Revue mt cardio 2007 ; 3 (4) : 296-301 Imagerie de l’infarctus par scanner multicoupes Bernhard L. Gerber Service de cardiologie, Département des maladies cardiovasculaires, Cliniques universitaires St. Luc, Université Catholique de Louvain, Bruxelles, Belgique <[email protected]> <[email protected]> Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Résumé. Le scanner multicoupes a fait des grands progrès ces dernières années. En effet, le scanner multicoupes permet non seulement l’imagerie non invasive des artères coronaires, mais aussi l’analyse de la fonction ventriculaire. Le scanner multicoupes permet également la détection de l’infarctus du myocarde. En effet, similaire au Gd-DTPA, les produits de contraste iodés utilisés pour le scanner multicoupes ont une distribution extravasculaire. Ainsi, le scanner multicoupes permet, d’une façon similaire à l’IRM cardiaque, l’identification de l’infarctus du myocarde : 1) sur les images précoces, immédiatement après injection de contraste, il permet la visualisation de défets de perfusion qui correspondent à l’obstruction microvasculaire du au phénomène de no-reflow dans l’infarctus aigu ; 2) sur des images tardives, il permet également l’identification de la nécrose myocardique par un rehaussement tardif. Cette possibilité d’identification de l’infarctus au scanner multicoupes pourrait être utile pour l’identification de la viabilité myocardique, c’est-à-dire la prédiction de la réversibilité d’une dysfonction qui permettrait de décider si un patient devrait être revascularisé ou non. Elle pourrait également permettre la différentiation de cardiopathies dilatées d’origine ischémique et non ischémique. Le scanner multicoupes pourrait donc devenir une alternative à l’IRM cardiaque. La possibilité de combiner l’imagerie coronaire, l’analyse de la fonction cardiaque et la viabilité myocardique dans un seul examen rend la technique particulièrement intéressante pour l’analyse intégrée des patients cardiaques. Mots clés : scanner multicoupes, infarctus, viabilité myocardique Abstract. Imaging of myocardial infarcts by multidetector CT. In recent years, multidetector CT (MDCT) technology has made impressive progress. It allows not only imaging of coronary arteries, but also cine imaging of cardiac function. Recently, it has been demonstrated that MDCT has also the ability to visualize myocardial infarcts. Indeed, iodated contrast agents employed for MDCT have extravascular distribution similar to Gd-DTPA. Therefore, similar to contrast enhanced MR, the injection of these contrast agents allows characterization of infarcts by two contrast patterns: 1) perfusion defects on early images immediately after contrast injection, identifying microvascular obstruction and the no-reflow phenomenon in acute infarcts, and 2) hyperenhancement on late images, identifying myocardial necrosis. The ability to identify myocardial infarcts might allow MDCT to be useful for the detection of myocardial viability and thus allow decisions as to whether patients with coronary artery disease and contractile dysfunction should undergo revascularization not to improve cardiac function. It may also allow the differentiation of ischemic from non-ischemic origins of dilated cardiomyopathy. MDCT might thus become an alternative to contrast enhanced MR. The ability to combine coronary imaging, cardiac function and viability in a single exam makes the technique particularly attractive for the integrated assessment of patients with cardiac disease. Key words: multidetector CT, infarct, myocardial viability L Tirés à part : B.L. Gerber 296 mt cardio, vol. 3, n° 4, juillet-août 2007 qu’il est également possible d’effectuer une imagerie fonctionnelle du cœur au scanner. En effet, si les images scanner sont reconstruites d’une façon rétrospective dans toutes les phases du cycle cardiaque, il est possible de réaliser également une imagerie ciné du cœur par scanner. Ceci permet de mesurer les volumes ventriculaires diastoliques et systoliques et de calculer la fraction d’éjection, et ainsi d’effectuer une évaluation précise de la fonction contractile des deux ventricules [6-8]. L’imagerie ciné permet également de visualiser le mouvement des valves doi: 10.1684/mtc.2007.0104 Revue mtc e scanner multicoupes a fait de grands progrès techniques ces dernières années ; cette technique est prometteuse dans le diagnostic des maladies cardiovasculaires. En effet, les études évaluant la plus récente génération de scanners avec 64 barrettes suggèrent que cette technique permet actuellement la détection non invasive de la maladie coronaire avec une sensibilité et spécificité supérieures à 90 % [1-5]. Cependant, la technique ne permet pas uniquement une imagerie anatomique des structures cardiaques. Des travaux récents ont montré Principes de la visualisation de l’infarctus par scanner Les principes de visualisation de l’infarctus au scanner ressemblent à ceux connus et employés depuis quelques années pour la visualisation de l’infarctus en IRM cardiaque [30, 31]. En effet, l’IRM cardiaque permet de visualiser l’infarctus du myocarde par deux aspects distincts [30, 32, 33]. En effet, les zones sous-endocardiques des infarctus aigus présentent souvent des zones noires d’hypoperfusion sur des images de premier passage obtenues immédiatement après injection du produit de contraste. Ces zones d’hypoperfusion sous-endocardiques résultent d’une arrivée ralentie du produit de contraste par rapport au myocarde normal. Cette réduction de la perfusion du centre de l’infarctus par rapport au tissu normal résulte de l’obstruction de la microvascularisation par nécrose des capillaires et phénomène de no-reflow dans les infarctus aigus [30, 32, 33]. Elle n’occupe généralement que la partie centrale de l’infarctus et n’est observée que dans l’infarctus aigu. Progressivement, ces zones de no-reflow se normalisent avec la détersion et la réparation tissulaire après infarctus. Elles disparaissent donc dans les infarctus chroniques. Un deuxième aspect de prise de contraste est observé en IRM tardivement après injection de produit de contraste. En effet, sur des images réalisées 10 à 20 minutes après injection de produit de contraste, les infarctus Liste des abréviations IRM : imagerie par résonance magnétique TTC : 2,3,5-triphenyltetrazolium chloride aigus et chroniques sont relevés par une zone blanche, résultant de l’accumulation du produit de contraste dans toute la zone d’infarctus. Le rehaussement tardif s’explique par l’augmentation du volume de distribution du produit de contraste extravasculaire [34] dans les zones de nécrose ou de fibrose par rapport au tissu myocardique normal et des modifications des cinétiques d’entrée et de sortie expliquées par cette expansion du volume de distribution du traceur [33]. Ces zones de rehaussement tardif sont observées aussi bien dans les infarctus aigus que chroniques. Elles reflètent fidèlement la totalité du volume nécrosé avec une correspondance parfaite par rapport à l’histologie [31]. Les produits de contraste iodés utilisés au scanner ont une composition chimique différente du gadolinium utilisé en IRM (figure 1). Cependant, leur poids moléculaire et volume de distribution est similaire. En utilisant une préparation de cœur isolé de lapin avec infarctus, nous avons pu mesurer les cinétiques d’entrée et de sortie et le volume du produit de contraste iodé utilisé au scanner, et les comparer à ceux du gadolinium dans les différentes régions myocardiques avec et sans nécrose [35]. Nous avons ainsi pu montrer que les mécanismes de rehaussement et de la visualisation de l’infarctus par scanner étaient identiques à ceux observés avec l’IRM (figure 2). Résultats expérimentaux Déjà, avec la première génération de scanners simple coupes au début des années 1980, de nombreuses études expérimentales animales avaient montré la présence de défets de perfusion correspondant aux zones de no-reflow dans l’infarctus du myocarde aigu [17, 19, 21, 24-28]. En revanche, la présence de rehaussement tardif n’a été décrite que beaucoup plus rarement et d’une façon plus inconstante [18, 20, 22, 23, 27, 29], probablement en relation avec la mauvaise qualité technique des scanners de cette époque et avec la grande variabilité du délai de l’imagerie par rapport au moment d’injection du contraste. Plus récemment, avec les scanners de dernière génération qui possèdent la possibilité de synchroniser l’imagerie à l’ECG, la présence de ces aspects caractéristiques a été confirmée dans des modèles expérimentaux animaux d’infarctus. Lardo et al. [36] ont montré une excellente corrélation entre l’étendue des zones d’hypoperfusion révélées sur des images acquises immédiatement après injection de contraste et les zones thioflavines négatives correspondant aux zones de no-reflow. Il a pu également montrer la présence de zones de rehaussement tardif dans des infarctus de myocarde frais chez le chien et des infarctus chroniques chez le cochon. Ces zones de rehaussement tardif étaient corrélées d’une façon précise avec l’étendue de la nécrose établie par la méthode TTC (2,3,5- mt cardio, vol. 3, n° 4, juillet-août 2007 297 Revue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. cardiaques [9, 10]. Elle permet donc de mesurer les surfaces d’ouverture et les orifices de régurgitation de la valve aortique et mitrale et ainsi l’évaluation de la sévérité des sténoses [11-13] et insuffisances aortique et mitrale [1416]. La possibilité de visualiser l’infarctus du myocarde au scanner après injection de produit de contraste avait déjà été suggérée dans des expériences animales au début des années 1980 [17-29]. Cependant, à cette époque, les scanners étaient unicoupes et nécessitaient plusieurs minutes pour réaliser une imagerie complète du cœur. D’autre part, une synchronisation cardiaque n’était pas possible, du fait d’importants artefacts de mouvement. Dès lors, l’utilisation clinique de cette technique était impossible pour visualiser l’infarctus chez l’homme. Avec l’avènement des scanners multicoupes, la possibilité d’une telle visualisation des infarctus au scanner à été réactualisée. Cette possibilité ouvre de nouvelles perspectives à l’évaluation des maladies cardiovasculaires par scanner. Imagerie de l’infarctus par scanner multicoupes Gd-DTPA H2CHN O O O Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. N OH2 Iomeprol CONHR O Gd O O N N O NHCH2 O CONHR CH RI NOC N-C -C-CH-N OC CO CH2 CH2 Poids moléculaire 700 777 Distribution extravasculaire extravasculaire Demi-vie (min) 70 70 CON R Figure 1. Comparaison des structures moléculaires et des propriétés du Gd-DTPA et de l’ioméprol. triphenyltetrazolium chloride). D’une façon similaire, notre groupe [35] a pu monter chez le lapin une bonne corrélation entre la taille de rehaussement tardif et l’étendue de la nécrose par TTC. Chez le cochon, nous avons pu montrer que le rehaussement tardif était détectable entre 4 et 24 minutes après injection du produit de contraste avec un optimum 10 minutes après injection du produit de contraste. Ces résultats étaient comparables à ceux de Lardo et al. [36] qui ont préconisé un temps optimal de visualisation de l’infarctus 5 minutes post-injection du contraste. Ces résultats ont été également confirmés par d’autres groupes [37-39]. perfusion chez 11 patients sur 16 avec un infarctus aigu. Quinze de ces patients avec infarctus aigu présentaient un rehaussement tardif (figure 3). Ce rehaussement tardif existait également chez 19 patients sur 21 avec infarctus chronique. Nous avions également observé une corrélation excellente des zones de rehaussement tardif au scanner avec ceux en IRM cardiaque (r = 0,89) et une bonne corrélation sur l’identification de ces régions au point de vue régional (82 % de correspondance). Cependant, le scanner ne permettait pas une qualité de visualisation aussi bonne de l’infarctus que l’IRM cardiaque. Plus récemment des résultats similaires ont été confirmés par Sanz et al. [41]. Résultats cliniques Utilité clinique potentielle La possibilité de visualiser l’infarctus de myocarde par scanner a également récemment été montrée chez l’homme. Mahnken et al. [40] ont établi la possibilité de visualiser l’infarctus aigu par un rehaussement tardif chez 28 patients et ont comparé le scanner à l’IRM cardiaque. Notre groupe [35] a montré la présence de zones d’hypo- Myocarde normal Revue Vol extravasculaire ± 20 % La détection de la présence d’un infarctus pendant un examen au scanner pourrait avoir plusieurs implications importantes. La première implication serait l’utilisation de cette information pour la détection de la viabilité myocardique. En effet, la présence d’un infarctus transmural dans Infarctus aigu Cardiomyocytes nécrosés Infarctus chronique Tissu fibreux Vol extravasculaire ± 100 % Vol extravasculaire ± 70 % Figure 2. Distribution du produit contraste iodé dans le myocarde normal, l’infarctus aigu et l’infarctus chronique. Dans le myocarde normal, peu de volume de distribution est accessible à l’agent extravasculaire. Dans l’infarctus aigu, le volume de distribution de l’agent de contraste est augmenté par la rupture des membranes cellulaires permettant accès à l’espace intracellulaire. Similaire dans l’infarctus chronique, le volume de distribution de l’agent extravasculaire est augmenté par présence d’un tissu fibreux contenant beaucoup de protéines extravasculaires tel que le collagène. 298 mt cardio, vol. 3, n° 4, juillet-août 2007 IRM Figure 3. Coupes court et long axe comparant des images tardives au scanner à l’IRM. Un infarctus antérieur (flèche) est identifié par une zone de rehaussement tardive. Il existe également un caillot apical (astérisque). une zone de dysfonction ventriculaire avec occlusion coronaire, implique l’absence de myocarde viable et donc la non-réversibilité de la dysfonction. Par opposition, une zone de dysfonction ventriculaire sans nécrose implique la viabilité de cette zone et donc la possibilité d’une normalisation de la fonction ventriculaire après revascularisation. La possibilité d’utiliser de telles informations de transmuralité d’infarctus pour prédire la réversibilité myocardique a été établie pour l’IRM cardiaque [42]. Récemment, Habis et al. [43] ont montré que l’information de rehaussement tardif obtenu au scanner multicoupes peut également prédire la réversibilité de la dysfonction dans l’infarctus aigu avec une bonne sensitivité (92 %) et spécificité (100 %). Une autre utilisation de la caractérisation de l’infarctus du myocarde serait la possibilité de différentier les cardiopathies ischémiques des cardiomyopathies non ischémiques, d’une façon similaire à l’IRM [44] où différents aspects typiques des cardiopathies non ischémiques ont été rapportées. L’avantage potentiel du scanner serait la possibilité de combiner l’information tissulaire avec une visualisation des artères coronaires. Cependant, aucune étude concernant la faisabilité de cette approche n’a encore été réalisée. Avantages et limites L’imagerie de l’infarctus par scanner conserve quelques limitations importantes par rapport à la visualisation de l’infarctus à l’IRM. La qualité de l’imagerie reste actuellement inférieure par rapport à celle obtenue par l’IRM cardiaque. D’autre part, la technique nécessite l’injection d’une dose relativement élevée de produit de contraste (120140 mL), avec un risque potentiel de toxicité rénale. Finalement, l’imagerie expose le patient à une dose d’irradiation non négligeable (10-15 mSv), qui est cependant équivalente à celle de la médecine nucléaire. Si l’examen scanner est réalisé avec le but primaire de détecter la visualisation de l’anatomie coronaire, la détection de l’infarctus ne nécessite cependant plus d’injection additionnelle de contraste et n’ajoute que peu d’irradiation par rapport à la visualisation des coronaires. Dans ce contexte, l’information additionnelle est obtenue avec peu de « frais » supplémentaires. Les avantages du scanner sont sa plus grande disponibilité et accessibilité par rapport à l’IRM cardiaque. Aussi la visualisation de l’infarctus au scanner pourrait servir comme alternative dans les patients qui ont des contre- mt cardio, vol. 3, n° 4, juillet-août 2007 299 Revue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. CT Imagerie de l’infarctus par scanner multicoupes indications à la réalisation d’une IRM cardiaque (claustrophobie, présence d’un pacemaker ou de défibrillateur implantable). Finalement, le scanner étudie l’anatomie coronaire, la fonction et la viabilité dans un examen intégré d’une durée totale de moins de 10 minutes. Il pourrait donc éviter de multiples examens au patient et être intéressant au plan économique. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Conclusion Le scanner multicoupes peut identifier l’infarctus du myocarde avec des aspects de contraste similaires à ceux décrits en IRM cardiaque. Les infarctus aigus présentent souvent des zones d’hypoperfusion sous-endocardiques sur les images acquises immédiatement après injection du produit de contraste. Ces zones correspondent à l’obstruction microvasculaire (phénomène de no-reflow). Des images acquises tardivement (entre 5 et 15 minutes après injection du produit de contraste) montrent l’infarctus par un rehaussement tardif qui correspond précisément à l’étendue de la nécrose myocardique. Cette possibilité de visualiser l’infarctus enrichit les possibilités du scanner, qui devient donc comme l’IRM une technique d’imagerie intégrée du cœur. Cette technique permet l’évaluation du cœur d’une façon intégrale : anatomie coronaire, fonction du muscle et des valves et caractérisation et viabilité tissulaire dans un examen complet d’une durée de moins de 10 minutes. Références 1. Mollet NR, Cademartiri F, van Mieghem CA, et al. 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