Médecine privée Médecine privée Par Élizabeth Drouin des patients. En fait, il n’y a rien de mal à cette situation; ce qui est plus problématique ou injuste est que ce ne soit pas tous les médecins, notamment les omnipraticiens, qui puissent jouir des mêmes avantages. Il ne faut surtout pas pénaliser ou envier les radiologistes ou autres spécialistes d’avoir su, au fil des années, conserver et négocier avec le gouvernement des conditions de travail avantageuses, mais il ne faut pas se surprendre de voir qu’à défaut de permettre la pratique mixte, la pratique hors RAMQ deviendra de plus en plus attrayante, surtout avec une demande grandissante de la part des patients. Avec l’offre de la clinique médicale MD-Plus, on vient rendre presque nul le risque de se lancer en affaires et de voir ses revenus diminuer radicalement, la principale barrière au désengagement des médecins. ⌧ La médecine privée s’organise À quand la pratique mixte pour tous les médecins? Une rémunération horaire de 115 $ pour un médecin de famille; une allocation de 3 000 $ par année pour la formation médicale continue; un remboursement de 1 500 $ des frais d’assurance responsabilité professionnelle; un maximum de 15 rendez-vous par jour; des congés fériés rémunérés; aucuns frais de bureau. Trop beau pour être vrai? Sûrement pas pour la clinique médicale non participante MD-Plus qui, pour soutenir sa croissance, met le paquet pour recruter de nouveaux médecins. Avis aux intéressés: on parle ici de 200 000 $ nets qu’on offre aux médecins de famille, pour 4 jours de travail. «Entre 100 et 150 nouveaux patients ouvrent un compte à notre clinique chaque mois», indique le Dr Luc Bessette, cofondateur de la clinique médicale MD-Plus, à Montréal. «Nous en sommes même à embaucher un directeur de la qualité et du service à la clientèle, pour nous assurer que le niveau de services offerts à nos patients soit impeccable», dit-il. C’est ainsi qu’après un peu moins de quatre ans suivant son ouverture, la clinique MDPlus doit jongler avec une demande de plus en plus forte pour ses services de médecine familiale hors RAMQ. Il y a quelques années pas si lointaines, alors que les médecins non participants à la RAMQ étaient considérés comme des marginaux, on disait que si le gouvernement n’encadrait pas de façon intelligente la médecine privée, elle se développerait exponentiellement par elle-même, sans cohésion ou assurance que la population serait mieux servie. Aujourd’hui, on est en droit de se demander si ce n’est pas précisément ce qui est en train de se produire. La récente entente entre Rockland MD et l’hôpital Sacré-Cœur, qui a pris tout le monde par surprise, en est un exemple éloquent. La popularité de MD-Plus et son obligation de développer un concept innovateur de rémunération pour recruter des médecins en sont un autre. L’industrie s’organise. Personne n’a de boule de cristal pour prévoir l’impact que tout cela aura sur l’accessibilité aux soins, mais tout semble indiquer que les patients sont prêts et n’attendront pas après le gouvernement pour aller chercher des solutions à leurs maux. Ils sont las de poireauter 12 heures dans une salle d’attente. Un nouveau mode de rémunération Les patients sont de plus en plus nombreux à payer de leur poche pour les soins de santé. Étant donné l’étanchéité entre la pratique privée et publique, les médecins qui souhaitent se joindre à l’équipe de MD-Plus doivent se désengager de la RAMQ. Se basant sur le modèle de rémunération des pharmaciens en officine privée, la clinique MD-Plus embauche ensuite ces médecins, qui deviennent salariés de l’entreprise. La rémunération offerte est basée sur une période de travail de deux à quatre jours par semaine et un samedi sur quatre semaines de calendrier, selon les désirs du médecin, pour un minimum de 44 semaines par année. Le prestataire de services s’engage à voir un minimum de 12 patients par jour et un maximum de 15 patients par jour. Si moins de neuf patients ont pris rendezvous dans une journée et que le médecin a néanmoins assuré une présence pendant les heures normales de travail, la rémunération prévue n’est pas affectée. Le médecin est payé 115 $ pour chacune des heures de prestation de services, pour une durée prévue facturée de 7 heures et demie de services par journée. Le médecin peut aussi profiter d’une banque d’heures d’honoraires pouvant être facturées pour tout travail non clinique de mise à jour, de rédaction, de formation ou de développement professionnel, et dont l’équipe de la clinique pourra bénéficier. Le médecin de famille recevra un remboursement jusqu’à concurrence de 1 500 $ des coûts annuels de son assurance responsabilité professionnelle et a une allocation de 3 000 $ par année afin de défrayer le coût d’inscription à tout programme de formation médicale continue ou colloque afin de parfaire sa formation professionnelle. Il n’y a aucuns frais de bureau. En tout et partout, un médecin qui pratique au sein de la clinique MD-Plus à rai- son de trois jours par semaine reçoit l’équivalent de 150 000 $ par année, nets de dépenses. Celui ou celle qui opte pour une semaine de quatre jours reçoit l’équivalent de 200 000 $ par année. Finalement, le médecin qui choisit d’y pratiquer deux jours par semaine reçoit l’équivalent de 100 000 $, toujours nets de dépenses. La pratique mixte Parmi toutes les cliniques médicales non participantes en activité au Québec, MDPlus possède sans contredit l’une des meilleures réputations. Elle est perçue par les patients et la communauté médicale comme intègre et non mercantile. Mais il ne faut pas être devin pour prévoir les critiques qu’elle devra essuyer: avec un nombre de patients limité à 15 quotidiennement pour ses nouveaux prestataires de services, on se demandera notamment si l’accessibilité globale à un médecin de famille sera accrue par son offre de services. Puisque tout ce qui est gratuit entraîne un abus, les visites farfelues seraient-elles alors limitées si la clinique prenait une grande ampleur? La responsabilisation des patients fait-elle partie des clés du succès dans le domaine public? Il est aussi normal de se demander si l’étanchéité actuelle qui interdit aux médecins participants de soigner des patients au privé après avoir servi des patients au public est bénéfique pour la population. L’offre de services médicaux ne peut être augmentée sans investissements publics considérables, ou l’apport du privé. Il est alors inévitable de faire le lien entre notre système de santé et celui de la France, considéré – à tort ou à raison – comme le meilleur au monde, où les médecins ont des pratiques mixtes (à ce sujet, la deuxième partie du présent article vous présente le fonctionnement du système de santé français d’un point de vue du médecin). La pratique mixte existe d’ailleurs en quelque sorte au Québec. Les radiologistes, par exemple, bénéficient de passe-droits acquis et conservés depuis des dizaines d’années, où les patients doivent se servir de leur carte de crédit pour avoir accès à plusieurs services médicaux dispensés en cabinet privé. La plupart des assurances maladie et santé complémentaires remboursent d’ailleurs ces frais. Ainsi, en plus d’être les spécialistes les mieux rémunérés, les radiologistes reçoivent donc une portion non négligeable de leurs revenus directement Le gazon est-il plus vert chez les médecins français? L'Organisation mondiale de la santé (OMS) place le système de santé français au premier rang mondial quant à son efficacité globale. Le Canada arrive 30e et les États-Unis, 37e.1 Les médecins de la France peuvent en quelque sorte pratiquer à la fois au privé et au public. Le système de santé de la France est-il un modèle à suivre? À chacun son opinion. La réforme de l’assurance maladie En juillet 2004, le Parlement français adoptait la réforme de l’assurance maladie. Dès le 1er janvier 2005, les premières mesures ont été mises en application. Pourquoi mettre en place une énième réforme de l’assurance maladie en France? «Cette réforme est tout simplement indispensable. Quelques chiffres permettent d'en mesurer la nécessité : 13 milliards d'euros de déficit à la fin de la seule année 2004, 35 milliards d'euros de dettes de la Sécurité sociale et 23 000 euros de déficit supplémentaire par minute», expliquait en 2005 Xavier Bertrand, alors secrétaire d’État à 1 http://drepapillon.blogomed.com/index.php/post/2006/11/27/Larret-Chaouilli 23 22 S A N T É I N C . SEPTEMBRE/OCTOBRE 2007 SEPTEMBRE/OCTOBRE 2007 S A N T É I N C . Médecine privée l’assurance maladie et ministre de la Santé et des Solidarités depuis le 2 juin 2005. La réforme de l’assurance maladie en France a donc pour objectif de diminuer les dépenses de santé tout en assurant un meilleur traitement des patients et la conservation d’un système solidaire. Le parcours de soins coordonné Le principal changement s’inscrit dans la mise en place d’un médecin «traitant» comme pivot du parcours de soins du patient. «Il s’agit de faire en sorte que votre histoire médicale soit mieux connue et que votre médecin soit l’interlocuteur médical de référence des autres professionnels de santé pour ce qui vous concerne», indique le gouvernement, en s’adressant aux patients français. La mesure vise également à «éviter les actes inutiles et redondants, en orientant mieux les patients et en évitant les actes superflus par une information médicale mieux organisée et plus accessible». Le choix du médecin traitant est libre, mais il doit être déclaré à l’assurance maladie. Le patient peut également changer librement de médecin traitant au besoin, et le médecin a le droit, de son côté, de refuser d’être le médecin traitant d’un client. Depuis le 1er janvier 2006, le patient paie un tarif forfaitaire de 1 € pour chaque consultation. Cet euro symbolique est à la charge du patient, et même s’il ne participe pas directement à combler le fameux «trou de la Sécu» (déficit de la Sécurité sociale), il met en évidence que les actes médicaux ont un coût et qu’il faut les limiter aux actes nécessaires. Dans le cadre du parcours de soins coordonné, passant par le médecin traitant, le patient doit aussi débourser de sa poche pour les consultations reçues, mais se voit remboursé à 70 % par l’assurance maladie. Les tarifs des consultations sont fixés par décret. La partie non remboursée, le ticket modérateur, correspond à la partie des dépenses de santé qui reste à la charge du patient après le remboursement de l'assurance maladie. En effet, la réforme a également pour but de responsabiliser le patient. Si le choix d’un médecin traitant et sa déclaration à l’assurance maladie ne 24 S A N T É I N C . SEPTEMBRE/OCTOBRE 2007 sont pas obligatoires, les Français sont néanmoins fortement incités à le faire. «Si vous décidez de consulter un médecin qui n’est pas votre médecin traitant, l’assurance maladie retiendra un pourcentage de 10 % sur votre remboursement, celui-ci passant de 70 à 60 %», précise l’assurance maladie. Si la consultation d’un spécialiste s’impose, celle-ci doit être auparavant décidée par le médecin traitant, sauf pour les ophtalmologistes, les gynécologues, les psychiatres et les pédiatres. «Les syndicats ont obtenu un certain nombre de modifications significatives», se réjouit le Dr Hubert Wannepain, secrétaire général de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Les syndicats et le conseil de l’Ordre des médecins ont été des partenaires privilégiés du gouvernement pendant l’élaboration de la réforme. «Les médecins doivent être partie prenante pour que la réforme puisse être correctement appliquée et qu’elle apporte des résultats», insiste le Dr Wannepain. Si l’accueil de la réforme était partagé au sein de la communauté médicale, elle n’en était pas moins nécessaire, s’accordent à dire aussi bien les syndicats que l’Ordre des médecins. Plusieurs objections ont été formulées à l’époque par les médecins et par les patients. Elles concernaient notamment le surplus de travail pour les généralistes, qui deviennent le passage obligatoire à toute démarche médicale, la mise à l’écart des spécialistes ainsi que la lourdeur administrative, puisque le médecin traitant doit maintenir à jour le dossier médical du patient et centraliser les avis des autres médecins consultés. Sur ce dernier point, l’assurance maladie s’en défend: «90 % des Français avaient déjà un médecin de famille [avant la réforme], qu’ils consultent fréquemment avant d’aller voir un spécialiste.» En décembre 2005, plus de 33 millions de Français avaient choisi et déclaré leur médecin traitant, soit 70 % des assurés de plus de 16 ans. En octobre 2006, «près de 99 % des médecins généralistes ont accepté d’être médecin traitant», souligne le Dr Wannepain. Pourtant, certains praticiens diront que la réforme était tout de même fortement incitative de la part du gouvernement. Selon le Dr Christian Lehmann, à l’origine d’une pétition contre cette réforme, «les généralistes n’ont pas pu refuser le système du médecin traitant sous peine de pénaliser leur patient d’un moindre remboursement». Les syndicats, notamment la CMSF, ont voulu que le patient puisse choisir librement son médecin traitant, qu’il soit généraliste ou spécialiste. «C’est un succès pour ces médecins, car 98 % des médecins traitants sont des généralistes», confirme le Dr Wannepain. Les patients ont en effet favorisé leur médecin de famille. Confirmant les craintes exprimées lors de l’élaboration de la réforme, certaines spécialités ont été lésées et ont vu leur clientèle diminuer. Au début de la mise en place de la réforme, le Conseil national de l’Ordre des médecins soutenait le projet de loi, notamment au sujet de la mise en place d’un médecin traitant. Dans un communiqué datant de janvier 2005, le Conseil émettait néanmoins quelques réserves concernant «la complexité du parcours de soins et un encadrement administratif trop tâtillon». Début 2006, le Conseil regrettait que la réforme soit toujours aussi complexe. «Les imprimés liés au “parcours de soins coordonné” sont longs à remplir et entraînent une surcharge administrative pour les praticiens», regrette-t-il. «L’exaspération grandit face aux rigidités d’un système mal expliqué aux patients, où le médecin traitant fait plus figure de distributeur de tickets de soins que de réel coordonnateur de la prise en charge du patient.» Au bout du compte, en 2007, malgré toutes les embûches, les patients ont accès rapidement à des soins, mais le déficit de la Sécurité sociale est encore présent. ⌧