Mémoire sémantique

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Fiche technique
n° 67
Mémoire sémantique
S. Belliard
(Centre mémoire de ressource et de recherche de Rennes,
et INSERM E0218)
Fiche à détacher et à archiver
La mémoire sémantique
En 1972, Tulving (1) a proposé de séparer, au sein de la mémoire
consciente à long terme, la mémoire épisodique, mémoire des
“souvenirs” indexés dans le temps et l’espace, susceptibles
d’être revécus mentalement : “Je me souviens du repas hier soir au
restaurant italien avec mes amis pour fêter mon anniversaire”, et la
mémoire sémantique, mémoire des savoirs décontextualisés : “Je
sais ce qu’est un kangourou, je sais qui est Jacques Chirac, etc.”
La mémoire sémantique regroupe les connaissances générales
non personnelles, comme le sens des mots, les savoirs sur les
objets, les animaux ou les végétaux, sur les entités uniques (qui
n’existent qu’en un seul exemplaire : personnes, lieux, etc.), les
connaissances livresques, géographiques et historiques mais
aussi sur les connaissances biographiques personnelles (date
de naissance, métiers exercés, etc.).
La mémoire sémantique donne du sens à nos perceptions. Elle
est donc indispensable pour la réalisation de certaines activités
linguistiques, telles que la dénomination et la compréhension
des mots, et de certaines activités non verbales, telles que l’identification des objets et des personnes.
Dans les schémas cognitifs classiques d’identification, la mémoire
sémantique entre en jeu après la perception (c’est-à-dire la
reconstruction mentale des informations analysées par les
organes sensoriels) et avant la dénomination (figure 1). Dans
ce genre de modèle, le système sémantique est considéré comme
unique, amodal, et il est abordé de la même manière par toutes
les images perceptives (visuelles, auditives, etc.).
Classiquement, l’atteinte de la mémoire sémantique se traduit
donc par un défaut d’identification multimodal, l’objet en question n’étant reconnu ni par la vue ni par le toucher, et n’étant
même pas identifié à l’évocation de son nom. En fait, l’atteinte est
Reconstruction mentale du visage perçu
Comparaison du visage
avec le stock des visages mémorisés
Accès au sens à partir du visage
Accès aux informations sur la personne
stockées dans le système sémantique
Accès au nom et à l’inverse
accès au sens à partir du nom
Lexique des noms
Figure 1. Modèle d’identification des personnes.
La Lettre du Neurologue - vol. XI - n° 1 - janvier 2007
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Sous la responsabilité de leurs auteurs
Mémoire sémantique
rarement de même intensité entre toutes les modalités sensorielles, certaines entrées (en particulier l’entrée verbale), certains
items (les entités uniques, les items biologiques) étant particulièrement fragiles. En pratique, on parle de trouble sémantique
devant un trouble de la reconnaissance de concepts concrets
(les objets, les personnes, etc.) non exclusivement limité à un
format de présentation (imagé ou verbal), et non expliqué par
un dysfonctionnement d’amont (perceptif, phonologique).
Exploration de la mémoire sémantique
L’examen de la mémoire sémantique passe par l’évaluation de
l’identification d’images d’objets ou des visages, par l’examen
de la compréhension des noms communs et des noms propres :
“Qu’est-ce qu’un kangourou, une girafe, un hippopotame ?, etc. Qui
sont Yves Montand, Georges Pompidou ?, etc.” Si la réponse du
patient est évasive, il ne faut pas hésiter à poser des questions
précises (son habitat pour un animal, sa profession pour une
personnalité). Certains questionnaires standardisés sont en cours
de validation. Le déficit sémantique varie en fonction de l’item.
Les entités uniques (personnes célèbres, etc.) et les animaux
exotiques sont parmi les premiers touchés. Ce sont donc ces
items qu’il faudra explorer en priorité.
Pour affirmer que le trouble est bien de nature sémantique, il
y a nécessité d’éliminer préalablement un trouble présémantique
qui pourrait, à lui seul, expliquer le tableau. En pratique clinique,
on peut montrer que le patient perçoit bien l’objet qu’il n’identifie
pas en le lui faisant dessiner par copie. On peut montrer qu’il a
bien “entendu” les mots qu’il ne comprend pas en les lui faisant
répéter. C’est la plurimodalité qui caractérise une atteinte de
nature sémantique. L’item devra donc être exploré sous plusieurs
formats et, éventuellement, au cours d’épreuves différentes.
On peut avoir recours à des tests standardisés. Certains sont largement cités pour étudier la mémoire sémantique, mais présentent le désavantage d’être peu spécifiques ou intermodalitaires.
Ils peuvent cependant servir de débrouillage : dénomination,
fluences verbales (ce qui fait appel aux capacités exécutives), appariement mot-image. D’autres épreuves semblent plus spécifiques.
C’est le cas des épreuves d’appariement catégoriel ou fonctionnel
qui consistent à apparier deux mots (ou dessins) qui ont des
traits sémantiques communs (figure 2, p. II).
Étiologies
Les troubles sémantiques s’observent lors de lésions bitemporales antérieures. Ils ont été rapportés essentiellement dans
deux circonstances pathologiques : l’encéphalite herpétique
et certaines maladies dégénératives (maladie d’Alzheimer mais
surtout démence sémantique).
I
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Figure 2. Exemples d’appariement fonctionnel (tirés de la batterie
BECS-Greco : batterie d’évaluation des connaissances sémantiques,
en cours d’élaboration sous l’égide du Greco).
Tableau. Critères de démence sémantique (2).
II
1
Évolution progressive
2
Trouble sémantique
– trouble du langage caractérisé par un discours fluent, mais vide,
une perte du sens des mots et des paraphasies sémantiques
– et/ou prosopagnosie ou agnosie associative
3
Préservation
– des capacités perceptives, de la répétition des mots ou des phrases
courtes, de la lecture et de l’écriture des mots réguliers
– pas d’amnésie sévère précoce ni de désorientation spatiale
Cette dernière entité (critères diagnostiques, tableau), qui est
considérée comme une forme de dégénérescence frontotemporale, survient classiquement chez un patient âgé entre 50 et 70 ans
et se traduit par un trouble progressif, prédominant, voire exclusif
de la mémoire sémantique. Elle est liée à une atrophie temporale
antérieure asymétrique, à prédominance gauche (figure 3).
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Tulving E. Episodic and semantic distinction. In: E. Tulving, W. Donaldson
(Eds), Organization of memory (pp. 381-403). New York:Academic Press, 1972.
2. Neary D, Snowden JS, Gustafson L et al. Frontotemporal lobar degeneration:
a consensus on clinical diagnostic criteria. Neurology 1998;51:1546-54.
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Figure 3. Atrophie temporale gauche dans le cadre d’une démence
sémantique débutante.
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