LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 900 - septembre 2015
Dans la longue histoire du
Patriote Résistant et de ses
900 numéros, comment ne pas
mentionner les riches synthèses
d’ouvrages allemands sur la
Seconde Guerre mondiale et
le nazisme que rédige Jean-
Luc Bellanger mois après mois,
depuis plus de 200 numéros,
donnant à un public français
l’occasion rare de suivre
l’actualité de la recherche outre-
Rhin ? Il nous en fournit un
nouvel exemple ce mois-ci avec
une étude de 2015 consacrée
aux nazis autrichiens qui
sévirent dans les organes de la
Police de sécurité (SIPO) et de
l’organisme SS équivalent,
le Service de sécurité (SD).
L
es polices politiques dépendant
d’Himmler et de son adjoint
Reinhard Heydrich, Police de
sécurité (SIPO) et Service de sécurité
(SD), ainsi que la Gestapo sont connues.
Une étude récente due à Matthias Gaf ke
est consacrée à une catégorie particu-
lière de hauts responsables de ces or-
ganismes ayant une origine commune,
lAutriche davant 1918 (lire encad
ci-dessous).
Une première liste de tels person-
nages haut placés fournit 1 400 noms.
Léchantillon de base de létude ne retient
que les personnages nés dans l’Empire
austro-hongrois, donc avant 1918, et
ayant eu des postes au sein du RSHA
(Office central de sécurité du Reich)
nazi à des niveaux de haute responsa-
bilité. Un total de 51 noms en résulta,
dont 11 avaient été mobilisés durant la
Première Guerre mondiale, 40 autres nés
après 1 900 n’y ayant pas participé. Il ne
s’agit pas là de détails. En effet ceux qui
avaient « fait la guerre » avaient souffert
dans les tranchées et connu des mois ou
des années parfois horribles. Les plus
jeunes, au contraire, ne retenaient que
lélan euphorique des débuts de la guerre
et loptimisme officiel qui ne connais-
sait que des évolutions positives et des
vacances scolaires pour fêter des évène-
ments heureux.
Cette catégorie était plus accessible
à des mouvements politiques faisant
appel à un élan enthousiaste, en dépit
ou à cause aussi des crises politiques et
économiques des années 1920, et des
difficultés de survie des démocraties.
Il n’est donc pas surprenant que 45 des
51 membres de léchantillon fassent
ainsi partie des plus jeunes. Un autre
point commun est le niveau déduca-
tion. D’une façon générale, les pères de
ces nazis occupaient des professions
non manuelles, et les familles n’étaient
pas dans le besoin. Quant aux 51 per-
sonnages étudiés, seuls six nétaient
pas bacheliers, et tous les bacheliers
firent des études supérieures, 39 sur
45 terminant, comme il est habituel en
Allemagne, avec le titre de docteur (en
droit pour 34 dentre eux). Cette propor-
tion de titres universitaires dépasse celle
que lon constate chez leurs confrères,
allemands dorigine !
Les études supérieures, dans ce milieu
germanique et dans le climat daprès-
guerre, allaient de pair avec des acti-
vités sportives, culture physique par
exemple, et lappartenance à des « corpo-
rations » détudiants. Or les organismes
régissant ces deux activités étaient pra-
tiquement toujours réactionnaires et an-
tisémites. Lantisémitisme en Autriche,
peut-être encore plus qu’en Allemagne,
reposait sur une tradition séculaire,
mais il s’y ajoutait des légendes attri-
buant aux populations juives voisines
de Pologne ou de Russie des activités
despionnage, ou lappartenance à des
bandes luttant contre les Allemands.
À partir du début du 20e siècle était
venue s’ajouter lidée que le judaïsme
utilisait le marxisme et la social-dé-
mocratie pour dominer le monde. Les
Autrichiens SS avaient bu ces notions
avec le lait maternel. Il n’est donc pas
surprenant que la montée du nazisme
en Allemagne, et son succès en Bavière,
région frontalière avec lAutriche, y ait
entraîné la même évolution. Ce mouve-
ment y était interdit, mais une activi-
té illégale importante se développa, le
nombre des nazis clandestins passant
de 1930 à 1932 de 30 000 à 61 000. Bien
entendu cette croissance se poursui-
vit après larrivée dHitler au pouvoir.
Himmler et Heydrich
réorganisent la police
À lété 1931 eut lieu à Munich une
rencontre décisive entre deux hommes
qui ne s’étaient encore jamais vus,
Heinrich Himmler et Reinhard Heydrich.
Himmler, chef des SS, souhaitait créer un
service de renseignements, et on lui avait
parlé dun jeune officier de marine, spé-
cialiste dinformation, récemment rayé
des cadres, Heydrich. En fait c’est une
erreur dinterprétation qui avait transfor-
mé un spécialiste de radio-transmission
en spécialiste des renseignements, mais
une sympathie naquit aussitôt entre les
deux, et ce fut le début de leur coopération
jusqu’à la mort de Heydrich. C’est lui
La place des Autrichiens parmi
les hauts responsables de la police nazie
mémoire 13
LAutriche a été créée après la victoire alliée de 1918, le Traité
de Saint-Germain-en-Laye consacrant lexistence des pays
nouveaux. Entité de langue allemande, elle a constitué une
République indépendante jusqu’à son annexion par lAllemagne
hitlérienne en 1938. Loccupation du pays par les troupes hit-
riennes fut acceptée, voire saluée, par la majorité de la popula-
tion. Devenus citoyens allemands, les Autrichiens bénécièrent
des mêmes droits et devoirs que lensemble de la population,
et furent donc mobilisés dans la Wehrmacht ou dans les orga-
nismes allemands de tous ordres. Lors de la capitulation sans
conditions de 1945, ils se virent restituer leurs frontières davant
1938, et loin de se comporter en vaincus, ils eurent tendance
à se proclamer « premières victimes du nazisme, pays occupé
contre sa volonté » et à clamer leur innocence dans les crimes
commis. Cette attitude servit largement le pays dans lopinion
internationale, et bien des années passèrent avant que des réa-
lités moins estimables se fassent jour.
En fait, il fallut attendre deux incidents pour que lattention
se porte sur la réalité des liens de lAutriche et du nazisme. Le
premier fut occasionné en janvier 1985 par lattitude du mi-
nistre de la Défense autrichien, Friedhelm Frischenschlager,
qui jugea utile daccueillir à sa descente davion à Graz un cri-
minel de guerre, Walter Reder, rentrant d’Italie où il avait pur-
une longue peine due à sa responsabilité dans un massacre
de 1944 qui avait révolté l’opinion. Cet hommage ociel dé-
placé entraîna une vague de réactions dans la presse interna-
tionale, que les excuses publiques du ministre natténuèrent
pas. Le « coup de gce » à l’auréole dinnocence autrichienne
vint de la candidature à la présidence de la République autri-
chienne de Kurt Waldheim, qui avait simplement omis dans
son curriculum vitae certains « détails » fâcheux. Il fut pourtant
élu président en 1986, mais c’en était ni de lapparente virgi-
nité autrichienne face au nazisme. Il fallut attendre la visite en
Israël de lancien président Franz Vranitzky en juin 1993 pour
entendre laveu ociel dune responsabilité morale de lAutriche
pour les crimes nazis. Vranitzky alla même jusqu’à admettre
que des Autrichiens avaient « fait partie des criminels les plus
brutaux et horribles ».
De lapparente virginité autrichienne face au nazisme
Mars 1938. Au balcon du palais de la Hofburg à Vienne, Adolf Hitler annonce
à la foule des Viennois en liesse, massés sur la place des Héros (Heldenplatz),
l’Anschluss, le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne.
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14 mémoire
qui fut à lorigine de lorganisation
interne des services de police nazis, exi-
geant de leurs collaborateurs une fermeté
idéologique totale selon ses critères an-
tisémites et nationalistes. À lété 1937,
il décida une réorganisation, ainsi résu-
mée par Matthias Gafke :
« Le SD recevait les attributions concer-
nant les domaines de la science, de la
natio nalité et de la démographie, de
lart, de léducation, du parti et de l’Etat,
de la constitution et l’administration,
de létranger, de la franc-maçonnerie
et des associations. La police d’Etat
(SIPO) quant à elle était chargée des
problèmes du marxisme, des questions
de trahison et de lémigration. Le do-
maine du judaïsme était ouvert à tous
deux, le SD soccupant des questions
générales et de principe, laction directe
restant aux mains de la police d’Etat ».
Heydrich voulait par là éviter un conflit
interne, tout en induisant une fusion
entre SS et police. Comme le souligne
Gafke, cette répartition des comtences
montre une fois de plus que le SD, au
sein de lappareil policier SS, avait une
place dominante. Quant à la participa-
tion dAutrichiens à ces orga nismes, il
fallut attendre lannexion, lAnschluss,
pour que leur présence soit possible
officiellement.
En 1939, la concentration se poursui-
vit avec la création de l« Office cen-
tral de sécurité du Reich » (RSHA), un
décret de septembre 1939 répartissant
les tâches entre les différents Ämter :
I-II = administration, III = Intérieur,
IV = Gestapo, V = Police criminelle,
VI = Etranger, VII = Ennemis politiques.
Une hiérarchie existait depuis 1936, avec
pour chaque région des Inspecteurs de
la Police de sécurité (IdS), et depuis fin
1937 des « Chefs supérieurs de la SS et
de la Police » (HSSPF), dont le rayon
daction coïncidait avec les « Régions
militaires ». Le RSHA devenait lauto-
rité supérieure, et Heydrich avait, sous
laile d’Himmler, une autorité immense.
Les « Autrichiens » pouvaient désormais
faire leurs preuves dans un appareil
policier très au point ! Pourtant il fallut
encore attendre avril 1940 pour voir lun
dentre eux atteindre le niveau le plus
élevé de la hiérarchie, lorsqu’Humbert
Achamer-Pifrader fut nommé adjoint
de l’Inspecteur (IdS) Dr Max Thomas à
Wiesbaden. Thomas fut envoyé quelques
semaines plus tard à Bruxelles, après la
débâcle française, comme représentant de
Heydrich pour Belgique et France, avant
de prendre la tête du Groupe dinter-
vention C en URSS en octobre 1941.
Pifrader était donc presque aussitôt
devenu responsable lui-même comme
IdS de Wiesbaden.
Quelques carrières
« exemplaires »
Létude de Matthias Gafke comporte
51 « mini-biographies » retraçant rapi-
dement le cursus des 51 Autrichiens qui
ont atteint un niveau de fonctions impor-
tant au sein des organismes policiers de
la SS. À six dentre eux, il consacre une
étude un peu plus approfondie, et nous
allons voir de plus près ce que furent
ces carrières « exemplaires ».
Né en 1900, Humbert Achamer-
Pifrader, fils de parents séparés avant
d’être mariés, est élevé dans une fa-
mille où il se sent mal. Il sengage (à 14
ans !) dans larmée autrichienne et par-
ticipe à des combats contre les Italiens.
À larmistice il entre dans un corps-
franc qui se bat à la frontière austro-
yougoslave avant de s’engager en 1919
pour cinq ans dans la Légion étrangère
française. Rentré au pays, il est engagé
dans le « Corps fédéral de sécurité » par
le chef de la police de Salzbourg, nazi
depuis 1923, en même temps quun cer-
tain Mildner, dont nous allons reparler.
Tous deux préparent le baccalauréat en
plus de leur travail de policiers, et ils
adhèreront au parti nazi fin 1931. Des
études de droit les mèneront ensemble
au doctorat en juillet 1934. Une car-
rière tranquille dans ladministration
des services de police de Salzbourg les
attend, mais ils sont en même temps
actifs dans le mouvement nazi clandes-
tin. Démasqués, ils s’enfuient avec leurs
familles en Allemagne, où ils sont ac-
cueillis à bras ouverts par Himmler, qui
trouve en Pifrader un précieux spécia-
liste de lAutriche.
Le jour de lAnschluss, il accompagne
Heydrich dans un avion qui les débarque
à Vienne, avant même larrivée de la
Wehrmacht. Dans les jours qui suivent,
environ 10 000 « ennemis du Reich »
sont arrêtés, et la terreur s’abat sur les
quelque 17 000 juifs de Vienne, dont 234
se suicident. Heydrich dira à Pifrader,
devant lannexion pacifiquement réus-
sie « C’est votre travail ! », avant de le
promouvoir. Bientôt les premiers juifs
sont envoyés à Dachau, et Pifrader est
nommé chef de la Gestapo à Darmstadt.
Il y sévit avec efficacité avant de ras-
sembler, conformément aux ordres en
1942, des convois de déportation de
juifs vers les camps en Pologne. Il est
promu Chef de la sécurité (Befehlshaber,
BdS) pour le Commissariat du Reich
Ostland (Lettonie, Lituanie, Estonie et
« Ruthénie blanche », la Biélorussie) en
septembre 1942.
Dans lhiver qui suivit, une opéra-
tion massive fut montée pour « net-
toyer » les régions en cause, tuant près
de 2 000 personnes et en emprisonnant
autant. En même temps on expérimen-
tait les « camions à gaz » depuis fin 1941.
Accessoirement il fut chargé dorganiser
le camouflage du massacre de Babi Yar
(massacre de 33 771 juifs près de Kiev
en septembre 1941).
Pourtant le besoin de main dœuvre
devenait de plus en plus aigu, et Pifrader
se fit rappeler à lordre par Himmler : il
ne fournissait pas assez de travailleurs
utiles. Septembre 1943 le vit appelé à
Berlin comme IdS à Berlin et Stettin,
avant dêtre promu au RSHA à Berlin
en mars 1944, comme responsable de
« lactivité policière dans les pays occupés
et annexés ». La guerre tournant de plus
en plus mal, une nouvelle mission lui fut
confiée presque aussitôt, celle de chef du
Groupe dintervention chargé de sur-
veiller le déroulement de la dépor tation
de lensemble des juifs hongrois. Après
lattentat contre Hitler de juillet 1944,
il arrêta Stauffenberg et le fit exécuter
précipitamment avec plusieurs autres
conjurés. Ils auraient été des témoins im-
portants, et leur disparition fut amère-
ment reprochée à Pifrader par la suite.
Il fut pourtant chargé denquêter sur le
complot. Finalement la défaite devenant
proche, et les principaux respon sables
partant, les uns vers le nord, les autres
en direction des Alpes, c’est à nouveau
Pifrader qui fut chargé de la respon-
sabilité de ce « Groupe sud ». Arrivé à
Linz, où il dirigea la police politique, il
fut tué par un bombardement améri-
cain, le 25 avril 1945, dans léglise des
Carmélites où il s’était abrité.
Nous avons déjà rencontré Rudolf
Mildner, compagnon d’études et d’ad-
hésion au nazisme de Pifrader. Lui aussi
voulut s’engager en 1916, mais à 13 ans,
on laccepta seulement dans la Marine
autrichienne. Il participa après-guerre à
un corps-franc nationaliste pour lequel
il espionna en Tchécoslovaquie. Engagé
dans la marine de commerce, il revint en
Autriche en 1922, devint policier, ren-
contra Pifrader, et débuta une carrière
de juriste dans la police avant dêtre dé-
masqué comme nazi en 1935 et de passer
en Allemagne. , il fut employé par la
Police politique de Bavière (BayPoPo) à
Munich. Dès lAnschluss, il devint sous-
chef de la Gestapo à Linz, puis en 1939
à Salzbourg, avant de devenir chef du
service à Chemnitz. Nomensuite à
Kattowitz, en Haute-Silésie polonaise,
il s’illustra par de nombreuses exécu-
tions sans jugements, et il y présida le
Tribunal de police dAuschwitz auquel
on attribue pour la durée de la guerre
quelque 2 200 exécutions. Il était dail-
leurs informé du processus dextermi-
nation de masse mis au point au camp,
et chargé de lorganisation des convois
de futures victimes des chambres à gaz.
En 1943, nommé chef des services (BdS)
au Danemark, il devrait veiller à l’élimi-
nation des juifs du pays, mais lévasion
vers la Suède de la majorité dentre eux
met fin au projet. On le charge ensuite
du projet de transformation du KZ de
Terezin en « camp modèle », et on sait
quil réussira dans ce camouflage, qui
trompera les enquêteurs. Ensuite on va
passer rapidement : début 1944, il est
Inspecteur (IdS) à Kassel, « monte » au
RSHA à Berlin à un poste de haute res-
ponsabilité en mars, à la suite de ma-
gouilles internes au RSHA, il est envo
à Vienne pour tenir la place de l’IdS.
Après lattentat contre Hitler, les pour-
suites contre les complices vont loccu-
per jusqu’à ce que lavance des alliés lui
prouve que la guerre est perdue. Fait
prisonnier, il témoigne à Nuremberg
contre Kaltenbrunner, son chef, et par-
vient à s’enfuir avant même que celui-ci
soit condamné. Il disparaît définitive-
ment en 1946. Bien qu’« officiellement
mort » en 1953, on pense qu’il poursui-
vit une vie plus ou moins tranquille en
Egypte ou en Argentine.
Helmut Glaser était un garçon doué.
Docteur ès-lettres à 23 ans, il était des-
tiné à l’enseignement comme son père.
Mais adhérent du parti nazi au moins dès
1931, il se trouva lors de lAnschluss devant
un choix, et abandonna lenseignement
en 1938 pour une carrière dans le SD de
la SS. Lors de linvasion de la Pologne, il
était membre du Groupe dintervention
I, avant d’être nom à Cracovie où il
fut directeur du SD en septembre 1940.
Ses connaissances en matière « raciale »
servirent à décider du sort des popula-
tions de Pologne, où en quelques mois
de 1940-41 quelque 30 000 « Allemands
dorigine » (Volksdeutsche) et autres
« germanisables » furent transférés
dans la zone annexée à lAllemagne et
dans le Reich même. On déporta vers le
« Gouvernement général », la Pologne
occupée, 365 000 personnes considérées
comme « sans valeur ».
Imbu du racisme hitlérien, Glaser avait
transmis ses principes à des groupes
succes sifs de SS, faisant de la lutte contre
le « mélange des races » une règle absolue.
C’est en Carinthie, au sud de lAutriche,
frontalière avec la partie slovène de
Yougoslavie, que Glaser exerça ses ta-
lents, dans une des commissions qui
classèrent quelque 60 000 personnes (sur
190 000) comme douteuses. 20 000 furent
expulsées vers la Serbie et la Croatie,
en même temps qu’une dizaine de mil-
liers dautres indésirables. La carrière
de Glaser se poursuivit, chef du SD à
Klagenfurt en Autriche, puis Bayreuth
en Allemagne, fin 1944 il mata une ré-
volte en Slovaquie, où on tenta de dé-
porter vers l’extermination les derniers
juifs. À larrivée des Américains, il prit
le large, vers louest, puis le sud. Arrêté
le 1er septembre 1945, il sera livà la
Yougoslavie, juà Ljiubliana, condam
à mort et exécuté en août 1947.
Herbert Strickner. Né en 1911, cursus
scolaire bourgeois, études d’abord de
théologie, malgré des activités dans des
mouvements de droite (sportifs, popu-
listes, étudiants) depuis lâge de 8 ans.
Adhère au parti nazi en 1930. Des cica-
trices résultant de ses duels détudiant
le défigurent. Son père lenvoie étudier
en Allemagne où il milite dabord dans
la SA, puis dans la Jeunesse hitlérienne
(HJ). Il passe en 1938 un doctorat ès-
lettres sur le thème de « Linformation
sportive dans le journal du parti nazi,
Völkischer Beobachter », en y attaquant
tout ce qui de près ou de loin est juif ou
bolchevique. Professeur de sport, il dirige
une école de la HJ, après lAnschluss, il
est responsable de la section « Presse
et propagande » de la HJ en Carinthie,
mais au bout de quelques mois, il s’en-
gage dans le SD.
Membre du Groupe dintervention qui
entre en Pologne, il parvient à Poznan
où il constate que des organismes divers
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ont établi des attestations dAllemands
(Volksdeutsche) à quelque 40 000 per-
sonnes, alors qu’un recensement de 1934
en attestait 4 387, pour lui un véritable
« vol racial ». Il fait en sorte que les
contrôles mettent fin à ce « scandale »,
mais ses critères, dordre populiste plus
que racial, ne plaisent pas à tout le monde.
Il est rattrapé par une accusation de « pol-
lution de la race » et « désobéissance »
pour violences sexuelles envers une
Polonaise. Elle sera arrêtée et disparaî-
tra. Lui sera muté au RSHA à Berlin,
il atteindra la fonction de chef-adjoint
de la Section « Populations étrangères ».
Peu apprécié, incapable de comprendre
des informations et mesures dapaise-
ment diffusées par ses chefs, destinées à
éviter un soulèvement de la population,
il est fait prisonnier par les Américains.
Extradé en Pologne, condamà mort
en 1949, il est exécuté en 1951.
Gerhard Bast. Lui est marqué par
plusieurs générations de nationalistes
autrichiens acharnés contre la cohabita-
tion en Styrie avec les voisins slovènes,
et la perte dun tiers du territoire, attri-
bué en 1918 à la nouvelle Yougoslavie.
Actif étudiant nationaliste balafré, en-
gagé SS, il devient docteur en droit en
1935 et débute une carrière davocat. Ses
idées le font exclure de la profession dès
1936. Actif comme chef dune troupe SS,
il est condamné, puis amnistié en 1937.
Avec lAnschluss il choisit d’entrer à la
Gestapo où il remplit divers postes en ex-
Autriche ou en Allemagne. À Munster, il
débute une action systématique contre les
juifs (il avait déjà fait déporter de Graz
des juifs lors de la « Nuit de Cristal »).
Il signe des instructions pour la dépor-
tation et pour la confiscation de la tota-
lité des biens des juifs expédiés dabord
vers Riga. Il organise dans son secteur
la déportation vers les centres de mise
à mort, avant de participer à laction de
Groupes dintervention, entre autres en
Slovaquie. Il serait fastidieux dénumérer
les étapes suivantes : il erre en Autriche
un certain temps, avant dobtenir laide
de la Commission pontificale dassis-
tance à Rome, qui lui permet dobtenir
un laisser-passer de la Croix-Rouge in-
ternationale, mais il sera assassiné par le
« passeur » qui lui fait gravir le Brenner.
Ernst Kaltenbrunner est le plus
connu des « Autrichiens de Heydrich »,
puisqu’il en sera l’héritier. Conseiller ju-
ridique pour la SS en Autriche dès 1932,
il fut arrêté pour activités nazies en jan-
vier 1934. Libéré, il fut à la tête de la SS
clandestine à Linz, puis pour l’ensemble
du pays dès janvier 1937. Lannexion ne
lui apporta pourtant aucune activité
satisfaisante. C’est seulement lassassi-
nat de Heydrich à Prague en juin 1942
qui lui procurera la direction du RSHA,
officielle seulement le 30 janvier 1943.
Une de ses premières décisions fut de
diminuer drastiquement la population
du ghetto de Terezin : en cinq convois,
quelque 7 000 juifs furent transférés à
Auschwitz où plus de 80 % furent aussi tôt
gazés. Kaltenbrunner avait dailleurs en
personne assisté à des gazages et autres
exécutions collectives, et s’activa du-
rant les mois suivant sa nomination à
faire rechercher et assas siner les avia-
teurs alliés abattus qui cherchaient à
éviter linternement, il ordonna déli-
miner sans complexes tous ceux, tra-
vailleurs fors, civils polonais, russes
qui étaient en faute dune façon quel-
conque. Pourtant lorsqu’Himmler tenta
de sauver quelques meubles en négociant
par exemple avec des Suédois, il sabota
autant quil put ces efforts, et c’est seu-
lement la mort d’Hitler qui lui fit com-
prendre la situation réelle. Caché, il fut
dénon, arrêté par les Américains,
jugé à Nuremberg, condamné à mort et
exécuté en octobre 1946.
Etude approfondie, tableau indirect de
lévolution de l’opinion publique autri-
chienne, portraits de personnages peu
ragoûtants, cet ouvrage éclaire un aspect
peu connu des évènements du 20e siècle.
Jean-Luc BeLLanger
n Matthias Gae, Heydrichs « Ostmärker »,
Das österreichische Führungspersonal der
Sicherheitspolizei und des SD 1939-1945
(Les Autrichiens de Heydrich, Le personnel
dirigeant de la SIPO et du SD 1939-1945),
Ed. WGB Darmstadt, 2015 (non traduit).
NB : Dans le titre allemand du livre, le mot
employé pour « Autrichien » est « Ostmärker »,
terme nazi visant à souligner que le pays n’était
qu’une « province » allemande.
« D
es ruines, dinexplicables ruines, tel est
aujour dhui le petit bourg de Maillé. Elles ne
se dresse ront pas toujours comme elles sont, désolées,
sous ce ciel bas de novembre. Les hommes rebâtiront.
Mais là-haut vers l’ouest, sur le pendant de la colline
qui domine ce champ de décombres, le cimetière sera
toujours le témoin de la barbarie allemande. Il redira
ce que fut ce drame du 25 août 1944, où 124 Français,
traqués, périrent dans le plus horrible massacre, où 52
habitations sur 60 brûlèrent comme torche, souvent sur
des cadavres, où la canonnade ajouta à lhorreur du
meurtre et de lincendie… »
Voilà le terrible bilan du massacre dressé par lab-
bé André Payon, curé de Maillé, qui publia en 1945
un petit recueil de témoignages de survivants (1). « Les
hommes rebâtiront… » prédisait-il. Et, en eet, à la dif-
férence d’Oradour-sur-Glane où les ruines du bourg
incendié deux mois et demi plus tôt seront conservées,
à Mailon a souhaité reconstruire sur les ruines. Les
travaux entrepris par l’Etat seront ociellement ache-
vés en 1960.
Hormis les tombes du cimetière, il ne reste donc guère
de traces matérielles du drame vécu le 25 août 1944 par
ce village de quelque 500 âmes, sità 40 km de Tours.
Les troupes allemandes le cernent dès 9 heures du ma-
tin et la tuerie commence. Les habitants sont pourchas-
sés, sauvagement assassinés dans leurs champs, leurs
maisons, leurs jardins et jusque dans les caves où des
grenades sont lancées : 124 victimes, de trois mois à
89 ans, des familles entières décimées ; le bétail n’est
pas épargné non plus. Dans laprès-midi, alors que les
soldats se replient et que la population terrée retient
son soue espérant le cauchemar terminé, deux canons
postés autour de Mailcommencent à tirer des obus et
bombardent deux heures durant, visant les bâtiments
que le feu n’a pas détruits : des sentinelles mitraillent
ceux qui tentent de sortir des maisons pour échap-
per aux bombes. Cest lacharnement, une volonté de
destruction systématique.
A lissue du carnage deux billets sont retrouvés, dont
lun est épinglé sur un cadavre. Les assassins y ont
inscrit dans un français approximatif les « raisons »
de lopération : « C’est la punission des terrrorists et de
leurs assistents », arment-ils.
Comme en dautres lieux durant le printemps et lété
1944, les nazis, exaspérés par la perspective de leur
défaite qui semble désormais possible et les combats les
opposant à la Résistance et aux troupes alliées, multi-
plient les exactions et les actions de représailles contre
les populations civiles. Ascq, Tulle, Oradour, Vassieux-
en-Vercors… et d’autres villages martyrs subissent de
plein fouet cette soif de vengeance.
La mémoire en marche
Qui sont les tueurs de Mail? Lenquête supercielle
menée à la Libération ne permet pas de répondre à
la question. Seul un certain Gustav Schluetter, sous-
lieutenant de la Wehrmacht, est reconnu responsable
dhomicides volontaires « accomplis à loccasion ou le
prétexte de létat de guerre mais non justiés par les
lois et coutumes de la guerre » et condamà mort
par contumace en 1952 par le tribunal militaire de
Bordeaux. Toutefois sans que les faits et son rôle soient
vraiment éclaircis.
Le temps passe et Maillé essaye de panser ses plaies,
perpétuant dans la discrétion la mémoire de ses morts.
Dans les années 1990, un projet de « Maison du
souvenir » est lancé, qui se concrétise en 2006. Depuis
lors, la Maison du souvenir informe sur lhistoire du
massacre, de la reconstruction et le travail de mémoire,
tout en devenant un lieu déducation et de recherche sur
les droits des populations civiles en temps de guerre
(2)
.
Parallèlement en Allemagne, une procédure pour
crimes de guerre contre X est ouverte en 2004 par le
procureur général de parquet de Dortmund, Ulrich
Haass, en vue de retrouver les coupables. Son travail
a notamment permis didentier lunité responsable
du drame. Il s’agit dun bataillon de réserve de la 17e
Panzerdivision SS Götz von Berlichingen, station-
à Châtellerault. Fin 2010, les survivants, lasso-
ciation Pour le souvenir de Maillé et la commune de
Maillé se portent parties civiles dans cette procédure.
Malheureusement le manque de preuves matérielles
réduit les possibilités de trouver les 80 soldats de cette
division présents à Maillé le 25 août 1944 et donc
douvrir un procès… Là comme ailleurs les assassins
auront échappé à la justice.
Laure devouaSt
(1) Maillé martyr, de labbé André Payon, curé de la Celle-
Saint-Avant, Draché et Maillé, février 1945.
(2) Maison du souvenir de Maillé, 1 rue de la Paix 37 800
Maillé. Tél. 02 47 65 24 89. www.maisondusouvenir.fr
25 août 1944 : le massacre de Maillé
Le 25 août 1944, alors que Paris se libère, des troupes allemandes encerclent Maillé (Indre-et-Loire). A la n de la journée, on dénombre
dans le village dévasté 124 morts, le quart de la population.
LAutrichien Ernst Kaltenbrunner, né
en 1903 dans la même région de Linz
qu’Hitler, était l’un des principaux
responsables du système policier nazi.
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