Biologie Dossier - La pollinisation Géologie Éthologie Mycologie Mammalogie Zoologie 20 Évolution des systèmes de pollinisation chez les Aracées Arum creticum en fleur (Crète) (cliché M. Gibernau). Par Marc Gibernau, chercheur au CNRS (UMR écologie des forêts de Guyane et UMR SPE, projet ressources naturelles, université de Corse), Marion Chartier, chercheur post-doctorante (département de botanique structurelle et fonctionnelle, université de Vienne, Autriche), et Angélique Quilichini, maître de conférences (université Paul Sabatier, Toulouse). Formes, couleurs, odeurs… les mécanismes par lesquels les Aracées attirent les pollinisateurs se sont tellement diversifiés qu’elles sont devenues de passionnants “cas d’école” pour les évolutionnistes. Ils commencent aujourd’hui à retracer cette histoire évolutive complexe où les interactions avec les insectes ne se font pas toujours “au bénéfice de tous”. L a pollinisation, le processus de transfert du pollen depuis les étamines (organes mâles des fleurs) jusqu’aux stigmates (organes femelles) nécessite un vecteur, qu’il soit de nature abiotique (vent, eau) ou biotique (insectes, vertébrés). Les plantes à fleurs ou Angiospermes sont principalement pollinisées par des insectes (80 % des espèces), porteurs de pollen parmi les plus efficaces. Peu de choses sont gratuites dans la nature, et un insecte ne butinera de fleur en fleur qu’à la condition d’y trouver son compte… Ceci explique pourquoi les fleurs pollinisées par des insectes (on parle de plantes entomophiles) arborent de si belles couleurs, formes et parfums qui sont très souvent des signaux destinés aux pollinisateurs et promettant une ESPÈCES №11 - Mars 2014 ressource qui peut être de nature alimentaire (nectar, pollen) ou liée à leur reproduction (partenaire sexuel, site de ponte). Plus ces signaux sont efficaces, plus la plante qui les présente aura de chances d’être pollinisée et donc de se reproduire, transmettant ses traits à une nombreuse descendance. C’est la sélection naturelle. Nous verrons plus loin que cette sélection peut agir sur la plante, sur les insectes, ou sur les deux à la fois. Les Aracées, avec plus de 3 800 espèces réparties dans au moins 118 genres, sont parmi les familles d’Angiospermes les plus diversifiées sur la planète. Cette famille, principalement tropicale, est aussi fréquemment représentée en milieux tempérés. L’originalité des Aracées est de posséder une structure florale particulièrement caractéristique, sous la Écologie Microbiologie Exobiologie Ophiologie - Les Aracées Systématique Océanograph Mâle euglossine (Eulaema) collectant du parfum floral sur un spadice de Spathiphyllum humboldtii (Guyane française) (cliché H. Hentrich). Biologie Dossier - La pollinisation Géologie Éthologie Mycologie Mammalogie Zoologie 22 Dachine-Colocasia cultivé à Cayenne (Guyane) (cliché M. Gibernau). forme d’une inflorescence constituée d’une spathe et d’un spadice. La spathe est une bractée (une feuille modifiée) plus ou moins développée qui peut entourer le spadice. Le spadice est un axe vertical portant les fleurs de petite taille. Un point remarquable est que malgré leur organisation florale commune, les Aracées ont développé des modes de pollinisation très variés. Elles peuvent être pollinisées par divers insectes : coléoptères (scarabées), diptères (mouches) ou hyménoptères (abeilles), récompensés par des ressources alimentaires ou reproductives, et dans des interactions allant du mutualisme à l’antagonisme. Le nectar, une substance végétale riche en énergie, n’est pas produit chez les Aracées Abeille solitaire (Lasioglossum) collectant du pollen et pollinisant Arum creticum (Crête) (cliché M. Gibernau). Philodendron placidum grimpant en spirale le long d’un tronc en Guyane (cliché M. Gibernau). qui synthétisent plutôt des fluides (exsudats) stigmatiques correspondant à une version pauvre en énergie du nectar. Les fluides stigmatiques seraient le premier type de “nectar” produit par les ancêtres des plantes à fleurs et ils existent chez bon nombre d’entre elles en ayant conservé des caractères primitifs. Les Aracées sont apparues il y a quelque 122 à 135 millions d’années parmi les premières plantes à fleurs. L’objectif de cet article est de détailler les différents aspects de la grande diversité de pollinisation des Aracées, tels que les pollinisateurs, les ressources florales et la nature de l’interaction. Ces différents aspects seront replacés dans le contexte évolutif de cette famille de plantes sur la base des résultats d’une étude phylogénétique récente, afin d’essayer d’en expliquer l’origine et la diversité. ESPÈCES №11 - Mars 2014 Écologie Microbiologie Exobiologie Ophiologie - Les Aracées Systématique Océanograph 23 Les interactions “honnêtes”, ou mutualismes Dans la majorité des cas d’interactions de pollinisation, la plante assure sa reproduction et le pollinisateur obtient la ressource recherchée : l’interaction étant bénéfique pour chacun des partenaires, on parle alors d’interaction mutualiste ou de mutualisme. Chez les Aracées, il y a souvent spécialisation de l’inflorescence au(x) pollinisateur(s), augmentant ainsi l’efficacité de l’interaction. Parfois, la spécialisation est réciproque, allant jusqu’à une synchronisation des cycles de reproduction de la plante et de l’insecte. On parle alors de coévolution entre les deux protagonistes, et cette coévolution peut produire, à l’extrême, des interactions obligatoires et hautement spécifiques. La pollinisation des Aracées va se Rhodospatha oblongata poussant sur les berges d’une “crique” (nom local désignant une rivière, Guyane) (cliché M. Gibernau). Bénéfices réciproques pour chacun des partenaires associés dans une interaction mutualiste fleur-pollinisateur. faire de façon différente si elle est assurée par des hyménoptères, des coléoptères ou des diptères. Selon l’espèce végétale, les hyménoptères pollinisateurs sont des Apidés (abeilles, trigones et euglossines) ou des Halictidés qui visitent les fleurs principalement à la recherche de pollen comme on peut l’observer communément dans nos prairies. Mais, en Amérique tropicale, les mâles des abeilles euglossines visitent les inflorescences d’Aracées (comme des anthuriums ou des spathiphyllums) pour un tout autre butin. Attirées par l’odeur, les abeilles mâles se posent sur les inflorescences et les parcourent longuement de bas en haut et, tels des parfumeurs pratiquant la technique de l’enfleurage, ils mélangent la cire odorante recouvrant le spadice à la sécrétion de leur glande labiale à l’aide d’une brosse située sur les tarses antérieurs ; ils transfèrent ensuite cette pâte dans un réservoir situé sur les tibias postérieurs et reprennent leur collecte. Cette pâte odorante permettrait de parfumer le nid qu’ils construisent afin que les femelles y pondent leurs œufs, d’attirer les femelles lors de la danse nuptiale ou de repousser les mâles rivaux. C’est en arpentant les inflorescences que les insectes, en frottant leur abdomen contre les parties mâles et femelles des fleurs, assurent la pollinisation. Ces abeilles euglossines sont aussi connues pour récupérer des huiles et cires odorantes chez des orchidées tropicales ; il s’agit là d’un phénomène de convergence entre deux familles de plantes phylogénétiquement éloignées mais qui ont développé des modes de pollinisation similaires. Les coléoptères associés à des Aracées sont plus nombreux et diversifiés, ils sont classés dans huit familles. Pour la moitié d’entre elles (Scarabaeidés, Nitidulidés, Chrysomélidés, Curculionidés), les insectes viennent chercher deux types de ressources : d’abord alimentaires, sous forme de fleurs stériles riches en carbohydrates et protéines, ou sous forme de pollen. Par ailleurs, les coléoptères cherchant à se reproduire, les inflorescences deviennent lieux de rencontre et d’accouplement des partenaires sexuels. De nombreuses aracées d’Amérique tropicale (philodendrons, caladiums, dieffenbachias, xanthosomas, syngoniums, taccarums, etc.) mais aussi d’Asie tropicale (homalomenas) sont ainsi pollinisées par des coléoptères crépusculaires (Scarabaeidés ou Nitidulidés). Les inflorescences produisent de la chaleur et émettent de fortes odeurs qui indiquent dans la nuit aux coléoptères où trouver “le lit et le couvert”. Les coléoptères s’accouplent dans une chambre florale formée par la spathe de l’inflorescence et se nourrissent de fleurs stériles. S’ils portent du pollen, il sera déposé sur les fleurs femelles, qui sont alors réceptives. Les insectes restent dans l’inflorescence jusqu’au lendemain soir, où se produit un deuxième pic de chaleur accompagné de l’émission de filaments de pollen collant ou rendu collant par la sécrétion de résine. Les coléoptères mangent du pollen, qui se colle alors en partie sur leur corps, puis s’envolent de l’inflorescence à la recherche d’une autre inflorescence réceptive. ESPÈCES №11 - Mars 2014 Biologie Dossier - La pollinisation Géologie Éthologie Mycologie Mammalogie Zoologie 24 Les diptères représentent l’ordre le plus riche d’insectes visitant les inflorescences d’Aracées, avec pas moins de quinze familles répertoriées. Pour deux familles (Drosophilidés et Chloropidés), l’interaction de pollinisation est “honnête” et a lieu de la même manière avec des aracées d’Amérique du Nord (peltandres) ou d’Asie tropicale (alocasias, colocasias, piptospathas, schismatoglottis, steudnera, etc.). Comme les coléoptères, les mouches sont attirées à l’intérieur de l’inflorescence réceptive qui produit de la chaleur et émet une odeur. Elles se nourrissent alors de sécrétions liquides plus ou moins sucrées produites par les stigmates ou la spathe ; ce faisant, si elles transportent du pollen, elles assurent la pollinisation des stigmates réceptifs. Les mouches peuvent aussi s’accoupler, mais, surtout, les femelles vont pondre Scarabées (Cyclocephala) s’accouplant et mangeant des fleurs stériles lors de la pollinisation de Taccarum ulei (Brésil) (cliché A. Maia). leurs œufs sur le spadice. Lorsque l’inflorescence libère son pollen, la spathe se referme autour du spadice ou tombe, et les mouches chargées de pollen s’envolent à la recherche d’une autre inflorescence réceptive. Les larves éclosent sur le spadice et se nourrissent des bactéries qui dégradent les parties florales plus utiles (stigmates, styles, étamines) et accomplissent leur cycle sur l’inflorescence ou réalisent leur pupaison au sol. Chez certaines espèces d’Aracées, il existe une micro-spécialisation des sites de ponte. Cela permet à deux espèces de mouches de coexister au sein d’une même inflorescence sans entrer en compétition, une espèce pondant sur les fleurs femelles, l’autre sur les fleurs mâles. Il est toutefois important de noter que contrairement aux modes de pollinisation connus chez les figuiers, les yuccas ou les trolles, les larves des pollinisateurs ne font pas de dégâts à l’infrutescence, ni ne se développent aux dépens des graines. Les interactions “malhonnêtes”, ou antagonismes Mouche (Colocasiomyia) posée sur la spathe (en haut) avant d’entrer dans la chambre florale (en bas, une partie de la spathe a été ôtée) pour pondre sur le spadice et polliniser Piptospatha elongata (Bornéo) (clichés M. Gibernau). ESPÈCES №11 - Mars 2014 Dans un certain nombre de systèmes de pollinisation, l’interaction n’est pas bénéfique pour l’un des partenaires. Elle est alors antagoniste. La plante “dupe” son pollinisateur en lui signalant la présence d’une récompense qui, en fait, n’existe pas, évitant ainsi les coûts liés à la production de cette récompense. À l’inverse, le pollinisateur peut récolter la ressource présentée par une fleur sans assurer la pollinisation. Il devient alors un “tricheur”. C’est le cas, en ce qui concerne les aracées, des abeilles trigones qui visitent les inflorescences des philodendrons seulement durant la phase mâle, récupérant en abondance du pollen qu’elles ne déposeront jamais sur des fleurs femelles réceptives. Les interactions lors desquelles les aracées dupent leurs pollinisateurs sont nombreuses. Que les pollinisateurs soient des coléoptères (Staphylinidés, Histeridés, Dermestidés et Écologie Microbiologie Exobiologie Ophiologie - Les Aracées Systématique Océanograph 25 Bénéfices non réciproques pour un des partenaires associé dans une interaction antagoniste fleur-pollinisateur, soit une pollinisation par “duperie” ou “tromperie”. Chou puant (Symplocarpus feotidus) fleurissant lors des printemps encore enneigés (Québec, Canada) (cliché M. Gibernau). Hybosoridés) ou des diptères (Psychodidés, Sciaridés, Mycétophilidés, Anthomyiidés, Chironomidés, Ceratopogonidés, Cecidomyiidés, Sphaeroceridés, Phoridés, Calliphoridés, Muscidés, Sarcophagidés et Faniidés), les inflorescences d’aracées ont une stratégie de pollinisation par duperie commune. Il s’agit d’imiter l’odeur du site de ponte du pollinisateur pour l’attirer au contact des fleurs dans un piège formé par l’inflorescence et assurer ainsi la pollinisation. Pas moins de 27 genres d’Aracées sont pollinisés selon ce processus (gouets, serpentaires, cryptocorynes, arums mangemouches, amorphophallus, arisarums, arisaemas, typhoniums, sauromatums, etc.), imitant des odeurs de bouses, crottins, matières végétales en décomposition, champignons, fruits pourris, levures, et même des odeurs de cadavres de vertébrés. Chaque système ayant son odeur propre, ses couleurs florales assorties, une thermogenèse adéquate et des pollinisateurs spécifiques. Contrairement aux autres aracées, un certain nombre de caractères de l’inflorescence ont évolué pour que celle-ci devienne un véritable piège à insectes. La spathe présente ainsi une constriction qui régule l’ouverture apicale de la chambre florale emprisonnant les insectes, la paroi de la spathe est recouverte de cellules cireuses rendant son escalade quasi impossible même pour les pattes griffues des mouches ESPÈCES №11 - Mars 2014 Biologie Dossier - La pollinisation Géologie Éthologie Mycologie Mammalogie Zoologie 26 Moucherons (Psychodidés, Chironomidés) piégés dans la chambre florale d’un gouet (moitié de la spathe ôtée) montrant les fleurs femelles (blanches), les étamines (jaunes) et les fleurs stériles modifiées en poils bloquant la sortie lors de la pollinisation d’Arum italicum (France) (cliché M. Gibernau). prises au piège, et, enfin, des fleurs stériles ont été modifiées en poils obstruant l’entrée de la chambre florale. Les fleurs fertiles (femelles et mâles) étant enfermées dans la chambre florale, l’attraction des pollinisateurs est alors permise grâce à un organe stérile terminant l’axe florifère et exposé à l’air libre, l’appendice (ou massue). Un exemple qu’il est facile d’observer en Europe est celui du gouet d’Italie, Arum italicum. On trouvera les inflorescences odorantes du gouet d’Italie d’avril à mai, près des cours d’eau, sur le sol humide d’une forêt. Les promeneurs du matin ou de l’après-midi ne se douteront de rien… mais un peu plus tard, lorsque la nuit tombe, l’odeur de bouse caractéristique du gouet les mènera directement aux inflorescences réceptives ! S’ils attendent assez, où s’ils reviennent le lendemain matin, ils trouveront dans ces inflorescences toute une cohorte de petits moucherons (Psychodidés, Chironomidés, Cératopogonidés, Sciaridés, etc.) qui pondent généralement dans la matière fécale ou dans des végétaux en décomposition. Le gouet d’Italie fleurit sur deux jours. Le premier soir de floraison, à la tombée du jour, son appendice chauffe et émet l’odeur de bouse et de végétaux en décomposition qui attire si bien les femelles des moucherons à la recherche d’un lieu de ponte. Lorsque celles-ci se posent sur la spathe, elles glissent à l’intérieur de la chambre florale et les poils à l’entrée du piège les empêchent de ressortir de la chambre ; si ces moucherons portent du pollen, elles vont le déposer sur les fleurs femelles réceptives… Le lendemain, dans l’après-midi, les fleurs mâles libèrent du pollen, saupoudrant les insectes captifs dans la chambre florale. Les poils et les cellules de la paroi sèchent alors, libérant les insectes couverts de pollen, mais n’ayant pas trouvé de matière fécale pour y déposer leurs œufs. Ils sont, en revanche, parés pour féconder une autre inflorescence s’ils se font à nouveau capturer. La grande diversité de la pollinisation par duperie réside dans la variété des sites de ponte imités et des insectes dupés. Pour le gouet d’Italie, il s’agit de bouses et de moucherons, mais, par exemple, l’arum mange-mouches (Helicodiceros muscivorus) imite l’odeur des cadavres de mammifères en dégageant des relents cadavériques (composés disulfides ou diazotés comme la putrescine ou cadavérine), exhibant des couleurs sanguines et produisant de la chaleur rappelant la fermentation des chairs. La plante attire ainsi des mouches et coléoptères nécrophages appartenant aux familles des Calliphoridés, Muscidés, Sarcophagidés, Dermestidés et Histeridés. Tout comme chez les rafflesias ou les stapelias, il s’agit ici encore d’un phénomène de convergence évolutive. L’évolution de la pollinisation chez les Aracées La connaissance des liens de parenté entre les espèces – qu’apporte la phylogénie – est un prérequis indispensable pour qui veut étudier leur évolution et retracer l’histoire de leurs interactions. Ainsi, des études ont été menées pour ESPÈCES №11 - Mars 2014 Écologie Microbiologie Exobiologie Ophiologie - Les Aracées Systématique Océanograph 27 Cycle de pollinisation par duperie du gouet d’Italie (Arum italicum) (infographie A. Rafaelian, d’après M. Chartier). essayer de comprendre selon quelle séquence les différents types d’interactions aracées-pollinisateurs sont apparus et le lien entre l’évolution de la morphologie des inflorescences d’aracées et leurs modes de pollinisation. Tout d’abord, un arbre phylogénétique a été créé. Il représente une sorte d’arbre généalogique montrant les liens de parenté supposés entre les espèces, obtenus en comparant leur ADN : de même qu’au sein d’une famille un frère et sa sœur ont plus de gènes en commun qu’avec un cousin éloigné, deux espèces proches présenteront plus de similitudes dans certaines parties de leur ADN que deux espèces éloignées. Cet arbre phylogénétique se lit en comparant la distance à parcourir en suivant les branches horizontales de l’arbre (sans comptabiliser les distances verticales) afin de relier deux espèces. Plus cette distance est courte, plus les deux espèces sont proches. Connaissant l’arbre phylogénétique des Aracées, et le mode de pollinisation de certaines espèces actuelles d’Aracées, il a été possible de reconstruire sur cet arbre l’évolution des modes de pollinisation, à l’aide d’algorithmes recherchant le(s) scénario(s) le(s) plus probable(s) d’apparition, de maintien Le capuchon du moine (Arisarum vulgare) est pollinisé en dupant de petits moucherons (France) (cliché C. Breton). Biologie Dossier - La pollinisation Géologie Éthologie Mycologie Mammalogie Zoologie 28 Alocasia tropical en fruit (Alocasia princeps), résultat de la pollinisation plusieurs semaines avant par des mouches Colocasiomyia (Bornéo) (cliché M. Gibernau). Arbre phylogénétique des Aracées (en miroir) sur lequel sont reconstruits le type de pollinisateur ancestral (arbre de gauche) et la nature de l’interaction (arbre de droite). Les genres les plus anciens se trouvent en haut de la figure et ceux apparus plus récemment en bas (d’après Chartier et al. 2014). ESPÈCES №11 - Mars 2014 et de transitions entre ces interactions. Cette reconstruction est présentée dans le schéma ci-dessous. Chaque cercle sur l’arbre représente une espèce ancestrale hypothétique (les espèces actuelles sont codées par des carrés), et la couleur des branches représente l’évolution dans le temps de la nature de l’interaction (arbre de droite sur la figure) et des types de pollinisateurs impliqués (arbre de gauche). La reconstruction est estimée probable lorsque la branche ne présente qu’une couleur. Ces analyses n’ont pas permis de manière sûre d’estimer le type d’insectes pollinisant l’ancêtre des Aracées. Par contre, il est probable que les premières Aracées récompensaient leurs pollinisateurs par de la nourriture. Comme le montre l’alternance de lignes rouges (lignées pollinisées par des coléoptères) et jaunes (par des diptères) sur la partie gauche de la figure, il semblerait qu’il y ait eu de nombreuses transitions (étoiles orange) entre la pollinisation par les diptères et les coléoptères au cours de l’évolution de la famille. À partir de la pollinisation par récompense (partie droite), caractérisant des inflorescences à spathe étalée en étendard et fleurs bisexuées (hermaphrodites), serait apparue la pollinisation avec reproduction, puis la pollinisation avec ponte. Ces deux derniers types d’interactions sont associés à la fermeture de la spathe autour du spadice et l’apparition des fleurs unisexuées (étamines et gynécées). La spathe forme alors une chambre florale indispensable pour garder les insectes au sein de l’inflorescence dans l’attente, le Écologie Microbiologie Exobiologie Ophiologie - Les Aracées Systématique Océanograph 29 lendemain ou le surlendemain, de la libération du pollen par les étamines. Ainsi existe-t-il très certainement un lien fort entre les transitions dans la morphologie des inflorescences d’aracées et les transitions dans leurs modes de pollinisation. De plus, certains modes de pollinisation seraient dérivés des autres. La pollinisation par duperie (branches noires) a évolué plusieurs fois de manières indépendantes (croix noires) à partir de mutualismes avec ponte (branches jaunes). La reconstruction présentée ici n’est qu’une première étude ne comprenant des données que pour la moitié des genres de la famille des Aracées, et il est fort probable que ces résultats soient affinés dans le futur, grâce à l’apport par les écologues de terrain de nouvelles informations concernant ces étonnantes interactions que sont celles liant les Aracées et leurs pollinisateurs. Infrutescence d’Arum italicum composée de nombreuses baies charnues issues de la pollinisation suite à une duperie efficace (France) (cliché C. Breton). Pour conclure… La famille des Aracées montre une grande diversité de relations plantes-pollinisateurs. Cette diversité se traduit par des adaptations morphologiques florales (chambre florale, fleurs stériles) et physiologiques (thermogenèse, odeurs florales) couplée à une diversité des types de pollinisateurs associés (hyménoptères, diptères, coléoptères). Les interactions mutualistes concernent les systèmes où les pollinisateurs obtiennent une ressource alimentaire ou reproductive (site d’accouplement ou de ponte). Dans certains cas, des phénomènes de coévolution ont pu se mettre en place car ce type d’interaction où les cycles biologiques de la plante et de l’insecte sont imbriqués et interdépendants est en général très spécialisé. Dans les interactions antagonistes, l’inflorescence exploite les pollinisateurs par duperie. Il est intéressant de noter que dans la majorité des cas les insectes capturés par une inflorescence y sont maintenus dans de bonnes conditions puis sont tous libérés : ils doivent en effet survivre assez longtemps pour disséminer le pollen jusqu’à la prochaine inflorescence ! Ceci illustre un aspect fascinant du phénomène de duperie dans la nature : tout tricheur trop radical verrait à long terme la disparition totale de sa “victime”… et en ferait les frais ! Comprendre tous ces processus permet de réaliser à quel point les interactions plantes-pollinisateurs, par le biais de la sélection naturelle, influent sur l’évolution de la biologie, morphologie ou physiologie de chacun des partenaires. D’autre part, l’étude phylogénétique de ces interactions de pollinisation a montré qu’il s’agit de systèmes très dynamiques, puisque de nombreux changements de types de pollinisateurs et des modalités de l’interaction ont eu lieu au cours de l’évolution de la famille des Aracées. Ainsi, comme dans un couple mûr dont les protagonistes ont partagé de longs moments ensemble, la coévolution, qui a conduit les acteurs vers des systèmes très imbriqués, se charge parfois de les amener vers des relations nouvelles, plus trompeuses. ❁ Pour en savoir plus >C hartier M., Maia A.C.D. & Gibernau M. 2009 – “La pollinisation des Aracées”, Insectes n° 155 (4) : p. 3-5. >C hartier M., Gibernau M. & Renner S. S. 2014 – “The evolution of pollinator-plant interaction types in the Araceae”, Evolution (doi : 10.1111/evo.12318). >G ibernau M. & Barabé D. 2012 – “Des fleurs à ‘sang chaud’”, Pour la Science, Dossier n° 77, Octobre-Décembre, p. 74-80. >G ibernau M. & Chartier M. 2010 – “Les Aracées : une diversité d’arômes ou les différentes stratégies de la séduction”, Les Courriers de la Nature n° 260, p. 26-32. >Q uilichini A. & Gibernau M. 2013 – “Leurre et chaleur : la pollinisation par duperie chez les Aracées”, Stantari n° 31, p. 3443. ESPÈCES №11 - Mars 2014