En première approximation, un nom d'instrument dénote un objet concret artéfactuel (à l'exception de
certains noms de parties du corps, qui désignent des instruments par métonymie, eg. MACHOIRE, voir la
section 3.1.2). De ce fait, l'instrument possède deux propriétés: celle de provenir d'une création humaine,
et celle d'être destiné à un usage particulier (voir (Pustejovsky, 1995 : ch6, 8) pour un modèle de
représentation de ces deux traits). Cependant, (Flaux and Van de Velde, 2000 : 50-52) fait remarquer que
tous les « noms d’objets fabriqués » incluent l’existence d’une finalité dans leur définition : tous les
objets artéfactuels peuvent donc s’employer comme instrument, en fonction de l’événement auquel ils
prennent part. Cette caractérisation semble peu discriminante, et donc inutilisable.
Au sein des travaux de sémantique lexicale, un nom de lieu fait référence à un objet (le « site ») qui doit
comporter soit un volume soit une surface dans ou sur lequel se situe l'entité déplacée (la « cible »).
L’identification du nom dénotant le site se fait donc relativement à celle du nom dénotant de la cible. A la
suite de (Vandeloise, 1986), différents travaux ont permis d’établir les critères d’attribution des étiquettes
de cible et de site pour les objets dénotés par les noms entrant dans la construction « NP1 prep NP2 » où
prep est une préposition spatiale. Par exemple, quatre traits caractérisent le site et/ou la cible reliés par la
préposition « sur » (de Mulder and Flaux, 2005; Dendale and de Mulder, 1998; Vandeloise, 2000) : le site
dénote une surface, la cible est plus haut que le site, il y a contact entre cible et site, le site sert de support
à la cible. La notion de lieu (de site) est donc forcément relative. Pas plus que la fonction d’instrument,
elle ne peut être définie dans l’absolu pour caractériser l’objet auquel un nom donné fait référence.
Prenons l’exemple du nom MIROIR : l’objet désigné, en tant qu’artéfact, est un instrument ; mais quand le
nom intervient dans une séquence comme « la mouche est sur le miroir», il vérifie tous les traits qui font
d’un miroir un site, donc un lieu ; enfin quand, à l’inverse, le nom MIROIR apparaît dans la phrase « le
miroir est sur la table», l’objet auquel il fait référence a toutes les caractéristiques d’une cible.
On retrouve ici l’ambiguïté pointée par D. Corbin et M. Plénat et mentionnée supra ; la sémantique
lexicale ne permet pas en général de choisir, pour un V-oir donné, l’interprétation (lieu ou instrument) la
plus appropriée. Par conséquent, dans le but d’optimiser notre analyse, nous avons eu recours à
l’utilisation de tests syntaxiques qui mettent en jeu l’emploi de V-oir dans des constructions régies par le
verbe V de base.
Les tests que nous avons utilisés pour identifier l'interprétation des V-oir exploitent les propriétés
transformationnelles ou distributionnelles des énoncés dans lesquels apparaissent le couple (V, V-oir) et
proviennent ou sont inspirés de (Boons et al., 1976 :ch3; Cadiot, 1990, 1991; Gross, 1975), et (Reinhart,
2002). Ces tests sont regroupés dans le tableau Tab1. L’étiquette lieu, instrument ou lieu/instrument est
attribuée à V-oir en fonction du nombre de tests auxquels ce nom répond positivement pour chaque
interprétation. Le symbole W désigne le complément éventuel de V.
Parmi les tests d’identification du V-oir de lieu, nous distinguons ceux qui s’adressent aux V de
mouvement inhérent notés Vmvmt, ou V de mouvement causé, notés VmvmtC (TEST 2mvmt) et ceux qui
concernent les autres types de verbes (TEST 2a’, 2b’, 2c’) (voir (Levin and Rappaport Hovav, 1995) pour
une analyse des prédicats de mouvement à direction inhérente ; voir (Goldberg, 1995; Levin, 1993;
Pinker, 1989) pour une discussion sur la notion de mouvement causé ; voir (Davis and Koenig, 2000)
pour une modélisation de ces types lexicaux). En effet en cas de mouvement (causé) V-oir s’interprète
comme un lieu s’il désigne la destination du protagoniste du mouvement. Dans les autres cas (TEST2a’-
c’) il ne peut s’agir que du lieu scénique où se déroule l’action décrite par V. Ce cas présuppose pour le
protagoniste (exprimé par NP0) d’être dans le lieu décrit par V-oir au début, à la fin ou pendant toute la
durée du procès décrit par V (Boons et al., 1976 :205). Cette condition exprimée par le (TEST 2c’)
distingue MANGEOIRE, qui échoue au test (La vache mange dans la mangeoire =/=> la vache est dans la
mangeoire ; La vache mange dans la mangeoire <=/=> la vache mange quand elle est dans la
mangeoire) de DORTOIR, qui le passe avec succès (L’élève dort dans le dortoir => l’élève est dans le
dortoir ; L’élève dort dans le dortoir <=> l’élève dort quand il est dans le dortoir).
Parmi les tests de reconnaissance des instrumentaux, la substitution dans le TEST1c, empruntée à
(Cadiot, 1991) sert à identifier les noms d’instruments prototypiques, qui autorisent l’alternance « V avec
un V-oir / V au V-oir » (je hache ma viande avec un hachoir / je hache ma viande au hachoir). Quant au
Durand J. Habert B., Laks B. (éds.)
Congrès Mondial de Linguistique Française - CMLF'08
ISBN 978-2-7598-0358-3, Paris, 2008, Institut de Linguistique Française
Morphologie
DOI 10.1051/cmlf08226
CMLF2008
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