un digne reflet »
Six mois de travail qui gisaient à présent à ses pieds. Endymion était glacé
d’effroi. Un bloc de marbre de cette taille ne tombe pas tout seul et n’éclate pas ainsi
des suites d’une simple chute. On s’était acharné sur elle, écrasant le nez, éparpillant
les morceaux. Qui avait fait ça ? Athéna elle-même, déçue et fâchée par le résultat ?
Les dieux peuvent tout, et leur colère peut exploser même le marbre… Un chien
errant Il y en avait un justement, de ces chiens qui règnent sur l’Agora. Entré dans
l’atelier avec Endymion, il léchait les longues traînées rouges de la peinture encore
fraîche, comme si la statue, blessée à mort, perdait son sang. Le jeune homme le
chassa sans ménagement et il sortit en titubant de son atelier. Ne plus voir cette
horreur, ne plus voir ces yeux vides, cette bouche fendue, ce nez brisé… Retourner à
1 Kléos : gloire immortelle du héros homérique.
2 Le mois d’août
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l’Agora et parler au maître, à Phidias. Tout lui dire. Ou bien se confier à l’autre maître
qui sait aussi ce que beauté veut dire. Il a été tailleur de pierre, il comprendra… Oui,
aller trouver Socrate… Qui a fait ça ? Sombre présage. Tout se brouillait dans sa tête.
Un disciple jaloux ? Sa fiancée, mortifiée de le voir des jours entiers et des nuits
entières, parfois avec Phidias ? Il arriva sur l’Agora complètement paniqué, comme
entouré de mille Gorgones, et à bout de souffle… Simon le cordonnier, l’ami fidèle,
était là…
II
Très énervé par sa découverte, Endymion était essoufflé. Il ne contenait ni
son excitation ni son angoisse : un geste aussi violent pouvait rappeler les
Hermocopides, mais on était en privé, et il n’y avait aucune signification politique
apparente. Simon le cordonnier, entre tous, pourrait lui confirmer la température
politique, lui qui jouait volontiers le rôle d'échotier de l'agora, rapportant les histoires et
les ragots des uns et des autres. Ayant appris que Périclès préconisait un retour à
l’antique et que même le grand Phidias n’y faisait aucune objection, on aurait pu
vouloir faire savoir que le peuple était moderne et faisait oppposition à un art austère,
hérité de la tradition certes vénérable des sculpteurs anciens, mais désormais à leurs
yeux dépassée. Phidias avait imposé un art de noblesse, pourquoi revenir en effet à
ces statues primitives, marquées d'un manque de précision et de rigueur dans le style
et la manière. Oui, confirma Simon, beaucoup commencent à en avoir assez des
goûts trop traditionnels de Périclès, on craignait même que cette nouvelle esthétique
ne soit le symptôme d'un retournement politique. Ce retour à la korè antique serait-il le
signe d'un désir de renoncer aux grandes avancées de la démocratie ? Simon était
d’accord, il fallait en parler à Socrate, mais celui-ci était hélas parti se promener à la
campagne avec le jeune Phèdre, et on ne pouvait espérer leur retour que le soir
tombé. Socrate était lui aussi par ailleurs assez peu porté sur la nouveauté ; il était
peut-être lui-même acoquiné avec les auteurs de ce sale coup ? Comment savoir ? Il
est vrai que Socrate avait la réputation d'être un critique des dieux, et donc de la
tradition, mais connaissait-on ses goûts dans le domaine de l'art ? voudrait-il au bout
du compte attaquer un art nouveau en retournant à l'ancien ? En attendant Socrate,
Simon proposa de boire un peu de ce vin blanc de vignoble de Corinthe, fraîchement
arrivé. Ils s’assirent et entreprirent de boire tout en discutant.sur le climat politique
d’Athènes.
III
Se reversant encore une autre coupe de vin, tout désespéré de ne
pas trouver Socrate pour l’aider à élucider le mystère de la statue, Endymion
s’endormit en maudissant l’auteur de ce désastre. Sombrant doucement dans les
brumes de Morphée, Endymion entra dans un autre monde. Tout léger, il s’envola en
rêve vers une Athènes céleste. Il se voyait seul sur l’Agora, comme si tout était figé
dans le temps, dans une autre époque. Aucun bruit n’atteignait ses oreilles. Partout où
il regardait, il ne voyait que de la fumée blanche qui flottait dans une douce volupté,
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donnant au paysage un aspect irréel, fantomatique. Mais le tableau s’anima bientôt.
Tout d’un coup, sorti de nulle part, apparut un jeune Centaure doré. Se tournant vers
un chemin de marbre blanc, il invita d’un geste silencieux notre Endymion rêveur à le
suivre. Ils marchèrent en silence parmi les oliviers et atteignirent une tholos immense
d’où jaillissait une lumière intense. Ne pouvant supporter cette luminosité trop forte,
Endymion se couvrit les yeux afin de pouvoir distinguer d’où la source de lumière
provenait. S’habituant tranquillement à ce mélange de pénombre et de lumière
aveuglante, il commença à explorer d’un regard circulaire l’intérieur de l’immense
tholos.
À sa grande surprise, il perçut que la source de lumière provenait de
l’éclatement d’une statue en plein centre de la tholos. En même temps Endymion
s’aperçut qu’il n’était pas seul à l’intérieur de la tholos : plusieurs personnes
regardaient fixement et pointaient du doigt la statue brisée. Un à un, Endymion
stupéfié les identifia : Zeus, Athéna, Hadès, Hermès… Les Douze Dieux ! Ils étaient
tous là. Il les avait maintes fois vus représentés par les meilleurs artistes. Les Douze
Dieux olympiens assemblés autour de la statue, avec des gestes accusateurs, des
regards froids et vides. Le plus étrange dans cette vision fut alors l’apparition
inattendue de trois autres personnes : à gauche et à droite de la statue apparurent
deux bustes représentant Phidias et Socrate, tous les deux enchaînés et brûlés. C’.est
alors qu’Endymion remarqua que la bouche des deux bustes avait été aussi martelée,
détruite… Incapable de bouger, trop effrayé par ce qu’il voyait, Endymion tomba à
genoux à côté du Centaure impassible. Au même moment, un troisième personnage
s’avança : encapuchonné dans un lourd manteau noir, il s’avança rapidement vers
Endymion en le pointant du doigt. Sous son manteau, dans son dos, il s’écoulait un
liquide rouge visqueux. C’était du sang ! Le mystérieuse personnage perdait du sang
sur son passage ! Quand la noire apparition releva lentement son bras pour enlever
son capuchon et découvrir ainsi son visage, Endymion sentit une douleur intense au
niveau de sa main droite. Se réveillant en sursaut, il regarda le chien qui essayait de
lui voler son bout de pain.
Dégrisé, il se mit à chercher désespérément ce que voulaient lui faire
comprendre les dieux à travers ce songe. Était-il coupable de quelque chose ? Qui
était ce mystérieux personnage sanguinolent qui le désignait ? Pourquoi Socrate et
Phidias avaient-ils la bouche martelée ? Qu’est-ce que ça voulait dire ? Y aurait-il une
conspiration secrète à Athènes, dont Endymion serait, bien malgré lui, un malheureux
pion ? Bien conscient des tensions politiques qui régnaient à Athènes et tout angoissé
par l’avenir, effrayé par ce sang, ces bouches mutilées, ce panthéon accusateur, sa
propre statue au centre de cet intérêt malsain, Endymion fut d’avis qu’il devrait faire
interpréter son rêve par un exégète. Mais aller ? Delphes et sa Pythie ? Certes,
Delphes semblait de loin être la place la mieux indiquée pour un cas si grave. Ne pas
lésiner sur les moyens, la situation l’exigeait. « C’est décidé, je pars demain pour
Delphes et sa Pythie! », dit-il en un souffle.
IV
5
Malheureusement, avant Delphes, il devait faire un long détour par Corinthe.
Et trouver le moyen de se procurer de l’argent pour payer son expédition à Delphes.
C’était loin, loin dans les montagnes, il fallait de l’argent pour assurer sa subsistance
et peut-être louer un mulet pour gagner du temps. Corinthe, il connaissait. Il devait
aller y livrer une commande reçue quelques mois auparavant. Il s’agissait d’une statue
d’Aphrodite destinée à son temple sur l’Acrocorinthe. Il décida d’aller porter lui-même
son œuvre afin de récolter l’argent le plus rapidement possible. Les Corinthiens
étaient riches et ne marchandaient jamais, ce serait déjà un bon pécule pour le
voyage à Delphes. Il ne connaissait pas Delphes. Ce serait une bonne occasion. Tout
excité, en sortant de chez lui, Endymion croisa Simon le cordonnier qui lui demanda
il allait. « À Corinthe » lui répondit Endymion. C’est alors que Simon, après
quelques tergiversations, proposa d’accompagner le sculpteur dans la riche cité pour
y observer ce qui s’y faisait en matière de cordonnerie et jeter un œil sur les
importations. Il fallait se tenir au courant des nouveautés et Corinthe était la plus riche
et la plus moderne des cités commerçantes. Athènes en savait quelque chose : son
propre commerce souffrait beaucoup de cette concurrence. En fait, Simon, inquiet par
l’air égaré de son ami, voulait aussi s’assurer qu’Endymion arriverait à bon port sans
trop de problèmes.
Une fois tous les préparatifs terminés, le duo prit la route pour Corinthe. En
chemin, s’arrêtant pour dormir dans une petite auberge, ils furent accostés par trois
Spartiates complètement ivres. À cette époque, les tensions entre Sparte et Athènes
se faisaient déjà sentir et, voyant qu’ils avaient affaire à deux Athéniens, les trois
farouches soldats entreprirent de les dévaliser. C’était d’abord un jeu puis, le vin
aidant, les soldats se faisaient de plus en plus menaçants. Puisqu’Athènes et ses
habitants puisaient dans les caisses de l’État et utilisaient l’argent de la Ligue de
Délos (ce n’était un secret pour personne), il était légitime disaient-ils entre deux
hoquets - de dévaliser Endymion et Simon, histoire de récupérer un peu de cet argent
volé. Peine perdue : nos deux voyageurs étaient sans le sou.
V
La situation semblait cependant sans issue : les artisans sont rarement de
vaillants combattants. Lorsque le premier Spartiate s’élança sur lui. Endymion ne put
s’empêcher de fermer les yeux en attendant l’impact. Simon, guère plus courageux,
recula, dans l’espoir que son ami lui servirait de bouclier. Toutefois, contre toute
attente, le coup anticine vint pas. On entendit plutôt un grand fracas lorsque le
soldat s’écroula, inanimé. Endymion rouvrit les yeux juste à temps pour voir les deux
autres assaillants s’enfuir à toute vitesse, pointant d’un air effrayé l’objet qui,
visiblement, avait assommé leur ami. Il s’agissait d’une pince de forgeron, mais
immense, bien trop lourde pour être portée par un seul homme. Il ne semblait pourtant
pas y avoir d’autres artisans que lui et Simon dans la pièce. Héphaïstos, qui semblait
l’avoir abandonné jusqu’alors, lui accordait-il à nouveau sa protection ? Les dieux
interviennent parfois même si ça reste exceptionnel dans la vie quotidienne. Cette
pince pouvait-elle être autre chose qu’un outil divin ? Mi-rassurés mi-inquiets, les deux
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