LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 900 - septembre 2015
14 mémoire
qui fut à l’origine de l’organisation
interne des services de police nazis, exi-
geant de leurs collaborateurs une fermeté
idéologique totale selon ses critères an-
tisémites et nationalistes. À l’été 1937,
il décida une réorganisation, ainsi résu-
mée par Matthias Gafke :
« Le SD recevait les attributions concer-
nant les domaines de la science, de la
natio nalité et de la démographie, de
l’art, de l’éducation, du parti et de l’Etat,
de la constitution et l’administration,
de l’étranger, de la franc-maçonnerie
et des associations. La police d’Etat
(SIPO) quant à elle était chargée des
problèmes du marxisme, des questions
de trahison et de l’émigration. Le do-
maine du judaïsme était ouvert à tous
deux, le SD s’occupant des questions
générales et de principe, l’action directe
restant aux mains de la police d’Etat ».
Heydrich voulait par là éviter un conflit
interne, tout en induisant une fusion
entre SS et police. Comme le souligne
Gafke, cette répartition des compétences
montre une fois de plus que le SD, au
sein de l’appareil policier SS, avait une
place dominante. Quant à la participa-
tion d’Autrichiens à ces orga nismes, il
fallut attendre l’annexion, l’Anschluss,
pour que leur présence soit possible
officiellement.
En 1939, la concentration se poursui-
vit avec la création de l’« Office cen-
tral de sécurité du Reich » (RSHA), un
décret de septembre 1939 répartissant
les tâches entre les différents Ämter :
I-II = administration, III = Intérieur,
IV = Gestapo, V = Police criminelle,
VI = Etranger, VII = Ennemis politiques.
Une hiérarchie existait depuis 1936, avec
pour chaque région des Inspecteurs de
la Police de sécurité (IdS), et depuis fin
1937 des « Chefs supérieurs de la SS et
de la Police » (HSSPF), dont le rayon
d’action coïncidait avec les « Régions
militaires ». Le RSHA devenait l’auto-
rité supérieure, et Heydrich avait, sous
l’aile d’Himmler, une autorité immense.
Les « Autrichiens » pouvaient désormais
faire leurs preuves dans un appareil
policier très au point ! Pourtant il fallut
encore attendre avril 1940 pour voir l’un
d’entre eux atteindre le niveau le plus
élevé de la hiérarchie, lorsqu’Humbert
Achamer-Pifrader fut nommé adjoint
de l’Inspecteur (IdS) Dr Max Thomas à
Wiesbaden. Thomas fut envoyé quelques
semaines plus tard à Bruxelles, après la
débâcle française, comme représentant de
Heydrich pour Belgique et France, avant
de prendre la tête du Groupe d’inter-
vention C en URSS en octobre 1941.
Pifrader était donc presque aussitôt
devenu responsable lui-même comme
IdS de Wiesbaden.
Quelques carrières
« exemplaires »
L’étude de Matthias Gafke comporte
51 « mini-biographies » retraçant rapi-
dement le cursus des 51 Autrichiens qui
ont atteint un niveau de fonctions impor-
tant au sein des organismes policiers de
la SS. À six d’entre eux, il consacre une
étude un peu plus approfondie, et nous
allons voir de plus près ce que furent
ces carrières « exemplaires ».
Né en 1900, Humbert Achamer-
Pifrader, fils de parents séparés avant
d’être mariés, est élevé dans une fa-
mille où il se sent mal. Il s’engage (à 14
ans !) dans l’armée autrichienne et par-
ticipe à des combats contre les Italiens.
À l’armistice il entre dans un corps-
franc qui se bat à la frontière austro-
yougoslave avant de s’engager en 1919
pour cinq ans dans la Légion étrangère
française. Rentré au pays, il est engagé
dans le « Corps fédéral de sécurité » par
le chef de la police de Salzbourg, nazi
depuis 1923, en même temps qu’un cer-
tain Mildner, dont nous allons reparler.
Tous deux préparent le baccalauréat en
plus de leur travail de policiers, et ils
adhèreront au parti nazi fin 1931. Des
études de droit les mèneront ensemble
au doctorat en juillet 1934. Une car-
rière tranquille dans l’administration
des services de police de Salzbourg les
attend, mais ils sont en même temps
actifs dans le mouvement nazi clandes-
tin. Démasqués, ils s’enfuient avec leurs
familles en Allemagne, où ils sont ac-
cueillis à bras ouverts par Himmler, qui
trouve en Pifrader un précieux spécia-
liste de l’Autriche.
Le jour de l’Anschluss, il accompagne
Heydrich dans un avion qui les débarque
à Vienne, avant même l’arrivée de la
Wehrmacht. Dans les jours qui suivent,
environ 10 000 « ennemis du Reich »
sont arrêtés, et la terreur s’abat sur les
quelque 17 000 juifs de Vienne, dont 234
se suicident. Heydrich dira à Pifrader,
devant l’annexion pacifiquement réus-
sie « C’est votre travail ! », avant de le
promouvoir. Bientôt les premiers juifs
sont envoyés à Dachau, et Pifrader est
nommé chef de la Gestapo à Darmstadt.
Il y sévit avec efficacité avant de ras-
sembler, conformément aux ordres en
1942, des convois de déportation de
juifs vers les camps en Pologne. Il est
promu Chef de la sécurité (Befehlshaber,
BdS) pour le Commissariat du Reich
Ostland (Lettonie, Lituanie, Estonie et
« Ruthénie blanche », la Biélorussie) en
septembre 1942.
Dans l’hiver qui suivit, une opéra-
tion massive fut montée pour « net-
toyer » les régions en cause, tuant près
de 2 000 personnes et en emprisonnant
autant. En même temps on expérimen-
tait les « camions à gaz » depuis fin 1941.
Accessoirement il fut chargé d’organiser
le camouflage du massacre de Babi Yar
(massacre de 33 771 juifs près de Kiev
en septembre 1941).
Pourtant le besoin de main d’œuvre
devenait de plus en plus aigu, et Pifrader
se fit rappeler à l’ordre par Himmler : il
ne fournissait pas assez de travailleurs
utiles. Septembre 1943 le vit appelé à
Berlin comme IdS à Berlin et Stettin,
avant d’être promu au RSHA à Berlin
en mars 1944, comme responsable de
« l’activité policière dans les pays occupés
et annexés ». La guerre tournant de plus
en plus mal, une nouvelle mission lui fut
confiée presque aussitôt, celle de chef du
Groupe d’intervention chargé de sur-
veiller le déroulement de la dépor tation
de l’ensemble des juifs hongrois. Après
l’attentat contre Hitler de juillet 1944,
il arrêta Stauffenberg et le fit exécuter
précipitamment avec plusieurs autres
conjurés. Ils auraient été des témoins im-
portants, et leur disparition fut amère-
ment reprochée à Pifrader par la suite.
Il fut pourtant chargé d’enquêter sur le
complot. Finalement la défaite devenant
proche, et les principaux respon sables
partant, les uns vers le nord, les autres
en direction des Alpes, c’est à nouveau
Pifrader qui fut chargé de la respon-
sabilité de ce « Groupe sud ». Arrivé à
Linz, où il dirigea la police politique, il
fut tué par un bombardement améri-
cain, le 25 avril 1945, dans l’église des
Carmélites où il s’était abrité.
Nous avons déjà rencontré Rudolf
Mildner, compagnon d’études et d’ad-
hésion au nazisme de Pifrader. Lui aussi
voulut s’engager en 1916, mais à 13 ans,
on l’accepta seulement dans la Marine
autrichienne. Il participa après-guerre à
un corps-franc nationaliste pour lequel
il espionna en Tchécoslovaquie. Engagé
dans la marine de commerce, il revint en
Autriche en 1922, devint policier, ren-
contra Pifrader, et débuta une carrière
de juriste dans la police avant d’être dé-
masqué comme nazi en 1935 et de passer
en Allemagne. Là, il fut employé par la
Police politique de Bavière (BayPoPo) à
Munich. Dès l’Anschluss, il devint sous-
chef de la Gestapo à Linz, puis en 1939
à Salzbourg, avant de devenir chef du
service à Chemnitz. Nommé ensuite à
Kattowitz, en Haute-Silésie polonaise,
il s’illustra par de nombreuses exécu-
tions sans jugements, et il y présida le
Tribunal de police d’Auschwitz auquel
on attribue pour la durée de la guerre
quelque 2 200 exécutions. Il était d’ail-
leurs informé du processus d’extermi-
nation de masse mis au point au camp,
et chargé de l’organisation des convois
de futures victimes des chambres à gaz.
En 1943, nommé chef des services (BdS)
au Danemark, il devrait veiller à l’élimi-
nation des juifs du pays, mais l’évasion
vers la Suède de la majorité d’entre eux
met fin au projet. On le charge ensuite
du projet de transformation du KZ de
Terezin en « camp modèle », et on sait
qu’il réussira dans ce camouflage, qui
trompera les enquêteurs. Ensuite on va
passer rapidement : début 1944, il est
Inspecteur (IdS) à Kassel, « monte » au
RSHA à Berlin à un poste de haute res-
ponsabilité en mars, à la suite de ma-
gouilles internes au RSHA, il est envoyé
à Vienne pour tenir la place de l’IdS.
Après l’attentat contre Hitler, les pour-
suites contre les complices vont l’occu-
per jusqu’à ce que l’avance des alliés lui
prouve que la guerre est perdue. Fait
prisonnier, il témoigne à Nuremberg
contre Kaltenbrunner, son chef, et par-
vient à s’enfuir avant même que celui-ci
soit condamné. Il disparaît définitive-
ment en 1946. Bien qu’« officiellement
mort » en 1953, on pense qu’il poursui-
vit une vie plus ou moins tranquille en
Egypte ou en Argentine.
Helmut Glaser était un garçon doué.
Docteur ès-lettres à 23 ans, il était des-
tiné à l’enseignement comme son père.
Mais adhérent du parti nazi au moins dès
1931, il se trouva lors de l’Anschluss devant
un choix, et abandonna l’enseignement
en 1938 pour une carrière dans le SD de
la SS. Lors de l’invasion de la Pologne, il
était membre du Groupe d’intervention
I, avant d’être nommé à Cracovie où il
fut directeur du SD en septembre 1940.
Ses connaissances en matière « raciale »
servirent à décider du sort des popula-
tions de Pologne, où en quelques mois
de 1940-41 quelque 30 000 « Allemands
d’origine » (Volksdeutsche) et autres
« germanisables » furent transférés
dans la zone annexée à l’Allemagne et
dans le Reich même. On déporta vers le
« Gouvernement général », la Pologne
occupée, 365 000 personnes considérées
comme « sans valeur ».
Imbu du racisme hitlérien, Glaser avait
transmis ses principes à des groupes
succes sifs de SS, faisant de la lutte contre
le « mélange des races » une règle absolue.
C’est en Carinthie, au sud de l’Autriche,
frontalière avec la partie slovène de
Yougoslavie, que Glaser exerça ses ta-
lents, dans une des commissions qui
classèrent quelque 60 000 personnes (sur
190 000) comme douteuses. 20 000 furent
expulsées vers la Serbie et la Croatie,
en même temps qu’une dizaine de mil-
liers d’autres indésirables. La carrière
de Glaser se poursuivit, chef du SD à
Klagenfurt en Autriche, puis Bayreuth
en Allemagne, fin 1944 il mata une ré-
volte en Slovaquie, où on tenta de dé-
porter vers l’extermination les derniers
juifs. À l’arrivée des Américains, il prit
le large, vers l’ouest, puis le sud. Arrêté
le 1er septembre 1945, il sera livré à la
Yougoslavie, jugé à Ljiubliana, condamné
à mort et exécuté en août 1947.
Herbert Strickner. Né en 1911, cursus
scolaire bourgeois, études d’abord de
théologie, malgré des activités dans des
mouvements de droite (sportifs, popu-
listes, étudiants) depuis l’âge de 8 ans.
Adhère au parti nazi en 1930. Des cica-
trices résultant de ses duels d’étudiant
le défigurent. Son père l’envoie étudier
en Allemagne où il milite d’abord dans
la SA, puis dans la Jeunesse hitlérienne
(HJ). Il passe en 1938 un doctorat ès-
lettres sur le thème de « L’information
sportive dans le journal du parti nazi,
Völkischer Beobachter », en y attaquant
tout ce qui de près ou de loin est juif ou
bolchevique. Professeur de sport, il dirige
une école de la HJ, après l’Anschluss, il
est responsable de la section « Presse
et propagande » de la HJ en Carinthie,
mais au bout de quelques mois, il s’en-
gage dans le SD.
Membre du Groupe d’intervention qui
entre en Pologne, il parvient à Poznan
où il constate que des organismes divers
lll