78Le NouveL observateur 13 février 2014 - N° 2571 79 Le NouveL observateur 13 février 2014 - N° 2571
les journées du “nouvel obs” les journées du “nouvel obs”
Français et 41% d’Italiens à penser que
la construction européenne est une
bonne chose ! A l’approche des élec-
tions, ces chiffres inquiètent la vice-
présidente grecque du Parlement
européen, Anni Podimata : « Que faire
pour changer ces perceptions ? Si elles
se traduisent dans les urnes, on aura du
mal à poursuivre la construction euro-
péenne… », lance-t-elle à l’adresse de
Mario Monti. « A quatre mois des élec-
tions, on ne peut pas faire grand-
chose », reconnaît l’ancien commis-
saire européen. Aveu d’échec.
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activement
« Les citoyens ont le sentiment qu’ils
n’ont pas le pouvoir de choisir, de chan-
ger les choses », tonne l’ancien Premier
ministre socialiste italien Massimo
D’Alema. Ce refus d’Europe est multi-
forme. Il y a ceux qui veulent sortir de
l’euro, « courroie de transmission par-
faite de la crise », selon l’économiste
irlandais Dan O’Brien. Ceux, plus radi-
caux encore, qui veulent quitter l’UE.
Comme le jovial William Dartmouth,
député européen du Parti pour l’Indé-
pendance du Royaume-Uni (Ukip),
l’une de ces formations marginales qui
prospèrent sur le dos de la crise : « Je
viens de publier un texte intitulé “En
dehors de l’UE et dans le monde”. Tout
est dit. » Il y a ceux enfin, tel ce specta-
teur grec intervenu lors du débat sur la
culture, qui rêvent d’une Europe for-
teresse, fermée à l’immigration. Der-
rière ce sombre tableau, c’est bien la
démocratie qui est en danger.
Contre ces appels au détricotage,
Michel Barnier, commissaire euro-
péen chargé des Services financiers,
brandit la menace du déclassement :
« Etre européen n’est pas une option,
c’est une obligation vitale. Sinon, dans
dix ans, il n’y aura plus un seul pays
Kostas simitis*
“La Grèce n’est pas La cause
de La crise de L’euro”
« L’unification européenne a besoin de changement.
Nous avons une union monétaire, mais notre union bud-
gétaire reste largement inachevée. Ce qui explique que
l’Union européenne n’ait pas de politique cohérente en
matière de gouvernance économique. Certes, les pays du
nord de l’Europe sont plus mûrs sur le plan économique
que ceux du sud. Mais il faut bien comprendre que les
crises des dettes grecque et portugaise ont des causes
structurelles, notamment en lien avec la structure du
système bancaire. La crise grecque n’est pas la cause de
la crise de l’euro. L’idée d’une responsabilité limitée des
Etats membres ne répond pas aux besoins actuels. On a
besoin de la participation pleine et entière de tous les
pays, et de procédures visant à mieux répartir le produit
de l’évolution économique. L’Europe est dans une phase
de transition. Ce n’est pas un club, c’est un mouvement
commun. Qui s’adapte continuellement aux nouvelles
conditions mondiales. »
(*) Premier ministre grec de 1996 à 2004, président du Parti
socialiste grec, Pasok.
Bernard Guetta*
“iL y a Le feu à La maison europe”
« Le divorce entre les Européens et l’Europe est extrêmement profond.
En France, il frise l’irrémédiable. Il y a le feu à la maison. Nous avons
construit l’Europe par l’économie, puis par la monnaie. Loin des opi-
nions. La crise a été le moment de vérité : pour la première fois de son
existence, l’UE a mis en œuvre des politiques touchant directement les
citoyens dans leur vie courante : emploi, pouvoir d’achat… Une partie
d’entre eux se sont alors demandé : “Mais qui es-tu, Bruxelles, pour déci-
der tout ça ? Qui t’a donné un mandat ?” Or “Bruxelles” en soi n’existe pas.
Il y a un Parlement européen. Une Commission européenne. Un Conseil
européen. Et, finalement, ceux qui décident – pardon pour les eurodépu-
tés ! – sont nos 28 chefs d’Etat. Les institutions européennes sont donc
illisibles, incomprises et incompréhensibles. Pour mener une politique
paneuropéenne, ce qui est maintenant le cas, on ne peut pas se baser sur
des mandats nationaux. Il ne faut pas quitter le navire, mais changer de
capitaine. »
(*) Editorialiste, spécialiste de géopolitique.
mario monti*
“Le fruit de nos sacrifices”
« Le nord et le sud de l’Europe peuvent-ils s’engager sur
la même voie ? C’est non seulement possible, mais abso-
lument nécessaire, si ces deux parties de l’Europe veulent
la croissance et la démocratie. Depuis mon petit chalet
des Alpes, à la jonction du nord et du sud, j’ai toujours
constaté une grande différence de culture entre les deux.
Mais l’Europe méditerranéenne a fait beaucoup de pro-
grès dans la lutte contre ses démons, comme la corrup-
tion, pour se rapprocher de l’économie sociale de marché
à l’allemande. Quant aux pays du Nord, ils auraient tort
de croire que les problèmes de la zone euro tiennent uni-
quement à des Méditerranéens qui se la coulent douce.
Ils doivent comprendre que ces derniers ne peuvent
maintenir leurs efforts s’ils ne voient pas venir les fruits
de leurs sacrifices. Nous sommes une joint-venture. Nous
devons nous montrer coresponsables. »
(*) Commissaire européen de 1999 à 2004, sénateur italien.
Guy Verhofstadt*
“nous deVons faire
Le Grand saut fédéraL”
« La méthode intergouvernementale à 28 n’est plus
tenable. Imaginez qu’aux Etats-Unis on attende l’avis des
50 gouverneurs pour prendre une décision… On dirait :
ils sont fous, ces Américains ! Dans l’UE, le droit d’initia-
tive de la Commission n’est plus utilisé, et on attend l’avis
de Berlin puis de Paris – dans l’ordre – pour trancher ! Il
faut une autre Europe. Nous devons faire le grand saut
fédéral. Sans quoi, les jeunes s’expatrieront encore
davantage à l’étranger après leurs études. Mais les pro-
européens sont trop mous ! Ils racontent comment la
construction européenne a garanti la paix, à des jeunes
qui n’ont pas connu la guerre et qui veulent qu’on leur
parle de leur bien-être, de leur carrière. L’heure est venue
de proposer une vraie alternative pro-européenne. Ce
soit être le sens des élections de mai prochain. Sans avoir
peur des nationalistes, qui prônent le contraire. »
(*) Premier ministre belge de 1999 à 2008, chef de file des
libéraux au Parlement européen.
Béatrice
Delvaux,
éditorialiste
du « Soir », Alexis
Papahelas,
directeur de
« Kathimerini »,
Guy Verhofstadt,
député européen
et ancien
Premier ministre
belge, Nikiforos
Diamandouros,
médiateur
européen,
Massimo
D’Alema, ancien
président du
Conseil italien et
Claude Weill,
directeur
de la rédaction
du « Nouvel
Observateur »
européen dans le G8 ! » Reste à
convaincre les citoyens. Exercice
auquel se sont notamment appliqués
les intervenants du débat sur l’euro.
« En sortir aurait des conséquences très
graves », souligne Kostas Botopoulos,
président de l’autorité grecque des
marchés financiers : « Le projet euro-
péen serait mis à mal, juridiquement,
politiquement, économiquement. Le
retrait d’un seul pays coûterait 300 mil-
liards d’euros ! »
Pour réconcilier le peuple et l’Eu-
rope, d’autres appellent à combler « le
déficit démocratique » qui entrave la
légitimité de l’UE. Renforcer les pou-
voirs du Parlement, partager les expé-
riences locales, organiser toutes les
élections nationales le même jour…
Les idées ne manquent pas pour relan-
cer la machine européenne.
Approfondir l’Europe
ou l’étendre ?
Mais le public des Journées veut du
concret. Des réponses au chômage de
masse. En témoignent les applaudisse-
ments nourris qui saluent le « moins de
régulation et plus de politique » de Michel
Barnier. « La bonne réponse, ce n’est pas de
reparler des institutions. On a beaucoup
parlé du moteur, il faut maintenant parler
de la route. » Et pourquoi pas commen-
cer, comme le suggère George Pagoula-
tos, professeur de politique européenne
à l’université d’Athènes, par « une poli-
tique budgétaire directe qui permettrait
des interventions structurelles de l’Eu-
rope, notamment dans les régions très tou-
chées par le chômage ? » On en est encore
loin.
Emploi en berne, campagne électo-
rale à haut risque… « Le moment n’est
pas très bien choisi pour parler de l’ad-
hésion de la Turquie… Et je le dis en
langage diplomatique, a lâché Bernard
Kouchner lors du débat sur l’opportu-
nité d’un élargissement. J’y ai toujours
été favorable mais ce n’est pas possible
maintenant. » Personne, en face, n’a
soutenu le contraire. Trop de peurs. Il
fallait un philosophe grec, Dimitris
Dimitrakos, pour rappeler que derrière
les soubresauts de l’histoire le temps
long fait son œuvre : « Les crises, y com-
pris identitaires, sont des périodes qui
favorisent la création. Très souvent,
elles ont induit des bouleversements
intellectuels, culturels, qui ont permis
d’accéder à une nouvelle ère. »
Mario Monti, Antonis Samaras, Evangelos Venizelos et Michel Barnier
COUTIERLACÔTE POUR « LE NOUVEL OBSERVATEUR »