suffisamment. On répond de ne pas avoir répondu, de ne pas avoir tenu notre rôle.
Et ce rôle est d’autant plus exigeant que la fonction est aussi éminente que celle de
directeurs d’association pour qui elle représente « un élément de dignité de la
fonction 2 ».
Il me semble que la responsabilité éthique est d’un autre ordre. Elle ne répond pas
d’abord à la question du qui ? du qui doit répondre ? mais à la question : « que dois-
je faire ? » étant entendu que cette fois la réponse n’est pas prescrite ; elle est
ouverte. Et je la définirai non comme injonction d’agir mais comme la convocation à
agir, à répondre imposée par une situation, par un événement qui placent soit dans
une situation de vide juridique, soit face à un conflit de principes et de normes qui
peuvent être juridiques mais entre lesquels il faut arbitrer sans autre secours que
celui de la conscience livrée à elle-même dans un espace sans garde-fou où le « ce
que l’on doit faire » n’est pas énoncé par avance. C’est justement parce qu’il y a
défaut de prescriptions certaines ou au contraire trop-plein d’obligations mais de
signe contraire, qui par conséquent tendent à s’annuler, que l’on se retrouve dans un
no man’s land où il faut décider mais sans autre guide pour la décision que le souci
du bien faire ou, bien souvent, de faire du moins mal possible. On se trouve
autrement dit confronté à des cas de conscience, à ce que les juristes américains
nomment des « hard cases », des cas difficiles qui obligent à trancher sans complète
certitude. Et ce n’est évidemment pas un hasard si le regain d’intérêt pour l’éthique
date des années 1970 c’est à dire de l’essor de la bioéthique comme effort de
réponse à des situations qui mettent en présence des exigences contraires mais de
statut équivalent : faut-il admettre la revendication des transsexuels qui souffrent
dans leur chair et dans leur esprit, faut-il admettre l’euthanasie, peut-on faire un
enfant pour sauver grâce à certaines de ses cellules un enfant gravement
malade… ? La décision éthique est en ce sens une décision sans filet, une décision
élaborée dans le clair-obscur du doute parce qu’il y a autant de raisons de faire ceci
que choisir son contraire, d’agir que de s’abstenir.
En ce sens on pourrait dire qu’alors que la responsabilité éthique a en commun avec
la responsabilité morale et juridique de répondre certes à une situation de risque à
juguler, mais en plus, et c’est sa particularité, elle suscite un risque pour celui qui
l’assume, le risque de l’incertitude. Ce qui me conduit à penser que la responsabilité
éthique relève de la responsabilité pure en tant qu’elle est indissociable du courage
du choix. Ici on pourrait risquer un rapprochement avec la réflexion d’Hans Jonas sur
notre responsabilité vis à vis des générations futures. Elle est essentiellement d’ordre
éthique la question étant de déterminer la conduite à adopter dans les situations de
risques pour l’avenir de l’espèce humaine. C’est l’objet du Principe responsabilité 3.
Partant du constat des « transformations de l'essence de l'agir humain », Jonas en
vient à définir un nouvel impératif catégorique dont l'une des formulations est la
suivante : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la
permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre ». Et pour en éclairer la
mise en œuvre, Jonas propose ce qu'il nomme une « heuristique de la peur » c'est à
dire une règle de conduite incluant toujours la perspective du pire, celle d'une
menace contre l'image de l'homme. A l'opposé de l'optimisme scientiste fondé sur la
conviction que la science trouve toujours une solution aux problèmes qu'elle génère,
2 L. Engel, A. Garapon, «!La fonction publique saisie par le droit!», Esprit, octobre 1997, p. 109.
3 Le Cerf, 1990.