Pharmacovigilance Hépatite aiguë cytolytique fulminante d’évolution mortelle associée à la prise de griséofulvine Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. M. Harandou1,2, M. Khatouf1, T. Bouhafa1, N. Kanjaâ1, F. Lapostolle2 1 Service de réanimation polyvalente, Hôpital Al Ghassani, Fes, Maroc SAMU 93, EA 3409, Hôpital Avicenne, 125, rue de Stalingrad, 93009, Bobigny <[email protected]> 2 La griséofulvine (Griséfuline®) est un antifongique utilisé pour traiter des mycoses à dermatophytes des cheveux, des ongles et de la peau. Les atteintes hépatiques signalées avec ce médicament sont exceptionnelles, de rares observations faisant mention d’hépatites cholestatiques. Nous rapportons un cas d’hépatite cytolytique aiguë d’évolution fatale associée à la prise de griséofulvine. Mots clés : hépatite aiguë fulminante, griséofulvine Introduction La griséofulvine (Griséfuline®) est un antifongique utilisé pour traiter des mycoses à dermatophytes des cheveux, des ongles et de la peau. Les atteintes hépatiques signalées avec ce médicament sont exceptionnelles, de rares observations faisant mention d’hépatites cholestatiques [1, 2]. Nous rapportons ici un cas d’hépatite cytolytique aiguë d’évolution fatale associée à la prise de griséofulvine. doi: 10.1684/met.2009.0195 Observation mt Tirés à part : F. Lapostolle Une jeune fille de 19 ans était traitée par griséofulvine (1 g/j), pour une mycose des orteils. Elle n’avait aucun antécédent médico-chirurgical, aucune notion de transfusion ni d’habitude éthylique et ne prenait aucun médicament. Un mois après le début du traitement, elle a présenté un ictère cutanéo-muqueux accompagné d’uri- mt, vol. 15, n° 2, avril-mai-juin 2009 nes foncées, de selles décolorées, de nausées, de vomissements alimentaires puis bilieux, de douleurs abdominales diffuses et d’une asthénie. Un traitement symptomatique antiémétique et antispasmodique a été entrepris. Dix jours plus tard, elle a été admise en réanimation devant l’aggravation du tableau clinique marquée par l’apparition de troubles des fonctions supérieures. À l’admission, la patiente agitée tenait des propos incohérents et présentait une hypertonie des membres avec une hyperréflexie ostéotendineuse. La pression artérielle était à 150/90 mmHg et la fréquence cardiaque à 120 batt.min-1, sans signes d’insuffisance cardiaque ni de choc. La fréquence respiratoire était à 18 c.min-1 avec une auscultation pulmonaire normale. L’ictère cutanéomuqueux était franc et généralisé. L’abdomen était souple. Il n’y avait pas de fièvre. Les examens biologiques montraient : activité sérique des aminotransférases (ASAT et ALAT) respecti- 151 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Pharmacovigilance 152 vement à 1 378 UI.L-1 et 1 365 UI.L-1 (53 et 47 fois la limite supérieure de la normale, N) ; phosphatases alcalines à 170 UI.L-1 (1,5N) ; bilirubinémie totale à 414 μmol.L-1 dont 278 de bilirubine conjuguée ; taux de prothrombine (TP) à 14 % ; facteur V à 12 %. L’ionogramme sanguin, dont la fonction rénale, était normal. L’hémogramme révélait 120 000 plaquettes.mm-3 et 6 600 leucocytes.mm-3 dont 73 % de neutrophiles et 2 % d’éosinophiles. La recherche d’antigènes HBs, d’anticorps anti-HBs, d’anticorps anti-HBc, d’anticorps anti-VHC, d’IgM antiVHA était négative. Les anticorps antitissus n’ont pas été recherchés et les gammaglobulines n’ont pas été dosées. La sérologie de la leptospirose était négative. L’échographie du foie et des voies biliaires était normale. Une ponction biopsique hépatique par voie jugulaire n’a pu être réalisée. Le traitement symptomatique a été associé à l’administration de plasma frais congelé et de vitamine K. L’évolution a été marquée par une aggravation neurologique rapide ayant nécessité l’intubation et la ventilation de la patiente. Le décès est survenu 48 heures plus tard, dans un tableau de défaillance multiviscérale. digestifs, sont observés dans environ 10 % des cas [3]. Par contre, l’atteinte hépatique au cours des traitements par la griséofulvine est exceptionnelle. Il s’agit essentiellement d’atteintes cholestatiques apparaissant 3 semaines à 4 mois après le début du traitement. Un seul cas d’hépatite cytolytique a été rapporté [1]. L’hépatotoxicité de la griséofulvine a été démontrée chez la souris [4]. Chez l’homme, le traitement par griséofulvine est connu pour induire des poussées aiguës avec augmentation des aminotransférases en cas de porphyrie, par interférences avec le métabolisme des porphyrines [3, 5]. Le mécanisme d’hépatotoxicité chez le sujet sain est controversé, de nature immunologique pour certains, toxicité directe pour d’autres [2]. L’examen d’une biopsie hépatique aurait pu renforcer l’hypothèse diagnostique. Les anomalies de l’hémostase contre-indiquaient la ponction percutanée et la ponction par voie jugulaire n’était pas disponible. Dans l’observation présentée ici, la poursuite du traitement (si sa responsabilité est retenue) malgré l’apparition de l’ictère a été un facteur favorisant de cette hépatite dont le caractère cytolytique, la rapidité de l’évolution ayant conduit au décès de la patiente sont inhabituels. Discussion Références L’imputabilité de la griséofulvine dans la survenue de cette hépatite aiguë est suggérée par l’absence d’hépatopathie chronique sous-jacente, d’intoxication alcoolique retrouvée, d’obstruction des voies biliaires repérée, d’autre prise médicamenteuse et d’autre cause d’hépatopathie aiguë. Enfin, le délai d’apparition des signes par rapport à la prise médicamenteuse et les signes d’intolérance survenus de plusieurs semaines auparavant renforcent la suspicion. La griséofulvine est un antifongique d’action fongistatique sur les dermatophytes dont la biotransformation est, pour plus de 90 %, hépatique. C’est un inducteur enzymatique dont l’association avec certains médicaments, notamment le kétoconazole et les contraceptifs oraux, est déconseillée. Ses effets indésirables, essentiellement 1. Gaudin JL, Bancel B, Vial T, Bel A. Hépatite aiguë cytolytique et éruption morbiliforme imputables à la prise de griséofulvine. Gastroenterol Clin Biol 1993 ; 17 : 145-6. 2. Chiput RO, Viteri A, Jamroz C, Dyck WP. Intrahepatic cholestasis after griseofulvin administration. Gastroenterology 1976 ; 70 : 1141-3. 3. Dictionaire Vidal. Griséofulvine (Griséfuline®). Fiche technique, 2005:899. 4. Hutter H, Zatloukal K, Winter G, Stumptner C, Denk H. Disturbance of keratine homeostasis in griseofulvin intoxicated mouse liver. Lab Invest 1993 ; 69 : 576-82. 5. Biour H, Biour M, Ben Salem C, Chazouilleres O, Grange JD, Serfaty L, Poupon R. Drug-induced liver injury; fourteenth updated edition of the bibliographic database of liver injuries and related drugs. Gastroenterol Clin Biol 2004 ; 28 : 720-5. mt, vol. 15, n° 2, avril-mai-juin 2009