HERMÈS 57 Cognition, Communication, Politique SCIENCES.COM libre accès et science ouverte CNRS ÉDITIONS 15, rue Malebranche – 75005 Paris Livre-hermes-57.indb 1 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 2 27/07/10 16:28 HERMÈS Cognition, Communication, Politique Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC) 20 rue Berbier-du-Mets – 75013 Paris. Tél. (33) 01 58 52 17 31 http://www.wolton.cnrs.fr http://irevues.inist.fr/hermes http://www.cnrseditions.fr Directeur de la publication : Dominique WOLTON Conseil de rédaction : Olivier ARIFON, Jocelyne ARQUEMBOURG, Tamatoa BAMBRIDGE, Jacques BEAUCHEMIN, Rabia BEKKAR, Jean-Michel BESNIER, Félix Nicodème BIKOI, Pascal BLANCHARD, Gilles BOËTSCH, Peter BROWN, Manuel Maria CARRILHO, Anne-Marie CHARTIER, Michel DURAMPART, Tom DWYER, Cynthia FLEURY, Philippe GILLET, Sylvie GRÉSILLAUD, Pascal GRISET, François HEINDERYCKX, Jean-Robert HENRY, Geneviève JACQUINOT-DELAUNAY, Jean-Paul LAFRANCE, Foued LAROUSSI, Chang LIU, Guy LOCHARD, Juremir MACHADO da SILVA, Jean MOUCHON, Joseph MOUKARZEL, Bonaventure MVÉ-ONDO, Jean-François NOMINÉ, Bruno OLLIVIER, Birgitta ORFALI, Thierry PAQUOT, Serge PROULX, Paul RASSE, Éric SAUTEDÉ, Monique VEAUTE, Eliseo VERÓN, Lorenzo VILCHES, Christoph WULF Rédaction en chef : Régine CHANIAC, Éric DACHEUX, Nicole D’ALMEIDA, Pascal DAYEZ-BURGEON, Joëlle FARCHY, Édouard KLEINPETER, Anne-Marie LAULAN, Marc LITS, Cécile MEADEL, Arnaud MERCIER, Joanna NOWICKI, Didier OILLO, Michaël OUSTINOFF, Jacques PERRIAULT, Françoise THIBAULT, Bernard VALADE, Isabelle VEYRAT-MASSON, Dominique WOLTON Secrétaire de rédaction : Gérard GALTIER En application du Code de la propriété intellectuelle, CNRS ÉDITIONS interdit toute reproduction intégrale ou partielle du présent ouvrage, sous réserve des exceptions légales. © CNRS ÉDITIONS, 2010, Paris ISSN : 0767-9513 – ISBN : 978-2-271- ?????- ? Livre-hermes-57.indb 3 27/07/10 16:28 La communication est une valeur, une aspiration, mais elle est aussi une industrie, un marché florissant, voire une idéologie. Autrement dit, un phénomène complexe et polysémique qui requiert un travail d’analyse critique et de compréhension. Au cœur des sciences, des techniques et de la société, elle constitue aujourd’hui un des principaux facteurs des changements contemporains. C’est pourquoi, au-delà des effets de mode, elle est à prendre au sérieux. Tel est le pari scientifique de la revue Hermès : étudier de manière interdisciplinaire la communication dans ses rapports avec les individus, les techniques, les cultures, les sociétés. Notre choix est celui de la connaissance, pour analyser les implications cognitives de ce vaste domaine d’activités, de discours et de recherches. L’objectif : partir à la connaissance de ce paradigme mobilisé par les chercheurs et indispensable à la compréhension d’un nombre croissant de phénomènes contemporains. C’est bien le caractère interdisciplinaire des sciences de la communication, et la nécessité de mieux distinguer vrais et faux problèmes qui justifient cet engagement intellectuel collectif, qui, au-delà de cette revue, vise à la constitution d’une communauté scientifique. Le modèle de la communication est déjà requis par les sciences cognitives qui proposent des modèles d’interprétation pour les processus de perception, de mémorisation et de traitement de l’information en général. Il est également mobilisé par les sciences sociales qui cherchent à évaluer la façon dont les techniques de communication affectent les rapports sociaux, et la nature de l’espace politique. Il est enfin pris en charge par les disciplines philosophiques avec les théories de l’action et du langage, du discours et de l’argumentation. Théories de l’action communicationnelle, sciences sociales, sciences cognitives sont ainsi les trois grands groupes de recherche appelés à s’exprimer dans les différents numéros de la revue Hermès. Trois orientations guident aussi notre projet : — construire le lieu de rencontre d’une culture scientifique accessible à un public éclairé ; — concevoir des numéros thématiques pour disposer de la place nécessaire à un éclairage multiple, notamment étranger ; — donner à la connaissance du lecteur des textes anciens, peu connus, pour éviter l’illusion de croire que les questions d’aujourd’hui sont toujours neuves. Hermès, tout en étant une revue scientifique, souhaite rester accessible à un public ouvert, intéressé par l’émergence des problèmes théoriques liés à la communication. Mais en évitant l’enfermement dans une discipline, les illusions du modernisme, et la certitude des théories. Dominique WOLTON Directeur de la publication Livre-hermes-57.indb 4 27/07/10 16:28 HERMÈS 57 SCIENCES.COM LIBRE ACCÈS ET SCIENCE OUVERTE Numéro coordonné par Joëlle Farchy, Pascal Froissart et Cécile Méadel SOMMAIRE Joëlle Farchy, Pascal Froissart et Cécile Méadel Introduction ................................................................................................................................ 9 Dominique Wolton Abondance et gratuité : pourquoi faire et jusqu’où ? Entretien avec Cécile Méadel ........................ 13 I. SCIENCES EN RÉSEAU, PRODUCTION ET CIRCULATION DES CONNAISSANCES Pierre Mounier Open access : entre idéal et nécessité .............................................................................................. 23 Entretien de Francesca Musiani (Mines-ParisTech) avec Enoch Peserico (Université de Padoue, Italie) En informatique, impossible d’imaginer une science non ouverte.................................................... 31 Dominique Vinck Les transformations des sciences en régime numérique................................................................... 45 Christian Zimmermann La dissémination de la recherche en sciences économiques : les « cahiers de recherche » ................... 53 Samuel Alizon En biologie, le libre accès au quotidien......................................................................................... 57 Guylaine Beaudry La communication scientifique directe : auteurs et infrastructures ................................................. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 5 61 5 27/07/10 16:28 Stephan Foldes En mathématiques, des archives ouvertes dans une communauté fermée ........................................ 69 Lorna Heaton, Florence Millerand et Serge Proulx « Tela botanica » : une fertilisation croisée des amateurs et des experts ......................................... 71 Lionel Barbe Wikipedia, un trouble-fête de l’édition scientifique ...................................................................... 79 II. LES POLITIQUES DU SAVOIR Florence Audier Les publications « ouvertes » : coopération ou concurrence ? ........................................................... 87 Bernard Lang Des cordonniers mal chaussés ou les informaticiens face au libre accès........................................... 91 Marie Cornu Création scientifique et statut d’auteur ........................................................................................ 95 Valérie-Laure Benabou La propriété intellectuelle chahutée : libre accès ou libre recherche ?.............................................. 103 Bernard Rentier Chercheurs, vos papiers ! Les dépôts institutionnels obligatoires ..................................................... 115 Bruno Granier Les Carnets de Géologie .............................................................................................................. 117 Cécile Méadel Les savoirs profanes et l’intelligence du web ................................................................................ 119 Pascal Froissart Les principales plates-formes de revues scientifiques...................................................................... 127 III. LE MARCHÉ DE LA SCIENCE Ghislaine Chartron Scénarios prospectifs pour l’édition scientifique.............................................................................. 6 Livre-hermes-57.indb 6 131 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Laurent Romary Communication scientifique : pour le meilleur et le peer ................................................................ 139 Joëlle Farchy, Pascal Froissart Le marché de l’édition scientifique, entre accès « propriétaire » et accès « libre » ............................ 145 Geneviève Piétu Le projet « Génome humain » et l’Open Source ............................................................................ 159 Danièle Bourcier Science commons : nouvelles règles, nouvelles pratiques ................................................................. 161 Salvatore Mele Le projet SCOAP3, une révolution en physique des hautes énergies............................................... 169 Morgan Meyer Les courtiers du savoir, nouveaux intermédiaires de la science ...................................................... 173 Groupe des éditeurs universitaires du Syndicat national de l’édition (SNE) Le point de vue du Syndicat national de l’édition (SNE) ............................................................ 181 VARIA Charline Leblanc-Barriac et Paul Rasse Les enseignants-chercheurs face aux mutations de leur environnement documentaire ..................... 187 Michel Wieviorka Sociopedia ................................................................................................................................... 191 HOMMAGES Pierre Hadot (1922-2010) (par Thierry Paquot) .................................................................................................. Claire Blanche-Benveniste (1935-2010) (par Henri-José Deulofeu) ....................................................................................................... 195 201 LECTURES Aurélie Aubert, La Société civile et ses médias. Quand le public prend la parole, éd. Le Bord de l’Eau / INA. .................................................................................... HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 7 205 7 27/07/10 16:28 Claude Albagli, Les Sept Scénarios du nouveau monde, Paris, L’Harmattan, . ........................ Jean-Paul Lafrance, La Télévision à l’ère d’Internet, Québec, éd. du Septentrion, . .............. 208 RÉSUMÉS – ABSTRACTS ......................................................................................................... 211 LES AUTEURS DE HERMÈS 57 ............................................................................................. 225 OUVRAGES REÇUS.................................................................................................................... 231 8 Livre-hermes-57.indb 8 207 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Joëlle Farchy Centre d’ économie de la Sorbonne, Université Paris I Pascal Froissart Université Paris VIII, Saint-Denis Cécile Méadel Centre de sociologie de l’ innovation, Mines-ParisTech INTRODUCTION Dans l’édition, c’est la crise, dit-on, lit-on partout. Le contraire eût été étonnant : le monde entier vibre aux coups de la Crise, celle des sub-primes, de Lehman Brothers, des taux à 0 %, des courbes du chômage qui tombent, etc. Et le monde de l’édition envisage d’autant mieux la crise que les évolutions actuels en renforcent les tendances haussières et baissières. Or l’édition est un secteur qui aime à se faire peur. Le terme de crise semble cependant impropre à décrire la mutation en cours dans le milieu de l’édition, tant la crise est permanente dans cette industrie qui a été longuement un artisanat avant de connaître des modifications profondes aux XIXe et HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 9 XXe siècles. Sans remonter au grand séisme de l’écriture pour qui Platon n’avait que mépris (Phèdre, 274-276), et en glissant sur le tsunami de l’invention de l’imprimerie typographique pour qui Luther lui-même pensait qu’il s’agissait de « la dernière flamme avant l’extinction du monde » 1, il est frappant de considérer la série de mutations technico-économiques que connaît l’édition depuis son invention. Les corporations ont laissé place aux syndicats qui eux-mêmes se sont effacés devant la toute puissance libérale ; la propriété intellectuelle s’est inventée lentement et est devenu un élément-clé du capitalisme moderne ; la typographie s’est mécanisée au 9 27/07/10 16:28 Joëlle Farchy, Pascal Froissart et Cécile Méadel point de se dissoudre dans la dictature des écrans et de devenir un savoir de sens commun (fort mal partagé). Et ainsi de suite. L’édition scientifique n’échappe pas à ce mouvement. La première grande raison est que science et édition sont consubstantielles : l’émergence de réseaux de communication et la création des « revues savantes » fondent le mouvement scientifique apparu après la Renaissance. En France, on note ainsi que l’apparition en 1665 du Journal des Sçavants a lieu un an avant celle de l’Académie des Sciences. Et l’on trouve dans le premier numéro du Journal, dans une adresse de « L’imprimeur au lecteur », une sorte de « feuille de route » qui fascine encore aujourd’hui : le Journal se donne pour objet de « faire savoir ce qui se passe de nouveau dans la République des lettres », c’est-à-dire rendre compte des principaux ouvrages, faire connaître les nouvelles découvertes dans les arts et les sciences (physique, chimie, mécanique, mathématiques, astronomie, météorologie, anatomie), commenter les décisions des tribunaux, édifier avec des notices nécrologiques sur les hommes célèbres. Ainsi, dès le début, le journal savant se distingue-t-il des « produits » concurrents, déjà bien établis : essais, pamphlets, annales, et même almanachs (best-seller de l’époque, mais carrément déclassé, à moins que les blogs de recherche et autres flux2 ne les réactivent sous une forme nouvelle ?). En marge des essais et des monographies, la publication d’articles dans les revues savantes ouvre le champ d’une économie de la connaissance qui, jusqu’à aujourd’hui, n’a cessé d’évoluer sans jamais réellement se renier. Aussi, les discours sur la crise de l’édition sontils surannés en la matière. Une relative permanence s’est instaurée depuis l’époque où l’on a inventé le « genre scientifique », qui s’est peu modifié sur le plan éditorial malgré les évolutions technologiques et économiques. Il y a bien eu l’invention des rotatives au XIXe siècle, qui a enclenché un mouvement de « démocratisation » en abaissant les coûts de production. Mais le marché de 10 Livre-hermes-57.indb 10 l’édition scientifique n’a pas grandement varié. Il est toujours constitué d’un produit unique (l’article), réuni dans un ouvrage à plusieurs auteurs, diffusé à petit nombre, dans l’une des linguae francae du moment (du latin antique à l’anglais moderne), traitant d’un sujet unique, suivant des canons professionnels sinon intellectuels, et il s’adresse toujours à un public fermé (pour ne pas dire « captif »). Aujourd’hui, et davantage encore avec le développement des outils bibliométriques (que ce soit dans une optique d’évaluation ou dans un souci de description du champ), l’article conserve sa place de brique fondamentale de la science moderne. Toutefois, et c’est la seconde grande raison de s’intéresser à l’évolution de l’édition scientifique sous le coup du progrès technique, si les scientifiques sont soumis à l’obligation de rendre leurs travaux publics, à la fois pour en permettre la mise en débat et pour justifier l’investissement public, l’évolution des supports, du papier d’antan à l’électronique d’aujourd’hui, modifient de la même manière les formes de cette publicisation. Un mouvement apparemment paradoxal voit en même temps la démultiplication des intermédiaires (avec par exemple les « agrégateurs », tels Science Direct, Ingenta Connect, ou Cairn, des sites commerciaux qui contractualisent les éditeurs et qui revendent ensuite des abonnements en « bouquets ») et la prolifération des dispositifs d’accès direct (blogs des chercheurs, archives ouvertes telles ArchiveSIC ou HAL, sites de laboratoires, carnets de recherche partagés, Wikipedia et Wikisource, etc.). Un même mouvement place les chercheurs face à une injonction paradoxale : d’une part publier, publier de plus en plus, dans des revues cotées, des revues de plus en plus mesurées, étalonnées, hiérarchisées et d’autre part, rendre public, diffuser au plus grand nombre, mettre en ligne le plus vite possible. La publication scientifique se trouve de ce fait au cœur de vives controverses liées à ses enjeux politiques, scientifiques, économiques et juridiques. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Introduction Ce numéro Sciences. com s’intéresse, dans une perspective résolument pluridisciplinaire aux différents questions que pose cette « science ouverte », expression que nous préférons à celui d’Open Access (technique d’accès libre aux publications) car il permet de mieux qualifier toutes les formes de mises à disposition libres de connaissances produites par des scientifiques : revues gratuites, mises en ligne des publications par les institutions, modèle auteur-payeur, bibliothèques numériques ouvertes… C’est dire que le sujet est immense et nous nous sommes concentré sur la mise en ligne ouverte des contenus. On ne traitera donc pas toutes les transformations provoquées par la mise en réseau électronique de la science avec sa diffusion de moyens d’échanges interpersonnels et collectifs, la démultiplication des contenus en ligne, les nouvelles formes de circulation et de commercialisation de ses productions et de ses objets… Nous laisserons en particulier à un prochain dossier d’Hermès, déjà programmé, la question du rôle des publications dans l’évaluation collective et individuelle des chercheurs. Les questions soulevées par les nouvelles formes d’accès au savoir scientifique sont ici traitées sous un prisme à trois volets. – De plus en plus, la « science fonctionne en réseau » (première partie), les connaissances sont produites et aussitôt diffusées, et les différents dispositifs qui visent à « ouvrir » la science transforment la production et la circulation. Le métier de chercheur, ultime avatar du sçavant, évolue, tout autant que les disciplines dans lesquelles ils s’inscrivent. Les articles de Mounier, Peserico, Vinck, Zimmermann, Alizon, Beaudry, Foldes, Heaton et al., et Barbe tentent de rendre compte de ces mutations et permanences. – De la même façon que la science moderne n’a pu émerger que dans un monde politique en pleine mutation, la « science ouverte » préfigure sans doute quelque reconfiguration politique en profondeur. La deuxième HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 11 partie traite donc des politiques du savoir, et l’on y voit que les acteurs publics jouent un rôle central dans les débats, en exerçant la tutelle des scientifiques, des bibliothèques publiques et des organismes de recherche, en définissant les textes législatifs qui encadrent leurs activités et la propriété intellectuelle, en fixant la politique scientifique et en évaluant ses acteurs, en finançant une partie des dispositifs privés, en ouvrant à de nouveaux acteurs la liste des experts légitimes… Les contributions de Audier, Lang, Cornu, Benabou, Rentier, Garnier, Méadel et Froissart se font l’écho de la multiplicité des acteurs et institutions en présence, et de la diversité de leurs motivations. – Enfin, la troisième partie de ce volume traite du « marché de la science », puisqu’il existe désormais. La science est à la fois un bien public et une marchandise privée, et le mouvement d’ouverture modifie les frontières entre ces deux versants. L’inégalité d’accès aux savoirs est peut-être bottée là en touche, poussant d’aucuns à imaginer une circulation non marchande des connaissances scientifiques. Dans le même temps la technique autorise des acteurs nouveaux comme Google à investir ce marché avec les risques de dérives monopolistiques associées. Les travaux de Chartron, Romary, Farchy et Froissart, Piétu, Bourcier, Mele, et Meyer viennent à l’appui de ces interrogations sur la nature de la science comme marché. On trouvera également en ouverture du numéro un entretien avec le rédacteur en chef de la revue Hermès, Dominique Wolton, qui, sous l’aiguillon du progrès technique, voit continuités et contraintes, davantage que promesses et utopies. Au-delà de l’abondance des informations que permet la science ouverte, une des questions majeures posées est celle des conséquences de ces évolutions sur la diffusion de la science dans le milieu des chercheurs comme de sa démocratisation dans les milieux profanes. 11 27/07/10 16:28 Joëlle Farchy, Pascal Froissart et Cécile Méadel NOTES 1. Luther, cité par Elizabeth L. Eisenstein & Gérard Mansuy (p. 1356), « L’avènement de l’imprimerie et la Réforme », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 26e année, n° 6, 1971, p. 1355-1382. 12 Livre-hermes-57.indb 12 2. Voir par exemple les Carnets de recherche en sciences humaines de <hypotheses. org> ou Le C@fé des sciences, <www.cafesciences.org>. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Dominique Wolton Directeur de l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC) ABONDANCE ET GRATUITÉ : POURQUOI FAIRE ET JUSQU’OÙ ? Entretien avec Cécile Méadel Cécile Méadel : Les différentes formes de diffusion ouverte de la science augmentent sa disponibilité. Peut-on dire pour autant que cela participe à sa démocratisation ? Dominique Wolton : Pour répondre à cette question, il faut poser trois préalables. Le premier, c’est qu’aucune « nouvelle » technologie de communication (télévision, radio, ordinateur, ou autre…) ne peut à elle seule provoquer une rupture. Il faut la rencontre entre un progrès technique et un projet politique pour qu’il y ait réellement une « révolution » dans la communication. La technique à elle seule ne suffit pas à transformer les rapports humains et sociaux. C’est cela l’idéologie technique, croire qu’un système technique, quel qu’il soit, suffit à modifier les rapports humains et sociaux. Aucun progrès technique n’échappe à cette loi. Sinon, HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 13 on sombre dans le technicisme. Trois exemples concrets pour illustrer le primat du facteur culturel et social sur la technique. Ce n’est pas l’invention de l’imprimerie qui rend possible la Réforme, mais le fait que le mouvement antérieur de critique du catholicisme trouvera dans l’imprimerie le moyen de populariser ses idées. De même, pour la radio et la télévision. La révolution des médias de masse n’a cette ampleur que parce qu’elle rencontre un mouvement politique préalable, celui de la lutte pour la démocratie et le suffrage universel. Quant à Internet, la situation est inédite car il n’y a pas eu antérieurement ou simultanément un projet social, culturel ou politique qui lui donne sens. Internet renforce deux dimensions essentielles de nos sociétés, l’accès à l’information et à l’individualisme, qui sont déjà dans l’ordre de la réalité. Internet, pour le moment, est plutôt le symétrique des 13 27/07/10 16:28 Dominique Wolton médias de masse, ceux-ci renforçant la problématique collective, Internet la problématique individualiste. Mais les deux appartiennent au même paradigme, celui de la société individualiste de masse où s’opposent les deux valeurs contradictoires de notre modèle social et politique. Pour Internet, c’est donc à l’émergence d’une autre problématique sociale qu’il faut être attentif, et qui lui donnerait son sens. En un mot, Internet attend un projet politique. Même si celui-ci ne réduirait en rien l’importance d’Internet qui renforce la dimension individualiste de la communication avec ses avantages et inconvénients en contrepoint de la dimension collective qui s’est développée depuis le début du XXe siècle. Le deuxième préalable est un constat : tout le monde est en faveur de l’accès libre à l’information, à la science ou à la culture, depuis deux siècles. Qui peut être contre ? Et le progrès technique permet justement cet accès généralisé à la science et le facilite considérablement ; mais le problème vient du fait que l’accès à l’information, en général, n’est pas seulement un problème technique, ni de libéralisme. La technique est toujours plus simple que la société, car cet accès « libre » se fait sur fond de concurrence effrénée, ou d’une guerre technologique et économique extrêmement dure. Il y a donc une contradiction entre cette concurrence et l’accès libre à l’information, à la science et à des connaissances. Enfin, troisième point, l’accès « universel » aux connaissances suppose deux conditions : d’une part, il faut que les récepteurs aient les capacités cognitives pour les recevoir, les interpréter, les utiliser ; d’autre part, il faut tenir compte des problèmes de diversité culturelle que l’accès libre ne résout pas. On ne comprend pas la même chose selon les pays, les cultures, les modèles éducatifs… Si on rationalise trop les rapports entre science et culture, on nie le fait incontestable de la diversité culturelle. « Et ceci n’a rien à voir avec l’objectivité des sciences. » On ne pense pas de la même manière selon que l’on soit à l’Ouest ou à l’Est, dans 14 Livre-hermes-57.indb 14 un pays chrétien, musulman ou autre, selon les langues, les modèles culturels et d’éducation sans parler des inégalités Nord-Sud qui ne disparaissent pas parce que chacun utilise les mêmes réseaux. Accéder à tout, plus ou moins facilement et gratuitement, ne suffit pas, hélas, à modifier les inégalités de tous ordres. Le village global technique ne crée pas la communication globale. Il est une prouesse technique, non pas une réalité humaine. Il est donc trop simple de dire que la science ouverte contribue à la démocratisation. Certes nous sommes passés à un modèle de société ouverte, et rien ne se refermera jamais : il y aura toujours la mondialisation, les médias, les opinions publiques, les intérêts politiques et économiques liés aux sciences et aux techniques. Mais cela ne crée pas pour autant une mondialisation pacifique ; au contraire. Les scientifiques, par exemple, sont de plus en plus présents dans la société, contestés ou sollicités, en tout cas obligés de sortir de leur isolement, tout en devant préserver leur autonomie. Leur position est beaucoup plus complexe qu’autrefois car ils doivent apprendre à gérer ces dimensions contradictoires. D’autant que la société a changé et n’accepte plus comme acquise l’infaillibilité des scientifiques comme c’était le cas au XIXe siècle. Désormais, les scientifiques doivent composer avec les multiples logiques à l’œuvre dans les espaces publics médiatisés. De même qu’il n’y a pas une science mais des sciences et des techniques dont les modèles de rationalisation sont de plus en plus nombreux et complexes, de même ne peut-on parler de « la société » en soi. Bref, tout se complique et le fait de croire que l’accès direct à la science serait en soi un progrès est insuffisant, voire naïf, car tout cela se fait sur fond de rapport de force, technique et économique, qui n’a rien à voir avec l’idéal de partage et de gratuité qui prévaut a priori dans l’idée de science ouverte. Il peut y avoir simultanément une science ouverte, accessible, et des antagonismes économiques, politiques, ainsi que HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Abondance et gratuité :pourquoi faire et jusqu’où ? l’installation de nouveaux mécanismes de pouvoir. La société de la connaissance qui se dessine n’est ni irénique, ni dépourvue d’antagonismes et de conflits d’intérêts. Le modèle de l’édition scientifique marchande est attaqué par les publications ouvertes. Peut-on se passer d’un secteur marchand et quel serait le prix à payer ? Comment les institutions peuvent-elles arbitrer entre science ouverte et modèle marchand ? Cette utopie, au sens laudatif du terme, de la science ouverte est à la fois une idéologie et une réalité. Une réalité si on pense aux masses d’informations disponibles. Mais aussi une idéologie qui voudrait que l’on puisse se passer des intermédiaires et établir une communication « directe » entre le producteur de connaissances et les usagers. Or, il n’y a pas de connaissances sans professions intermédiaires, sans professeurs, journalistes, bibliothécaires, documentalistes, éditeurs… Il faut nécessairement des professions qui médiatisent la connaissance. On ne pourra jamais se passer d’elles. Sauf à succomber à l’illusion et à l’idéologie de l’usager en direct et tout puissant. On peut être « tout puissant » face à l’information-service, mais pas pour l’information-politique ni pour l’information-connaissance. En outre, il faut répondre à la question « qui va payer ? ». Ce qui nécessite de réfléchir aux nouveaux modèles économiques possibles, qui permettront de rémunérer les trois parties : les auteurs, les intermédiaires et les institutions. Les institutions académiques doivent réfléchir, de leur côté, à leur rôle. Pour le moment, il y a une véritable confusion entre les émetteurs, les distributeurs et les intermédiaires… Les institutions universitaires se plient aux conditions qui leur sont faites par les éditeurs ; elles ne développent guère de pensée critique sur le statut de la technique ; elles se laissent piloter par le progrès technique. Elles pensent qu’il n’y a qu’un chemin possible, à partir des nouveaux systèmes techniques. C’est ce HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 15 paradigme-là qui est faux. Avec une soumission au modèle anglo-saxon. Pourtant le monde académique est par ailleurs le premier à défendre l’importance du pluralisme de l’information, de la culture, des connaissances, mais simultanément et paradoxalement cette rationalisation et standardisation préjudiciables à tous, mais non dénoncées. On ne rêve pas, ne parle pas, ne crée pas de la même manière partout dans le monde ! Y compris pour les sciences et les techniques. Et c’est la responsabilité des chercheurs en tant que producteurs de connaissances que de réfléchir au statut des industries de la connaissance, aux conditions d’ouverture de la science, à la place centrale de la guerre économique dans les sciences et techniques, au maintien de l’indispensable pluralisme de toutes les formes de cultures, à ce qui relève de l’universel, de la connaissance et à ce qui renvoie aux rapports de force cognitifs. Le point de lecture de cette mutation ? La transformation radicale de la question des controverses. Avant, il y avait des controverses entre scientifiques mais elles ne concernaient que peu de personnes. L’espace public ouvert les rend plus visibles, mais ne les rend pas plus lisibles. En plus, et ceci est nouveau, leur échelle devient mondiale avec des controverses qui peuvent impliquer plusieurs points de vue scientifique – comme on le voit pour les OGM, le climat, les nanotechnologies… – et mobiliser également les opinions publiques et les médias, sans parler des dimensions économiques presque omniprésentes. La mondialisation devient à la fois une ouverture, un espace public complexe et un nouveau théâtre de rapports de force. Il suffit aussi de voir la montée en puissance de toutes les sortes d’expertises, qui ont pour vocation d’arbitrer ce jeu de rapports de force de plus en plus nombreux et contradictoires, pour comprendre la complexité croissante des rapports entre science, technique et société. En outre, la science ouverte ne supprime pas les hiérarchies internes au monde de la science ; elle peut les rendre plus visibles, 15 27/07/10 16:28 Dominique Wolton avec par exemple la présence croissante des opinions publiques et des médias sans pour autant les modifier. Il faut donc que les universitaires et les chercheurs acceptent d’exercer leur esprit critique sur les forces et limites de cette fantastique ouverture scientifique, et il faut rappeler que tout est plus complexe que la facilité de diffusion permise par les systèmes techniques. Ceux qui sont favorables à « l’ouverture » ne sont pas nécessairement du côté du « progrès » et ceux qui s’y opposent des « réactionnaires ». Cette opposition n’est pas pertinente et les institutions scientifiques doivent rompre avec une telle approche. Comment aborder alors ces transformations ? Il faut que nous repensions à la racine la question de la production des savoirs, de leur diffusion, de leur réception… Il manque des théories de la communication sur le chemin de la connaissance. L’attitude critique qu’ont suscitée la radio et la télévision n’a pas son équivalent face à Internet. Ici, au contraire, tout a été idyllique, avec la vision d’un usage libre, intelligent, honnête, altruiste… Tout est noir avec les médias de masse et rose avec l’ordinateur. L’extension des équipements et des usages a en outre été tellement rapide, tellement séduisante, tellement généralisée (même si ce n’est, il faut toujours le rappeler, qu’à une partie minoritaire de la population mondiale) que cela a empêché le développement d’une pensée critique. Les médias de masse étaient naturellement critiqués au nom d’une prétendue passivité ; l’ordinateur loué au nom d’une prétendue intelligence. Peut-être parce que ces techniques portent sur « l’esprit », donnant le sentiment d’une toute puissance et l’idée d’une nouvelle liberté. Bref, le volume d’informations traitées et la vitesse des interactions ont donné le sentiment de créer des ruptures radicales, même si les systèmes d’information n’ont jamais donné naissance à des découvertes, forcément à des connaissances. Le rapport information/communication/culture reste 16 Livre-hermes-57.indb 16 toujours aussi compliqué. Critiquer la science ouverte, et plus généralement Internet, semble vouloir dire s’opposer au « progrès » et devenir synonyme de « défense d’intérêts acquis », contre l’ouverture démocratique et égalitaire… Il est difficile de s’opposer à la vulgate commune. On retrouve d’ailleurs à chaque nouvelle technologie la même utopie d’un changement radical futur de la société. Pourtant, si depuis cent ans le progrès technique dans les technologies de communication est considérable, est-ce pour autant que les hommes se comprennent et se tolèrent mieux ? Il y a hélas peu de rapport entre le progrès scientifique et technique, indéniable dans le domaine de l’information et de la communication, et le « progrès » des hommes vers plus de compréhension. Le monde est un village global technique, mais cela ne suffit pas à changer la société, ni à réduire les conflits et les inégalités… C’est notamment la responsabilité du monde académique que de penser ces ruptures, progrès et contradictions. Le CNRS, comme l’Université et les grands organismes de recherche n’ont pas de position claire et originale sur ces questions. C’est plutôt « comment s’adapter » que réfléchir par rapport à ce qui nous intéresse par ailleurs. Le monde académique, comme les journalistes d’ailleurs, est composé en majorité de professionnels individualistes qui réfléchissent difficilement, collectivement à leurs conditions de production. Pour penser les forces et les limites d’Internet en matière de production scientifique, il faudrait aussi avoir une culture de la communication. Or, c’est un sujet que le milieu académique a, depuis plus de trente ans, refusé de penser. On a pensé un peu la mutation du statut de l’information, on n’a pas pensé du tout la question de la communication, pourtant beaucoup plus complexe car elle pose la question de la relation, donc de l’altérité. Il y a un manque considérable de réflexion épistémologique et de comparatisme. L’accès ouvert, libre, n’est pas synonyme de communication. Celle-ci est un HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Abondance et gratuité :pourquoi faire et jusqu’où ? phénomène complexe avec la rencontre de trois logiques : l’émetteur, le message, le récepteur. La révolution des tuyaux ne suffit pas à changer l’économie de la communication. Surtout s’il y a simultanément de plus en plus de messages, de récepteurs et d’interactions. Faute de réflexion théorique et paradigmatique, et faute d’un travail comparatif, les institutions scientifiques tâtonnent pour finalement se limiter le plus souvent à la seule réflexion sur les « usages » et sur la continuité, pour le moins discutable, entre information et communication. Autre problème : on a laissé ces questions aux seules sciences sociales. Or elles ne sont pas les seules à être concernées, loin de là. C’est un enjeu commun qui est partagé par tous les domaines de la connaissance. Pourtant, les sciences formelles, de la nature, de la vie, de la matière se défaussent volontiers de cette réflexion indispensable sur les sciences de l’homme et de la société, qui elles non plus, hélas, n’ont pas beaucoup réfléchi à ce nouveau paradigme, si ce n’est pour le critiquer la plupart du temps, ou en tout cas sans y accorder beaucoup d’intérêt théorique. La communication ? La plupart du temps, celle-ci est considérée comme une caricature réduite à la « com ». Les sciences sociales ont d’ailleurs parfois considéré, à tort, qu’elles avaient une compétence « naturelle » pour penser ces questions, sans pour autant fournir l’attention théorique et épistémologique nécessaire. En réalité, face à ces nouveaux enjeux théoriques, personne n’a de compétence d’expertise a priori, et surtout il n’y a pas eu de travail en commun. Résultat, c’est souvent le technicisme qui l’a emporté, dans sa double face, critique ou laudative. Bref, la mobilisation des scientifiques a été généralement insuffisante. Le monde académique, finalement fasciné lui aussi par la technique, a laissé de côté cette réflexion critique épistémologique indispensable sur les rapports entre information, connaissance et communication. Il a même abandonné un certain nombre de ses valeurs – il ne HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 17 les hiérarchise plus – et il a même renoncé à certaines prérogatives, comme sur les questions de propriété intellectuelle. Pour proposer des modèles de réflexion valables, concernant le statut de la science ouverte, le monde académique doit revenir à ses caractéristiques propres, ne pas accepter le rythme effréné des systèmes d’information, réfléchir enfin sur les enjeux théoriques de l’information et de la communication, admettre qu’il faut du temps, faire le tri, faire du comparatisme, produire des connaissances et rappeler que l’érudition est aussi indispensable que la course à la vitesse technique. La science est de plus en plus anglophone. Ces formes de science ouverte pourraient-elles être une chance pour les autres langues, pour la francophonie ? Ou contribueront-elles au contraire à asseoir la position dominante de l’anglais ? Là encore, le monde académique n’a pas assez pensé cette mutation. Il s’est désintéressé en particulier d’une question déterminante, celle de la traduction. Il n’y a pas de mondialisation possible de l’information, comme de la culture ou de la connaissance, sans traduction. Le monolinguisme est un appauvrissement et ultérieurement une source de conflits : personne ne veut abandonner ses racines linguistiques. Comment imaginer que l’on pourrait réellement se comprendre à partir de ces 500 mots d’anglais d’aéroport, certes indispensables, mais largement insuffisants pour tout échange authentique ! Curieusement, tout le monde défend la diversité culturelle sans défendre sa première condition : la diversité linguistique ! Et quel décalage entre la prise de conscience concernant l’importance de la diversité écologique et l’indifférence polie à l’égard de la diversité culturelle ! Et ce n’est pas l’accès facilité à toutes les informations et connaissances du monde qui résoudra cette question centrale pour la paix et la guerre de demain. 17 27/07/10 16:28 Dominique Wolton Chacun le sait : dans l’histoire, les guerres à caractère culturel (religion, liberté, modèle politique, etc.) sont parmi les plus violentes. Les traductions sont des moyens de « réduire » l’incommunication, en tout cas de la penser et de ne pas la sous-estimer. C’est pourquoi nous venons de publier en deux ans deux numéros d’Hermès sur le thème « Traduction et mondialisation » comme pour tirer la sonnette d’alarme. Nous sommes devant un nouveau défi : défendre le modèle universaliste de la connaissance, mais cet universalisme doit être aujourd’hui repensé à l’aune des identités culturelles et de la question des langues. La traduction des publications, notamment scientifiques, est le prix à payer pour que la mondialisation puisse être filtrée et appropriée par les cultures régionales. Le problème n’est pas seulement celui de l’anglais, mais plutôt celui de l’illusion selon laquelle avec 300 ou 500 mots (en anglais ou dans tout autre langue), on pourrait se comprendre. C’est un peu le défaut des scientifiques que de croire que leur « conversation courte » suffit. Et pourtant même en physique, mathématique, biologie… il en faut plus ! Dans le domaine de la politique internationale par contre, on sait très bien qu’il faut des traductions et du temps. Pourquoi le monde académique est-il le premier à penser que l’on peut tout faire dans une langue qui n’est pas la sienne ? D’autant que dans tout ce qui concerne les sciences de la communication et de la société, les mots sont aussi des concepts. Publier en anglais ne suffit pas à se faire reconnaître par la communauté anglo-saxonne car il n’y a pas seulement un problème de traduction, mais aussi de cadre culturel, de rapports de force et de concurrence ! La communauté scientifique mondiale n’est pas non plus irénique, la compétition et les rapports de force y sont constants. Il suffit de voir la guerre des prix Nobel. Croire qu’utiliser la langue dominante suffit pour être à égalité, ou pour prendre un avantage par rapport à ces concurrents restés nationaux serait malheureuse- 18 Livre-hermes-57.indb 18 ment naïf. La traduction est le passeport pour aller vers l’autre. Bien sûr, cela coûte cher, en argent et aussi en temps. Mais on ne va pas gagner en efficacité en supprimant les langues nationales ! Là aussi, c’est faute d’avoir pensé la communication que l’on a pu renoncer aussi facilement à la traduction et au rôle central des langues nationales. Il faut d’ailleurs ouvrir cette question de la langue et penser aux cinq grandes aires linguistiques, espagnole, portugaise, française, russe et arabe, qui sont les plus réparties mais non pas les plus nombreuses sur tous les continents, et qui permettent donc de faire des liens, des petits passages entre les différentes cultures. Si la transmission technique ne prend pas beaucoup de temps, ni d’argent, la réception, par les hommes et les sociétés en prend beaucoup, comme chacun le constate, y compris dans le domaine scientifique… L’incommunication demeure souvent l’horizon malgré les promesses de la communication technique généralisée. Les sciences ouvertes permettraient peut-être que tout soit publié et accessible, mais une journée n’a que 24 heures, la connaissance n’est jamais de l’ordre du tout, et de toute façon le fait de penser et créer consiste justement à sortir de l’abondance et à échapper à l’encombrement des données. Avec l’abondance on perd en profondeur historique, en cognition et souvent en distance critique, là où on gagne en volume et vitesse. En outre, la « loi » de Google qui veut que l’intérêt aille aux documents les plus consultés n’a pas nécessairement de sens dans les domaines de la science et de la culture. Il faut bien sûr voir aussi les aspects positifs de cette multiplication des savoirs ouverts. Cette navigation non totalement maîtrisée, un peu aléatoire, ouvre aussi sur de l’inattendu, sur des associations d’idées involontaires et de nouvelles créations. On pense aussi, et souvent, à partir de rencontres imprévues, et les systèmes d’information sont incontestablement un atout pour accélérer cette « connaissance aléatoire ». HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Abondance et gratuité :pourquoi faire et jusqu’où ? Autrement dit, il faut arriver à penser ensemble deux logiques complémentaires et contradictoires. Les systèmes d’information sont un moyen supplémentaire d’ouverture, de circulation et d’accès aux savoirs favorisant incontestablement l’ouverture d’esprit et la création. D’autre part, et contradictoirement, ces merveilleuses techniques ne suffisent pas malgré leur performance à assurer une communication généralisée. Personne ne veut tout penser HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 19 et tout savoir, et cette abondance première dans l’histoire de l’humanité ne suffit pas à assurer des progrès dans la communication. Autrement dit, oui à toutes les innovations et les inventions qui permettent de bousculer les droits acquis et les frontières de tous ordres. Non à l’idée de croire que le progrès technique dans l’information et la communication permettait de créer un monde plus « intelligent » et tolérant, et moins inégalitaire. 19 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 20 27/07/10 16:28 I. SCIENCES EN RÉSEAU, PRODUCTION ET CIRCULATION DES CONNAISSANCES Pierre Mounier Enoch Peserico Francesca Musiani Dominique Vinck Christian Zimmermann Samuel Alizon Guylaine Beaudry Stephan Foldes Lorna Heaton Florence Millerand Serge Proulx Lionel Barbe Livre-hermes-57.indb 21 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 22 27/07/10 16:28 Pierre Mounier Centre pour l’ édition électronique ouverte, EHESS OPEN ACCESS : ENTRE IDÉAL ET NÉCESSITÉ Depuis ses débuts, la question du libre accès aux publications scientifiques, et plus largement aux résultats de la recherche fait l’objet de débats passionnés au sein de la communauté scientifique. La présence au cœur de ce débat de figures militantes comme Stevan Harnad (Okerson et O’Donnell, 1995), Jean-Claude Guédon, Harold Varmus (Brown, Heisen et Varmus, 2003), la succession dans le temps de manifestes-pétitions comme la déclaration de Budapest (Budapest Open Access Initiative) en 20011, la lettre ouverte des chercheurs appelant à la constitution d’une Public Library of Science2, la déclaration de Bethesda en 20033 puis celle de Berlin la même année4, en constituent les repères les plus marquants. Plus récemment, cette question s’est trouvée connectée et incluse comme un cas particulier du plus large débat qui traite du statut des biens informationnels comme biens communs. Ainsi Philippe Aigrain établit dans son ouvrage Cause Commune une relation entre l’Open Access et les débats sur les logiciels libres, mais aussi avec les brevets sur les médicaments HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 23 ou encore le piratage musical. Pour lui, la question qui conditionne la possibilité de cet élargissement du débat est en réalité celle de l’extension à la propriété intellectuelle des accords commerciaux internationaux menés au sein de l’OMC au milieu des années 1990 (accords ADPIC) [Aigrain, 2005, p. 161]. Pour Paul Davis (2009), les arguments avancés en faveur du libre accès, surtout lorsqu’ils font l’objet de comptes-rendus dans la presse, se positionnent très souvent sur un plan moral et politique. Dans les assemblées scientifiques, ce sont plus souvent des considérations professionnelles, liées aux besoins de communication de la recherche qui sont avancées. Placée sous l’égide de l’Open Society Foundation dirigée par Georges Soros, la conférence de Budapest en particulier, et la déclaration du même nom à laquelle elle aboutit, constitue un exemple abouti de jonction entre les intérêts professionnels des chercheurs et un programme politique libéral promouvant la libre circulation des idées et de l’information. La présence d’une dimension 23 27/07/10 16:28 Pierre Mounier politique et philosophique dans les prises de position des différents acteurs est pourtant loin d’être uniforme. C’est dans les sciences du vivant et en médecine qu’on les retrouve exprimées de la manière la plus claire, en raison en particulier des problématiques éthiques qui imprègnent fortement les activités liées à la santé. Très présentes dans les sciences du vivant, ces motivations n’ont pourtant pas toujours la même importance dans d’autres disciplines. D’autres rationalités, de nature socio-technique ou économique par exemple, peuvent être à la source d’initiatives de publication en accès libre. Et dans le travail de reconstitution des logiques de développement de l’Open Access, sans doute faudrait-il réévaluer le rôle que joue le passage du système de publication scientifique de l’imprimé au numérique en réseau. Lorsqu’on tente en effet de reconstituer les séquences historiques par lesquelles le secteur des publications scientifiques passe, au moment du déploiement de la problématique du libre accès, on est frappé de la concomitance entre plusieurs facteurs de causalité potentielle non reliés entre eux. Les facteurs ayant conduit à ce que l’Association américaine des bibliothèques de recherche (ARL) a qualifié de serials crisis5 ont été bien identifiés : il s’agit, pour l’essentiel, de la constitution d’une logique de « portefeuilles de revues » par les éditeurs de littérature scientifique qui fait suite aux fortes concentrations financières qu’a connu ce secteur à partir des années 1990 (McCabe 2004), avec la constitution d’un marché « inélastique » du fait d’un mésusage par les acteurs scientifiques (chercheurs, bibliothécaires et institutions de recherche) de systèmes bibliométriques comme le Science Citation Index proposé par l’ISI (Guédon 2001). La crise de la communication scientifique ainsi déclenchée conduit alors ces acteurs à trouver des solutions. La publication exclusivement numérique et sur Internet des résultats de la recherche, que ce soit par le biais des « archives ouvertes » (primitivement 24 Livre-hermes-57.indb 24 appelées e-print servers) ou de revues électroniques en libre accès, apparaît alors comme une planche de salut possible. Autrement dit, dans cette séquence temporelle, le passage au numérique arrive en bout de chaîne : il est une modalité technique de la réponse que chercheurs et bibliothèques tentent d’apporter à la crise des périodiques scientifiques. Or, et c’est la thèse qui est proposée ici, il est sans doute possible de considérer le passage au numérique du système de publication scientifique comme une cause, une incitation directe en faveur du libre accès, indépendamment même de la crise du prix des périodiques scientifiques. Deux approches différentes du phénomène permettent de le montrer : sur un plan socio-technique d’abord, économique ensuite. Archives ouvertes et accès ouvert Souvent évoquées ensemble, les questions du libre accès et des archives ouvertes sont quelquefois confondues. C’est bien sûr une erreur factuelle dans la mesure où, par exemple, le protocole OAI-PMH proposé lors de la Convention de Santa Fé en 1999 et qui donne une réalité technique à la notion d’archive ouverte, n’implique pas nécessairement de libre accès aux publications qui se trouvent hébergées dans ces archives6. Ce qui est open dans le cas de l’OAI-PMH, ce sont en réalité les métadonnées et non le texte intégral des publications auxquelles elles renvoient. Protocole d’interopérabilité à faible coût d’acquisition (low barrier selon les termes de ses promoteurs – Lagoze et Van den Sompel, 2001), OAI-PMH sert les objectifs de dissémination des contenus numériques de ses promoteurs par la libre circulation des métadonnées d’abord. C’est la raison pour laquelle il a connu depuis lors une adoption très large, et bien au-delà des seules archives HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Open access : entre idéal et nécessité ouvertes, à tout le domaine de l’interopérabilité dans le secteur de l’information scientifique. Aujourd’hui, la plupart des plates-formes de revues scientifiques, quelle que soit leur position par rapport au libre accès, utilisent ce protocole pour être « moissonnées », ie indexées par les moteurs de recherche scientifique : Oaister7 par exemple, mais aussi Google Scholar, du moins jusqu’en 20088, ou des répertoires de revues comme le DOAJ9. En sciences humaines et sociales, le prochain moteur de recherche Isidore qui donnera un accès unifié à l’ensemble des données disponibles s’appuie sur ce protocole pour indexer les entrepôts de données10. Le développement des archives ouvertes et même du protocole OAI-PMH n’est pour autant pas totalement déconnecté de la question de l’accès ouvert. Le modèle archétypal sur lequel les archives ouvertes – dont on rappelle ici la définition comme dépôts ouverts où les chercheurs archivent leurs articles – se sont développées est ArXiv, archive de physique des hautes énergies créée par Paul Ginsparg en 1991 au National Laboratory de Los Alamos. Ce fonds d’archives, qui s’est développé depuis lors dans un certain nombre de disciplines connexes (mathématiques, autres domaines des sciences physiques et astronomie) et fait désormais l’objet d’un soutien de plusieurs institutions scientifiques de premier plan, n’avait pas eu pour objectif de répondre à la « crise des périodiques scientifiques » selon les explications que Ginsparg a lui-même apportées dans un article célèbre (Ginsparg 1994). Il étendait en fait, avec des moyens nouveaux, une pratique de communication scientifique propre à la communauté disciplinaire à laquelle appartient Ginsparg. Cette tradition est celle d’une communication désintermédiée entre chercheurs sur la base de premières versions ou de projets de publications (pre-prints). Dans cet article, Ginsparg explique bien comment la création d’ArXiv est la continuation par d’autres moyens d’une pratique ancienne de reproduction des pre-prints par HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 25 photocopie et distribution par envoi postal. La création de l’archive est alors considérée comme une amélioration technique permettant de développer ces pratiques de communication de manière plus efficace. Elle joue donc un double rôle : l’accès instantané de toute la communauté scientifique aux derniers résultats de recherche (c’est donc la vitesse qui joue ici), mais aussi la possibilité pour l’auteur de voir son article examiné et corrigé avant publication. L’archive joue donc bien un rôle de vecteur de circulation de l’information scientifique et en même temps de lieu où s’exerce l’évaluation par les pairs. Il lui manque une dernière fonction qui subsiste dans les revues scientifiques classiques : la validation, ou, comme le dit Jean-Claude Guédon, le bureau d’enregistrement des découvertes. En effet, alors que l’évaluation par les pairs est ouverte (open peer reviewing) dans le cas d’une archive ouverte, ce qui en assure la rapidité et l’efficacité, elle est au contraire organisée et contrôlée dans le cas des revues, ce qui permet une validation et une certification des publications. Dans ce cas, la complémentarité entre archive ouverte (en libre accès) et revue scientifique (en accès restreint) est fonctionnelle avec une répartition des rôles entre les deux lieux de publication. C’est à peu près la même logique qui a présidé à la création de Repec en 1996, dans la continuité de Wopec, créé six ans plus tôt. Comme l’explique bien Thomas Krichel (2000), son fondateur, le service qu’il commença à développer à partir de 1990 se situait dans la continuité d’échanges traditionnels entre bibliothèques universitaires portant sur les working papers des économistes. Ici encore, cette initiative ne se positionne pas contre le système traditionnel de revues publiées par les éditeurs commerciaux de littérature scientifique ou avec pour objectif de le remplacer, mais en complémentarité avec lui. Pour les économistes comme pour les physiciens, les revues ne jouent plus depuis longtemps le rôle de vecteur de l’information scientifique qu’elles 25 27/07/10 16:28 Pierre Mounier ont pu remplir dans le passé. Des réseaux d’échanges informels et décentralisés entre chercheurs au sein de communautés spécialisées ont profité de la démocratisation des moyens de communication pour se développer et remplir à leur tour ces fonctions beaucoup plus efficacement que le système traditionnel de publication en revues. Pour autant, ces dernières n’ont pas fini de jouer leur rôle dans le système scientifique, en se repliant quasi exclusivement sur la fonction de validation et certification de la publication. À cette première étape du raisonnement, on peut donc dessiner un paysage pour la question du libre accès légèrement plus complexe que ce que donne à voir une approche exclusivement centrée sur les dimensions politiques et éthiques du sujet. De fait, le développement des archives ouvertes peuplées de pre-prints et de working papers s’est plutôt effectué autour des questions de rapidité d’accès à l’information scientifique, parfois avec des pratiques d’open peer review et ne constitue pas l’opposition frontale au système traditionnel de publication des revues que l’on pouvait attendre. Aux unes la nouveauté, la rapidité et l’échange communautaire – et la récente évolution d’ArXiv qui recense désormais les billets de blogs commentant les articles en est un beau témoignage –, aux autres la validation de l’information, mais aussi la certification, et finalement l’évaluation de l’activité scientifique des chercheurs. En réalité, la situation est évidemment beaucoup plus confuse et diverse, en particulier aux yeux des acteurs eux-mêmes : tout à leurs objectifs de vente aux bibliothèques de recherche de services performants d’information scientifique, les éditeurs de littérature scientifique ne ménagent pas leurs efforts sur la rapidité de l’accès à l’information. Ainsi l’éditeur Elsevier propose-t-il aujourd’hui dans certaines de ses formules d’abonnement un accès direct aux articles en cours d’évaluation dans les revues. Certains comme le groupe Nature ont d’ailleurs expérimenté, avec des fortunes 26 Livre-hermes-57.indb 26 diverses, la mise en open peer review de certains articles11. Du côté des promoteurs des archives ouvertes, les hésitations sont aussi nombreuses sur les filtres à mettre en place : ces archives ouvertes, surtout lorsqu’elles sont institutionnelles, c’est-à-dire adossées à une institution de recherche qui y place une partie de son crédit scientifique, doivent-elles recevoir toutes les contributions ? Faut-il instaurer un principe de modération et sur quelles bases ? Faut-il se contenter des working papers ou chercher à obtenir aussi les versions définitives des articles, malgré les politiques très diverses des éditeurs sur ce sujet ? Les lois d’airain de l’économie de l’attention On a vu que la question du libre accès aux publications scientifiques pouvait être analysée de deux manières : d’un point de vue politique comme la motivation de l’activité de recherche par la poursuite d’idéaux tels que l’avancement des connaissances et leur partage au niveau mondial ; d’un point de vue socio-technique comme la continuation des pratiques de communication scientifique par d’autres moyens. Une troisième voie d’analyse s’ouvre maintenant : aborder la question sous l’angle économique. Il est en effet possible d’analyser aussi bien la crise du prix des périodiques scientifiques que le mouvement pour le libre accès comme deux conséquences, deux modes opposés de régulation d’un même phénomène : la destruction brutale de l’équilibre entre offre et demande sur le marché des connaissances scientifiques. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, un observateur aussi bien placé que pouvait l’être l’organisateur de l’effort scientifique de guerre aux États-Unis, Vanevar HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Open access : entre idéal et nécessité Bush, exprimait ce déséquilibre dans son célèbre article « As we May Think » (1945). Depuis lors, une augmentation considérable des résultats produits par les investissements en recherche et développement dans la plupart des pays industrialisés a été constatée et mesurée par de nombreux auteurs, dépassant les capacités de consultation d’un quelconque chercheur. Cette surabondance de l’offre par rapport à la demande sur des marchés de biens informationnels a été caractérisée par plusieurs économistes comme relevant de ce qu’ils ont pu qualifier d’« économie de l’attention » (Simon 1971). L’information n’étant plus rare mais surabondante par rapport au nombre de ceux qui se trouvent en capacité de la consommer, ce sont donc ces derniers (c’est-à-dire la demande) qui deviennent excessivement rares. Dans une telle situation, deux modes de régulation, parfaitement opposés, peuvent être mis en œuvre. D’un côté, il est possible de reconstituer artificiellement de la rareté en mettant en place des labellisations discriminantes qui concentrent la valeur sur une partie minoritaire de l’offre et retirent toute valeur à ce qui en est exclu. Ce n’était pas le but du Science Citation Index mis en place sous l’impulsion, puis dans la lignée de Eugene Garfield dans les années 1960 (Garfield 1983, p. 6-19) pour d’autres fins, mais c’est le résultat effectif auquel il est arrivé. La notion de core journal, le système du Science Citation Index, les mesures de taux d’impact ont pour résultat, sinon pour finalité, de définir un corpus clos d’un nombre limité de revues « de référence » pour une discipline donnée. Cette évolution, efficace d’un certain point de vue, crée cependant un goulet d’étranglement au niveau de la publication. S’il peut satisfaire – et c’est ce à quoi il est destiné – les chercheurs en tant que lecteurs, qui disposent ainsi d’un corpus sélectionné et pertinent, il est aussi très contraignant pour ces mêmes chercheurs qui, recrutés en nombre exponentiel en particulier dans les années 1960, éprouvent des difficultés grandissantes HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 27 à publier dans les revues labellisées – les seules qui soient reconnues par les institutions de recherche. Autrement dit, le déséquilibre entre offre et demande, résolu pour la lecture, est désormais déplacé au niveau de la publication. Ce mode de régulation d’un marché soumis aux pressions de l’économie de l’attention, qui peut être qualifié de régulation « en amont », ne fait en réalité que déplacer le problème. Il existe un autre mode de régulation, cette fois-ci « en aval », qui consiste à ne pas contrarier la pression de l’offre. Les moyens de publication numérique qui ont la propriété, on l’a dit, de baisser le prix d’accès à la publication, et qui se caractérisent aussi par des coûts marginaux de copies très faibles voire à peu près nuls, permettent de mettre en œuvre cette politique : cette fois, ce ne sont plus seulement des archives ouvertes qui se développent, mais aussi des revues électroniques qui se multiplient. Le déséquilibre est alors maintenu ou reporté sur le marché de la lecture d’articles scientifiques, désormais produits en trop grande quantité pour être tous lus. Dans ce contexte, on comprend bien que toute barrière d’accès au texte intégral de l’article devient insoutenable. Les publications scientifiques connaissent le même phénomène que celui qui frappe les médias d’information généralistes : ils doivent être (d’accès) gratuits pour avoir une chance d’être lus. L’Open Access n’est plus un but politique ni une commodité socio-technique, mais il est devenu une nécessité économique. Il s’agit d’un facteur très classique qui touche transversalement les mécanismes de distribution des biens informationnels sur Internet : la régulation sur l’usage de ces biens se fait a posteriori, par la mise à disposition d’outils performants de recherche d’information comme des moteurs fédérés permettant aux lecteurs de retrouver uniquement ce qu’ils cherchent en écartant tout bruit parasite (Chantepie, 2008, p. 500). Dans ce cadre, le protocole OAI-PMH prend tout son sens comme brique technologique indispen- 27 27/07/10 16:28 Pierre Mounier sable au moissonnage d’un grand nombre de sources d’information éparpillées, interrogeables grâce à lui, via une interface unique. Entre, d’un côté, le système régulé par l’amont, et de l’autre la publication ouverte, il y a bien une alternative, car les deux propositions sont fondamentalement opposées dans leur principe et leur mode de mise en œuvre. C’est le cas en particulier des modèles d’affaires qu’ils impliquent. Le système traditionnel de publication, maintenant une rareté artificielle de l’offre, continue à se développer sur la base d’un accès tarifé aux publications : c’est l’abonnement et le modèle classique des lecteurs-payeurs. D’un autre côté, le modèle du libre accès ne fait pas disparaître les coûts comme par enchantement. Ils ne peuvent être pris en charge par le lecteur et sont reportés sur les auteurs. C’est le modèle que propose Plos, facturant près de 3000 $ la publication d’un article dans l’une de ses revues12. La prise en charge des coûts de publication peut être collectivisée ou individualisée, selon le modèle économique adopté. Les plates-formes de revues de sciences humaines françaises – Cairn, Persée et Revues. org par exemple – ne facturent pas la publication des articles aux revues qui ne les facturent pas à leur tour aux auteurs. Les coûts existent, ils sont importants comme pour toute publication scientifique, mais ils sont mutualisés entre les différents organismes de recherche et d’enseignement supérieur concernés. Que l’on soit dans un cas ou dans l’autre, l’intérêt du modèle d’accès ouvert est qu’il ne crée pas de goulet d’étranglement : le nombre de publications possibles dépend des capacités financières des institutions de recherche et le phénomène de rareté artificielle des lieux de publication est moindre. Par ailleurs, le phénomène d’économie de l’attention provoqué par la rareté relative des lecteurs est régulé en aval par l’utilisation d’outils de recherche fédérés et de protocoles d’interopérabilité 28 Livre-hermes-57.indb 28 permettant aux chercheurs de trier l’information dont ils ont besoin. Les deux modèles sont opposés donc, et sans doute relativement rétifs à l’hybridation. On peut être assez sceptique sur les initiatives qui, des deux côtés, tentent d’expérimenter l’introduction de la logique économique adverse au sein de leur propre modèle d’affaire. Ainsi, les modèles Open Choice adoptés maintenant par la plupart des éditeurs commerciaux et qui permettent à un auteur de diffuser son article en libre accès au sein d’une revue qui pour sa part ne l’est pas resteront sans doute limités du fait d’un manque de cohérence en réalité préjudiciable aux niveaux économiques et techniques. De l’autre côté, les systèmes de « barrière mobile » qui affectent les publications en libre accès partiel, surtout pour protéger leur diffusion papier lorsqu’elle existe, ne dépasseront peut-être pas la période de transition pour laquelle ils ont été conçus. Conclusion On constatera que le débat sur l’Open Access vu sous cet angle se rapproche fortement de tous ceux qui affectent aujourd’hui les biens informationnels et culturels dans les réseaux numériques. De la même manière que les publications scientifiques, la musique, la presse, le livre même sont au centre d’interrogations relatives à ce qu’on appelle désormais l’« économie du gratuit » (Anderson, 2009). Dans le domaine des publications scientifiques comme des autres biens informationnels, tout indique donc que le modèle de l’accès ouvert peut perdurer et se développer : au-delà des considérations morales et politiques qui sont souvent invoquées à l’appui de ce modèle, au-delà des intérêts professionnels des chercheurs eux-mêmes, les conditions technologiques et économiques de circulation de l’information dans les réseaux numériques le soutiennent fortement. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Open access : entre idéal et nécessité Mais rien n’indique par ailleurs qu’il doive remplacer le système classique de publication scientifique. On voit désormais très clairement l’élément central sur lequel celui-ci s’appuie, qui justifie son existence : il s’agit tout à la fois de la certification de la production de connaissances scientifiques, et en même temps – et c’est lié –, du contrôle de l’activité de publication ; autrement dit, de l’évaluation de l’activité scientifique. NOTES 1. Voir <http://www.soros.org/openaccess/read.shtml>. 7. 2. Voir <http://www.plos.org/support/openletter.shtml>. 8. Voir <http://googlewebmastercentral.blogspot.com/2008/ 04/retiring-support-for-oai-pmh-in.html>. 3. Voir <http://www.earlham.edu/~peters/fos/bethesda. htm>. 4. Voir <http://oa.mpg.de/openaccess-berlin/berlindeclaration. html>. 5. Voir <http://www.arl.org/bm~doc/arlbr249serials. pdf>. 6. Voir <http://www.openarchives.org/OAI/openarchivesprotocol.html>. Voir <http://www.oaister.org>. 9. Voir <http://www.doaj.org>. 10. Voir <http://www.tge-adonis.fr/?lancement-de-la-premierephase-de>. 11. Voir <http://www.nature.com/nature/peerreview/debate/ nature05535.html>. 12. Voir <http://www.plos.org/journals/pubfees.html>. R ÉFÉR ENCES BIBLIOGR APHIQUES A IGRAIN, P., Cause commune : l’information entre bien commun et propriété, Fayard, 2005. GARFIELD, E., Citation Indexing : its Theory and Application in Science, Technology and Humanities, Philadelphie, ISI Press, 1983. 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Les collections de données sont l’instrument qui permet la réalisation de tests reproductibles mesurant l’efficacité d’un nouvel algorithme, d’un programme ou d’un système. Il s’agit par exemple de snapshot de réseaux sociaux (la photographie, à un moment précis, de l’état d’une base de données), du journal de fonctionnement d’un système, de traces d’exécution des programmes. Construire une collection de données est généralement compliqué et/ou coûteux, et il convient d’investir une seule fois dans l’effort de créer une base commune. Si la collection est ouverte, elle permet ensuite un accès plus facile au domaine de recherche concerné – et cela HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 31 entraîne, pour les créateurs de la collection, un nombre plus important de citations ! La littérature est peut-être l’aspect où les pratiques de science ouverte sont les plus présentes en informatique. Il est maintenant de coutume d’avoir une page Web personnelle avec ses publications : le coût de maintien de ces portails est très faible, et la pression des utilisateurs a joué un rôle essentiel pour convaincre même les plus récalcitrants des éditeurs d’autoriser cette forme d’autopublication des textes. Il y a encore relativement peu de revues en accès totalement libre, mais on observe une tendance croissante à utiliser des archives pre-print comme ArXiv1, car publier un article au moyen de ces outils n’empêche pas une publication ultérieure dans des actes de conférence ou dans une revue ; qui plus est, cette publication ultérieure n’entraînera pas la suppression de l’archive ouverte. Pour l’instant, il est plutôt rare en informatique de publier une contribution uniquement dans une archive ouverte. Mais pour que la contribution soit acceptée et publiée dans un livre ou une revue, les délais sont beaucoup plus longs. 31 27/07/10 16:28 Francesca Musiani et Enoch Peserico L’avantage de l’archive ouverte est donc de faire rapidement connaître les sujets sur lesquels on est en train de travailler, ainsi que les résultats obtenus au fil de la recherche ? Oui, cela permet de rendre disponible de façon instantanée un résultat pendant la longue procédure de révision par les pairs : pas seulement afin d’établir une antériorité, mais aussi pour rendre la plus efficace possible la diffusion des résultats – ce qui est, après tout, la première motivation pour publier ! Les archives ouvertes fournissent ainsi une possibilité d’accès immédiat, elles suppriment certaines contraintes (par exemple concernant le nombre de mots ou de pages), et éliminent la nécessité de recherches multiples sur un même sujet dans les différentes bases de données payantes. En somme, les principaux avantages de l’ouverture sont justement le confort et la rapidité. Cela me fait penser à l’Europe du traité de Schengen par rapport à l’Europe médiévale des taxes, douanes et droits d’entrée. Les implémentations, c’est-à-dire la réalisation de logiciels et parfois de matériel, sont souvent, pour les chercheurs en informatique, la preuve concrète du fonctionnement d’un concept imaginé. Il y en a donc beaucoup dans les milieux universitaires, et elles sont généralement ouvertes. Dans beaucoup de cas non seulement elles fonctionnent bien, mais elles rivalisent avec les meilleurs produits du marché ; elles concernent des projets de dimension très variables : des plus vastes à d’autres réduits et spécifiques, destinés à être incorporés dans d’autres projets. Il faut aussi noter que la définition d’ouverture est différente dans ce cas par rapport aux précédents : un article est ouvert si on peut le lire gratuitement ; un logiciel est ouvert si on peut le lire, le démonter et le reconstruire. 32 Livre-hermes-57.indb 32 Peut-on désormais envisager une science non ouverte ? À titre personnel, ma vie de chercheur n’a pas été beaucoup changée par les pratiques de science ouverte car, en tant que scientifique, je suis né et j’ai grandi avec. Au cours des dix années de mon « histoire scientifique », les concepts et pratiques de la science ouverte ont sûrement évolué, mais en même temps que moi. N’ayant jamais vécu sans science (au moins partiellement) ouverte, je peux seulement imaginer comme les choses se passeraient en son absence. J’ai collaboré avec des secteurs où la disponibilité des données sous forme ouverte est presque nulle. Il y a différentes formules, soit la disponibilité exclusivement payante, soit un échantillon disponible gratuitement avec l’accès à une version plus large de la collection possible en échange d’une contribution, en termes monétaires ou en termes de collaboration au travail. Dans ces cas-là, j’ai constaté qu’il faut beaucoup plus de temps à la fois pour acheter des données, mais aussi pour décider si on les acquiert ou pas. Ce délai n’est pas toujours excessif car la récolte de nombreuses données nécessite de toute façon un effort ad hoc, à partir de questions spécifiques. Mais cela entrave néanmoins le travail ; les phases préliminaires à la recherche – comme prendre l’initiative de « donner un coup d’œil » dans un champ qu’on ne connaît encore pas bien – sont pour le moins inhibées, quand elles ne sont pas carrément rendues impossibles. S’il n’y avait pas de science ouverte en matière de développement des implémentations, cela aurait surtout, me semble-t-il, deux effets. Premièrement, si j’avais besoin d’un logiciel comme outil de recherche, je devrais avoir la disponibilité financière pour l’acheter. Ce qui implique non seulement de trouver les moyens nécessaires (c’est un investissement de taille quand il s’agit de logiciels qui servent d’instruments scientifiques), mais aussi d’avoir moins de liberté de choix : si le logiciel est ouvert, je peux en essayer dix HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 En informatique, impossible d’imaginer une science non ouverte types différents et choisir celui qui s’adapte le mieux à mes besoins. Deuxièmement, si la recherche consiste dans le développement de logiciels, ne pas en avoir d’autres auxquels on se confronte et qui vous aident à apprendre est un désastre. Si le logiciel est ouvert, chacun procède à partir du travail des autres et cela permet l’existence de grands systèmes qui n’existeraient pas autrement. Il est donc fondamental que les bases de cette construction soient librement accessibles. Pour ce qui est des logiciels, l’ouverture paraît donc presque congénitale au développement même de la science. Et pour ce qui est de la littérature ? Sans archives ouvertes, il faudrait avoir accès par le biais de son institution à toutes les principales archives payantes (Springer, Elsevier, ACM, IEEE…). Si l’accès n’était pas fourni ou ne l’était que partiellement, cela paralyserait le travail jusqu’à ce que l’on décide de payer les abonnements – généralement chers – décidés par les éditeurs, avec les gênes additionnelles que cela implique : procédures de paiement compliquées, recherches séparées archive après archive, absence des mises à jour les plus récentes… Comme pour les collections de données, la phase de recherche qui serait la plus compliquée serait celle, par ailleurs cruciale, de la récolte d’informations préliminaires sur un sujet que l’on envisage de prospecter. Pour l’informatique, ceci est encore plus vrai aujourd’hui qu’il y a dix ans : avec plus de chercheurs qui publient et qui s’occupent d’une plus grande variété de questions, il est plus difficile de se tenir constamment informé des nouveautés. Science ouverte, un avantage compétitif ? On ne peut donc pas se permettre de ne pas avoir de science ouverte. Une économie sans science ouverte serait destinée à bouger au ralenti : ne pas pouvoir faire usage, d’une façon ouverte, des résultats qui nous ont précédés entraînerait des coûts qui dépassent la simple cotisation monétaire que représente l’accès. Ainsi, même en supposant que cette cotisation soit destinée dans son entièreté à financer la recherche (ce qui n’est souvent pas le cas), ces coûts ultérieurs se traduiraient en une perte évidente pour la communauté scientifique. En outre, l’ouverture a démontré être un modèle durable. C’est surtout vrai pour le logiciel, mais aussi pour les pratiques de publication : l’assertion selon laquelle « si quelque chose est gratuit maintenant, on ne pourra pas le financer dans le futur » s’est révélée une erreur. La science ouverte est un avantage compétitif. Faire de la science aujourd’hui est déjà assez complexe sans que l’on doive faire face à des corvées évitables, telles celles qu’entraînerait le manque d’ouverture. Éviter ces obstacles – qui, même sans être incontournables, causent un important gaspillage d’efforts – est fondamental afin de rester compétitif dans un marché comme celui de la science, toujours plus dynamique, toujours plus actif et avec des barrières basses à l’entrée. Une science permettant l’ouverture est une science qui accélère et qui permet de se concentrer sur la création d’un savoir nouveau – plutôt que sur les façons de recueillir un savoir déjà élaboré par quelqu’un d’autre. NOTE 1. Plus de 500 000 articles en Open Access dans les domaines des mathématiques, physique, informatique (computer science), HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 33 biologie quantitative, finance quantitative et statistiques, hébergés par la bibliothèque de l’Université Cornell (État de New York). 33 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 34 27/07/10 16:28 Dominique Vinck UMR « Pacte », Université de Grenoble LES TRANSFORMATIONS DES SCIENCES EN RÉGIME NUMÉRIQUE Le passage au numérique affecte le travail des chercheurs parce que la production de connaissances est intimement mélée à la production et à la mise en circulation de traces écrites (Latour et Woolgar, 1987) et de textes. Les chercheurs investissent fortement le travail d’écriture parce qu’il est stratégique. Du coup, tous les détails de la mise en forme et des supports de publication comptent : possibilité d’insérer des images, nombre de mots autorisés, etc. Une revue qui limite à 6 000 signes la taille des articles n’offre pas les mêmes possibilités ou contraintes d’écriture qu’une autre qui en autorise 75 000. Les chercheurs pèsent leurs mots, négocient les expressions, intègrent plus ou moins de tableaux, d’équations, d’images (Lefebvre, 2007), d’extraits de conversation ou d’archives, de notes de bas de page (Berthelot, 2001). Qu’en est-il en régime numérique ? Déjà, les techniques matérielles de l’impression et de l’édition, à la Renaissance, avaient affecté la façon de travailler des savants en accélérant la diffusion des idées, mais aussi en favorisant le rapprochement entre observations issues de manuscrits anciens et observa- HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 45 tions collectées par des contemporains dispersés dans toute l’Europe. Ce changement des techniques d’édition et de reproduction est intimement lié à la mise en place d’un nouveau régime de construction des connaissances reposant sur des réseaux de chercheurs qui œuvrent collectivement à la comparaison des informations. L’imprimerie fut ainsi un agent de la mutation vers les sciences modernes (Eisenstein, 1991). Le travail scientifique à l’ère du numérique connaît des transformations peut-être aussi importantes. La façon dont les chercheurs acquièrent et mettent à jour les connaissances dépend aujourd’hui de leurs réseaux d’ordinateurs, des rapprochements qu’autorise la numérisation de l’écrit, du son, de l’image et de l’image animée ainsi que d’une vaste gamme de technologies : outils de calcul et de visualisation, réseaux de capteurs, bases de données, logiciels d’aide à l’édition, outils d’aide au travail coopératif, etc. La communication entre chercheurs passe aujourd’hui, par exemple, par la soumission en ligne des articles aux revues, le courriel, la publication de revues électroniques et le libre accès (Open Access) aux versions numériques des productions 45 27/07/10 16:28 Dominique Vinck scientifiques. Ces pratiques de communication évoluent et varient selon les disciplines et les situations de travail. La question du libre accès, par exemple, concerne des univers de pratique différents selon qu’il s’agit d’accéder à la littérature scientifique (les articles en particulier) ou à des données (versions numérisées d’archives anciennes, résultats du séquençage d’un fragment d’ADN, images médicales…). De la revue papier… Pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui avec l’électronisation des productions scientifiques, leur mise en circulation et leur accès plus ou moins libre, il est utile de revenir à l’histoire des échanges de données et de publications entre chercheurs. Les premières revues scientifiques, liées à l’institutionnalisation de la communication entre savants, ont contribué à l’organisation des échanges et participé à l’émergence d’une science conçue comme produit d’une recherche collective. Héritières des réseaux épistolaires du XVIIe siècle1 (que l’on retrouve aujourd’hui avec la messagerie électronique), elles assurent une diffusion systématique des informations à tous les intéressés (Garfield, 1979) et permettent d’officialiser l’annonce des découvertes. Le Journal des Savants (1665), première revue scientifique, est un hebdomadaire de 12 pages de l’Académie des Sciences qui faisait œuvre de journalisme scientifique avec un réseau de correspondants. Pour sa part, sa contemporaine, la revue Philosophical Transactions de la Royal Society, construit un registre public de contributions originales. Dans les deux cas, les revues sont d’abord un moyen de trancher les conflits de priorité entre chercheurs en enregistrant l’antériorité d’une découverte (Price, 1963) ; elles ne servent que secondairement à partager et à diffuser les 46 Livre-hermes-57.indb 46 connaissances nouvelles, fonction assumée, à l’époque, par les livres. Elles sont utilisées seulement pour faire connaître les nouveautés et les ouvrages publiés, seules références scientifiques sérieuses. Les savants évitent de publier leurs résultats sous la forme d’articles avant d’avoir finalisé l’édition d’un ouvrage. Un siècle plus tard, au contraire, ils font des revues le lieu privilégié de la publication des résultats de la recherche, engendrant alors une prolifération de revues « primaires » spécialisées et l’apparition de revues « secondaires » publiant des synthèses par grandes disciplines, des compilations de résumés d’articles ou des index thématiques. Les revues précisent aussi leur stratégie éditoriale : priorité aux données empiriques, aux avancées conceptuelles, aux contributions méthodologiques et instrumentales ou aux connaissances opérationnelles. Le détail des formats (nombres de signes, poids relatifs des tableaux, images, textes et équations) ainsi que les stratégies d’harmonisation (feuilles de style, structure de l’article, genre littéraire, continuité de la discussion scientifique) contribuent à donner à la revue ses spécificités formelles et son style (Boure, 1993). Les chercheurs qui veulent y publier sont contraints de s’y conformer, ce qui les conduit à adapter leurs méthodes : constitution des données, mobilisation de la littérature, façonnage de la problématique et des objets de recherche. … à la revue électronique L’informatique entre dans les sciences, tout d’abord, pour le calcul. En physique des hautes énergies, les expérimentateurs l’utilisent pour l’acquisition, la gestion et le traitement des données. Ils créent parfois les programmes dont ils ont besoin pour la recherche. Les théoriciens délaissent le crayon et effectuent leurs HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Les transformations des sciences en régime numérique modélisations sur ordinateur. Depuis les années 1970, les uns et les autres se sont emparés des réseaux de communication entre ordinateurs pour véhiculer leurs collaborations internationales. Confrontés au problème de la compatibilité entre ordinateurs, les physiciens du CERN ont ainsi inventé, au début des années 1990, une interface (le World-Wide-Web) leur permettant d’accéder à l’information, de façon simple, où qu’elle se situe. Ils développent de nouveaux outils de travail collaboratif au niveau de la conception des instruments de recherche (Lécaille, 2003) comme de l’analyse des données issues des expériences (Pignard, 2004). Les technologies du numérique sont aussi adoptées, au cours des années 1980, pour le traitement de texte et le travail d’édition scientifique. Les chercheurs y trouvent la possibilité d’introduire aisément des modifications et d’éditer des versions mises à jour, ainsi que, pour des disciplines comme l’histoire, de gérer plus facilement les notes de bas de page. Du côté des éditeurs privés, l’édition électronique de revues commence, en 1979, avec la numérisation des revues de biomédecine pour les stocker et contrecarrer les pratiques de « photocopillage ». En 1991, Elsevier propose aux bibliothèques l’accès électronique, contre paiement, à des bouquets de revues. L’édition électronique des revues n’arrive que plus tard. L’American Physical Society sollicite alors ses auteurs pour qu’ils envoient leurs articles par les réseaux, via une procédure de soumission électronique, en format LaTeX. Cette pression institutionnelle conduit certains chercheurs à adopter l’ordinateur. À la fin des années 1990, l’édition scientifique sur Internet se développe là où les chercheurs ont coutume d’utiliser le logiciel LaTeX. Un nombre croissant de revues sont proposées, par les éditeurs, en version électronique avec notamment les caractéristiques suivantes : accès gratuit aux sommaires et aux résumés ; accès payant aux articles ; aides à la recherche documentaire. Les chercheurs se saisissent surtout de l’hypertextualité2 HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 47 (mais peu du multimédia), notamment pour remplacer la recherche en bibliothèque par la circulation électronique entre articles, y compris vers les articles citants, ce que l’édition papier n’est pas en mesure de réaliser. L’accès en ligne est rapidement adopté pour le travail de recherche, y compris dans les sciences sociales, même si les chercheurs apprécient de manipuler encore les versions papiers. Plusieurs revues exclusivement électroniques sont également créées, mais toutes ne survivent pas et certaines finissent par fournir aussi une version papier. La méfiance des chercheurs à l’égard des revues ne disposant pas d’une version papier complique leur reconnaissance institutionnelle. Du fait des abonnements par bouquets de revues, définis par les éditeurs, les chercheurs ont eu accès à des titres auxquelles leurs bibliothèques ne souscrivaient pas habituellement. Ils les consultent plus souvent tandis qu’ils délaissent certaines des revues précédemment choisies par les bibliothécaires. Documentalistes et chercheurs ont dès lors été conduits à réaligner leurs pratiques respectives. Les pratiques de communication Les pratiques de communication des chercheurs ne sont pas homogènes. Elles varient selon les disciplines et les domaines de recherche. Par exemple, l’intervalle entre la première communication informelle et la publication varie de 15 à 36 mois en moyenne selon qu’il s’agit de la physique ou des sciences sociales (Garvey et al., 1970). Les usages différenciés des réseaux informatiques reflètent aussi les traditions disciplinaires (Walsh et Bayma, 1996). Les physiciens des particules, géographiquement dispersés mais interdépendants, se sont ainsi emparés des moyens électroniques de communication (courriel, liste de diffusion, bulletin en ligne, site Internet mis à 47 27/07/10 16:28 Dominique Vinck jour quotidiennement, archivage du courrier, mise en ligne des comptes-rendus et des communications, etc.) pour faire circuler les informations permettant de se coordonner au niveau des grandes expériences. Protégés de la compétition économique entre entreprises, ils ont aussi développé des formes d’échange informel, notamment l’échange de pré-publications (versions soumises à une revue, parfois déjà acceptées mais non encore publiées). Cette pratique est ancienne, surtout dans les communautés scientifiques sensibles au fait que leurs idées deviennent rapidement obsolètes (Hagstrom, 1966). La circulation des pré-publications alimente la discussion collective entre spécialistes, sans souffrir des délais de publication parfois longs. Les physiciens expérimentateurs, de leur côté, ont le souci d’accéder, sans délais aux avancées de leurs collègues afin d’éviter de s’engager dans des investissements redondants. Les sociétés savantes ont dès lors cherché à accélérer la circulation de l’information en créant, à la fin des années 1950, des Letters, notamment Physical Review Letters, dans lesquelles une partie des résultats est publiée en moins de deux mois. Toutefois, les résultats complets restant soumis aux longs délais de publication, la circulation des pré-publications s’est maintenue. En physique et en astronomie, la mise en circulation de pré-publications en version électronique est devenue l’une des principales manières de diffuser les résultats de la recherche. Dans la recherche biomédicale, au contraire, les chercheurs se méfient des pré-publications et préfèrent se confier à des articles où les données expérimentales sont validées par les évaluateurs. Les mêmes chercheurs n’hésitent pourtant pas à mettre à disposition, via des bases de données publiques accessibles sur le Web, leurs données portant sur des séquences d’ADN ou de protéines (Hurd et al., 2002). Au sein des sciences sociales et humaines, les différences de pratiques sont aussi considérables. En histoire 48 Livre-hermes-57.indb 48 de la philosophie3, secteur en France où la communauté des chercheurs est structurée dans des institutions établies, la publication électronique est encore peu répandue. Au contraire, en histoire des sciences, domaine où les chercheurs sont moins nombreux et d’origines plus variées (scientifiques ou historiens), les pratiques sont plus internationalisées et diversifiées, ce qui les conduit à débattre des supports. L’accès libre : une institutionnalisation variable de l’informel La diffusion des pré-publications est devenue si importante, dans certaines disciplines, que sa gestion devient un problème : des chercheurs, jeunes ou travaillant dans des institutions périphériques, se sentent exclus de leurs réseaux de circulation. Dès les années 1960, les bibliothèques de grands laboratoires et des sociétés savantes mettent alors en place une gestion collective et institutionnalisée des pré-publications. Elles s’inscrivent sur des listes de diffusion des pré-publications pour en être destinataires ; elles les rediffusent ensuite à leurs propres chercheurs. Du coup, les pré-publications ont pris encore plus d’importance aux yeux des chercheurs tandis que leur gestion est vue comme une concurrence pour les revues. Un serveur de pré-publications électoniques (e-prints), ArXiv, créé par des physiciens au début des années 1990, va connaître un grand succès et servir de référence au mouvement de l’accès libre aux publications (Pignard, 2004). Les physiciens qui en lancent l’idée y voient une solution pour lutter contre l’invasion des pré-publications reçues en fichiers attachés aux courriels et qui saturent les boîtes aux lettres électroniques. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Les transformations des sciences en régime numérique Le serveur stocke les pré-publications tandis que les chercheurs sont seulement informés de leur existence et localisation. Conçu pour une sous-communauté de physiciens, ce système d’archive ouverte de pré-publications connaît un succès rapide dans d’autres disciplines. Il conduit à l’abandon de l’envoi des pré-publications par les instituts de recherches tandis que les chercheurs, en physique des particules, s’en servent massivement pour leurs recherches d’information. Le serveur leur serait devenu indispensable ; ne pas l’utiliser reviendrait à s’isoler de la communauté scientifique (Pignard, 2004) et à perdre leur réactivité. Certains déclarent ne plus utiliser les revues. Simultanément, se développe un discours enjoignant la communauté scientifique à prendre conscience de la domination de l’édition scientifique par des entreprises privées et à se réapproprier le processus éditorial4. En physique nucléaire, au contraire, l’utilisation du serveur est moins généralisée ; les chercheurs sont plus éparpillés et moins interdépendants. La circulation des pré-publications y est moins instituée tandis que l’obsolescence des idées et des résultats y est un enjeu moins pressant. L’archive ouverte tiendrait aux besoins spécifiques de certaines communautés de recherche, en rapport avec la singularité de leurs pratiques, en particulier l’interdépendance entre chercheurs et la sensibilité à l’obsolescence des productions scientifiques. La différence est considérable entre la physique ou l’astronomie, qui ont de grandes bases de données partagées, et les « petites sciences », où la production de données reste artisanale et leur gestion locale. Les chercheurs en écologie, par exemple, engagés sur la voie du regroupement et du partage de données venant d’une multitude de sites et de capteurs, se heurtent aux problèmes de standardisation (Borgman et al., 2007). La mise en commun des données ne suffit pas ; les chercheurs ont besoin de faire confiance à ces données, ce qui tient soit à la connaissance de leur auteur et de sa HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 49 façon de travailler, soit à des procédures consensuelles et robustes collectivement établies. En sciences sociales, même si les délais de publication sont encore plus importants, les chercheurs n’expriment pas le besoin d’avoir accès aux pré-publications. La participation aux colloques et l’entretien de réseaux de relations semblent suffire pour repérer les auteurs pertinents et échanger les pré-publications importantes. Les chercheurs en sciences sociales expriment surtout le souci d’accéder, si possible en ligne, aux articles et ouvrages significatifs, peu importe qu’ils soient publiés ou en pré-publication, disponibles sur des archives ouvertes, sur le site Web personnel du chercheur ou dans des bouquets payés par leur institution. Pour eux, en tant qu’auteurs, il importe plus d’être publié dans une bonne revue que de simplement mettre à disposition ses productions. Il importe aussi de pouvoir citer des documents légitimes, ce que ne sont pas nécessairement les pré-publications (Brown, 2003 ; Gunnarsdóttir, 2005). Transformation des pratiques et de la profession Dans ses rapports aux textes, le chercheur est un lecteur, un auteur, souvent un évaluateur et parfois un éditeur. Toutes ces activités se transforment au regard des nouveaux outils proposés ou imposés, notamment avec la mise à disposition gratuite des contenus. Le temps contraint qu’il peut consacrer à la recherche documentaire et à la lecture des textes, le rend particulièrement sensible aux modalités d’accès aux revues. Le chercheur en sciences physiques est rarement abonné à titre personnel aux revues (contrairement au chercheur en sciences sociales). Pour avoir accès aux articles imprimés, il dépend des services de sa bibliothèque (localisation, 49 27/07/10 16:28 Dominique Vinck heures d’ouverture, importance de l’accès en libreservice). Si beaucoup de chercheurs continuent de choisir le papier, en particulier lorsqu’il s’agit de « travailler » l’article lu ou de l’annoter, l’accès en ligne est désormais, quelles que soient les disciplines, très fortement apprécié. Les chercheurs, parfois, envisagent la bibliothèque comme la dernière des solutions, même si beaucoup se heurtent à des recherches qui échouent, à des moteurs de recherche peu performants, à des accès payants et, parfois, à la nécessité de télécharger ou de payer un article pour se rendre compte ensuite qu’il n’en vaut pas la peine. Un travail d’ethnographie pour traiter spécifiquement cette question de l’accès aux données mériterait d’être réalisé (Hilgartner et Brandt-Rauf, 1994). Le chercheur est aussi un concepteur, un producteur de données, un bricoleur, un organisateur. Il construit ses objets de recherche, en interaction avec des collègues proches ou distants ; il traite les traces et les données produites. Ces activités connaissent aussi des transformations en rapport avec les outils de communication scientifique. Quelques témoignages conduisent à penser que même le noyau dur des pratiques de recherche n’est pas insensible à la question de l’accès libre à l’information. Des historiens disent voir leur travail changer du fait de la mise en ligne des revues existantes ; ils ne doivent désormais plus courir d’une bibliothèque à l’autre. Leur usage de la consultation en ligne est devenu journalier. La numérisation des archives historiques, en outre, les conduit à modifier leur objet de recherche. L’objet de recherche change ainsi, tout comme le point de vue des chercheurs sur leurs objets (Lüthy, 2000). NOTES 1. Plus de 200 savants répartis dans toute l’Europe correspondent avec le Père Mersenne, qui recopie des courriers reçus et les fait circuler avec ses commentaires portant sur les recherches en cours et les ouvrages en préparation. Il sollicite ses pairs pour obtenir des données tandis qu’il reçoit des précisions habituellement absentes dans les ouvrages publiés. 2. Des logiciels, comme CrossRef qui s’appuie sur le DOI, assure la fiabilité des liens au sein de l’ensemble de la littérature scientifique en ligne. Parfois, des liens sont aussi établis entre le 50 Livre-hermes-57.indb 50 contenu de l’article et des bases de données factuelles, comme en biologie pour les séquences génétiques que déposent les chercheurs. 3. Communication orale de Sophie Roux, Séminaire sur les enjeux de la publication numérique, Grenoble, 30 avril 2009. 4. Le mouvement de l’Open Archive Initiative, issu de la convention de Santa Fé en 1999, y fait référence pour prôner l’autoarchivage et fournir des protocoles pour l’interopérabilité des archives et l’interrogation des données. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Les transformations des sciences en régime numérique R ÉFÉR ENCES BIBLIOGR APHIQUES BERTHELOT, J.-M. (dir), Épistémologie des sciences sociales, Paris, PUF, 2001. BORGMAN, C., WALLIS, J., ENYEDY, N., « Little Science Confronts the Data Deluge : Habitat Ecology, Embedded Sensor Networks, and Digital Libraries », International Journal of Digital Libraries, vol. 7, n° 1-2, 2007, p. 17-30. 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Après la soumission initiale à une revue, le temps est généralement de plus de six mois avant d’obtenir une première décision. Ce délai extraordinairement long est dû à l’importance donnée à l’arbitrage par les pairs, les rapports d’arbitre étant extrêmement fouillés. Dans le cas d’une décision préliminaire positive, les arbitres ne se contentent pas d’une simple approbation, ils exigent toutes sortes d’ajustements qui nécessitent donc une nouvelle ronde de soumission et de perte de temps. Dans les meilleures revues, seul un dixième des soumissions est finalement publié, en général plusieurs années après la démarche initiale. Ceux qui n’ont pas eu cette chance, parfois après plusieurs rondes de révisions, recommencent ailleurs. Et ce processus semble s’allonger (Ellison 2002). Pourquoi ce processus est-il devenu aussi laborieux ? Ellison ne semble pas trouver de raison quantifiable (en autres, complexité de la recherche, croissance de la profession, ainsi que la démocratisation discutée ci-dessous) et juge HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 53 que c’est dû à la « culture ». Toutefois, il apparaît que les arbitres, de plus en plus tatillons, apportent une plusvalue et pas seulement de la sélectivité (Laband 1990). Il est clair que dans de telles circonstances, le processus de dissémination de la recherche prend un temps excessif. Un article paru dans une revue n’est donc plus le reflet de l’état de la recherche actuelle, mais plutôt un enregistrement historique. Comment alors se mettre au courant de la frontière de la recherche ? Participer à des conférences est coûteux et pas forcément fructueux. Heureusement, il s’est établi en sciences économiques une culture des cahiers de recherche : des manuscrits distribués par les auteurs (ou leurs institutions) pendant qu’ils sont dans le processus de soumission. Il y a quinze ans, leur principal moyen de dissémination était le courrier postal, coûteux pour l’auteur ou son institution. En conséquence, ces cahiers n’étaient vraiment disponibles qu’au sein d’un cercle serré de cognoscenti. En d’autres termes, l’accès à la recherche de pointe restait limité à une élite, en particulier dans les grandes universités. 53 27/07/10 16:28 Christian Zimmermann L’avènement d’Internet a le potentiel de considérablement améliorer la diffusion de la recherche de pointe dans la mesure où les cahiers de recherche sont rendus disponibles sur les pages personnelles des chercheurs. Mais cela reste unidirectionnel et inefficace : seuls les chercheurs déjà reconnus à la pointe parviennent à se faire lire, et personne n’aurait idée d’aller faire un tour sur les pages d’inconnus ou d’institutions de second rang pour y trouver la dernière recherche dans un domaine particulier. Visiblement, il faut organiser d’une façon ou d’une autre l’ensemble de l’information disponible si on veut la rendre véritablement utile. On peut argumenter qu’un outil de recherche comme Google Scholar permet d’obtenir ce qu’on veut. Il faut toutefois remarquer qu’il y a une forte proportion de « faux positifs » dans tout résultat de recherche, en particulier parce que les données glanées par Google ne sont pas suffisamment structurées. De plus, il est difficile d’y déterminer ce qui est nouveau. Rappelons aussi que ce genre d’outil n’était pas disponible il y a une quinzaine d’années. Or, voilà qu’en 1993, un étudiant allemand, préparant un doctorat en Grande-Bretagne, Thomas Krichel, frustré dans sa quête de littérature, se rend compte de tout le potentiel d’Internet. Il s’allie avec un documentaliste qui collectionne des cahiers de recherche et commence à diffuser par le moyen de listes d’envois électroniques des résumés de nouveaux cahiers de recherche. Après la création des protocoles gopher puis http, il organise également des collections de liens vers un nombre rapidement croissant de cahiers de recherche disponibles en ligne. Cette croissance est en particulier nourrie par la création d’un site de dépôt de documents à l’Université Washington de Saint Louis par Robert Parks. De 1993 à 1997, le service NetEc a ainsi permis aux économistes de trouver en un lieu central et organisé les dernières réalisations de recherche. Mais la quantité de travail nécessaire pour gérer toute cette information devenait 54 Livre-hermes-57.indb 54 insoutenable pour les quelques volontaires alimentant NetEc. C’est pourquoi en 1997 RePEc a été créé. S’inspirant du mouvement Open Source qui utilise les contributions d’une multitude de volontaires dans l’écriture de logiciels, RePEc décentralise complètement l’entrée des données auprès de ceux qui ont le plus grand intèrêt à la vaste diffusion des cahiers de recherche, ceux qui les publient. Avec les années, plus de mille institutions ont rejoint RePEc en contribuant à l’entrée de données bibliographiques concernant 950 000 œuvres. Et si les cahiers de recherche ont constitué l’origine de l’initiative RePEc, les maisons d’édition commerciales ont rapidement compris les avantages de participer à cette initiative. En effet, RePEc est maintenant devenu un outil bibliographique incontournable permettant une diffusion gratuite et rapide de la recherche en sciences économiques. Un aspect particulièrement remarquable est que RePEc n’a aucune source de fonds. Tout le travail y est fourni par des volontaires, et certaines institutions sponsorisent les serveurs et leur hébergement. En effet, toutes les parties prenantes ont les bons incitatifs pour participer (Krichel et Zimmermann, 2009). Ceci permet de rendre RePEc gratuit pour tous : les auteurs, les lecteurs, les maisons d’édition. Ainsi, tous ceux qui ont accès à Internet sont sur un pied d’égalité. Des institutions de 70 pays participent directement à RePEc en fournissant des données bibliographiques. 25 000 auteurs de 132 pays se sont inscrits sur RePEc pour créer un CV en ligne. Et des utilisateurs du monde entier téléchargent près d’un million de documents chaque mois par l’intermédiaire de RePEc. Lorsqu’une institution ou une maison d’édition introduit les données bibliographiques de ses publications dans RePEc, elle accepte de les placer dans le domaine public (notez que RePEc n’utilise pas de licence particulière, le statut juridique est donc flou, HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 La dissémination de la recherche en sciences économiques : les « cahiers de recherche » tout comme l’organisation informelle de RePEc). Il devient alors possible d’utiliser ces données de toutes sortes de façons, que ce soit en créant des catalogues en ligne, des listes d’envoi électronique, des engins de recherche. En particulier, les données de RePEc ont été utiles à Google Scholar pour créer la masse critique initiale de son service. La mise à disposition universelle des données bibliographiques permet une démocratisation de l’accès à la recherche. Même si un article n’est pas disponible en ligne, ou disponible mais pas gratuitement, le fait qu’un lecteur en apprenne la connaissance et puisse entreprendre des démarches pour l’obtenir est un progrès. Mais il est bien clair que c’est avec la disponibilité de cahiers de recherche que l’on améliore le plus la diffusion de la recherche : les résultats de la recherche sont disponibles plus rapidement et de surcroît généralement gratuitement et sans restrictions. Mais une différence subsiste avec un article publié dans une revue : un cahier de recherche n’a pas été évalué par des pairs. De plus, avec le système mis en place par RePEc, tout scientifique peut diffuser avec succès sa recherche ; cela n’est plus limité au cercle des universités d’élite. Ceci se reflète même au niveau de la recherche publiée en revue : Kim, Morse et Zingales (2006) et Ellison (2007) montrent que dans les meilleures revues, la proportion de la recherche provenant des meilleurs départements de sciences économiques est en constant déclin. Il n’est pas possible de dire si RePEc est responsable de cette évolution, mais il est clair que RePEc ne l’a pas empêchée. Cette démocratisation n’a pas seulement permis de franchir les barrières dues à la géographie ou au degré de prestige des universités, elle profite également à des champs de recherche négligés auparavant. Ainsi, Novarese et Zimmermann (2008) démontrent que la recherche en économie hétérodoxe a bénéficié HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 55 de RePEc de façon disproportionnelle. Une analyse des listes d’envoi et de leur utilisation, différenciant les articles hétérodoxes et orthodoxes, fait apparaître que les œuvres hétérodoxes sont paradoxalement plus lues. Il semblerait que les chercheurs orthodoxes se mettent à lire des travaux hétérodoxes qu’ils n’auraient pas rencontrés en lisant leurs revues traditionnelles. L’expérience de RePEc n’est pas unique. En particulier, l’initiative ArXiv, principalement en physique et mathématique, suit des principes similaires et a débuté en 1991. La différence est qu’ArXiv conserve un modèle centralisé dans la mesure où les cahiers de recherche sont tous déposés dans un serveur central. Ce genre de système a rapidement exigé une infrastructure importante et donc une levée de fonds. L’aspect complètement décentralisé de l’hébergement de RePEc permet de maintenir les coûts de l’administration centrale à zéro. En fait, il existe en sciences économiques une autre initiative, commerciale celle-là, qui suit le modèle d’ArXiv : c’est SSRN. Si l’accès aux données bibliographiques et aux cahiers de recherche y est généralement gratuit, la participation institutionnelle et les abonnements aux listes d’envoi sont payants. Après avoir étendu sa couverture à d’autres champs des sciences sociales, SSRN est récemment parvenu à verser des dividendes à ses actionnaires. Récemment plusieurs autres initiatives ont émergé et tentent de répliquer le succès et le système de RePEc dans d’autres champs. RCLIS en bibliothéconomie a été lancé en 2003 par le même Thomas Krichel qui est à l’origine de RePEc. PhilPapers a été lancé cette année pour les philosophes. Une initiative est en dévelopement en statistiques et en mathématique sous la houlette de James Pitman. Enfin, plusieurs initiatives cherchent à encourager la mise à disposition des données utilisées en recherche, en particulier le projet Dataverse de Gary King. 55 27/07/10 16:28 Christian Zimmermann R ÉFÉR ENCES BIBLIOGR APHIQUES ELLISON, G., « The Slowdown of the Economics Publishing Process », Journal of Political Economy, vol. 110, n° 5, University of Chicago Press, 2002, p. 947-993. ELLISON, G., « Is Peer Review in Decline ? », NBER Working Paper 13272, National Bureau of Economic Research, 2007. HAN K IM, E., MORSE, A., ZINGALES, L., « Are Elite Universities Losing their Competitive Edge ? », NBER Working Paper 12245, National Bureau of Economic Research, 2006. KRICHEL, T., ZIMMERMANN, C., « The Economics of Open Bibliographic Data Provision », Economic Analysis and Policy (EAP), vol. 39, n° 1, Queensland University of Technology (QUT), 2009, p. 143-152. LABAND, D. N, « Is There Value-Added from the Review Process in Economics ? 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Difficile de trancher mais une chose est sûre, cette augmentation des publications est liée à celle du libre accès. En effet, les rythmes et modes de publication diffèrent beaucoup selon les disciplines. Si les mathématiciens publient peu, en biologie il existe plusieurs milliers de revues internationales avec comités de lecture. Pour les maisons d’édition, il s’agit d’une affaire rentable car non seulement des scientifiques évaluent gratuitement les articles soumis (ou du moins ce ne sont pas les éditeurs qui les rémunèrent pour ce travail), mais en plus les auteurs payent le plus souvent pour être publiés. Inutile de préciser que l’accès à la revue (édition papier et/ou électronique) coûte lui aussi cher aux institutions de recherche et que ce prix est en augmentation2. Récemment, des éditeurs comme la Public Library of Science (PLoS3, organisation à but non lucratif) ont pris le contre-pied de ce mouvement en créant des revues gratuitement accessibles, tout en maintenant une évaluation de qualité par les pairs (notamment PLoS Biology). À première vue, on peut s’interroger sur l’effet de l’accès gratuit aux revues. Pour les chercheurs des pays du Nord, la différence semble minime. En revanche, dans les pays du Sud, l’effet est nettement plus palpable car les chercheurs n’ont pas les crédits de recherche suffisants pour souscrire des abonnements. D’expérience, on reçoit plus d’email vous demandant une copie de votre article HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 57 quand celui-ci n’est pas en Open Access. Ces emails proviennent le plus souvent de pays ou d’institutions moins bien dotés. Ceci explique pourquoi des études montrent un impact du libre accès sur la diffusion d’un article4. En biologie, la plupart des revues ont suivi le mouvement initié par PLoS et proposent la publication en Open Access. Première explication : des chercheurs ont été séduits par ce mode de publication parce qu’il permet de mieux diffuser leurs recherches (en mettant leurs articles sur leurs sites Web par exemple), mais aussi parce qu’il reflète une certaine vision de la recherche fondée sur l’échange et la coopération. La seconde raison, pour les éditeurs, est pécuniaire car publier en Open Access coûte plus cher aux auteurs (2 500 $ en moyenne). Les auteurs doivent alors prendre à leur charge l’intégralité des frais de publication. Cependant, la publication en Open Access a ses limites, en partie illustrées par la revue PLoS One. En effet, chacun peut publier ce qu’il veut en Open Access : il suffit pour cela de poster le texte sur un site Web et de rajouter un logo et un lien vers le site de Creative Commons. Le Web étant très archivé, on peut facilement vérifier à quelle date un document a été posté. Ainsi présenté, le problème est clair : sans évaluation par les pairs, quel crédit accorder à un tel article ? Ce problème est le même que celui de PLoS One, qui publie tout article pour peu qu’il soit original et sans erreur. Certes les articles sont envoyés à des pairs (les référés), mais les motifs de refus de publication étant très restreints et les thématiques de la revue très larges, peu d’articles se voient dans la 57 27/07/10 16:28 Samuel Alizon pratique refusés. Vu l’augmentation du nombre d’articles publiés, faciliter la publication n’est peut-être pas la solution idéale (même s’il faut reconnaître que le système de référés actuel a ses limites). De l’accessibilité des bases de données Le libre accès joue sur la production de la recherche. L’archivage et la recherche d’articles publiés sont essentiels aux chercheurs et on distingue des sites en libre accès et des sites à accès payant. Au niveau des recherches simples (par titre, auteur, revue, date de publication), ces bases de données sont équivalentes. Les différences apparaissent au niveau des revues cataloguées. Un site à accès payant tel que le Web of Science répertorie un nombre limité de revue tandis que le site en accès libre Google Scholar est moins restrictif. De plus, les sites restreints offrent d’autres gadgets tels que la détermination des facteurs d’impacts des revues (et même des chercheurs). Le calcul de ces facteurs relève d’une obscure alchimie basée sur le nombre de fois où les articles sont cités. Présentés comme un moyen d’améliorer la bibliométrie (pratique qui consiste à évaluer les chercheurs via la longueur de leur liste de publications), ces facteurs d’impact sont biaisés en faveur des sciences biomédicales et appliquées (qui publient davantage) et au détriment de la recherche plus fondamentale. Est-ce un hasard si ces « plus » des bases de données à accès payant sont quelque peu en contradiction avec la vision coopérative de la recherche évoquée plus haut ? Le libre accès aux bases de données ne concerne pas que les articles. Par exemple, la base de donnée GenBank, qui est en accès libre, recense toutes les séquences ADN de gènes connus ainsi que les protéines correspondantes. Ceci permet à tout chercheur ayant une séquence ADN de repérer les gènes 58 Livre-hermes-57.indb 58 qu’elle contient et de connaître le type de protéine codé par chaque gène. D’autres bases de données sont plus spécifiques. Ainsi, pour ce qui est du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), la base de donnée du National Institue of Health aux USA permet d’accéder à des séquences ARN de virus ou même à des données sur les essais cliniques de vaccins. L’accès aux données cliniques est une source de pouvoir en biologie. La mutualisation des données a donc pour conséquence de multiplier le nombre de chercheurs travaillant sur le sujet. Dans le cas du VIH, l’enjeu est évident. D’un point de vue pratique, la mise en place des « wikis » (le plus célèbre étant Wikipedia) permet de renforcer la coopération entre chercheurs. Ainsi, le wiki OpenWetWare5 permet aux chercheurs en biologie moléculaire de partager leurs savoir-faire et protocoles expérimentaux. Pour les théoriciens, des sites un site tel que Google Code6 permet de déposer ses programmes en accès libre afin de faciliter leur diffusion et amélioration. Logiciels libres : un bol d’R Un aspect essentiel du libre accès est celui des logiciels libres et, dans une moindre mesure, des systèmes d’exploitation libres7. Les demandes des scientifiques étant pointues, il existe de nombreux logiciels freeware mis au point par des experts du champ pour leurs collègues. L’exemple le plus marquant de ces dernières années est celui de R8. Ce logiciel, développé à l’origine par des chercheurs de sciences humaines comme outil de statistiques, est aujourd’hui un des logiciels les plus couramment utilisés, même dans des sciences « inhumaines » (biologie, physique…). Sa particularité ? Une conception modulaire qui permet à tout chercheur de développer une extension permettant d’étudier des problèmes particuliers. Ainsi, le module Ape permet HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 En biologie, le libre accès au quotidien de travailler avec des phylogénies. Le succès de R s’explique en partie par son interface minimaliste et par la possibilité d’utiliser un même logiciel pour différents types d’analyses. Mais il n’est sans doute pas anodin que R soit fondé (et même dépende) de la coopération entre scientifiques. Pour conclure, il n’est pas surprenant que le libre accès soit au cœur de la recherche car tous deux sont fondés sur la notion de coopération. Il est intéressant de noter que les logiciels libres et Open Access rencontrent un important succès dans la communauté alors même que dans la plupart des institutions de recherche, l’accent est mis sur ce qui est pudiquement appelé valorisation de la recherche. Que ce soit via les start-up associées aux universités, ou les institutions de recherche telles que CNRS en France, les chercheurs sont encouragés à breveter tout ce qu’ils peuvent. Une fois publiée, une découverte ne peut plus être brevetée et beaucoup sont frustrés de cette évasion hors de la sphère marchande. La méthode par laquelle s’effectue la recherche n’est donc pas neutre. L’utilisation des logiciels libres peut être vue comme une attitude militante des chercheurs, telle que l’appelait de ses vœux Pierre Bourdieu9, attitude opposée à la logique de marchandisation. Cette idée se retrouve aussi au niveau de la publication de la recherche : favoriser l’accès de tous aux publications scientifiques permet de mieux répartir le pouvoir inhérent à la production du savoir. Samuel Alizon Laboratoire « Génétique et évolution des maladies infectieuses » (Gémi) UMR CNRS-IRD 2724, Montpellier NOTES 1. Recherche effectuée avec le moteur PubMed, <http://www. ncbi.nlm.nih.gov/sites/entrez>. 5. Voir <http://openwetware.org/wiki/main_page>. 2. Voir <http://www.monde-diplomatique.fr/2009/03/DARNTON /16896>. 7. 3. Voir <http://www.plos.org>. 8. Voir <http://www.r-project.org>. 4. Voir <http://www.sciencemag.org/cgi/content/abstract/323 /5917/1025>. 9. 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Elle s’appuie sur un support institutionnel qui s’impose et accorde, selon ses propres règles, une crédibilité aux publications scientifiques. La scientificité du discours scientifique se jauge au regard de l’objectivation de son énonciation. Par ailleurs, l’authenticité des expérimentations et des découvertes doit s’appuyer sur un nom d’auteur, et ce dernier – tout comme l’institution, le laboratoire, le titre de la revue, le label de l’éditeur – participe à la chaîne des marques de validation des contenus1. Cet article propose une analyse des conditions de production et d’évaluation du discours scientifique en considérant la fonction d’auteur et les acteurs de la révolution numérique. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 61 La fonction d’auteur et la communication scientifique directe Apparemment, tout change dans la fonction d’auteur avec le numérique. Néanmoins, le numérique n’affecte pas la fonction d’auteur dans le statut de celui ou de celle qui l’exerce. Que la matérialisation du texte soit numérique ou imprimée, l’auteur se doit d’avoir le statut dans la société qui lui permet de prétendre à produire un discours scientifique. La communication scientifique directe existe depuis que les chercheurs échangent informellement entre eux. Elle a pris, selon les époques, les formes des procédés techniques et organisationnels à sa disposition : les migrations étudiantes au Moyen Âge, les rencontres et les échanges entre les cours d’Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles, les rencontres et les démonstrations organisées par les sociétés savantes et les académies depuis le XVIIe siècle, etc. Avec les moyens du numérique, l’échange informel et la communication directe 61 27/07/10 16:28 Guylaine Beaudry entre chercheurs se sont systématisés. La communication scientifique directe se définit par l’absence apparente d’intermédiaire intervenant sur le traitement et la diffusion des documents à rendre publics. Pour tout responsable de telles plates-formes, les enjeux technologiques, scientifiques et financiers se posent de façon concrète. L’apparence de « désintermédiation » est un leurre. Les résultats de la recherche déposés et diffusés dans ces infrastructures, qui pour certaines, deviennent de véritables institutions, requièrent des dispositions et des moyens techniques considérables, déployés par des équipes expérimentées. Les chercheurs ont recours à des moyens de communication directs en parallèle aux vecteurs de communication relevant de champs éditoriaux institutionnels et commerciaux. Les formes de la communication directe sont multiples. Selon les communautés de chercheurs, il peut s’agir de dépôts disciplinaires, de systèmes de données ou, selon une perspective institutionnelle, de dépôts rattachés aux universités ou aux organismes de recherche. Les données comme forme de publication : infrastructures et pratiques scientifiques d’un nouveau genre Dans certains domaines tels que la biodiversité, la génomique ou les grands projets de collectes d’informations astronomiques, la contribution du chercheur correspond à une tout autre activité que la rédaction et la publication d’un article : le chercheur est tantôt auteur par la textualité, tantôt contributeur par le dépôt de ses données. Dans ce dernier cas, les données rendent compte à elles seules du travail de recherche effectué, qu’il y ait ou non publication d’un texte par la suite. 62 Livre-hermes-57.indb 62 Les besoins de dépôt et de mise en commun de ces données nécessitent la création d’infrastructures pour répondre à des pratiques scientifiques d’un nouveau genre. Les bases de données hébergées dans ces infrastructures constituent une fin en elles-mêmes (Borgman, 2007, chap. 7). Les données rendues ainsi « publiques » deviennent les produits des recherches, supplantant le rôle traditionnel du système de communication scientifique basé sur la publication (Borgman, 2008, p. 29-30). Certains proposent d’ailleurs de donner aux dépôts de données la même valeur qu’une publication pour l’évaluation des dossiers des chercheurs (Bourne, 2005, p. 34). Pour permettre la publication et la citation de données scientifiques, le groupe allemand Codata a initié un projet d’infrastructure, appelé STD-DOI et financé par la Fondation allemande pour la science, qui est en lien avec plusieurs organisations dont le World Data Center Climate de l’Institut de météorologie Max Planck. Cette organisation veille à la mise en place de processus aptes à assurer le contrôle de la qualité des données déposées, tout en garantissant leur préservation à long terme (Klump et al., 2006, p. 81-82). La Protein Data Bank (PDB) 2 est un autre exemple d’infrastructure dont une communauté de chercheurs se dote pour la publication de leurs données de recherche. Il s’agit d’un dépôt de structures 3D de molécules biologiques, incluant les protéines et les acides nucléiques. L’accès à cette ressource est totalement gratuit pour les utilisateurs, ce qui permet également un accès large aux étudiants, aux enseignants et au public en général. Dès la fin des années 1990, la majorité des revues de ces domaines exigent un identifiant provenant de la PDB pour la publication d’un article sur une de ces molécules. Les agences de financement exigent que les chercheurs dont ils subventionnent les travaux y déposent toutes les structures identifiées (Berman et al., 2002, p. 899). On peut sensément supposer que les données sont sujettes à devenir un produit de la recherche au même HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 La communication scientifique directe : auteurs et infrastructures titre qu’un article de revue. Déjà, une intégration plus étroite entre les articles de revue et les données, tous deux déposés dans des systèmes différents mais interreliés, permet des usages que l’univers de l’imprimé ne pouvait soupçonner. Nouveaux modèles de production et de diffusion Comme une déclinaison du concept de Web 2.0 (Anderson, 2007), l’expression Science 2.0 a surgi pour désigner une nouvelle proposition d’interaction et de travail en collaboration des chercheurs. Christine Borgman (2007, p. 19) a fait la recension des différentes expressions utilisées pour désigner ce nouveau courant : e-Science, e-Research, i-Science, cyberinfrastructure, cyberwissenschaften, cyberscience, etc. WikiGenes3 en offre un exemple parmi la multitude de ces projets ; il s’agit d’une plate-forme de travail en collaboration pour le développement des connaissances dans les sciences de la vie. Basé sur le système général du Wiki, des développements technologiques ont permis d’ajouter des outils scientifiques rigoureux. L’objectif de WikiGenes est de collecter, de communiquer et d’évaluer l’information concernant les gènes, les aspects portant sur la chimie, les pathologies et autre concepts biomédicaux selon des processus accessibles à tous les chercheurs travaillant sur ces questions. C’est la première application du système Wiki qui combine le travail collaboratif et la reconnaissance de la fonction d’auteur. Chaque auteur d’un texte ou d’une modification est immédiatement identifié, par le simple passage de la souris sur les sections du texte. Par ailleurs, les différents auteurs reçoivent une appréciation de leur contribution par l’attribution d’étoiles. Plus le nombre HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 63 d’étoiles qu’un nom d’auteur porte est élevé, plus il est reconnu. WikiGenes a ainsi parié sur la très grande souplesse et les possibilités de travail en collaboration du système Wiki en y ajoutant des fonctionnalités de reconnaissance des auteurs et d’évaluation des contributions (Hoffmann, 2008). Ces projets ont pour raison d’être d’améliorer la dimension collaborative du travail du chercheur. Bien entendu, pratiquer ce qu’on désigne comme l’Open Science comporte des risques de plagiat et d’appropriation inopportune des résultats et des travaux (Waldrop, 2008). Malgré ce que les tenants de cette approche prétendent, selon toute vraisemblance, ces risques sont bien réels tant que ces nouveaux outils ne seront pas reconnus par la communauté des chercheurs et les institutions comme des lieux d’homologation des découvertes et des résultats de recherche. La reconnaissance du statut et de la fonction de l’auteur, comme c’est le cas dans WikiGenes, constitue une étape déterminante. La fonction d’évaluation en mutation Dans ce nouvel environnement numérique de l’édition et de la communication scientifique, la fonction d’évaluation comporte des enjeux stratégiques de taille concernant l’économie de la recherche et l’intégrité des pratiques disciplinaires. Depuis quelques années, l’utilisation soutenue de l’approche quantitativiste pour évaluer les publications scientifiques s’impose. Par le simple fait de publier, le chercheur contribue à alimenter tout un système de relations entre une multitude de données bibliométriques sur la production des résultats de recherche. Ces informations peuvent être très pertinentes pour l’analyse des comportements 63 27/07/10 16:28 Guylaine Beaudry des communautés de chercheurs et d’autres questions permettant de mieux comprendre les champs éditoriaux scientifiques. Elles ne sauraient suffire. Il serait plus avisé que l’évaluation du système de recherche introduise des pratiques complémentaires basées sur des valeurs qualitatives et sur une démarche laissant place à l’appréciation. Les modalités d’évaluation différenciées pour la communication scientifique directe, d’une part, et pour les champs éditoriaux scientifiques, d’autre part, confirment la distinction et la séparation des deux modèles de diffusion des résultats de la recherche. Alors que la culture éditoriale s’appuie sur l’évolution des textes à publier, la communication scientifique intègre des pratiques d’évaluation portant sur le statut du chercheur. C’est par son affiliation et en sa qualité reconnue de scientifique que les infrastructures et les outils de la communication scientifique directe sont rendus accessibles au chercheur pour diffuser ses documents et ses données. Le système de reconnaissance et d’évaluation des publications et des chercheurs comme l’évaluation par les pairs ont fait l’objet de nombreuses études et commentaires critiques (Hillman et Rynes, 2007, p. 622). Malgré la reconnaissance des difficultés que pose l’évaluation par les pairs, la majorité des chercheurs, tous domaines confondus, convient qu’il s’agit encore du moins mauvais système (Rowlands et Nicolas, 2006, p. 38-39). Par ailleurs, les nouvelles infrastructures de production et de diffusion des résultats et des données de recherche peuvent intégrer des fonctions d’évaluation. Alors que la rédaction de comptes-rendus critiques était, jusqu’à récemment, un des seuls moyens d’évaluation post-publication, d’autres modalités sont maintenant employées. Il peut s’agir de commentaires ou d’annotations rédigés en ligne par le lecteur, ou d’une cote qu’il accorde à la publication pour donner son appréciation. Ces informations peuvent être compilées 64 Livre-hermes-57.indb 64 et affichées dans la version en ligne de la publication. Le nombre de téléchargements d’un texte peut en particulier être indiqué, comme le nombre de liens, donc d’une forme de citation, que d’autres auteurs ont fait vers la publication (Borgman, 2007, p. 60). Les chercheurs de plusieurs disciplines sont encouragés à déposer leurs documents de travail dans des collections de working papers telles qu’on en retrouve dans la plate-forme Social Science Research Network (SSRN) 4 pour obtenir des commentaires et faire lire les textes avant publication. Quelques universités utilisent même le nombre d’accès ou de citations des working papers de leurs professeurs pour leurs dossiers de promotion. L’utilisation d’information concernant le nombre de citations par article que donne Google Scholar ou le rang des auteurs dans le système SSRN n’est pas exceptionnelle (Hillman et Rynes, 2007, p. 624). Toutefois, aucune de ces méthodes d’évaluation ne recueille une adhésion aussi large que l’évaluation prépublication. Au total, on peut penser que l’évaluation par les pairs reste incontournable pour dépasser la simple compilation métrique d’indicateurs. Les outils permettant l’interaction entre les lecteurs, les évaluateurs et les auteurs sont simplement autant de moyens pour faciliter la circulation et les discussions entre les chercheurs. Pour éviter des dérives et la mise en place de processus d’évaluation biaisés ou inopérants, les agences de financement de la recherche ainsi que les universités en collaboration avec les chercheurs devraient développer des indicateurs et des processus d’évaluation qui gagneraient l’adhésion du plus grand nombre de chercheurs. Sans une telle démarche, les risques sont grands de voir utiliser n’importe quel chiffre pour procéder à l’évaluation de la recherche. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 La communication scientifique directe : auteurs et infrastructures Les acteurs de la révolution : un tableau fragmenté Dans ces transformations, les acteurs du système de communication scientifique tiennent les premiers rôles. Les éditeurs commerciaux ont été les précurseurs, et avec le plus de succès, à développer des infrastructures d’édition numérique à grande échelle. Dans l’univers imprimé, ils assument essentiellement les fonctions d’évaluation, de production et de diffusion par la vente de leurs produits. Avec le numérique, ils ajoutent à leur rôle le contrôle total de la diffusion. C’est à partir de leurs infrastructures que les publications sont acheminées jusqu’aux ordinateurs des lecteurs, en ayant recours ou non à des partenariats avec des agrégateurs généraux et spécialisés ou des entrepôts numériques. Leur rôle s’étend maintenant à la préservation à long terme puisqu’ils conservent matériellement les fichiers des publications dans les serveurs de leurs propres infrastructures. Ainsi, la fonction de production a gagné en importance avec le numérique en ce qu’elle est étroitement liée aux conditions de diffusion. Les acteurs en mesure de bénéficier d’infrastructures performantes développent indéniablement un avantage pour contrôler le plus grand nombre de fonctions du système de communication scientifique. L’édition scientifique passe également au numérique du côté des éditeurs sans but lucratif, des sociétés savantes et des éditeurs qu’on peut qualifier de « responsables » du fait de leurs pratiques commerciales raisonnables (basées sur le recouvrement des coûts). Avec un peu de retard par rapport aux grands éditeurs commerciaux, l’édition sans but lucratif s’adapte et développe des services et infrastructures numériques. Ils rencontrent des difficultés propres en raison de leur fragmentation, importante si on les compare aux grands éditeurs. Leur nombre, leur dispersion, la dimension plus modeste de HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 65 leurs fonds, le manque de capitaux sont, entre autres, les éléments qui concourent à augmenter les risques du passage au numérique. Pourtant, les chercheurs et les bibliothèques ont tout à gagner à l’intervention de ce type d’acteurs. Par la qualité reconnue de leurs publications, une réelle offensive de leur part est la seule solution de remplacement crédible au modèle oligopolistique des grands éditeurs commerciaux. À la différence de l’édition savante, la communication scientifique directe suit un modèle de diffusion en accès libre et s’est considérablement développée depuis l’introduction du Web au début des années 1990. De nouvelles infrastructures sont en opération, que ce soit les dépôts institutionnels ou thématiques, les systèmes d’information complexes pour le dépôt et la publication de données, les blogs de scientifiques utilisés comme des carnets de laboratoire ouverts à tous ou encore les multiples systèmes de communication et de collaboration (modèle Wiki ou autres). Ces outils agissent sur les comportements des chercheurs et suscitent de nouvelles pratiques. Les principaux acteurs du développement de la communication scientifique directe sont les chercheurs eux-mêmes. Selon le niveau de pénétration des technologies numériques dans leurs communautés, les chercheurs créent des systèmes pour répondre à leurs besoins. Ils peuvent être liés à un seul chercheur (par exemple un carnet de laboratoire sous forme de blog) ou à une communauté de chercheurs (un serveur de prépublications). Leurs comportements sont proactifs et innovants. Par leur implication et la création de ces nouveaux systèmes d’information scientifique, les chercheurs procèdent à une transformation de leur rôle par sédimentation dans la communication scientifique. Deux raisons en sont la cause. D’abord, ils ajoutent à leurs responsabilités la conception, la création et la gestion de ces nouveaux systèmes. Ensuite, tout au moins jusqu’à maintenant, ils maintiennent en parallèle les processus 65 27/07/10 16:28 Guylaine Beaudry d’édition professionnelle des publications scientifiques dans les canaux traditionnels et l’utilisation des outils et de systèmes de la communication directe. L’adoption des nouvelles pratiques varie certes considérablement d’une discipline à l’autre. Aucune règle générale ne peut être exprimée pour définir les pratiques de l’ensemble des domaines, tant du côté des sciences naturelles que de celui des sciences humaines et sociales. On voit également les grands éditeurs commerciaux entrer dans cet espace de la communication scientifique directe. L’acquisition de BioMed Central, un dépôt thématique très fréquenté, par l’éditeur Springer n’est qu’un exemple. Plusieurs autres éditeurs ont constitué leurs propres dépôts de documents. Ce positionnement relève de l’occupation du terrain et d’une volonté de se dédouaner face aux critiques qui leur sont souvent adres- sées relativement aux prix exorbitants de leurs publications. En mettant à la disposition des communautés de chercheurs des systèmes d’information en accès libre, les éditeurs commerciaux à pratiques oligopolistiques montrent patte blanche. Cette transformation de leur rôle démontre bien leur capacité à s’adapter et à contrôler rapidement les technologies du numérique. Un nouveau champ éditorial est en train de se formaliser par la création de systèmes de données dans les disciplines où les contributions qui y sont déposées sont en voie d’être considérées au même titre que des publications dans l’évaluation de la recherche. On peut penser que ce nouveau champ pourra être institutionnellement reconnu dans la mesure où le statut et l’évaluation des chercheurs qui y contribuent pourront être démontrés. NOTES 1. À cet égard, le chiasme au XVIe ou au XVIIe de l’auctoritates vers l’anonymat pour les textes scientifiques auquel réfère Foucault dans son article « Qu’est-ce qu’un auteur ? » ne se manifeste pas, à tout le moins, par l’abandon du nom d’auteur. Pour une réfutation et une discussion sur le « chiasme de Foucault », lire Roger Chartier, 2003. 2. Voir <http://www.rcsb.org/pdb/static.do?p=general_information/about_pdb/index. html>. 3. Voir <http://www.wikigenes.org>. 4. Voir <http://www.ssrn.org>. R ÉFÉR ENCES BIBLIOGR APHIQUES ANDERSON, P., What is Web 2.0 ? Ideas, Technologies and Implication for Education, Joint Information Systems Committee (JISC), 2007, 64 p. BORGMAN, C.L., Scholarship in the Digital Age : Information, Infrastructure, and the Internet, Cambridge, MA, MIT Press, 2007. BERMAN, H.M., et al., « The Protein Data Bank », Acta Crystallographica Section D, vol. 58, n° 6, Part 1, 2002, p. 899-907. 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HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 67 HOFFMANN, R., « A Wiki for the Life Sciences where Authorship Matters », Nature Genetics, vol. 40, n° 9, 2008, p. 1047-1051. KLUMP, J., et al., « Data Publication in the Open Access Initiative », Data Science Journal, vol. 5, 2006, p. 79-83. ROWLANDS, I., NICHOLAS, D., « The Changing Scholarly Communication Landscape : an International Survey of Senior Researchers », Learned Publishing, vol. 19, 2006, p. 31-55. WALDROP, M.M., « Science 2.0 – Is Open Access Science the future ? », Scientific American Magazine, 21 avril 2008. 67 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 68 27/07/10 16:28 En mathématiques, des archives ouvertes dans une communauté fermée Comme lecteur et auteur d’articles de recherche, je suis un utilisateur des archives ouvertes depuis quelques années seulement. Mes plus récents manuscrits sont accessibles sur arxiv. org, un outil de très grande utilité mis à notre service actuellement par l’Université Cornell, depuis que Paul Ginsparg, le fondateur d’ArXiv, a quitté Los Alamos National Laboratories pour rejoindre à cette institution. Tout cela aurait pu être fait en Europe, mais cela n’a pas été le cas. Les Américains n’ont aucun monopole, sinon celui du bon sens. Que viennent donc changer pour le monde professionnel des mathématiques universitaires l’Internet, les revues électroniques et les archives ouvertes ? Le mathématicien professionnel et professeur d’université que je suis va tenter de répondre à cette question, de manière toute personnelle. Bien sûr, l’informatique ne change pas les mathématiques, pas davantage que Gutenberg n’a engendré Descartes, Fermat ou Euler. Pourtant, les comptesrendus de l’Académie de Saint-Petersbourg, fondés par Leonard Euler, ont été un excellent véhicule de partage de l’information entre les quelques collègues d’une profession formée de spécialistes au XVIIIe siècle. De même, à l’époque moderne, les centaines de revues imprimées ou électroniques, et plus récemment les archives ouvertes, sont un excellent véhicule dans le monde d’aujourd’hui où la spécialisation est de plus en plus ramifiée. Pendant des siècles, les mathématiciens, peu nombreux, ont communiqué entre eux, dans les rares occasions où ils en sentaient le besoin, par correspondance privée et à l’occasion de rencontres personnelles. Encore aujourd’hui, entre mathématiciens, cela reste le moyen le plus efficace de coopé- HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 69 ration, certes facilité par le courrier électronique, le téléphone et les moyens de transport internationaux. Mais, depuis un peu plus d’un siècle, les revues avec comité de lecture s’ajoutent à ces communications personnelles et remplissent un double rôle de dissémination et de filtrage. Dans ce rôle de filtrage, elles fonctionnent d’une façon nécessairement imparfaite, les critères d’importance en mathématiques n’étant pas de nature vraiment scientifique mais plutôt de nature esthétique. La diffusion de ces revues était extrêmement confidentielles (au sens où elles ne circulaient qu’en se superposant aux réseaux interpersonnels) mais, dans la deuxième moitié du XXe siècle, la disponibilité des photocopieurs a permis aux instituts universitaires de faire circuler les travaux de leurs membres d’une façon limitée mais sans limite géographique, grâce à un réseau postal efficace. Les années 1970, bien avant l’arrivée d’Internet, constituent donc un tournant : les articles de recherche n’attendent plus d’être acceptés par les revues pour être effectivement « publiés ». Sans aucun filtrage, les services de reprographie universitaires produisaient une cinquantaine d’exemplaires et y agrafaient une page couverture portant un numéro séquentiel et une date. Ainsi l’auteur pouvait envoyer ces prépublications, appelées souvent « rapport de recherche », à ses collègues où qu’ils soient dans le monde, soit spontanément, soit en réponse à un intérêt plus ou moins précis signalé dans un domaine donné. Même aujourd’hui, alors qu’il n’est plus nécessaire d’imprimer avant d’expédier et qu’il est possible d’envoyer ses travaux à un nombre illimité de destinataires sans encourir de frais postaux, le nombre de 69 27/07/10 16:28 Stephan Foldes lecteurs d’un article de recherche en mathématiques dépasse rarement la douzaine. Qu’ont donc apporté Internet et les archives ouvertes comme moyens supplémentaires de communication ? Les apports sont majeurs et bien significatifs. Pour prépublier un rapport de recherche dans une archive ouverte gérée par une université américaine comme Cornell, je n’ai besoin d’aucune affiliation avec cette éminente institution. L’allocation des numéros séquentiels et des dates est assurée par un système plus fiable que les départements académiques des auteurs, ce qui permet finalement de vérifier les priorités lors de découvertes presque simultanées. Pour avoir une copie du dernier article de collègues éloignés, il n’est pas nécessaire qu’ils pensent à me l’envoyer ni que je leur demande de le faire : l’accès aux archives est ouvert. Je me demande qui, à supposer que les archives ouvertes aient existé en 1830, et que les articles aient pu être accessibles à l’est de Göttingen, de Lobatchevski ou 70 Livre-hermes-57.indb 70 du jeune Bolyai aurait été le premier à annoncer la découverte de la géométrie non-euclidienne. À moins que cela ait été Gauss lui-même, sous un pseudonyme naturellement, car la technologie n’aurait certainement rien changé à sa réticence à proposer la chose ouvertement. Et Évariste Galois, rédigeant son dernier manuscrit la veille du duel fatal du Champ de Mars, aurait-il confié « tout ce gâchis » à des archives ouvertes, plutôt qu’espérer que son écrit ne se perde pas définitivement dans les tiroirs de quelque bureau de l’École Polytechnique ? Les mérites d’Internet et des archives ouvertes en mathématiques sont grands, et surpassent sans doute les désavantages et les effets secondaires néfastes (les pressions qu’elles exercent sur l’autorité dont jouissent les revues savantes par exemple). Mais ce n’est sans doute pas propre aux mathématiques. Stephan Foldes Université de Technologie de Tampere, Finlande HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Lorna Heaton, Florence Millerand et Serge Proulx Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur (LabCMO) Université du Québec à Montréal (Uqam) « TELA BOTANICA » : UNE FERTILISATION CROISÉE DES AMATEURS ET DES EXPERTS Fondé en 1999, « Tela Botanica » est devenu le plus important réseau de communication et d’échange au service des botanistes de langue française. Il regroupe plus de 10 000 adhérents en provenance d’Europe, d’Afrique, d’Amérique du Nord, d’Asie et du Moyen – Orient, dont les deux tiers exercent une profession reliée à la botanique1. Cette association à but non lucratif a été créée dans le but de revitaliser la botanique et la communauté des botanistes dans un contexte où l’enseignement de cette discipline disparaissait des programmes d’éducation secondaire et postsecondaire en France. Dès son origine, le projet visait la création d’un réseau d’échange fondé exclusivement sur l’utilisation des technologies de communication : « L’idée de départ était de se dire : on va partir sur un fonctionnement en réseau, on va faire un réseau collaboratif, on va ne travailler que par Internet. » (entrevue avec Daniel Mathieu, président fondateur, 13 juillet 20092). En 2002, l’organisation se dote d’un site Web collaboratif. Dix ans après sa création, l’initiative connaît un succès retentissant, qui se manifeste par l’importance du trafic HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 71 généré, l’étendue et la diversité des projets réalisés, ou encore les retombées sur l’ensemble de la communauté francophone des botanistes. L’adhésion à ce réseau est entièrement gratuite, elle permet l’accès à un vaste ensemble de services à partir du site Web : outils logiciels, documents, informations, projets, listes de discussion. Ces services sont regroupés en quatre espaces interactifs3 : – Les Actualités : publication hebdomadaire définie comme « la lettre d’actualités de la botanique francophone » qui regroupe 7 700 abonnés et repose sur la contribution volontaire de ses membres ; elle est consultée quotidiennement par 1 800 visiteurs en moyenne. – E-flore : base de données permettant la consultation de référentiels de différents groupes taxonomiques et donnant accès à des informations sur la nomenclature, la répartition géographique, la description des plantes ; un wiki, sorte de tableau noir collaboratif, et des carnets en ligne permettent à tous d’y contribuer. 71 27/07/10 16:28 Lorna Heaton, Florence Millerand et Serge Proulx – Les ressources en ligne : elles proposent des références bibliographiques (30 000 entrées), des publications en ligne, des synthèses de forums de discussions. – L’espace « projets » : offert aux adhérents du réseau pour se regrouper et échanger des informations ou pour mener des projets en commun (62 projets actifs en 2008) ; ces projets collaboratifs génèrent une moyenne mensuelle de 600 courriels ; ils sont diversifiés (sujet, envergure, participation). Nous chercherons ici à montrer comment le projet Tela Botanica permet à la fois une transformation et une actualisation du savoir botanique. Trois éléments particuliers retiendront notre attention : la libre circulation et la mise à disposition des données les plus récentes du travail des botanistes ; l’articulation nouvelle entre le travail des amateurs et des professionnels ; la création d’une forme organisationnelle hybride combinant des éléments propres au milieu associatif et à l’entreprise privée. Libre circulation et mise à disposition des savoirs botaniques Le cœur des activités de Tela consiste à susciter et favoriser la libre circulation des savoirs botaniques. Examinons de manière détaillée les activités reliées à ce travail collaboratif. L’ensemble des adhérents ont la possibilité de contribuer à la publication du bulletin d’information Les Actualités. Le personnel employé est chargé du montage, de la mise en page et de l’édition du bulletin. Les sources d’information sont diverses ; il peut s’agir 72 Livre-hermes-57.indb 72 d’informations provenant de listes de discussion, de nouvelles provenant de sources externes, d’annonces d’événements à venir. Une colonne est réservée aux fils RSS pointant vers des sites « amis », permettant ainsi l’accès à l’information en temps réel. Il est possible d’y faire des recherches, des tris, et les lecteurs peuvent poster des messages à l’intérieur de mini-forums rattachés à chacun des articles publiés. Cet espace de nouvelles offre également un calendrier des événements dans le domaine de la botanique. Les Actualités constituent le lieu par excellence pour la diffusion d’offres d’emploi ou pour la recherche d’emplois dans le domaine de la botanique : « Les Actualités deviennent aujourd’hui un peu une pierre angulaire. Lorsque l’on s’inscrit sur le site, on s’abonne aux Actualités, on peut facilement se décrocher après. Il y a à peu près 7 000 ou 8 000 personnes qui la reçoivent. Donc, toutes les semaines, on a un média qui part vers 7 ou 8 000 personnes, avec, en moyenne, 20 articles par semaine. […] De nombreux articles sont fournis par les membres du réseau. Les articles que l’on rédige en propre sont en fait très peu nombreux. D’abord, parce que [les personnels de Tela] ne sont pas des botanistes… Essentiellement, ce sont des actualités produites par les lecteurs. C’est vraiment le journal produit par ceux qui le lisent. Et ça, c’est un point important. » E-flore constitue l’autre point d’attrait de Tela Botanica. Cette base de données regroupe 230 000 pages indexées sur les taxons de la flore de France, d’Amérique du Nord et de quelques départements français d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Réunion). Elle fait l’objet de plus de 10 000 consultations par jour. Développé en collaboration, selon un modèle de type Wikipédia, publié et corrigé rapidement, cet index est devenu la référence dans le domaine de la botanique : « Les standards aujourd’hui c’est nous qui les définissons. On s’inspire du contexte international pour HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 « Tela botanica » : une fertilisation croisée des amateurs et des experts connaître toutes les méthodes, les outils, les normes en particulier, que l’on connaît bien. Puis, à partir de là, nous appliquons ça au niveau national. Tela Botanica est devenu aujourd’hui la référence dans le domaine de la botanique pour les index. » E-flore offre également une série d’outils destinés aux botanistes, parmi lesquels le Carnet en ligne (CEL) et l’Album photo en ligne. Le CEL « se veut le pendant numérique du carnet de terrain du botaniste. Il permet de déposer des observations de plantes (aide à la saisie, visualisation de la répartition d’une plante, et bientôt utilisation de Google Maps), de les trier et de les rechercher. Il permet de saisir en ligne ces relevés floristiques de terrain » 4. Les informations saisies peuvent ainsi être transmises à Tela Botanica à des fins de partage dans l’espace eFlore ou être exportées vers un tableau au format Excel. Depuis sa création, Tela Botanica a diversifié ses activités dans le sens d’une orientation plus affirmée en matière de démocratisation de la science. Ainsi, deux employés se consacrent désormais à des projets de type « science citoyenne ». Un colloque a été organisé à l’automne 2009 à Montpellier sur la thématique des sciences citoyennes et de la biodiversité. Cette préoccupation devient de plus en plus importante au sein de l’association. Articulation nouvelle entre le travail scientifique des amateurs et celui des professionnels Tela Botanica rassemble botanistes professionnels et amateurs sous un même toit. Si les deux tiers des adhérents exercent un emploi en lien avec la botanique, HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 73 leur niveau de connaissance varie largement : 37 % se considèrent débutants, 48 % disent avoir une bonne pratique de la botanique, 15 % sont des botanistes confirmés. Par ailleurs, 54 % utilisent le réseau pour des raisons personnelles, 39 % pour des raisons professionnelles, 7 % pour l’un et l’autre5. La participation au réseau repose sur un ensemble de considérations éthiques : tous les adhérents disposent des mêmes droits et sont membres à titre individuel ; il n’existe ni hiérarchisation ni subordination. Les échanges sont « fondés sur le don » sans contrepartie matérielle, dans le but de faire en sorte que les données naturalistes deviennent des « biens communs » libres de droits6. Il y a non seulement diffusion du savoir botanique au moyen de nouveaux supports, mais aussi construction active de connaissances au sein du réseau grâce au dispositif. Bien que la botanique ne constitue pas a priori un domaine susceptible de controverses, le dispositif Tela Botanica fournit un espace de parole privilégié pour recueillir les réactions des adhérents et assurer les échanges à propos de thèmes susceptibles de lectures divergentes. Ainsi, le bulletin Les Actualités offre à ses lecteurs la possibilité de réagir à tous les articles publiés grâce à la mise en place d’un mini-forum attaché à chacun des articles. Le plus souvent, les réactions suscitent un intérêt plus important que l’article lui-même. Par exemple, la publication en mai 2009 d’un texte controversé sur la résistance d’une plante, l’amarante, à un herbicide de la compagnie Monsanto – qui serait due à un transfert génétique provenant du maïs – a provoqué de nombreuses et vives réactions durant les semaines ayant suivi la publication : « Le texte qu’il y a dessous est bien plus grand que l’article. Donc, ce qui est intéressant, ce n’est pas l’article, c’est ce qui a dessous. Parce qu’il y a la controverse. Et les scientifiques y participent tous. Il n’y a aucun problème avec ça. » Ce type de discussions a permis de corriger des inexactitudes et erreurs d’interprétation, ce qui a conduit le personnel de Tela à 73 27/07/10 16:28 Lorna Heaton, Florence Millerand et Serge Proulx publier une synthèse des débats et des corrections. Autre exemple : les discussions à propos d’un article paru sur le purin d’orties ont fait autorité dans le domaine au point qu’elles ont été citées à propos de modifications à une loi à l’Assemblée Nationale française. Pendant la dernière décennie, la notion d’expertise profane (lay expertise) a émergé en sociologie des sciences et techniques, en particulier dans le domaine de la santé. Ainsi, les travaux d’Epstein (1995), Prior (2003), McLean et Shaw (2005) montrent comment des profanes peuvent produire en dehors de la sphère scientifique proprement dit des connaissances pertinentes pour la science. Ces travaux plaident pour une reconsidération conceptuelle de la frontière entre expertise formelle et expertise dérivée du sens commun des gens ordinaires (lay expertise), au profit d’une vision privilégiant perméabilité et fluidité entre ces deux catégories. De par son histoire, la botanique a été particulièrement ouverte à la participation des amateurs. Secord (1994) a montré comment, au début du XIXe siècle à Lancashire, les botanistes amateurs des classes populaires ont réussi à développer une importante banque d’informations valide sur le plan scientifique, à partir des savoirs qu’ils se partageaient lors de leurs rencontres au pub du coin. Secord propose de distinguer, dans la deuxième partie du XIXe siècle, les apports d’une « science populaire » de ceux d’une « science élitiste » à la construction des savoirs savants. Cette division dans le travail de production des savoirs savants équivaut à un construit social créé par ceux-là mêmes qui peuvent participer à la production des connaissances dans le contexte de conditions sociales spécifiques. Ce même argument a été repris par Livesey (2005) dans sa description du rôle clé joué par le jardinier dans la construction des savoirs botaniques au siècle des Lumières. Pour sa part, Vanpaemel (2006) explique l’antagonisme entre cultures scientifiques – professionnelle et amateur – par le recours à des stratégies de communication distinctes 74 Livre-hermes-57.indb 74 en matière de diffusion des savoirs. Sur ce plan, les stratégies de communication mises en place par Tela Botanica apparaissent hybrides : largement associées à la culture scientifique des amateurs, elles mobilisent aussi des principes de diffusion centralisée propres à une culture scientifique de professionnels. Enfin, la nature même de l’activité botanique n’est pas sans jouer un rôle dans le développement d’une expertise par les botanistes amateurs. Dans son étude des interactions entre scientifiques bénévoles et salariés au sein d’un musée d’histoire naturelle, Meyer (2008) suggère que les « matérialités » de l’activité scientifique, c’est-à-dire les outils nécessaires à la réalisation du travail scientifique, peuvent faciliter ou contraindre la participation des amateurs. Ainsi, dans le cas de l’histoire naturelle, le travail sur le terrain requiert peu d’outils, ces derniers étant généralement bon marché, accessibles et faciles à utiliser. Si le projet Tela Botanica donne à voir une articulation nouvelle des relations entre amateurs et professionnels, cette ré-articulation touche également le niveau institutionnel. Ainsi, dix ans après sa création, Tela Botanica est devenu un acteur majeur dans le domaine de la botanique en France, voire pour l’ensemble de la francophonie : « Ça, c’était impossible à imaginer au départ. Aujourd’hui, par exemple pour l’index des plantes qu’on va améliorer, nous allons travailler avec la Société de botanique de France, l’Office national des forêts, le Muséum national d’histoire naturelle, les Conservatoires botaniques. C’est nous qui les invitons à travailler ensemble. On fournit les protocoles, les outils informatiques que l’on développe et nous sommes chargés de faire la médiation entre des personnes qui normalement ne se rencontrent pas, ou peu. » HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 « Tela botanica » : une fertilisation croisée des amateurs et des experts Une forme organisationnelle hybride Dès ses débuts, Tela Botanica innove avec un mode d’organisation hybride empruntant aussi bien au modèle associatif qu’à celui de l’entreprise privée. D’un côté, cette association tire sa raison d’être du réseau et de ses membres ; de l’autre, elle est gérée comme une entreprise qui se doit d’être rentable pour pouvoir survivre : « Bien que Tela soit une ONG, on a pris un modèle qui n’est pas celui de l’association classique avec l’assemblée générale souveraine qui élit un conseil d’administration [et le reste]. [On s’est dit] ça va être un réseau qui n’aura pas d’existence juridique en tant que telle, on appelle ça une association de fait. On a créé [par ailleurs] une association – Tela Botanica – très resserrée qui anime ce réseau. » Un petit nombre de personnes (onze) compose l’assemblée générale des membres qui veille à la coordination des ressources humaines et matérielles nécessaires au bon fonctionnement du réseau. Les avantages de ce mode opératoire renvoient essentiellement aux modalités de prise de décision : « L’idée de base, c’est comme une entreprise, dans le sens où l’on développe une activité en relation avec un public qui est le réseau. Soit on est bon, on répond aux aspirations et aux besoins et on survit, soit on disparaît. Une association qui tire sa légitimité du fait qu’elle est élue peut-être complètement nulle en termes d’efficacité… Elle tire sa légitimité de la démocratie formelle : celle de l’élection des membres qui la dirigent. Un tel système peut perdurer pendant très longtemps en étant totalement inefficace. Alors que là, plus on est en situation de fragilité, plus on sera efficace. En étant dans une grande fragilité au niveau économique, on n’a pas d’autres solutions que d’être bons. » Si toutes les activités de Tela Botanica sont liées au domaine de la botanique, certaines d’entre elles sont HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 75 réalisées uniquement pour des raisons de survie économique : « Le modèle économique est de mener des gros programmes et de dégager suffisamment de marge sur ces programmes pour financer deux à trois personnes qui ne travaillent que pour le volet collaboratif qui, lui, ne peut pas être financé. » Selon le président de l’association, on peut établir un parallèle entre le modèle de fonctionnement de Tela Botanica et celui d’une entreprise comme Google qui utilise la publicité pour financer ses activités de développement, à la différence près que « [alors que] dans Google, c’est l’argent qui compte, pour nous c’est la finalité liée à la botanique [qui compte]. » La différence entre les projets qui rapportent et ceux qui sont au cœur de la mission de l’organisation est en réalité plus subtile. Ainsi certains projets développés à l’origine pour répondre à des besoins de trésorerie – comme la numérisation des herbiers – ont été, par la suite, intégrés à la mission même de l’association. Parallèlement, l’organisation a été reconnue comme faisant autorité dans le domaine, en développant une réelle expertise en la matière (à la fois sur le plan de la qualité des ressources humaines et du développement d’outils informatiques appropriés). En réussissant à organiser la communauté de ses adhérents de telle façon qu’elle réalise l’inventaire de toutes les plantes répertoriées sur le territoire français, Tela Botanica s’est dotée de connaissances si complètes et expertes qu’elle a été reconnue comme la référence par des institutions comme le Musée national d’histoire naturelle. Ceci a d’ailleurs conduit le ministère français de l’environnement à lui adresser des demandes dans d’autres domaines : « La dernière mission qui nous est confiée par le ministère de l’Environnement, nous dit : écoutez, vous avez fait ça pour les plantes vasculaires, c’est bien. Vous allez maintenant le faire pour les mousses, pour les lichens, pour les champignons, pour les algues marines, les algues d’eau douce, pour la métropole et pour les départements d’outre-mer. On a un cahier des charges pour quelques années… » 75 27/07/10 16:28 Lorna Heaton, Florence Millerand et Serge Proulx La mission que s’est donnée Tela Botanica correspond assez bien à un idéal communautaire (commons) dans la mesure où l’organisation développe des programmes d’actions à visée sociale (prosocial behaviors) fondés sur une mutualisation d’activités bénévoles orientées vers la production de biens communs (Ostrom, 1990 ; Lohmann 1989, 1992). L’organisation intègre un ensemble de valeurs et de principes qui la situent d’emblée dans le milieu associatif et qui la distinguent du secteur de l’entreprise privée (Meyer, Tsui et Hinings, 1993). Cependant, elle relève simultanément d’un modèle de type entreprise privée (business-like) dans sa recherche de profits (même si c’est pour pouvoir dégager des surplus permettant la survie des idéaux communautaires) et dans son approche managériale (Skloot, 1987). Selon des travaux sur l’entreprenariat social, la recherche de profits peut aussi relever de la mission du secteur associatif (Emerson, Twersky, 1996). Or, Dart (2004) propose de retenir quatre dimensions pour l’analyse du modèle de l’entreprise privée : finalités, services, gestion et rhétorique organisationnelle. Sous tous ces aspects, le modèle organisationnel de Tela Botanica s’apparente à un modèle de type entreprise privée. L’organisation possède des finalités à visée sociale (le réseau) tout en développant des objectifs orientés vers la production de revenus. Dans certains cas, les visées de rentabilisation de Tela Botanica ont permis le développement de sa mission sociale originelle et la promotion sociale de la botanique. Ce modèle hybride est visible dans son style de gestion interne et la nature des services qu’elle offre. Des tensions autour de la professionnalisation de l’organisation sont apparues, dues à la croissance du volume d’activités. En 2007, l’association recrute un directeur général salarié. En 2009, elle emploie douze personnes répartis dans trois secteurs : développement d’outils collaboratifs ; volet science et citoyens ; patri- 76 Livre-hermes-57.indb 76 moine scientifique et culturel (savoirs botaniques). Le personnel employé s’occupe de tout ce qui relève du fonctionnement du réseau. Des professionnels spécialistes sont embauchés pour développer et assurer la maintenance des outils (en code ouvert) tandis que la gestion des projets clés, souvent liés à des contrats, est confiée à des coordonnateurs. Si cette façon de faire permet de réaliser efficacement les programmes d’activité, elle pourrait éventuellement éloigner l’association de la philosophie initiale du projet. C’est du moins l’opinion de certains employés : « On voit bien qu’il y a des différences notables entre les premiers projets, qui n’étaient faits que par des bénévoles, avec très, très peu de personnes pour coordonner ça… et maintenant le fait qu’il y ait dix salariés et peut-être un peu moins de personnes qui contribuent à faire du bien commun. » (Un membre employé) La création en 2009 d’un comité de direction scientifique et technique visant à garantir la représentation de la communauté constitue une innovation organisationnelle. Composé d’une vingtaine de personnes sélectionnées parmi les adhérents les plus actifs du réseau, le comité a pour rôle de discuter et d’avaliser toutes les décisions concernant le réseau. Cette initiative constitue-t-elle un effort vers une meilleure prise en compte de la parole des adhérents ? Le recrutement, au sein du réseau, d’une ressource compétente pour la coordination d’un projet lucratif constitue-t-il une perversion de l’éthique de la contribution volontaire ou bien s’agit-il simplement d’une façon de valoriser la qualité dans un contexte collaboratif ? Les réponses à ces questions dépendront de la manière dont l’organisation poursuivra son mouvement de professionnalisation, en tension permanente entre ses idéaux associatifs et sa gestion managériale. Tela Botanica offre un exemple d’innovation organisationnelle qui n’est pas à proprement parler ascendant. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 « Tela botanica » : une fertilisation croisée des amateurs et des experts Ici, les idéaux associatifs orientés vers la production de biens communs, les aspirations à une démocratisation des savoirs botaniques et les volontés innovantes sont étroitement enchevêtrés. Une part de l’explication de ce type d’innovation communautaire tient sans doute aux conditions et contraintes liées à l’infrastructure sociotechnique que constitue le réseau (Oost, Verhaegh et Oodshoorn, 2009). Cependant, Tela Botanica a choisi la voie de la professionnalisation en mettant en place une structure entreprenariale qui puise ses racines dans un idéal de contribution communautaire, et cela malgré les contradictions organisationnelles entraînées par ce choix d’orientation. En ce sens, cette expérimentation sociotechnique et communautaire mérite d’être suivie de près. Elle pourrait conduire au développement de solutions phares pour l’économie sociale7. NOTES 1. Tela Botanica, À vos clic, Rapport d’une enquête par sondage, juin 2009. 5. Tela Botanica, 2009. 2. Sauf indication contraire, les citations qui suivent sont de D. Mathieu. 7. 3. Rapport annuel, 2008. 4. Voir <www.tela-botanica.org/page:cel?var_recherche = eflore>. 6. Charte fondatrice du réseau, 1999, p. 8. Nous remercions ici Olivier Gratton-Gagné, étudiant au LabCMO pour son aide à titre d’assistant de recherche. Ce programme de recherche a été rendu possible grâce à une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). R ÉFÉR ENCES BIBLIOGR APHIQUES DART, R., « Being “Business-Like” in a Nonprofit Organization : a Grounded and Inductive Typology », Nonprofit and Voluntary Sector Quarterly, vol. 33, n° 2, 2004, p. 290-310. EMERSON, J., TWERSKY, F. (éd.), New Social Entrepreneurs : the Success, Challenge, and Lessons of Nonprofit Enterprise Creation, San Francisco, The Roberts Foundation, 1996. 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En ligne sur <www.2iceshs. cyfronet.pl/2ICESHS.../R-18_Vanpaemel. pdf>. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Lionel Barbe Modyco (équipe info-com) Université Paris X – Nanterre WIKIPEDIA, UN TROUBLE-FÊTE DE L’ÉDITION SCIENTIFIQUE Souvent critiquée, l’encyclopédie en ligne Wikipedia n’en est pas moins devenue en quelques années un outil de diffusion d’informations scientifiques de plus en plus utilisé dans le monde entier, par les élèves mais également par les chercheurs. En 2005, 17 % des chercheurs publiant dans la revue Nature reconnaissaient en effet consulter Wikipedia, et 10 % y contribuer (Giles, 2005). Les producteurs classiques de connaissances s’affichent même parfois : dans la section francophone, par exemple, plus de 400 contributeurs se sont auto-recensés dans la catégorie « Enseignants et chercheurs », 43 dans la catégorie « Juristes » et presque 500 dans la catégorie « Ingénieurs ». Ces chiffres ne concernent que des Wikipédiens actifs volontairement recensés et ils sont donc très partiels car de nombreux contributeurs ne précisent pas leur profession. Mais cela pose néanmoins la question du rapport délicat entre production des savoirs dans le monde académique et dans Wikipedia. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 79 Une « illusion technophile » pourtant bien réelle Pour reprendre le bon mot de Piotr Konieczny (2007), chercheur et contributeur de Wikipedia, « le problème avec Wikipedia, c’est que ça marche en réalité, mais pas en théorie ». Construit autour d’un système d’édition plus complexe et plus opaque qu’il n’y paraît, l’encyclopédie Wiki occupe une place de choix dans les résultats des moteurs de recherche, malgré les imperfections, grâce à un souci d’innovation constant et aux millions de contributions des « wikipédiens ». Wikipedia aurait pu n’être qu’un feu de paille, mais l’encyclopédie offre désormais 15 millions d’articles en plus de 270 langues, créés et mis à jour par près de 100 000 contributeurs bénévoles. Le succès de Wikipedia dépend sans doute des algorithmes de classement de Google puisque l’omniprésent moteur de recherche classe systématiquement en première position Wikipedia pour des mots-clés aussi divers que 79 27/07/10 16:28 Lionel Barbe « relativité générale », « physique quantique », « théorie de l’information » et même « sciences de l’information et de la communication ». Google ne peut être accusé de favoritisme, puisque, comme on le sait, il privilégie les sites commerciaux, ce qui n’est assurément pas le cas de Wikipédia, site indépendant, gratuit et sans publicité. De plus, depuis 2007, Google a développé un projet concurrent d’encyclopédie, baptisé Google Knol. Le succès de Wikipedia dans les moteurs de recherche est donc lié à l’extrême « citabilité » (interne comme externe) de ses articles, qui explique son succès auprès de l’algorithme Google. On aurait pu également ranger l’entreprise au rang des vulgates, de grande ampleur certes mais sans portée dans le monde du savoir académique. Or, en 2005, un article dans la revue Nature donnait un sceau de respectabilité à l’entreprise, puisque la comparaison avec l’encyclopédie commerciale Britannica montrait que le taux d’erreurs décelées dans les deux encyclopédies était proche. (Giles, 2005) Le paradoxe est que les articles de Wikipedia répondent mal aux exigences éditoriales scientifiques : les auteurs se cachent souvent derrière un pseudonyme qui fait écran aux références statutaires ; la validation ne se fait pas entre pairs ; le principe commun aux contributeurs n’est pas l’objectivité mais un mythique neutral point of view (« NPOV ») aussi emblématique que problématique. De la nature des savoirs sur Wikipedia Wikipedia se résume dans un principe à trois processus : une écriture collaborative, un système de contrôle, une dynamique communautaire. 80 Livre-hermes-57.indb 80 L’écriture collaborative est donc l’une des bases de l’encyclopédie libre. N’importe qui peut créer un article, peut l’amender, peut le détruire. Seule la collaboration des wikipédiens encadre le processus. L’IBM Watson Research Center (Viegas et Wattenberg, 2004) a montré l’efficience de ce modèle, évoquant un « effet piranha » pour parler de la dynamique d’incrémentation sémantique d’un article grâce aux participations des contributeurs. L’efficience peut être relativisée pourtant (Barbe, 2006), la variabilité de « l’effet piranha » étant très grande. Certes, l’article intitulé « Pomme » a débuté par « La pomme est un fruit » et a connu un grand succès collaboratif. Mais il n’en va pas de même pour des sujets plus spécialisés, en particulier pour les sujets scientifiques. Une analyse méticuleuse montre que, dans plusieurs cas d’articles ayant obtenu le label « articles de qualité », le nombre de contributeurs à l’origine de l’essentiel du contenu est réduit : deux à cinq contributeurs principaux, en tout cas moins que les centaines de contributeurs évoqués. Si les contributeurs sont parfois nombreux, ils n’interviennent pas tous au même titre, la plupart se contentant de modifications mineures ; ils sont donc moins des auteurs que des correcteurs, des maquettistes, des « référenceurs », etc. Plus un sujet est spécialisé, moins le nombre de contributeurs intervenant sur le fond de l’article est important. Selon nos calculs (ibid), 5 % environ des contributeurs sont à l’origine de 90 % du contenu. La genèse des articles de l’encyclopédie en ligne est donc due à quelques centaines de wikipédiens. L’encyclopédie est dite libre, mais son fonctionnement est en partie hiérarchique. Au cœur du système de contrôle du contenu se trouvent en effet une série d’« administrateurs ». Maintes fois dénoncé pour ses possibles dérives totalitaires (le site wiki-observateur. org s’en fait une spécialité), ce statut, acquis dans le cadre d’un système de vote à la fiabilité aléatoire, HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Wikipedia, un trouble-fête de l’édition scientifique confère un pouvoir important sur les choix éditoriaux de Wikipedia. La mesure la plus décriée et néanmoins nécessaire est celle du ban temporaire ou définitif d’internautes indélicats. La mise en application de cette mesure a même abouti au bannissement d’une personnalité, Grishka Bogdanov, soupçonnée de modifier à son avantage l’article qui lui était consacrée. Plusieurs cas d’exclusions de chercheurs ou d’universitaires pour la rédaction de pages traitant de leur spécialité scientifique ont également été signalés (Christian Magnan, de l’Institut d’astrophysique de Paris, s’est plaint d’avoir été « mis à la porte », par exemple). Dans la plupart des cas, les administrateurs ou les gros contributeurs appuient leur plainte sur un défaut de neutral point of view pour justifier leurs interventions, donnant lieu à de conventionnelles « controverses de neutralité » (Jacquemin et al., 2008). Bien souvent, les ego s’affrontent (Auray et al., 2009) et l’entente est difficile entre experts reconnus d’un domaine et administrateurs néophytes, souvent anonymes et pas toujours compétents en la matière. Ce sont pourtant eux qui ont la plupart du temps le dernier mot à l’intérieur du comité d’arbitrage de l’encyclopédie (Jacquemin et al., 2008) ou à l’extérieur, en poussant notamment à la faute de forme leurs opposants (Auray et al., 2009). Finalement, le système basé sur les administrateurs et le neutral point of view a pour effet de gommer les contenus qui ne sont pas pré-existants ou avérés, tout en laissant une marge de manœuvre très mince à ceux qui sont par ailleurs justement responsables de leur validation ou de leur création. Ce paradoxe apparent masque une réalité : Wikipedia est un projet agrégatif et normatif, mais ce n’est pas un espace d’édition de connaissances de première main. Reste le problème de l’auto-application de cette règle par les administrateurs eux-mêmes, qui sont, rappelons-le, à l’origine d’une grande partie du contenu validé. Les motivations des gros contributeurs de Wikipedia ne sont pas non plus clairement identi- HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 81 fiées. Si le rôle de la dynamique communautaire a pu être démontré, des études ont également établi qu’un positionnement identitaire est souvent recherché par les wikipédiens assidus (Anthony, 2005). Certains chercheurs se focalisent davantage sur le rôle des dynamiques sociales et communicationnelles entre individus que sur le contenu des articles, envisagé dans ce cas comme le résultat du tissage de liens sociaux et communautaires. Cette approche est soutenue par le fait que le contenu des articles ne représente qu’un quart du total des mots écrits sur le site, ainsi qu’on le découvre sur la page « Statistiques spéciales » de l’encyclopédie en ligne. Cependant, si les gros contributeurs ont joué un rôle majeur pendant la phase d’extension rapide de Wikipedia, en créant notamment les entrées correspondantes à des ensembles de mots, il semble que l’enjeu réside davantage aujourd’hui dans les disciplines plus spécialisées, en particulier les disciplines scientifiques. Nous avons vu que plus un article est spécialisé, moins le nombre de contributeurs est important. On constate également en parcourant les pages utilisateurs que les contributeurs sont plus fréquemment des experts du domaine ou des personnes disposant de connaissances approfondies. Il s’agit donc de contributeurs spécialisés, qui n’ont pas une optique de croissance généralisée de l’encyclopédie mais davantage un but de communication sur un ou deux domaines particuliers, ou de promotion de ces domaines auprès des communautés d’experts qui leur sont proches (Barbe, 2008). Il semble donc qu’il faille invoquer deux dynamiques contributives distinctes. Une dynamique grand public de construction commune d’une base de connaissances générales et une dynamique de communication d’informations spécialisées à destination d’une population plus restreinte d’initiés, concernant l’information scientifique et technique en particulier. L’analyse des arcanes de Wikipedia montre que le contenu final de l’encyclopédie est issu d’un processus 81 27/07/10 16:28 Lionel Barbe de sélection et invite à fortement relativiser la liberté théorique de publication. C’est d’autant plus probant en matière de sciences où les experts et chercheurs interviennent de plus en plus fréquemment sur le contenu, lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes à l’origine de celui-ci. Par ailleurs, il est nécessaire de distinguer d’une part les contributeurs généralistes, dont l’activité consiste essentiellement en un effort de synthèse et de remise en forme de contenus pré-existants, et d’autre part les auteurs d’articles spécialisés. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que l’encyclopédie libre n’a pas vocation à accueillir du contenu inédit, même venant d’experts, puisqu’un des principes fondateurs consiste à demander aux contributeurs de citer des sources pour appuyer leurs propos. Le niveau de qualité des sources constitue donc un élément fondamental pour évaluer la solidité des articles scientifiques de Wikipedia. Les analyses bibliométriques sur Wikipedia sont peu nombreuses. Une étude empirique de la Wee Kim Wee School of Communication and Information de Singapour (Luyt et Tan, 2010) conclut à une forte prédominance des sources officielles ou à des contenus trouvés sur Internet dans les citations, au détriment des publications scientifiques. Cependant, cette étude est basée uniquement sur les articles traitant de l’histoire des pays dans la Wikipedia américaine. Une autre étude (Arup, 2008), cette fois systématique, s’est intéressée à la représentation des grandes revues scientifiques américaines dans les citations de Wikipedia. Cette étude démontre une forte corrélation entre les niveaux de citations des revues dans le Journal Citation Reports et dans Wikipedia. Autrement dit, les revues qui bénéficient des plus forts facteurs d’impacts en science sont aussi celles qui sont le plus souvent citées sur Wikipedia (Nature et Science en premier lieu). Autre point, selon l’étude, la croissance des citations scientifiques dans Wikipedia entre novembre 2006 et avril 2007 a été très importante, passant de 20 000 à plus de 30 000 uniquement pour les 80 revues les plus citées. 82 Livre-hermes-57.indb 82 Ces deux études ne sont pas contradictoires, elles montrent que dans de nombreux cas, comme les articles sur l’histoire des pays, les citations de publications académiques sont trop peu nombreuses sur Wikipedia par rapport à des sources provenant de médias grand public plus digestes pour les non-spécialistes d’un domaine. Mais la forte augmentation des sources scientifiques et leur bonne représentativité s’inscrivent logiquement dans le tournant qualitatif entrepris par l’encyclopédie depuis 2006 avec, en particulier, le développement du label « article de qualité » et l’apparition d’un nouveau label « bon article ». Cependant, ces articles labellisés ne représentent qu’une très petite partie du total, soit environ 1 500 articles sur 900 000 dans la Wikipedia francophone. Pour qu’un article soit déclaré « de qualité », il faut qu’une demande soit faite, puis qu’un vote ait lieu, sachant que le label requiert nombre d’autres éléments que les citations, comme par exemple un plan détaillé, des illustrations, etc. Ainsi, Wikipedia pourrait favoriser la visibilité de certaines publications scientifiques sur le Web (Black, 2008). Quelle place pour Wikipedia et ses concurrents vis-à-vis de l’édition « scientifique » ? Il convient d’abord de situer Wikipedia face à ses deux concurrents les plus crédibles en matière d’édition de connaissances qui sont Citizendium et Google Knol. Lancés respectivement en 2006 et 2007, ces deux sites ont vocation à faire concurrence à Wikipedia en exploitant son talon d’Achille : l’anonymat des auteurs. Dans les sites concurrents, il est nécessaire de s’identifier. Mais si le modèle de Citidenzium est basé sur la validation des articles par des experts, celui de Google HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Wikipedia, un trouble-fête de l’édition scientifique Knol, qui propose par ailleurs de rémunérer les auteurs en fonction de l’audience de leurs articles, semble beaucoup moins convaincant en matière de fiabilité des contenus. En effet, l’identification sur Google Knol est réduite au dépôt d’un e-mail avec nom et prénom sans aucune autre vérification. L’édition d’un Knol, unité de savoir en langage « googlien », est donc possible en quelques minutes et de façon automatique, et ce sans comité de lecture, bien que Google affirme étudier cette possibilité. Face au mythe du neutral point of view de Wikipedia, Google Knol propose donc la responsabilité personnelle des auteurs, retournant ainsi à un modèle plus traditionnel d’édition personnelle, permettant cependant les commentaires, à l’image d’un blog. Une option permet aux auteurs d’ouvrir à la collaboration la rédaction de leur texte. L’indice de popularité d’un article est mis en avant, augmentant la visibilité dudit article sur le site. Cette organisation pyramidale de l’audience semble favoriser les sujets polémiques et la promotion de produits ou de services. Les conseils pratiques sont également largement représentés sur Google Knol : résolution de problèmes informatiques, réussir en bourse, etc. En conclusion, Google Knol rencontre deux principaux écueils. Le premier est sa croissance très lente ; seulement quelques centaines d’articles publiés en français et quelques milliers en anglais. Le second concerne l’absence d’un système de contrôle de la qualité des contenus. Paradoxalement, la facilité de publication sur Google Knol est mise en avant par certains auteurs d’articles de Knol1 qui trouvent trop restrictif le système de contrôle a posteriori de Wikipedia. On constate par ailleurs que bien peu d’articles de Knol utilisent des citations. Le modèle de Citizendium est plus efficient au niveau scientifique car il est basé sur des groupes de travail d’experts réunis par thèmes ou disciplines. La validation par un comité de lecture est obligatoire pour HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 83 la publication d’articles et la qualité est donc en principe garantie. Cependant, Citizendium reste confidentiel sur Internet et une comparaison qualitative serait limitée par le très faible nombre d’article de Citizendium par rapport à Wikipedia. Pour l’instant, la place de Wikipedia comme porte d’entrée de la connaissance sur Internet ne semble pas remise en cause au regard du développement lent de ses concurrents. Une intéressante étude d’Alireza Noruzi (2009) montre qu’entre 2004 et 2009 le nombre de citations contenant le mot Wikipedia dans le Web of Science de l’ISI est de 263, toutes disciplines et langues confondues, soit 26 fois supérieur au nombre de citations de l’Encyclopaedia Universalis. L’étude montre également qu’après avoir atteint en 2007 le nombre maximum de 80 citations, ce même nombre a ensuite diminué en 2008 et 2009, à seulement 21 citations. Les articles de l’encyclopédie libre seraient donc de moins en moins cités dans des publications scientifiques et l’on peut penser que les polémiques liées à la fiabilité de son contenu n’y sont pas pour rien. Wikipedia, tout en s’imposant au grand public, serait donc de moins en moins reconnue comme une source fiable d’édition scientifique, source qu’elle n’a a priori pas vocation à devenir. Par ailleurs, l’irruption du modèle de l’accès ouvert a engendré un remaniement du secteur de l’édition scientifique et créée des espaces nouveaux de publications et de références dédiés aux sciences (Lardy, 2009 ; Bosc, 2008). Le risque de remplacement ou du moins de parasitage du monde de l’édition scientifique par Wikipedia semble s’éloigner, car le problème de la fiabilité du système demeure, et en particulier celui de sa vulnérabilité face aux attaques volontaires pour le mettre en défaut (Gourdain et al., 2007). Et la controverse sur sa fiabilité semble devoir durer. Cependant, ayant atteint un plateau quantitatif (le nombre d’articles n’augmente plus), l’encyclopédie libre pourrait passer à un modèle mixte en validant des versions définitives 83 27/07/10 16:28 Lionel Barbe d’articles qui ne seraient plus modifiables. C’est déjà le cas de plusieurs centaines d’articles, objets de conflits d’édition et protégés temporairement ou définitivement en écriture. Cette cristallisation progressive du contenu de Wikipedia aurait pour avantage de permettre la mise en place de garanties qualitatives et de pallier aux faiblesses qualitatives de son système éditorial, pourtant à l’origine de sa croissance. NOTE 1. Voir <http://knol.google.com/k/pourquoi-knol-est-il-un-grandprématuré-et-wikipédia-un-grand-vieillard#>. R ÉFÉR ENCES BIBLIOGR APHIQUES A NTHONY, D., SMITH, S. W. ; WILLIAMSON, T., Explaining Quality in Internet Collective Goods : Zealots and Good Samaritans in the Case of Wikipedia, Hanover, Dartmouth College, 2005. 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LES POLITIQUES DU SAVOIR Florence Audier Bernard Lang Marie Cornu Valérie-Laure Benabou Bernard Rentier Bruno Granier Cécile Méadel Pascal Froissart Livre-hermes-57.indb 85 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 86 27/07/10 16:28 Florence Audier Centre d’ économie de la Sorbonne UMR 8174, Université Paris I et CNRS LES PUBLICATIONS « OUVERTES » : COOPÉRATION OU CONCURRENCE ? La « mesure » du travail scientifique fait l’objet d’une polémique grandissante. La discussion porte en grande partie sur la place à accorder aux publications, qui sont la partie visible de l’iceberg du travail scientifique. L’acuité de cette question résulte aussi de la pression à la publication qui prévaut chaque jour davantage : pression liée à la concurrence internationale exacerbée dans les sciences « dures » pour publier le premier, et sa transposition brutale dans les SHS à des fins détournées, comme le classement et l’évaluation des équipes et des chercheurs. Dès lors, émerge la question de l’apport et du rôle conféré aux divers types de publications scientifiques, puisque co-existent différents supports, depuis les ouvrages jusqu’aux notes rapides, depuis les publications « classiques » jusqu’aux publications « libres », qui se démultiplient à l’infini, revêtant là encore des statuts différents. Sans prétendre évidemment aborder toutes les facettes de cette question aux multiples implications HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 87 (individuelles, collectives, académiques, éditoriales, etc.) on voudrait ici réfléchir à la spécificité des publications dites « ouvertes », non seulement dans la diffusion des connaissances, mais aussi, en amont, dans l’animation des débats scientifiques. Autrement dit, les publications « ouvertes » améliorent-elles la diffusion des résultats les plus intéressants ou originaux ? Facilitent-elles les échanges et la coopération, ou paradoxalement contribuent-elles à la concurrence de tous contre tous ? Les publications ont pour fonction première de faire connaître l’avancée des recherches – qu’il s’agisse de leurs résultats comme des choix qui les sous-tendent – et de les faire discuter. Car le travail scientifique – en particulier celui produit dans les institutions publiques – peut s’assimiler à un « bien public » qui ne doit connaître ni frontières, ni discrimination, tandis que les scientifiques constituent une « communauté » en un sens particulier du terme : non pas une communauté d’idées, encore moins d’intérêts, mais une communauté intellectuelle 87 27/07/10 16:28 Florence Audier dont la tâche consiste à faire progresser la connaissance et à la diffuser. Les publications se matérialisent différemment selon les disciplines et les objectifs qu’on leur assigne : il peut s’agir de « notes » aux rédactions de revues ou aux sociétés savantes (comme les Académies des sciences), ou encore de pre-prints, pour « prendre date » sur une idée ou un résultat, comme cela se pratique usuellement en chimie ou en physique ; mais aussi plus classiquement d’articles, ou bien évidemment d’ouvrages. S’agissant des ouvrages, qui sont souvent des œuvres individuelles, chacun sait que leur forme, leur portée, leurs ambitions sont infiniment variées, allant des éditions savantes jusqu’aux essais. Leur accès est souvent encore réduit à la fréquentation de bibliothèques même si les mises en ligne et les éditions électroniques sont en progrès. Concernant les articles, qui sont, cette fois, plus souvent écrits à plusieurs lorsqu’ils résultent d’un travail plus collectif, leur variété est à peine moins grande. Dans ces conditions, chercher à faire correspondre à une éventuelle typologie des modes d’expression une typologie des supports serait de faible utilité pour réfléchir à la spécificité des publications « libres » ou « ouvertes », par opposition aux publications dans des revues ou des collections sous l’égide d’éditeurs commerciaux. D’autant qu’à l’heure actuelle tout au moins, il semble bien qu’il s’agisse de stratégies différentes mais qui, in fine, concourent à des buts similaires, poursuivis par les mêmes acteurs, puisque les « archives ouvertes » contiennent des publications « académiques », ce qui les différencie en tout point avec, par exemple, des « pages personnelles » ou des « blogs ». En effet, on observe les éléments suivants : – Les éditeurs commerciaux de revue permettent de plus en plus fréquemment à « leurs auteurs » de déposer leurs publications dans les archives ouvertes : dès 2005, plus de 90 % des éditeurs scientifiques acceptaient que les chercheurs auto-archivent (au sens de « stocker ») leurs 88 Livre-hermes-57.indb 88 articles après publication (sous condition d’embargo des numéros les plus récents, réservés aux abonnés, qui sont le plus souvent des bibliothèques), et nombreux sont ceux qui permettent même l’archivage de pre-prints ayant déjà fait l’objet de « rapports » favorables à la publication circonstanciés. D’ailleurs, en physique mais pas seulement, la tradition de self-archiving est solidement et anciennement implantée sous la houlette des universités elles-mêmes, la Cornell University Library par exemple. Dans tous ces cas, il s’agit de publications scientifiques, référencées, sous le timbre de revues et d’éditeurs, et l’appartenance de l’auteur à une institution de recherche homologuée comme universitaire ou à un grand organisme atteste de la qualité de sa contribution lorsqu’il s’agit de pre-prints. – Les éditeurs de revues ont d’ailleurs organisé leur financement en conséquence, faisant à présent payer l’auteur au lieu – ou en plus – de l’acheteur. Bref, il est de plus en plus souvent demandé une forte contribution financière à celui qui soumet un article (les institutions auxquelles ils sont rattachés doivent donc être suffisamment riches pour supporter ces frais, surtout si leurs chercheurs sont nombreux à être productifs) et les bibliothèques sont de plus en plus contraintes d’acheter un « bouquet » de plusieurs revues – papier ou électroniques – émargeant chez le même éditeur. – Enfin, les « entrées » pour accéder aux publications, comme les références à reproduire pour les citations renvoient classiquement aux revues et laboratoires, non aux aires de stockage. Pourtant, la différence entre les deux types de publication – « libres » ou non – est majeure eu égard à trois critères : la taille du spectre de diffusion, qui est incommensurable puisque, sous réserve d’un bon moteur de recherche, la bibliographie est faite en quelques clics ; l’accessibilité, avec la possibilité de télécharger tous les documents et même de les retravailler à sa guise, y compris des documents anciens, souvent inaccessibles HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Les publications « ouvertes » : coopération ou concurrence ? par d’autres voies ; et surtout la rapidité d’accès : plus de nécessité d’attendre des mois voire des années avant de diffuser ses recherches. Les publications « ouvertes » ou « libres » facilitent donc significativement la capacité à « faire connaître » les travaux et éventuellement à prendre date dans l’ordre des « découvertes ». Mais les publications servent aussi à faire discuter les travaux : à quoi servirait de diffuser les résultats du travail scientifique s’ils ne pouvaient être appropriés, c’est-à-dire vérifiés et donc discutés par les pairs ? Prises sous cet angle, les publications scientifiques, « libres » ou « ouvertes », présentent un immense avantage déjà noté : celui de la rapidité. Là encore, des différences importantes apparaissent selon les disciplines et les méthodes qu’elles mettent en œuvre. Car, contrairement aux ouvrages, qui pour l’essentiel gardent leur importance à travers le temps – on parle souvent d’ouvrages fondateurs – dans les SHS et plus généralement dans les disciplines « non cumulatives » (au sens où l’on n’est pas obligé de connaître tous les travaux qui vous ont précédé pour apporter valablement sa pierre, s’exprimer où travailler), rares sont les articles qui méritent le même qualificatif. L’avantage spécifique des articles est de permettre aux auteurs de se risquer, se lancer, se tromper ; on aura des « réponses », on ajustera ou non son propos, on pourra passer à autre chose. Les numéros des revues s’enchaînent, la prochaine chassera la précédente… D’où l’importance de conserver une certaine spontanéité, une certaine fraicheur, toutes choses antinomiques avec le long cérémonial qui précède la sortie des publications dans les grandes revues internationales. D’où l’importance aussi de fournir des occasions d’échanges et de coopération qui puissent trouver place dans des publications plus souples, sous des formes moins codifiées, ce que les publications « libres » peuvent permettre. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 89 Les publications servent pourtant de plus en plus à témoigner de notre travail, avec le triomphe de l’évaluation et de sa forme la plus schématique, la bibliométrie, et le célèbre « publish or perish ». Car un des aspects caché concerne le « retour » vers l’auteur (et son institution) de la diffusion de ses travaux, sous la forme d’indices de fréquence des citations. On quitte là assurément le domaine de la recherche pour celui de la mesure de « performance ». Sans entrer ici dans un débat sur la question des critères de l’évaluation, on se contentera de noter qu’il semble exister une corrélation directe entre le taux de citation d’un article dans la littérature et le nombre de ses téléchargements, lorsqu’il est mis en ligne en Open Access. Selon certains observateurs, « les articles en ligne ont l’avantage d’être cités 336 % plus souvent que les articles hors ligne ». Mieux, la courbe de téléchargements serait identique à celle des citations, le nombre de téléchargements permettant d’anticiper à coup sûr le taux de citations à venir. Dans ces conditions, compte tenu des enjeux de notoriété et de classements qui y sont attachés, la concurrence entre les chercheurs, les institutions, les pays, pour maximiser leur visibilité conduit à une accélération de la mise en ligne de toute production, serait-elle provisoire, parcellaire, intermédiaire… D’où une sorte de détournement d’une approche qui initialement affichait l’ambition de multiplier l’impact de la recherche en en facilitant l’accès et qui pourrait déboucher sur une grande confusion où tout semble d’égal intérêt et importance. De l’auteur à l’utilisateur : la singularité des « publications ouvertes ». Qu’il s’agisse de la construction d’un projet, d’une recherche en phase de démarrage, ou bien même en phase de rédaction, tout travail scientifique nécessite de se repérer dans son environnement. De ce point de vue, les archives ouvertes permettent une connaissance quasi instantanée de « qui travaille sur 89 27/07/10 16:28 Florence Audier quoi », des thèmes ou objets les plus travaillés vs les moins labourés. La bibliographie est ainsi plus rapide, plus exhaustive, plus pluraliste. On sait instantanément qui contacter, auprès de qui solliciter conseils et coopération etc. (du moins le croit-on, car figurer dans une des bases de donnée qui alimentent les moteurs de recherche ne va pas de soi, et, là encore, mieux vaut appartenir à une institution célèbre et s’exprimer dans la langue « universelle »). Avec pour limites les inconvénients de ces avantages : comment se repérer dans le labyrinthe des publications, comment comprendre qui a fait quoi dans la ribambelle des signatures ; surtout, comment discerner les apports réels, les nouveautés importantes vs les publications redondantes parmi cette masse de papiers sécrétée par le fait que, désormais, on ne publie plus lorsqu’on a quelque chose de prêt, mais parce qu’il faut remplir son quota, bref qu’on procède souvent à des publications « alimentaires » ! D’où le risque paradoxal de privilégier, in fine, le conformisme en citant uniquement les « grands noms » et les « grandes revues » i.e. celles les mieux classées dans les index, qui ne sont pas toujours exempts d’intérêts particuliers. Si les publications « libres » ne devenaient que les clones des publications académiques maximisant le « H factor » et le « scoring », le beau projet de stimuler les échanges au sein de la communauté scientifique, de passer outre les conventions et concurrences pour développer champs nouveaux et coopérations se serait volatilisé. NOTES 1. Cf. par exemple la Note aux auteurs de l’American Economic Review sous la rubrique « Submission Fees » : « American Economy Association members pay only $100, so join the AEA now and save ! Nonmembers : $200. Members working in certain low-income countries are permitted lower fees. Submission payments through the electronic system must be made by credit card. » Cela se pratique aussi dans d’autres disciplines, comme le montre cette autre Note aux auteurs : « “Journal of Chemical 90 Livre-hermes-57.indb 90 Physics” authors, through AIP’s Author Select® initiative, have the option to choose Open Access for their published article. By supporting both publication and archiving costs through payment of a $1500 fee, authors can provide free online access to their published article, in perpetuity, to any online user. A subscription to the online journal will not be required to access full-text versions of these Open Access. » 2. Une Politique universitaire pour l’auto-archivage, UQAM 2001 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Bernard Lang Inria et Aful DES CORDONNIERS MAL CHAUSSÉS OU LES INFORMATICIENS FACE AU LIBRE ACCÈS Quels dispositifs la communauté des chercheurs en informatique a-t-elle mis en place pour rendre ses travaux disponibles et comment fonctionnent-ils ? Les cordonniers sont souvent mal chaussés. La communauté informatique a été plutôt à la traîne. La première grande archive scientifique ouverte, XXX, aujourd’hui appelé arXiv, fut créée pour les physiciens par Paul Ginsparg à Los Alamos. Il fut rejoint par des mathématiciens, et plus tardivement par des informaticiens du monde de la linguistique informatique. Depuis les années 1980, les informaticiens utilisaient plus facilement le réseau à titre individuel ; de ce fait, ils ont sans doute moins ressenti le besoin d’un système de partage organisé. Par contre, ils ont très tôt introduit le partage ouvert des logiciels. Cela répondait à un besoin d’interaction avec les pairs et de validation par l’usage, mais aussi à l’idée que les logiciels, comme les théories, se peaufinent par des contributions multiples. Cette façon HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 91 de faire était même partagée par des acteurs industriels avant 1980. La mise à disposition des travaux entre scientifiques est une pratique ancienne et fondamentale, mais qui se faisait d’individu à individu, donnant un rôle excessif aux phénomènes de réseaux et aux baronnies installées. Les revues furent une première forme d’ouverture, notamment vers les lecteurs, mais elles restaient sous le contrôle des comités de lecture, dont la lenteur préservait un avantage pour les échanges individuels. La publication numérique directe est une forme de démocratisation qui bénéficie aux auteurs autant qu’aux lecteurs ; elle demande des approches nouvelles pour l’évaluation des contributions et leur sélection par le public ; ces processus peuvent maintenant être dissociés de celui de publication. Il s’ensuit un très large spectre de modes de diffusion possibles. Cela se décline également pour les logiciels. 91 27/07/10 16:28 Bernard Lang Le logiciel est une création particulière qui existe sous deux formes, une forme « source » créée et lisible par l’homme et une forme « objet » (en fait souvent plusieurs) utilisée par les machines. Des programmes spécialisés (les compilateurs) permettent de passer de la forme source à la forme objet, mais l’inverse est une opération artisanale et coûteuse dont les résultats restent difficilement exploitables. Cette dualité fait que la diffusion des logiciels sous forme objet, suffisante pour leur utilisation, ne dissémine en aucune façon les savoirs qui y sont incorporés, et ne laisse pratiquement aucune marge pour l’entretien du logiciel ou son adaptation à des besoins spécifiques. L’accès à la forme source, et le droit de la modifier et de la rediffuser sont donc un aspect essentiel de la science ouverte dans le monde du logiciel. On parle alors de logiciel libre ou Open Source. Cette problématique s’étend à d’autres disciplines, quand des logiciels sont partie intégrante de la conduite d’expériences ou de l’analyse et de l’exploitation de leurs résultats. L’informatique déploie à la fois la recherche la plus ouverte (avec les collections de données ouvertes, les logiciels en « Open Source », l’autopublication fréquente avant la sortie « papier ») et la plus fermée (avec des brevets et des technologies de protection). Les deux logiques s’opposent-elles ou tendent-elles à se combiner plus ou moins harmonieusement ? Il est difficile de comparer la recherche informatique avec les autres domaines. Le caractère immatériel des créations informatiques fait que la composante production des industries traditionnelles disparaît, et donc que tout développement, amené au stade de prototype utilisable, peut en principe être diffusée comme un produit par simple copie numérique. Il est donc difficile 92 Livre-hermes-57.indb 92 de comparer avec d’autres secteurs qui, soit ne donnent pas lieu à des réalisations (les mathématiques notamment), soit proposent des réalisations dont la diffusion nécessite une infrastructure industrielle et commerciale, et qui ne relèvent plus vraiment de la recherche. Ceci dit, il ne me semble pas que les chercheurs en informatique soient plus que d’autres enclins à protéger leurs travaux, ni qu’ils fassent davantage d’efforts pour les rendre publics. Sauf justement en ce qui concerne les logiciels dont la pertinence est souvent établie, ou du moins testée, par l’usage qui en est fait, voire par les extensions qui y sont intégrées par des tiers. Mais la recherche informatique est loin de se cantonner à la réalisation de logiciels. Bien entendu, comme dans tous les domaines, la recherche industrielle tend à être davantage protectionniste, d’autant plus qu’elle est proche de résultats exploitables commercialement. Pour la littérature scientifique, ce protectionnisme accru peut concerner la nature de ce qui est publié, mais non l’accès aux articles. À ma connaissance, la plupart des chercheurs en informatique – et nombre d’entreprises industrielles – sont hostiles à la brevetabilité du logiciel, dont il faut ajouter que la légalité en Europe est, au mieux, floue. Le brevet est un mode de régulation économique qui favorise l’innovation. Mais ses effets semblent négatifs dans le cas du logiciel, qui bénéficie d’ailleurs d’une protection par le droit d’auteur, à mon avis bien mieux adaptée1. L’usage des brevets est sans doute beaucoup plus fréquent dans d’autres secteurs de la recherche. Cela peut avoir une justification économique quand l’exploitation industrielle de certains résultats exige des investissements, parfois lourds et risqués, que l’on peut vouloir protéger, même si la recherche elle-même est initialement publique et donc moins soumise à des contraintes de rentabilité. L’équilibrage reste difficile. S’il est vrai que l’on a de plus en plus de collections de données ouvertes, cela est loin d’avoir toujours HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Des cordonniers mal chaussés ou les informaticiens face au libre accès été le cas. La raison en est sans doute que le contrôle de ces collections est un avantage compétitif, pour les chercheurs ou pour les industriels, qui se protègent ainsi de la concurrence. En outre leur constitution est souvent onéreuse, voire quasiment impossible à reproduire pour des raisons techniques ou juridiques ; et elle n’est peut-être pas assez considérée comme un produit de la recherche donnant du crédit scientifique. Par exemple la recherche en linguistique informatique a longtemps été lourdement ralentie, handicapée, par une politique restrictive d’accès et d’usage concernant notamment d’indispensables collections de données (corpus, lexiques, grammaires, etc.). Le changement est dû sans doute à une prise de conscience générale de ces problèmes grâce au succès du logiciel libre, et peutêtre aussi grâce à la concurrence croissante de collections produites à moindre coût par des méthodes plus modernes, plus mécanisées ou plus coopératives. De façon générale, du strict point de vue de la recherche, le protectionnisme semble toujours contreproductif, qu’il se fonde sur le droit ou sur la technologie. Cependant l’usage du droit des marques peut favoriser l’ouverture en remplaçant de façon plus souple le droit moral à l’intégrité de l’œuvre qui n’existe fort heureusement pas en matière de logiciel. Y a-t-il en informatique des problèmes d’allocation des ressources liés à l’ouverture ? Quel est le coût à payer de ces pratiques ouvertes ? Il faut savoir de quel point de vue on se place : intérêt général ou particulier. Le protectionnisme avantage souvent des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général. Ceci dit, gérer des logiciels ouverts n’est pas simple dès lors que l’on veut satisfaire une large communauté d’utilisateurs dans la durée. Cela peut représenter un investissement significatif, mais qui reste normalement bien inférieur au coût financier d’une externalisation industrielle, qui s’accompagnerait HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 93 d’une appropriation du logiciel introduisant un coût unitaire d’usage et donc limitant sa libre exploitation, que ce soit à des fins de recherche2 ou de simple utilisation. Une question est de déterminer quels logiciels méritent un tel effort. Une bonne solution est de faire émerger une communauté d’utilisateurs qui partagent ce coût. Les industriels pratiquent bien les pools de brevets. Mais, une collectivité, nationale ou locale, est elle-même une communauté qui peut déterminer que son intérêt, même simplement financier, est de maîtriser la propriété d’un logiciel pour en garantir l’usage libre et ouvert. Préserver le caractère libre d’un logiciel n’est pas incompatible avec l’externalisation de sa gestion (développement et accès) chez un prestataire privé. Il s’agit de décisions indépendantes. Le développement et la gestion des logiciels libres est actuellement un thème de recherche en croissance. L’un des concepts clés est la notion de « forge » qui correspond à une infrastructure logicielle gérant la maintenance et l’évolution coopératives des logiciels, ainsi que leur mise à disposition des utilisateurs. Le concept n’est cependant pas limité aux logiciels. Des infrastructures similaires peuvent être utilisées pour la production de documents techniques ou encyclopédiques ; Wikipedia en est un exemple. Toute structure de recherche a pour souci de valoriser ses résultats, financièrement ou autrement. Confrontée aux résultats d’un chercheur, elle utilisera les mécanismes à sa disposition, dont la propriété intellectuelle et l’usage de licences appropriées. Un logiciel intéressant un large public et suffisamment fini pour être directement utilisable pourra être utilement diffusé avec une licence pérennisant son caractère libre (avec une licence dite copyleft). À l’inverse, un logiciel n’ayant d’intérêt que par son intégration dans un petit nombre de produits industriels coûteux pourra être plus utilement vendu sous licence propriétaire. Ce qui n’empêche 93 27/07/10 16:28 Bernard Lang pas de le laisser en accès libre pour des usages expérimentaux. Tout est affaire d’analyse du contexte, de choix politiques, et d’implémentation juridique et financière de ces choix. Quelles approches les chercheurs en informatique ont-ils des questions de propriété intellectuelle ? Le mouvement d’« Open science » a-t-il conduit à des problèmes de reconnaissance des droits ou de partage de la propriété ? La recherche est un monde fait de chercheurs, de laboratoires, d’institutions, de disciplines et de pays. Il n’y a aucune raison que les intérêts, les choix, les comportements soient perçus comme les mêmes à chaque niveau, et la carrière d’un chercheur peut être en opposition avec l’intérêt de son laboratoire. Le renforcement de la concurrence (par exemple par des systèmes de primes) peut aussi exacerber ces différences. Ceci dit, le chercheur en informatique est en général assez ignorant des questions de propriété intellectuelle. Il me semble surtout concerné par la protection des idées et particulièrement de leur paternité, mais cela ne relève souvent pas de la propriété intellectuelle. La situation est bien sûr différente en ce qui concerne les laboratoires ou les institutions qui sont amenés à établir des protocoles de coopération avec des industriels ou d’autres entités de recherche, par exemple dans le cadre de finance- ment de grands projet européens. Pour la coopération Microsoft-Inria, il y avait conflit entre une volonté de laisser ouverts les résultats de la recherche et le désir de privatisation à des fins d’exploitation commerciale. On a trouvé une solution intermédiaire par l’usage d’un type particulier de licence (licence libre, de type BSD, permettant l’appropriation des créations dérivées). Les structures institutionnelles ont le souci de valoriser la recherche, mais parfois une vue assez naïve (ou idéologique) de ce qu’est la valorisation, trop souvent assimilée aux retours financiers. L’ouverture peut représenter une perte financière, mais un gain en réputation, en attractivité, en influence tant pour les individus que pour les institutions. Il faut cependant se garder d’une confusion. L’ouverture des résultats de la recherche est le choix d’un mode de travail et de valorisation fait dans l’intérêt du chercheur, des organisations, du public ou de la science elle-même. L’ouverture de l’accès à la littérature scientifique relève de considérations plus bêtement économiques : tout le monde (sauf quelques éditeurs) a avantage à ce que la littérature scientifique soit en libre accès, sous réserve de bien gérer évaluation et sélection. Le contrôle de l’accès aux articles par la propriété intellectuelle permettait paradoxalement de financer leur diffusion. En changeant les structures de coût, la numérisation a rendu ce contrôle inutile, et donc nuisible. NOTES 1. Bernard LANG, « Brevetabilité du logiciel : le point de vue d’un chercheur en informatique », in Bernard REMICHE (éd.), Brevet, Innovation, Intérêt général - Le brevet pourquoi et pour faire quoi ?, Actes du Colloque de Louvain-la-Neuve, organisé 94 Livre-hermes-57.indb 94 par la Chaire Arcelor, Larcier, 2006, p. 385-413. En ligne sur <http://www.datcha.net/ecrits/liste/arcelor.pdf>. 2. Il faut garder à l’esprit que la validation d’un travail de recherche en logiciel passe souvent par une mise à la disposition des usagers. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Marie Cornu Centre de recherche sur la coopération juridique internationale (Cecoji), CNRS CRÉATION SCIENTIFIQUE ET STATUT D’AUTEUR La création scientifique peut être entendue comme « le fait de développer de manière originale des idées, des méthodes ou des dispositifs, d’effectuer de nouvelles observations, de produire des résultats nouveaux ou inattendus, ou bien de contribuer à définir ou réorganiser un champ de recherches »1. Intimement liée à la production des connaissances, elle est au cœur de l’activité du chercheur. La production et la diffusion des résultats soulèvent un certain nombre de questions, en particulier sur la nature et l’étendue des droits et du contrôle qu’exercent le chercheur et/ou son institution de rattachement. L’activité scientifique est en effet, en bonne part, une activité de création, donnant naissance à des œuvres au sens du Code de la propriété intellectuelle (CPI). Le chercheur est aussi et souvent un auteur dans l’accomplissement de sa tâche. Comment, dans ce contexte, s’inscrit le discours du « libre » porté par l’impératif de diffusion et de partage des savoirs et de la pensée ? En France, comme dans un certain nombre d’autres États, la recherche dépend en grande partie du secteur HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 95 public, dont les personnels relèvent, en général, du statut de la fonction publique. Il faut donc commencer par se demander en quoi le fait que le chercheur crée dans le cadre d’une mission de service public exerce une influence sur le sort de son œuvre et sur son statut d’auteur. Les chercheurs et enseignants-chercheurs ont de ce point de vue un statut privilégié, même si la reconnaissance de leurs droits sur la création scientifique se heurte à certaines difficultés, dont un bon nombre se concentrent sur les questions de paternité. La production scientifique dans le cadre de la recherche publique, de la liberté de créer à l’intérêt public Une première difficulté concerne la question de la titularité et des droits de l’État sur des créations 95 27/07/10 16:28 Marie Cornu produites dans le cadre de la recherche publique. La situation des enseignants-chercheurs et chercheurs est depuis peu consolidée dans le droit français. D’autres États ont également légiféré sur le sujet (De Lamberterie, 2002). La création des agents publics, évolution d’un statut Le statut de droit public « n’est pas en lui même exclusif de droits d’auteurs » (Mallet-Poujol, 2004). Le Conseil d’État, dans un avis du 21 novembre 1972 à propos de l’affaire Ofrateme (Office français des techniques modernes d’éducation), avait pourtant dénié à des agents publics en situation de création la qualité d’auteur. Ignorant le principe fondamental selon lequel l’auteur est celui qui crée, il estime que « les nécessités du service exigent que l’administration soit investie des droits de l’auteur sur les œuvres de l’esprit […] pour celles de ces œuvres dont la création fait l’objet même du service ». La solution, diversement interprétée selon les administrations et les prétoires, donna lieu à des pratiques contraires. Dans ce contexte quelque peu confus, les enseignants-chercheurs semblaient bien bénéficier d’un traitement de faveur, en raison de l’indépendance nécessaire à la production de la connaissance. Plusieurs décisions reconnaissaient pleinement la qualité d’auteur à ces fonctionnaires. Lors d’une affaire ancienne, dans laquelle les cours d’un professeur de physique avaient été pillés par un copiste peu scrupuleux, un des points de discussion portait sur la propriété de son enseignement, vu qu’il s’agissait d’un fonctionnaire chargé de délivrer des leçons publiques. Dans son plaidoyer en faveur du professeur ainsi dépouillé, Me Chaix d’Est-Ange rappela opportunément la nature et l’étendue de son engagement : « Le gouvernement, en faisant choix d’un professeur, s’oblige 96 Livre-hermes-57.indb 96 par cela même à lui payer annuellement une certaine somme, et par cela même aussi, le professeur s’oblige à faire un certain nombre de leçons : tel est le contrat qui intervient entre eux. Ces leçons, sans doute, appartiennent au public, en ce sens que chacun doit y être admis, en ce sens que l’esprit de chacun peut s’enrichir du profit intellectuel qui en résulte ; mais quant au profit matériel et pécuniaire, il reste la propriété du professeur et lui seul a le droit d’en disposer2. » Plus récemment et dans le même sens, les juges ont considéré que l’obligation d’un professeur est de délivrer son cours par oral et que toute autre forme d’exploitation excède les limites de son service (en l’espèce, publication dans une revue)3. À l’appui de cette franchise, on pouvait invoquer une décision du Conseil constitutionnel conférant à la liberté de l’enseignement supérieur rang de principe à valeur constitutionnelle4. Mais la solution n’était guère consolidée. D’autres décisions appliquaient sans nuance le principe de titularité de la personne publique dégagé dans l’avis Ofrateme. Par exemple, à propos d’un cours reproduit et diffusé auprès des étudiants, un tribunal avait récemment estimé que l’exploitation d’un polycopié réalisé par un professeur entre dans le périmètre de l’œuvre de service5. Opportunément, la loi du 1er août 2006 consolide la situation des agents publics créateurs, en leur reconnaissant expressément la qualité d’auteur. L’article L 111-1, alinéa 3 prescrit : « L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa, sous réserve des exceptions prévues par le présent code. Sous les mêmes réserves, il n’est pas non plus dérogé à la jouissance de ce même droit lorsque l’auteur de l’œuvre de l’esprit est un agent de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public à caractère administratif, d’une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale ou de la Banque HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Création scientifique et statut d’auteur de France. » La condition de fonctionnaire n’exclut pas la qualité d’auteur, révolution copernicienne relativement à la « doctrine Ofrateme » annonçait le rapport du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. En réalité, le bilan est plus nuancé. Aussitôt le principe affirmé, le Code de la propriété intellectuelle prévoit un système complexe dans lequel, dans certains cas, les droits et intérêts de la collectivité publique sont ménagés. Tous les fonctionnaires ne sont cependant pas logés à la même enseigne. Le Code de la propriété intellectuelle distingue deux catégories de fonctionnaires qui ne se voient pas reconnaître les mêmes droits. « Les agents-auteurs d’œuvres dont la divulgation n’est soumise en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l’autorité hiérarchique » sont considérés comme tout autre créateur. Ils ont une propriété pleine et entière sur leur production sans que n’interfère l’argument d’intérêt public. L’employeur public devra composer avec ces droits comme tout autre employeur. Pour les autres agents publics auteurs6, le CPI prévoit un système de cession automatique du droit d’exploitation sur l’œuvre créée « dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public »7. L’étendue de la cession est donc en principe bornée par les besoins de l’activité publique, sachant que l’agent recouvre ses droits en cas d’exploitation commerciale, la personne publique disposant en ce cas d’un simple droit de préférence. L’agent public doit se tourner en priorité vers son employeur s’il souhaite exploiter son œuvre. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 97 La condition des créations de la recherche publique Revenant à l’activité de recherche, compte tenu des conditions dans lesquelles, statutairement, elle se réalise, on peut sans hésitation soutenir que les chercheurs et enseignants-chercheurs relèvent de la première catégorie de fonctionnaires de la création. Ces auteurs créateurs de la recherche et de l’enseignement conservent l’intégralité de leurs droits. Certains y ont vu un possible obstacle à la diffusion des connaissances (Lambert, 2008). Si l’on peut admettre que la solution ne va pas toujours dans le sens des politiques de valorisation développées par les établissements/employeurs, on peut sérieusement douter qu’elle freine la propagation des connaissances8. La liberté dont jouissent les fonctionnaires de la recherche et de l’enseignement dans l’exploitation de leurs résultats peut tout au contraire en être un catalyseur. Dans la doctrine du « libre », l’idée selon laquelle la connaissance est une ressource nécessairement partagée, un bien commun, s’accorde mal avec les modèles d’appropriation privative. Mais cette propriété de l’auteur ne fait pas échec à la propagation des résultats. Faut-il rappeler que les chercheurs et enseignants-chercheurs ont notamment pour obligation de produire de la connaissance et de la diffuser ? Il faut encore préciser que l’auteur scientifique, dans un grand nombre de cas, choisit de verser son œuvre dans le fonds commun, abandonnant ses droits économiques pour en faciliter la circulation. On peut de ce point de vue s’interroger sur l’opportunité d’un transfert de propriété vers l’employeur public, alors placé en situation de monopole. Le risque de privatisation viendra éventuellement de ce que la connaissance entre dans un circuit de marché (c’est un actif immatériel selon certains), non de l’existence, en son principe d’une propriété, qui fonde, pour l’auteur, la maîtrise de ses résultats, du moment et de la forme sous laquelle ils seront divulgués9. 97 27/07/10 16:28 Marie Cornu La fabrique de la connaissance : entre paternité scientifique et paternité juridique La communauté scientifique communique ses résultats sous des formes multiples : écrits, séminaires, conférences, ouvrages… La plupart de ces productions revêt sans discussion la qualité d’œuvres de l’esprit dès lors qu’elles s’expriment sous une forme originale. La reconnaissance d’une propriété intellectuelle sur la production scientifique n’assure pourtant pas toujours à son auteur une protection adéquate (Strubel, 1997). La paternité réelle d’une avancée scientifique ne s’ajuste pas toujours à la paternité juridique d’une œuvre de l’esprit. Du tout à la partie, une protection inégale La difficulté tient d’abord au fait que la valeur dégagée est parfois bien plus dans l’apport de connaissances, la formulation d’hypothèses ou de théories, et qu’elle relève donc davantage du règne de l’idée que de la forme qu’elle prend. Certains éléments pris isolément, quoique pris dans une œuvre protégée dans sa globalité, n’entrent pas dans l’assiette propriétaire et il n’est pas toujours aisé de faire la part de l’inappropriable dans ces productions. On le conçoit, par exemple s’ils relèvent d’une forme de fonds commun par exemple pour les données de fait : événements historiques, éléments statistiques, etc., ce que certains dénomment les données brutes. Les juges ont pu décider à propos d’un ouvrage reprenant des éléments d’une publication antérieure traitant du même sujet qu’il « est dans la nature de l’évolution scientifique […] que des publications renouvelées ou nouvelles portant sur les mêmes données et ayant le même objet voient le jour et adaptent la présentation des connaissances »10. L’ouvrage incriminé reprenait « néces- 98 Livre-hermes-57.indb 98 sairement en partie des connaissances et des données d’information scientifiques ou cliniques déjà connues et établies ». Les juges leur dénient tout caractère original, en particulier pour « des définitions considérées comme l’expression exacte d’une réalité scientifique commune ». Le défaut d’originalité, critère cardinal dans la qualification d’œuvre de l’esprit est absent et l’on conçoit alors que ces données n’accèdent pas à la protection. Parmi les autres éléments inappropriables, il faut encore réserver le sort des idées et hypothèses : seraient-elles nouvelles ou originales, ouvriraient-elles sur des découvertes fondamentales11 ? C’est cette fois-ci la condition de forme qui n’est pas satisfaite. Le fonds commun de la pensée et de l’information scientifiques sont ainsi de libre parcours. Espace de liberté ignoré par le droit d’auteur, c’est une forme de « propriété » du public, au sens où chacun peut y puiser librement. La solution sert à l’évidence l’impératif de diffusion de la science. En pleine concordance avec les logiques de libre accès, elle est cependant parfois au détriment de l’auteur, en particulier lorsque sa paternité est ignorée, déniée ou encore usurpée et que l’emprunt reprend l’idée dépouillée de la forme sous laquelle elle s’est exprimée. Le droit d’auteur est alors sans emprise. C’est ainsi que les juges ont dénié la qualité de co-auteur à un chercheur qui avait inspiré le roman de Jean Vautrin, estimant qu’il n’était pas fondé à revendiquer un droit exclusif sur les matériaux linguistiques et culturels utilisés par Jean Vautrin dans son ouvrage Un Grand Pas vers le Bon Dieu12. Tout au plus l’« auteur » de l’idée reprise peut-il invoquer sinon un droit de la personnalité du moins un préjudice lorsqu’un tiers, par exemple, cite des résultats sans en préciser la source. Les juges ont pu reconnaître à l’agent public, auteur de travaux scientifiques « un intérêt légitime lui permettant de revendiquer le respect des règles en usage dans les milieux scientifiques pour l’utilisation des travaux de recherche et de leurs publi- HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Création scientifique et statut d’auteur cations ; que cet intérêt légitime est protégé par l’application de l’article 1382 du Code civil dans l’hypothèse d’une absence de références à l’auteur et à l’ouvrage qui ont assuré la première publication13 ». L’exigence dans l’indication des sources peut toutefois se relâcher, au regard de la nature de la publication. Dans l’affaire Griolet/Vautrin, les juges soulignent l’hommage public rendu par le romancier à l’universitaire pour ses travaux savants lors de l’attribution du prix Goncourt. Son nom était par ailleurs mentionné dans les exemplaires publiés ultérieurement. Cette circonstance était de nature à justifier « qu’aucune faute [ne puisse] ainsi être retenue à l’encontre de Jean Vautrin ». Mais les juges vont plus loin dans la franchise considérant qu’on ne peut faire grief à Jean Vautrin « de ne pas avoir cité ses sources dès la première édition de son roman, l’auteur d’une œuvre de fiction n’étant pas tenu de faire connaître les éléments dont s’est nourrie son imagination ». On peut suggérer que les juges auraient été plus sévères pour une publication à prétention scientifique. De ce point de vue, les règles de déontologie peuvent offrir un ressort utile par la diffusion de bonnes pratiques en la matière avec toutes les limites que ce type de normes non obligatoires, donc non sanctionnées juridiquement comporte. Au-delà des difficultés liées à la protection de la création scientifique dans toutes ses composantes, se pose encore la question de l’identification du lien entre cette production et son ou ses auteurs. C’est tout le problème de la reconnaissance de paternité. Questions de paternité, le cas particulier des œuvres plurales Un certain nombre de difficultés s’expriment dans l’identification du lien entre l’auteur et l’œuvre. Dans le domaine des productions scientifiques, la signature HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 99 renvoie dans certains cas davantage à l’idée de paternité des résultats ou des idées qui y sont développées que véritablement à la réalisation formelle de l’œuvre telle que la définit le droit d’auteur. Le mode collectif sur lequel se réalise la création scientifique rend encore plus ardue la détermination de la qualité d’auteur. C’est surtout vrai dans le cas d’articles fruit de collaborations multiples. La science est une œuvre collective disait Berthelot. Elle l’est doublement en ce que les avancées de la science et des connaissances s’inscrivent dans un processus collectif, parfois long. Comme le rappelle le Comité d’éthique du CNRS (Comets), « toute création est le résultat soit d’un acte individuel soit d’un processus associant une multitude d’actes individuels indépendants, consécutifs ou associés. Elle s’appuie sur des résultats antérieurs ainsi que sur des contributions et des discussions permanentes ». À ce contexte sans doute propre à la création scientifique, s’ajoute une difficulté supplémentaire dans la compréhension du donné juridique et dans son articulation avec la réalité de la production des connaissances. C’est que leur mode de fabrication suit des chemins très divers selon les traditions, selon les champs disciplinaires, selon le registre mobilisé, individuel ou collectif, dans les sciences de terrain et dans les domaines plus théoriques Il faudrait explorer plus avant ces usages de la production scientifique14. Ce mode de fabrication particulier, à la fois dans le temps et dans l’espace, fait que la détermination des liens entre la création et les personnes qui en sont à l’origine est un exercice parfois complexe. Une même publication peut avoir des paternités multiples et les codes changent dans leur signalement, selon les disciplines concernées. Laissons de côté les hypothèses de signatures abusives ou de complaisance. Même lorsque l’apposition des noms est légitime, c’est-à-dire lorsqu’elle trouve une contrepartie d’ordre scientifique, les situations ne sont pas toujours 99 27/07/10 16:28 Marie Cornu faciles à démêler. En effet, la mention du nom peut ne pas avoir le même sens pour l’ensemble des contributeurs d’un article. Chacun a pris part à l’œuvre, mais la tâche accomplie ou l’apport réalisé n’est pas de même nature. Et cette différence, en bonne logique, emporte des conséquences variables sur le terrain juridique. Seul celui qui donne forme à l’œuvre devrait en principe être considéré comme l’auteur de l’œuvre de l’esprit. Or, d’autres collaborateurs peuvent paraître à ses côtés, qui, en l’occurrence ont pu prendre une part plus substantielle aux travaux. Dès lors que leur apport relève du domaine de l’activité conceptuelle, d’une façon quelque peu paradoxale, il n’entre pas dans le faisceau du droit d’auteur. La notion de paternité scientifique, en ce sens, peut ne pas coïncider avec celle d’auteur au sens du Code de la propriété intellectuelle. La question sera parfois éludée en raison de la présomption de la qualité d’auteur tirée de la mention du nom. Celui sous le nom duquel l’œuvre est divulgué en est réputé être l’auteur, avec en conséquences la reconnaissance de droits sur l’œuvre. Mais la réalité de la création scientifique n’est pas toujours celle du droit. L’affaire des œuvres de Lacan est assez édifiante de ce point de vue. Son séminaire, de son vivant a été publié sous son contrôle à partir de la transcription réalisée par M. Miller. Dans le contrat d’édition conclu avec les Éditions du Seuil, M. Miller paraît comme le co-auteur aux côtés de Lacan, solution doublement conforme aux règles gouvernant la qualité d’auteur et l’œuvre de collaboration. M. Miller, cependant, refuse de figurer sur la couverture. Désireux de s’effacer derrière la personnalité de Lacan, il ne revendique en aucun cas la qualité d’auteur. C’est que ce sont les idées de Lacan exprimées par lui oralement qui y sont consignées. Le séminaire est donc publié sous le seul nom de Lacan. Pour le Code de la propriété intellectuelle, le fait d’avoir pris part à la forme suffit à fonder une paternité ou une co-paternité. 100 Livre-hermes-57.indb 100 Dans la détermination de la qualité d’auteur, interfère également le statut des œuvres créées à plusieurs et particulièrement le régime d’exploitation des droits. Trois figures dominent dans le CPI qui obéissent à des régimes distincts : – L’œuvre de collaboration est une véritable propriété collective. Les auteurs seront en indivision, dès lors qu’ils ont conçu en concertation l’œuvre, qu’ils ont ensemble contribué à l’élaboration du tout. – L’œuvre collective est d’un genre et d’un fonctionnement tout différents. L’article L 113-2 du CPI définit l’œuvre collective comme toute « œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ». Dans cette forme particulière d’œuvre, la qualité d’auteur n’est pas partagée, contrairement à l’œuvre de collaboration. Elle est attribuée à celui qui assure la coordination de l’ensemble des contributions. Il n’y a cette fois-ci pas d’esprit de concertation. Certaines recherches collectives entrent dans ce schéma, par exemple lorsque plusieurs chercheurs sont associés à un projet coordonné par une personne sans qu’ils prennent part à l’élaboration de l’ensemble. Mais on ne saurait assimiler recherche collective et œuvre collective (Vivant, 1997). La confusion est fréquente. – On peut encore évoquer une dernière catégorie d’œuvres à plusieurs mains : l’œuvre dérivée ou composite. Un auteur crée à partir d’une ou plusieurs œuvres préexistantes. Cette fois-ci, les différentes contributions sont fondues successivement et non simultanément. Dès lors que l’auteur de l’œuvre composite a respecté les droits de l’œuvre empruntée, il acquière des droits distincts. Il est à son tour auteur d’une œuvre originale, HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Création scientifique et statut d’auteur même si cette originalité s’est construite à partir de l’œuvre d’autrui. De ces trois schémas de création collective, les nouveaux modes de production de la connaissance sur les réseaux Internet s’accommodent mal. Comment qualifier une œuvre initiée par une personne, volontairement versée dans l’espace public pour être discutée, poursuivie et transformée par d’autres ? La question du statut de la création rejoint ici celui de son mode de diffusion (voir, infra, l’article de Valérie-Laure Benabou). NOTES 1. Définition donnée par le Comité d’éthique du CNRS (Comets), septembre 2001. 2. Discours et plaidoyers de Me Chaix d’Est-Ange, publiés par E. Rousse, 2e édition revue et augmentée par C. Constant, tome 2, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1877, p. 18. 3. Cour d’appel de Paris, 24 novembre 1992, Revue internationale du droit d’auteur, n° 155, 1993, p. 191. La solution était ancienne. À propos d’un cours d’université qui avait l’objet d’un pillage. 4. Conseil constitutionnel, 30 juillet 1982. 9. Dans la question de la diffusion, il faut parfois compter avec le jeu des cessions formellement consenties par les auteurs, par exemple à un éditeur. Conclues à titre exclusif, elles lient l’auteur, de sorte qu’il ne peut librement disposer de son œuvre, y compris sous la forme de pre-print. Se faisant, il s’expose au grief de contrefaçon. 10. Riom, 11 janvier 2006. D ; 2006, AJ, p. 500, note J. Daleau. 11. Les découvertes fondamentales ne donnent pas prise à des droits de propriété intellectuelle, sauf à recevoir une application technique qui pourrait les rendre brevetable. 5. Tribunal administratif de Versailles, 17 octobre 2003. 12. Cour d’appel de Paris, 14 janvier 1992, Revue internationale du droit d’auteur, vol. 2, 1992. 6. La solution ne joue pas pour les agents dont l’employeur est un Epic. 13. Tribunal de grande instance, 31 mars 1999, précité. 7. Article L 131-3-1 du CPI. 8. C’est aussi un argument invoqué dans le rapport Jouyet-Lévy (2006), qui estime que « le fait de mettre des barrières à la circulation des idées ou des innovations n’est pas toujours économiquement fondé » et qu’il y aurait un « certain intérêt pour l’ensemble de l’économie et de la société à éviter que les règles en matière de propriété intellectuelle ne viennent brider la création ». 14. Dans le domaine de l’archéologie, par exemple, celui qui tient la plume du rapport de fouilles, qui met en forme le document, qui est donc auteur au sens de la propriété intellectuelle, n’est pas seul dans le processus de production des connaissances. Y ont contribué ceux qui fouillent, documentent, interprètent, rassemblent et organisent les données si bien que, la plupart du temps, ils pourront paraître comme co-auteurs ou contributeurs de l’œuvre. R ÉFÉR ENCES BIBLIOGR APHIQUES De LAMBERTERIE, I. (dir.), La Numérisation pour l’enseignement et la recherche, aspects juridiques, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 2002. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 101 JOUYET, J.-P., LÉVY, M., L’Économie de l’immatériel, la croissance de demain, Rapport de la Commission sur l’économie de l’immatériel remis au ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, Paris, novembre 2006. 101 27/07/10 16:28 Marie Cornu LAMBERT, T., La Valorisation de la recherche publique en sciences humaines et sociales face au droit d’auteur des universitaires, Recueil Dalloz n° 43, 2008. MALLET-POUJOL, N., « Le Droit d’auteur au risque de la numérisation », Sciences de l’homme et de la société, n° 69, « Les revues en sciences humaines et sociales », mai 2004. 102 Livre-hermes-57.indb 102 STRUBEL, X., La Protection des œuvres scientifiques en droit d’auteur français, Paris, CNRS Éditions, 1997. VIVANT, M., « Activité de recherche, un éclairage juridique, dans le travail du chercheur, les institutions scientifiques et les associations », Les Cahiers du Comité d’éthique, Comets, CNRS, 1997. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Valérie-Laure Benabou Laboratoire Dante Université de Versailles – Saint-Quentin en Yvelines LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE CHAHUTÉE : LIBRE ACCÈS OU LIBRE RECHERCHE ? Le 25 juin 2009, une proposition de loi S. 1373 a été introduite par deux sénateurs américains – l’un républicain, l’autre démocrate – en vue d’adopter le Federal Research Public Access Act of 2009. Cette proposition, partant du constat que le gouvernement américain dépense chaque année plusieurs dizaines de milliards de dollars dans l’aide à la recherche, vise à assurer un accès public à la production scientifique des agences de l’État. La logique retenue est celle d’un retour immédiat au contribuable, lequel aurait en quelque sorte, non seulement vocation à la dissémination et à la valorisation maximale des connaissances produites grâce à ses impôts, mais également un droit à l’accès direct à celles-ci. Pour parvenir à ce résultat, le texte propose en substance que les onze agences de recherche de l’État américain dont les dépenses en recherche dépassent cent millions de dollars par an procèdent à la mise à disposition des manuscrits de leurs chercheurs sur Internet dans un délai de six mois à compter de leur publication HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 103 dans des revues scientifiques. La proposition a recueilli un large soutien de la part des institutions en question et d’un nombre non négligeable de présidents d’universités. Est-ce ici la révolution annoncée dans le monde de l’édition scientifique numérique ? L’apparition d’Internet a suscité, de la part de la communauté des chercheurs et des bibliothécaires, l’immense espoir de pouvoir utiliser cet outil en vue de modifier l’organisation traditionnelle de la publication scientifique considérée – sans doute à juste titre dans certains domains – tout à la fois comme sclérosante pour les chercheurs et inutilement coûteuse pour les institutions chargées de diffuser la connaissance. À l’instar de ce qui s’est passé dans le monde du logiciel, bibliothécaires et chercheurs ont refusé de satisfaire au modèle dominant en vigueur et ont construit les instruments techniques et juridiques de leur réforme. Cette dernière s’est organisée progressivement par la voie de « déclarations » dépourvues de valeur juridique particulière 103 27/07/10 16:28 Valérie-Laure Benabou mais dont la dimension politique n’a cessé de prendre de l’ampleur au cours des dix dernières années. La rhétorique du libre accès Le 14 février 2002, a été signée « l’initiative de Budapest » par laquelle était rappelée « la volonté des scientifiques et universitaires de publier sans rétribution les fruits de leur recherche dans des revues savantes, pour l’amour de la recherche et de la connaissance ». Ce texte fondateur aux accents utopistes promeut la pratique de l’auto-archivage par les chercheurs et l’émergence de revues numériques fondées sur des modèles économiques alternatifs. La charte propose de retenir au titre de la notion « d’accès libre », « la mise à disposition gratuite sur l’Internet public, permettant à tout un chacun de lire, télécharger, copier, transmettre, imprimer, chercher ou faire un lien vers le texte intégral de ces articles, les disséquer pour les indexer, s’en servir de données pour un logiciel, ou s’en servir à toute autre fin légale, sans barrière financière, légale ou technique autre que celles indissociables de l’accès et l’utilisation d’Internet ». Dans cette philosophie, le droit d’auteur est relégué au rang de contrainte, « le seul rôle du copyright dans ce domaine [devant] être de garantir aux auteurs un contrôle sur l’intégrité de leurs travaux et le droit à être correctement reconnus et cités ». En d’autres termes, si l’objectif de gratuité pour le lectorat doit entraîner un abandon des fruits des droits patrimoniaux, le dispositif prévoit cependant un maintien du droit moral à la paternité et à l’intégrité. Bien qu’impulsé par Georges Soros à travers la création de l’OSI (Open Society Institute), le mouvement demeurait, à ce stade, encore assez confidentiel, la déclaration étant signée par quelques personnes non nécessairement représentatives de leurs institutions. 104 Livre-hermes-57.indb 104 Il était néanmoins relayé, peu de temps plus tard, par la charte ECHO proclamée le 30 octobre 2002 dont le but revendiqué était « de définir les critères d’une exploitation adéquate du potentiel offert par ces nouveaux médias, tant pour la préservation des archives, que pour l’exploration scientifique ou pédagogique ou encore pour la diffusion auprès du public du patrimoine culturel commun de l’humanité ». S’agissant du droit d’auteur, cette charte semble adopter une attitude moins ouvertement hostile que celle de l’initiative de Budapest, en rappelant qu’elle exclut « toute contrefaçon des droits de propriété intellectuelle et toute atteinte au droit des personnes » et qu’elle « n’apporte pas son soutien aux travaux sur des contenus, qui en raison de restrictions des droits de propriété, ne peuvent pas être mis en libre accès sur l’Internet ». Dans cette perspective, la logique du libre accès s’avère nécessairement tributaire de l’exercice préalable du droit d’auteur par son titulaire et ne peut être que volontaire. La rhétorique du mouvement s’est ensuite précisée lors de la Déclaration de Bethesda pour l’édition en libre accès du 11 avril 2003, dans le cadre restreint de la communauté de la recherche biomédicale. L’objectif affiché était d’établir des mesures concrètes nécessaires à la promotion d’un passage rapide et efficace à la publication en libre accès par toutes les parties concernées, organismes de soutien et de financement de la recherche scientifique, chercheurs, éditeurs, bibliothécaires et toute autre personne ayant besoin d’accéder à ce savoir. Cette déclaration est importante dans son contenu, d’abord en ce qu’elle précise les critères de la notion de publication en libre accès. Pour être ainsi qualifiée la publication doit remplir deux critères. En premier lieu, il faut que « le/les auteur(s) ainsi que les titulaires du droit d’auteur accordent à tous les utilisateurs un droit d’accès gratuit, irrévocable, mondial et perpétuel et leur concèdent une licence leur HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 La propriété intellectuelle chahutée : libre accès ou libre recherche ? permettant de copier, utiliser, distribuer, transmettre et visualiser publiquement l’œuvre et d’utiliser cette œuvre pour la réalisation et la distribution d’œuvres dérivées, sous quelque format électronique que ce soit et dans un but raisonnable, et ce à condition d’en indiquer correctement l’auteur ; ils accordent également aux utilisateurs le droit de faire un petit nombre de copies papier pour leur usage personnel ». En second lieu, « la version complète de l’œuvre, ainsi que tout document connexe, dont une copie de l’autorisation ci-dessus, réalisée dans un format électronique standard approprié, est déposée dès sa publication initiale dans au moins un réservoir en ligne subventionné ». La déclaration se positionne également de manière singulière vis-à-vis du droit d’auteur puisqu’elle entend court-circuiter les revendications éventuelles des éditeurs en affirmant que « le libre accès est l’attribut de travaux individuels et pas nécessairement celui des revues ou des éditeurs », ce qui s’entend au regard des objectifs affichés de reprise en main des travaux de recherche par leurs auteurs. Mais on est davantage surpris lorsque la déclaration propose non moins de remplacer le droit d’auteur dans son volet extrapatrimonial en établissant que ce sont « les règles de la communauté, plutôt que les lois sur le droit d’auteur, [qui] continueront à fournir les mécanismes garantissant une bonne attribution de la paternité de l’œuvre et une utilisation responsable de l’œuvre publiée, comme elles le font déjà aujourd’hui ». Le point d’orgue de ces pétitions de principe demeure sans doute la « Déclaration de Berlin sur le Libre Accès à la Connaissance en Sciences exactes, Sciences de la vie, Sciences humaines et sociales » du 22 octobre 2003, visant à « promouvoir un Internet qui soit un instrument fonctionnel au service d’une base de connaissance globale et de la pensée humaine ». Dans une phraséologie très idéologique, elle envisage le libre accès comme un changement de paradigme, HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 105 « source universelle de la connaissance humaine et du patrimoine culturel ayant recueilli l’approbation de la communauté scientifique ». Sur le plan opérationnel, la Déclaration de Berlin s’inspire largement des avancées de la Déclaration de Bethseda dont elle reprend presque fidèlement la définition de la contribution au libre accès subordonnant ce « label » à la double condition d’un octroi d’une licence de libre accès et de réutilisation d’une part et à l’archivage électronique de l’œuvre d’autre part. Toutefois, au contraire des textes précédents, rien n’est dit à propos du droit d’auteur, sauf à remarquer que les précisions terminologiques apportées à Berlin empruntent largement au vocabulaire de la propriété intellectuelle (œuvre, œuvres dérivées, support). Cette déclaration, rédigée sous l’égide du prestigieux Institut Max Planck, a connu un important retentissement en raison de l’adhésion qu’elle a suscitée de la part d’acteurs majeurs de la recherche au plan international ; elle demeure, aujourd’hui encore, le texte de référence régulièrement cité en matière d’accès libre. Elle ne marque pas pour autant la fin de la réflexion puisque, depuis lors, plusieurs réunions telles que celles de mai 2004 à Genève et de mars 2005 à Southampton ont contribué à mettre en place des outils opérationnels au service de cette cause. On pense encore, au plan national, au protocole d’accord signé en juillet 2006 par différentes institutions de recherche françaises comme le CNRS et l’ANR visant à promouvoir l’archivage électronique systématique des travaux de recherche. Le processus est donc en perpétuel mouvement. 105 27/07/10 16:28 Valérie-Laure Benabou La portée juridique des mécanismes de libre publication L’étude de la juridicité du processus peut s’opérer sur deux plans. Au niveau collectif en premier lieu, la généralisation des pratiques dans les groupes de chercheurs tend à donner à la règle le caractère d’un usage voire d’une coutume. En second lieu, au plan individuel, différentes initiatives semblent reposer sur un postulat commun, celui de la volonté de l’auteur de livrer son œuvre au public. Mais la philosophie semble évoluer vers une démarche plus contrainte. L’émergence d’un usage ou d’une coutume Que faut-il retenir de cette succession d’initiatives au plan juridique1 ? Au premier regard, cet élan altruiste à la libre publication, à la gratuité et à la connaissance universelle pourrait s’apparenter à une simple école de pensée, à une norme comportementale prescrite, dans une communauté donnée, par des personnes variées et qui, de surcroît ne sont pas nécessairement représentatives d’institutions. Un phénomène en devenir tout au plus, à la force obligatoire inexistante ou balbutiante. Toutefois, la récurrence des énoncés de principes, l’ampleur grandissante du mouvement, sa généralisation à l’ensemble des secteurs de la recherche et surtout l’existence d’une pratique amènent à déceler l’émergence d’un usage, voire probablement d’une coutume. Désormais, et ce dans le monde entier, les chercheurs sont incités moralement ou expressément à mettre les résultats de leurs travaux en ligne à travers des « réservoirs 2» (repositories) hébergés par leurs institutions de rattachement ou par les bailleurs de fonds de leur recherche. De plus en plus souvent, ils ont recours à la pratique de l’archivage électronique et ils consultent toujours davantage 106 Livre-hermes-57.indb 106 les sites Internet pour prendre connaissance des travaux de leurs pairs. Dans ce contexte, qu’est-ce que le juriste pourrait trouver à ajouter, voire à redire à cet élan altruiste, reposant sur la bonne volonté des acteurs et répondant à une attente collective politiquement consensuelle ? Mais s’il convient sans doute de saluer ces initiatives et de souligner leur raffinement progressif, il n’est toutefois pas inutile de relever certaines ambiguïtés du mouvement, notamment au regard du droit d’auteur et, par ailleurs, d’étudier les difficultés issues du modèle juridique de licence qui est au cœur du libre accès. L’une des difficultés congénitales du « libre » dans le domaine de la publication scientifique, comme d’ailleurs dans le domaine du logiciel ou des autres œuvres de l’esprit, tient à ce qu’il n’existe pas « un » mais « des » libres. Open Access, Open Content, Open Archive pour ne citer que ceux-ci représentent trois mouvements partageant une philosophie d’ensemble mais se démarquant les uns des autres dans leurs finalités et leurs instruments. Si l’Open Access insiste, comme son nom l’indique sur la teneur de l’usage accordé, le mouvement de l’Open Content s’efforce d’aller au-delà en se focalisant sur le contenu du travail scientifique dont la vocation est de circuler et d’être modifiée par ses pairs. Quant au mouvement de l’Open Archive, pionnier dans ce domaine, il s’est construit essentiellement autour de l’idée de conservation. Ainsi, bien que les initiatives se fédèrent progressivement et que les mouvements s’interpénètrent, l’impression demeure d’une myriade de solutions aux règles différentes voire divergentes. Il est donc difficile de prétendre envisager d’un trait de plume les implications juridiques du libre dans la recherche scientifique puisqu’elles peuvent varier considérablement selon l’organisme d’appartenance du chercheur, les licences choisies ou déterminées, le régime juridique applicable dans un État, et les objectifs affichés par divers protagonistes. Plus qu’une HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 La propriété intellectuelle chahutée : libre accès ou libre recherche ? coutume généralisée, on assiste à une multitude d’usages concordants. Une pratique volontaire ou contrainte ? Une des ambiguïtés des mouvements Open Access tient à la détermination du caractère volontaire ou non de la mise à disposition des travaux de recherche. À la lecture des déclarations, il se dégage que la philosophie de libre accès, développée, à l’origine, à partir d’une logique spontanée, a évolué vers une démarche plus « dirigiste ». Désormais, les chercheurs sont incités, voire contraints, par leurs organismes d’appartenance ou par les institutions de financement de leurs travaux à mettre leurs résultats en libre accès. Deux voies sont généralement proposées : la voie « en or », consistant à réaliser la publication directement sur Internet dans une revue alternative, la voie « verte » limitée au seul archivage d’une version plus ou moins intermédiaire de la publication. Toutefois, les différentes déclarations demeurent très évasives quant à la personne en charge de la décision de mise à disposition. Or, il se peut que la publication d’un travail scientifique suscite un concours de volontés contradictoires. Appartient-il au chercheur, considéré comme seul auteur de décider s’il souhaite, et selon quelle voie, mettre son œuvre en libre accès ? Doit-on considérer que c’est à son employeur direct que revient ce pouvoir ou encore au consortium éventuellement constitué pour les besoins de la recherche ? Face à la publication en libre accès, les attitudes de ces différents protagonistes peuvent éminemment varier selon leurs stratégies individuelles à court ou long terme. Celui-ci souhaitera diffuser au plus vite le résultat obtenu pour bénéficier d’un effet de notoriété académique ; au contraire, celui-là préfèrera conserver ce résultat confidentiel dans la perspective d’un dépôt de brevet ou d’une opportunité commerciale. L’un déci- HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 107 dera de « garder » un article en vue de le publier dans une revue particulière, tandis que l’autre souhaitera gonfler rapidement le volume de son répertoire de publications numériques, sans considération pour l’expertise éditoriale. L’institution de recherche pourra pousser à la publication numérique immédiate pour favoriser son rayonnement et afin de décrocher des contrats financés, tandis que le bailleur de fonds voudra éviter les phénomènes de passagers clandestins et conserver un avantage concurrentiel sur un marché. La question de la détermination du titulaire du choix de mise en libre accès s’avère par conséquent déterminante. Or, son traitement reste étrangement évasif dans les différentes déclarations. Une raison simple permet d’expliquer ce flou entretenu : ces textes ont en principe une vocation internationale voire mondiale et ne rentrent pas dans le détail ni des législations applicables, ni des contrats existants. Il est dès lors impossible, sauf à procéder par une pétition de principe irréaliste, de déterminer avec certitude la personne qui aura le pouvoir de décider. Faute de mettre en place un système juridique véritablement alternatif des mécanismes de propriété intellectuelle, les différents textes en sont réduits à procéder à un renvoi, plus ou moins assumé selon les termes des déclarations, au droit d’auteur et/ou au copyright pour déterminer le titulaire des droits. Ainsi, dans le cadre de l’Open Access, la licence de mise à disposition doit émaner de l’auteur et/ou des titulaires de droit. Par conséquent, même lorsque le mouvement de libre accès invite à son renoncement ou précisément parce qu’il propose de le faire, il induit que le régime du droit d’auteur pré-existe au choix de la mise à disposition du travail de recherche. 107 27/07/10 16:28 Valérie-Laure Benabou La logique de libre publication au regard des principes de la propriété intellectuelle Cette filiation difficilement assumée entre les mouvements Open Access et la propriété intellectuelle suscite de nombreuses interrogations quant aux mécanismes envisagés pour appréhender la titularité des droits, leur exercice, et le respect des règles d’ordre public. La titularité des droits La détermination de la titularité initiale peut considérablement varier selon la législation applicable, voire au sein d’une même législation, selon la qualité de l’auteur. À titre d’exemple, l’auteur personne physique (ici le chercheur) sera considéré comme le titulaire du droit d’auteur en France en vertu de l’article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle même s’il est salarié tandis qu’un régime particulier d’attribution légale du droit s’appliquera pour un agent public depuis la loi DADVSI, ce régime dérogatoire n’étant pas nécessairement applicable à l’ensemble des agents selon leur statut (voir l’article de M. Cornu, supra) et pas en principe aux enseignants du supérieur… Ajoutons que la recherche étant souvent le fait de plusieurs intervenants, il convient de naviguer dans le régime des œuvres plurales pour décider de la qualification d’œuvre de collaboration ou d’œuvre collective. Ajoutons encore que les travaux scientifiques sont fréquemment élaborés au sein de consortiums impliquant une pluralité d’acteurs publics et privés Il est loisible, pour corser le tout, de relever que certains des travaux vont conduire à des inventions susceptibles d’être brevetées et qu’en ce cas, le régime de 108 Livre-hermes-57.indb 108 la titularité varie fortement selon le cadre dans lequel la recherche a été menée, s’agissant d’attribuer l’invention. Il suffit enfin de rappeler que nombre de publications scientifiques sont produites dans le cadre d’un montage international et on aura compris que la question de la titularité peut très vite devenir singulièrement complexe s’agissant de la propriété intellectuelle. L’exercice des droits dans le cadre de la libre publication La seconde ambiguïté tient à ce que, malgré tout, c’est à partir du droit d’auteur que se construit le mécanisme du libre accès. Il existe des gradations dans l’ampleur du rejet du modèle de la propriété intellectuelle. Ainsi, selon les pratiques, on s’inscrira dans un exercice traditionnel du droit d’auteur, tandis que d’autres tendront vers une logique de domaine public consenti ou encore de domaine public subi. Dans l’essentiel des pratiques d’archives ouvertes ou d’accès libre, on notera que, en dépit de l’objectif de circonvenir certaines politiques d’éditeurs commerciaux, rien n’est prévu dans le dispositif pour empêcher, en amont, la transmission des droits par contrat à un éditeur. Ainsi, si l’auteur passe un accord pour la publication comprenant une cession pour les exploitations numériques, il ne pourra ni lui, ni son institution d’appartenance, procéder à une publication en ligne unilatéralement sans être contrefacteur de son propre article. La plupart du temps d’ailleurs, la logique retenue n’est pas celle d’un boycott des éditeurs traditionnels mais plutôt d’une négociation d’une cohabitation pacifique, notamment en ménageant des fenêtres de publications différées, à l’instar de la chronologie des médias dans le domaine audiovisuel. L’idée est alors d’instaurer un délai, en général de six mois, pendant lequel l’éditeur commercial aura HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 La propriété intellectuelle chahutée : libre accès ou libre recherche ? l’exclusivité de la publication et pourra monétiser le cas échéant la publication à son bénéfice et parfois à celui de l’auteur, indirectement. Au terme de cette période, la publication intervient dans la logique de l’Open Access ou de mouvements similaires. Si ce ne sont pas les délais, c’est le contenu même de la publication qui est modulé. Il est ainsi possible de combiner le libre accès d’une pré-publication (pre-print) qui ne comporte pas encore l’ensemble des informations pertinentes mais qui offre une version bêta de l’article, avec une publication classique du travail final offrant alors une version complète et stable. De cette manière, les coûts de traitement éditorial des papiers demeurent à la charge de l’éditeur et le mécanisme de sélection des revues à comité de lecture est maintenuAinsi, la liberté contractuelle préside à l’organisation de la diffusion des savoirs, dans le respect du droit d’auteur, la variante consistant essentiellement dans l’exploitation d’une logique « scientifique » de longue traîne permettant à une publication de connaître un écho plus retentissant après avoir achevé son cycle d’exploitation commerciale ou de procéder à un « teasing » avec celle-ci. Souvent d’ailleurs, dans ce cas, la politique de mise en archive ne s’applique qu’aux articles sélectionnés par des revues à comité de lecture, permettant ainsi de procéder à une approche sélective de la politique d’archivage. Parfois néanmoins, la logique d’opposition au mécanisme de l’édition scientifique est plus frontale et se traduit par une véritable politique de contournement. Ainsi, des initiatives fleurissent, telle que l’« Author Addenda » proposée par le SPARC (Scholarly Publishing and Academic Ressources Coalition), Sciences Commons ou encore le prestigieux MIT qui incitent les chercheurs à amender les contrats passés avec les éditeurs de manière à conserver leurs droits lors de la soumission d’article. Plus radicale encore est l’attitude de certaines facultés de l’université de Harvard qui demandent à leurs chercheurs de retenir leurs droits et de fournir une HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 109 version finale de chaque article pour être déposé dans une archive ouverte. En Grande-Bretagne, l’ensemble des Research Council, récemment rejoint par l’Engineering & Physical Sciences Research Council (ESPRC), adopte une politique pour le libre accès, laissant le choix aux chercheurs soit de déposer leurs articles dans une archive ouverte, soit de publier dans une revue en libre accès. Dans ce cas, le cycle économique classique est totalement court-circuité, ouvrant probablement la voie, à terme, à une nouvelle forme d’exploitation commerciale par des médiateurs de savoirs, comme les agrégateurs de contenus ou encore les moteurs de recherche, la valeur ne résidant plus dans la sélection et la mise en forme de l’information mais dans le fait de contribuer à son repérage. Le dispositif proposé qui tourne le dos à l’édition traditionnelle demeure toutefois ancré dans le droit d’auteur (en validant la paternité du travail accompli par les chercheurs) même s’il en modifie l’exercice. Une étape supplémentaire est en passe d’être franchie dans le processus de décrochage du modèle de la propriété intellectuelle à travers une approche « fiscale » de la publication scientifique. Ainsi, fleurissent des initiatives visant à promouvoir non plus un accès ouvert mais un accès public qui s’appuient essentiellement sur l’idée que le subventionnement public de la recherche doit conduire à un retour immédiat au contribuable qui en est à la source. Ainsi, le Conseil norvégien pour la recherche a adopté, en janvier 2009, un mandat rendant obligatoire le libre accès des publications scientifiques, issues de recherches financées par le Conseil. Par ailleurs, l’Association norvégienne des universités émet des recommandations quant à une diffusion plus large des résultats de la recherche, visant à long terme que tous les articles scientifiques, issus de recherches financées sur fonds publics, soient accessibles librement. 109 27/07/10 16:28 Valérie-Laure Benabou Le Conseil indien pour la recherche scientifique et industrielle (CSIR) recommande que chacun de ses 40 laboratoires adopte un mandat pour le libre accès. Ainsi, tous les articles publiés doivent être librement accessibles par le dépôt du texte intégral et des métadonnées dans une archive institutionnelle ou par la publication dans une revue en libre accès. Dans une telle approche, le chercheur n’est plus véritablement maître du destin de sa publication, tout entière destinée à servir aux intérêts de la collectivité publique. Le changement de paradigme serait dès lors total et l’idée même de propriété intellectuelle reléguée aux oubliettes au profit d’une logique de mécénat. Il ne s’agirait plus seulement de court-circuiter la figure de l’éditeur mais bien celle de l’auteur, devenu simple exécutant d’une prestation de service de recherche pour le compte de l’État qui le finance. Nul doute que la dissémination du savoir serait ainsi assurée pour le plus grand nombre via cet accès public. On demeure néanmoins plus sceptique sur les vertus d’un tel système en termes d’incitation et de liberté de recherche. En effet, les contraintes imposées par les circuits de financement conduisent d’ores et déjà à favoriser une recherche pilotée par des politiques de plus ou moins long terme. Cette tension dirigiste ne pourrait que s’accroître si la maîtrise de la publication devait échapper toute entière à son auteur. Certains services de valorisation de la recherche dans les universités françaises prétendent déjà, hors de tout fondement légal, se substituer au chercheur dans la décision de publication. Or, contrairement à l’une des idées véhiculées par les déclarations, il est délicat de dissocier la substance d’un article du contexte de sa publication. L’écriture pour une revue papier n’est pas celle d’une publication électronique ; la rédaction et le fond vont varier en fonction de la langue choisie ; la politique de citation sera fonction du lectorat, etc. Abandonner ces choix à des personnels administratifs, voire à des directeurs 110 Livre-hermes-57.indb 110 de laboratoire pourrait conduire à un formatage de la pensée au regard de canons requis, voire à une véritable confiscation de la liberté de recherche. Il faudrait donc veiller à ce que le libre accès ne devienne pas un prétexte au musellement de la recherche scientifique. Il n’est pas inutile de rappeler que l’un des fondements du droit d’auteur a été précisément la liberté de création, garantie par la maîtrise de l’auteur de ses productions que n’assurait pas le mécénat. Cette liberté est souvent maintenue dans les législations par des dispositions d’ordre public. La conjugaison de la libre publication avec l’ordre public En tout état de cause, si une logique d’éviction du droit d’auteur devait prospérer, elle appellerait une intervention légale, du moins s’agissant des dispositions de la loi qui sont d’ordre public. Or, la loi française, par exemple, est truffée de règles auxquelles il ne peut être dérogé par contrat. Ainsi, rien n’empêche un auteur de décider de la mise à disposition gratuite de son œuvre, le code de la propriété intellectuelle ayant même récemment rappelé cette possibilité dans une formule redondante par rapport aux principes fondamentaux de la matière. En revanche, il ne peut être renoncé globalement à l’exercice du droit moral de l’auteur. D’après la loi française, sauf dans le cadre nouveau du statut des agents publics mais dont l’applicabilité aux enseignants chercheurs ne s’impose pas, l’auteur, seul, a le pouvoir de divulguer son œuvre, c’est-à-dire de décider quand, ou et comment il va communiquer celle-ci au public. Ce droit, qui est également l’exercice d’une liberté, ne peut pas être aliéné valablement. Pas davantage ne serait valable la renonciation définitive à l’exercice du droit à la paternité ou du droit au respect et à l’intégrité de l’œuvre. Dans la conception hexagonale, le créateur HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 La propriété intellectuelle chahutée : libre accès ou libre recherche ? seul détermine la forme ou les formes dans lesquelles il souhaite que son œuvre soit transmise. Toute atteinte à l’une de ces prérogatives, par exemple une décision de publication par un tiers dans une forme non définitive, est passible des sanctions de la contrefaçon soit trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. Ainsi, les déclarations prétendant que le droit à la paternité et le droit au respect et à l’intégrité de l’œuvre pourront être assurés par les seuls usages académiques ne seraient d’aucune pertinence si ces usages allaient contre la volonté de l’auteur. Le droit d’auteur sert ici de rempart ultime contre les tentations de censure hiérarchique puisqu’il peut être opposé à tout tiers, même lorsque celui-ci est le patron du laboratoire. Il est vrai que le droit moral n’existe pas de manière universelle et notamment pas aux États-Unis et que la protection doit être parfois recherchée ailleurs que dans la législation sur le droit d’auteur. Toutefois, lorsqu’il existe, le droit moral peut être un soutien efficace des principes d’attribution et de non-modification qui sont nécessaires au fonctionnement éthique de la recherche scientifique. Il n’est pas nécessaire de jeter le bébé avec l’eau du bain. L’exercice des droits patrimoniaux n’est lui-même pas complètement disponible pour son titulaire. Ainsi, un auteur ne peut procéder à la cession globale de ses œuvres futures en vertu de l’article L 131-1 du Code de la propriété intellectuelle, ce qui interdit à son employeur, sauf cas particuliers, de se considérer a priori comme maître de la production à venir de ses chercheurs. Le Code, notamment en son article L 131-3, organise également la défense de l’auteur contre son cocontractant en exigeant que la cession des droits soient accompagnées de mentions déterminant son étendue dans le temps, dans l’espace et selon les modes d’exploitation. Ainsi, ce n’est pas parce que la mise à disposition interviendrait de manière gratuite qu’elle est nécessairement illimitée dans ses implications. Il est vrai que la DADVSI HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 111 a organisé un régime spécifique pour les agents publics permettant à l’État de préempter les droits de ses fonctionnaires lorsque les droits servent à l’exercice d’une mission de service public, mais une fois encore, la loi ne semble pas viser dans ce régime spécifique les chercheurs et professeurs qui exercent des fonctions hors d’un contrôle hiérarchique. Par ailleurs, il est nécessaire de préserver les droits acquis. Ainsi, la politique de libre accès doit en principe respecter les cessions qui sont déjà intervenues auprès des éditeurs car les chercheurs ont déjà aliéné leurs droits exclusifs et ne peuvent pas prétendre effectuer une publication concurrente sans demander préalablement l’autorisation à l’éditeur qui aura accepté et publié son article. L’émergence d’une publication véritablement alternative ne peut donc se concevoir que pour des publications nouvelles et non pour l’ensemble des articles déjà entrés dans le cycle traditionnel d’édition. Pour ce fonds de publications antérieures, une coopération avec les éditeurs est indispensable, sauf à envisager un système autoritaire et légal d’expropriation qui devrait alors respecter les principes fondamentaux de la matière et notamment l’existence d’une compensation financière juste et préalable à l’expropriation. Le modèle de la libre publication face au droit des contrats d’auteur La question des frais occasionnés par la publication pose également difficulté. En effet, l’acte de publication, même électronique, présente un coût. Dans l’économie traditionnelle, cette charge pèse en principe sur l’éditeur qui la répercute sur le prix des ouvrages. Il est vrai que nombre d’éditeurs avaient quelque peu subverti ce système pour favoriser les publications « à compte 111 27/07/10 16:28 Valérie-Laure Benabou d’auteur » ou encore « à compte à demi ». C’est d’ailleurs l’un des griefs à l’origine du mouvement d’accès public que ce double renchérissement de la publication, en aval pour les bibliothèques voyant sans cesse les prix de leurs abonnements augmenter mais aussi en amont pour les chercheurs contraints de « subventionner » l’éditeur pour pouvoir être publié. Toutefois, le Code de la propriété intellectuelle français, en ses articles L 132-2 et L 132-3 disqualifie précisément ces contrats à compte d’auteur et à compte à demi en refusant de considérer qu’ils emportent cession des droits au profit de l’éditeur. En principe donc, lorsque l’éditeur ne prend pas le risque financier de la publication, il ne peut prétendre à être investi des droits qui demeurent dans le patrimoine de l’auteur. La mise en œuvre de cette règle permet d’éviter la confiscation à bon compte des droits des chercheurs. Le système alternatif mis en place dans les logiques d’Open Access ne résout pas nécessairement la question des frais de publication de manière satisfaisante. On parle notamment du système « auteur/payeur » laissant entendre que leur charge demeurera sur la tête du chercheur publiant. La réalité est quelque peu différente dans la mesure où les institutions de rattachement des chercheurs envisagent, en contrepartie de la mise à disposition libre des publications, de prendre sur eux les coûts y afférents3. Pour l’heure, il semble que les économies réalisées par les bibliothèques en raison du désabonnement à certaines revues permettent de compenser cette charge. Mais ce coût peut s’avérer important si les revues alternatives entendent concurrencer, voire remplacer les revues traditionnelles en termes de fiabilité des expertises. En effet, le postulat de la gratuité empêche de recouper les frais lors de la diffusion ; la totalité de la charge se reporte donc, pour l’instant, sur l’amont. Si les coûts de la publication alternative devaient s’avérer trop onéreux, des mécanismes de sélection des ouvrages à publier risquent de ressurgir ou encore, une diffusion massive mais sans discernement pourrait fleurir. Il n’est 112 Livre-hermes-57.indb 112 donc pas assuré que, de ce point de vue, le mécanisme de l’Open Access conduise à des résultats plus efficaces en termes de qualité de l’information produite et diffusée que dans l’édition traditionnelle. Pour éviter d’être dépassés par le mouvement, les éditeurs commerciaux ont d’ailleurs choisi de participer au phénomène. Ainsi, certains d’entre eux laissent le choix aux auteurs d’offrir un accès libre ou un accès classique par abonnement de leur article moyennant un paiement en amont. Springer, le premier, a dès 2003, propose le système Open Choice, permettant de rendre un article librement accessible pour la somme de 3 000 $. Les initiatives semblables se multiplient à tel point que l’on parle désormais de « modèle hybride » ou de « revue hybride ». Il s’agit d’accepter l’idéologie du libre accès sans toutefois renoncer complètement au modèle de la propriété intellectuelle. Ainsi, les droits seraient transmis à l’éditeur qui accorderait à l’auteur la possibilité de mettre la publication à disposition. Au terme de ce passage en revue, il est loisible de constater que pour l’heure le système de libre publication peine à s’affranchir des principes traditionnels de la propriété intellectuelle, faute de définir un modèle juridique radicalement alternatif. L’attribution native du droit d’auteur sous-tend l’essentiel des mécanismes mis en place qui reposent sur la décision de communiquer, laquelle demeure centralisée sur la tête du chercheur ou de son cocontractant. Les objectifs poursuivis visent également souvent à la duplication ou à la constitution d’un droit moral permettant au chercheur de s’assurer de la maîtrise intellectuelle de ses travaux. C’est essentiellement à propos des mécanismes de rémunération que les mouvements de libre accès divergent de la pratique du droit d’auteur mais non de ses principes fondateurs. Il n’est nullement exigé par la loi que la diffusion d’une œuvre se fasse contre rémunération. En revanche, il est de principe que si une rémunération est perçue, elle doit être partagée avec l’auteur. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 La propriété intellectuelle chahutée : libre accès ou libre recherche ? L’Open Access ne constitue donc pas véritablement un bouleversement pour la propriété intellectuelle mais un nouveau schéma de diffusion à laquelle elle peut s’adapter. Le choc juridique est sans doute plus important du point de vue du droit des contrats, dans la mesure où les licences d’utilisation ouvertes posent des difficultés d’analyse au regard des règles fondamentales de la matière. Il est loisible de s’interroger ainsi sur la notion de contrat, dans la mesure où la personne du cocontractant est a priori indéterminée, ou encore sur l’existence d’une contrepartie dans la relation contractuelle. Plus techniquement encore, on peut être interpellé par l’intrication des différentes licences qui croisent leurs contraintes respectives pour in fine conduire à un résultat contre-productif de glaciation de certaines formes de diffusion des œuvres dérivées4. La confrontation de l’Open Access avec la propriété intellectuelle demeure mesurée dès lors que l’exercice du droit d’auteur n’est nullement antinomique avec un modèle de gratuité pour l’utilisateur final. L’existence même de prérogatives morales fortes doit, au rebours d’un discours ambigu, être renforcée et non détournées car elle présente les garanties que la communauté scientifique appelle de ses vœux, à savoir l’identification de la source et la traçabilité de la version originale de la publication. Il semble donc que les deux aspirations puissent aisément cohabiter. Le constat est sans doute moins angélique s’agissant du mouvement du Public Access, lequel ne se soucie plus guère des intérêts des auteurs mais est tout entier tourné vers la diffusion des savoirs comme remboursement des tributs versés par les contribuables dans le financement de la recherche. La logique suivie devrait à terme nier l’existence même de droits d’auteur pour les chercheurs lesquels perdraient tout contrôle sur la diffusion de leurs travaux. Si les propositions de loi en ce sens venaient à prospérer, elles constitueraient un tournant majeur dans l’histoire de la propriété intellectuelle récusée comme système valable de diffusion de la connaissance. Il n’est cependant pas certain que l’alternative proposée conduise à des résultats souhaitables car le chercheur doit pouvoir bénéficier d’une certaine liberté dans sa recherche et dans sa parole pour être incité à produire des travaux de qualité ; court-circuiter son droit de regard sur le destin de ses recherches risque, au contraire, de le décourager. La rencontre des deux aspirations est sans doute possible. Il n’est pas nécessaire pour atteindre le libre accès de détruire la libre recherche. NOTES 1. Nous n’aborderons pas ici la dimension économique, par ailleurs largement explorée dans le cadre du présent volume. 2. Par exemple : Registry of Open Access Repositories (ROAR), Directory of Open Access Repositories (Open DOAR). 3. L’Université de Berkeley a, par exemple, mis en place le 21 janvier 2008 un fonds dédié au financement des articles en libre accès. Ce programme, appelé BRII (Berkeley Research Impact Initiative) d’une durée de 18 mois, bénéficie de 125 000 dollars, dont une partie provient du budget HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 113 d’acquisition de collections de la bibliothèque. Les auteurs peuvent recevoir jusqu’à 3 000 dollars pour couvrir les frais de publication. Il a été renouvelé le 21 janvier 2008. Au 1er octobre 2009, un quart des allocations restaient encore à dépenser. 4. Voir notamment sur ces questions, les travaux du CSPLA et le Rapport sur la mise à disposition ouverte des œuvres de l’esprit (J. Farchy et V.-L. Benabou, dir.), juin 2007, en ligne sur le site du CSPLA : <http://www.cspla.culture.gouv.fr/travauxcommissions.html>. 113 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 114 27/07/10 16:28 Chercheurs, vos papiers ! Les dépôts institutionnels obligatoires Au-delà de la révolution technologique de l’Internet qui ouvre d’immenses perspectives en matière de diffusion du savoir, au-delà de l’inacceptable ascension des prix des périodiques pratiqués par les grandes maisons d’édition (plus de 300 % en dix ans, en moyenne, de 1995 à 2005), on voit poindre aujourd’hui une nouvelle et ample réflexion sur le mode de diffusion du savoir généré par la recherche publique ou, mieux encore, sur le mode d’échange et de partage du savoir. L’élément central de cette réflexion est la globalisation au niveau mondial d’un système de diffusion qui apportera de très nombreux avantages tant aux producteurs qu’aux chercheurs et lecteurs. Ce nouveau modèle implique un passage obligé par les dépôts bibliographiques institutionnels. Les dépôts institutionnels (D.I.) sont des collections digitalisées des produits de la recherche réalisée dans des universités ou des centres de recherche. Dans certaines institutions, la technologie à mettre en place pour constituer un D.I. existe déjà depuis longtemps ; elle a été utilisée pour entreposer et rendre facilement accessible aux étudiants du matériel didactique, des illustrations et présentations de cours, des syllabus, des notes complémentaires d’accompagnement pédagogique. Dans tous les cas, ces dispositifs peuvent être adaptés à l’entreposage de données et d’articles scientifiques. Cette possibilité peut être étendue à d’autres formes de publications, livres, photographies, films, données brutes, etc. Aujourd’hui, on compte environ 1 500 dépôts répertoriés dans le Registry of Open Access Repositories, dans le Directory of Open Access Repositories ou encore – avec une représentation géographique – dans le Repository 661. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 115 Il ne peut exister de dépôt que dans un cadre contraint et précis d’interopérabilité, c’est-à-dire de parfaite compatibilité entre les logiciels utilisés selon des standards techniques éprouvés, repris sous le nom d’OAIPMH (Open Archives Initiative Protocol for Metadata Harvesting). Aucun écart à ce protocole commun ne doit être commis par un dépôt, institutionnel, central ou thématique, sous peine de manquer l’objectif de communication et d’être inexorablement voué à l’échec. Ce n’est pas là la seule contrainte. Pour que le document soit effectivement exploré il y a trois conditions : – il doit se trouver dans un dépôt dont l’existence est rapportée aux grands moteurs de recherche (tels Google ou Google Scholar) et que ceux-ci peuvent explorer ; – il doit être déposé en format de texte complet et pas seulement sous la forme de métadonnées ; – il doit être dans un format sémantique lisible, HTML, XML ou éventuellement searchable pdf. Le principe de ces dépôts est de constituer progressivement un ensemble de documents librement consultables constituant une proportion majeure de la littérature scientifique. Ils contiennent d’abord des articles de périodiques revus par les pairs et publiés dans des journaux conventionnels. Les auteurs peuvent aussi y déposer des données brutes ou traitées, en support de leurs articles ainsi que des documents multimédias, des objets complexes, tableaux, diagrammes, photos, séquences audio, cartes, films vidéo, présentations visuelles, etc. Ceci conduit à une autre conception de la publication de recherche, plus souple, plus fluide, révisable au fur et à mesure de l’avancement de la recherche, moins redondant grâce 115 27/07/10 16:28 Bernard Rentier à la possibilité de mettre des liens. De plus en plus, les bailleurs de fonds de la recherche exigent la disponibilité des données qui sous-tendent les articles afin de pouvoir vérifier le bien fondé de ce qui en a été extrait et servir de base à des études ultérieures. Il est de l’intérêt des universités, centres de recherche, comme des financeurs d’entreposer l’ensemble des données, y compris les articles, dans des dépôts qu’ils contrôlent, non seulement pour en tenir l’inventaire, mais également comme vitrine de leurs activités scientifiques. La plupart des dépôts institutionnels contiennent également des livres ou chapitres de livres. En général, les auteurs de livres en escomptent une rémunération sous forme de droits d’auteur, contrairement aux auteurs d’articles. Ils ont donc une grande réticence à en faire le dépôt gratuit. On peut, dans ce cas envisager un dépôt fermé rendant accessibles les métadonnées de l’ouvrage afin qu’il figure quand même à l’inventaire de l’institution. Cependant, et cela mériterait une étude approfondie, on observe qu’un livre accessible gratuitement sur le Web se vend mieux grâce à la notoriété et à la publicité que lui apportent les moteurs de recherche. La crainte des éditeurs de voir l’accès libre provoquer une diminution de leurs ventes semble injustifiée. Pour remplir ces conditions, les institutions doivent assurer l’efficacité du dépôt en le rendant obligatoire. Cette obligation (mandate) n’est guère facile à exercer, en raison de l’esprit de liberté qui souffle dans les milieux de la recherche. L’objectif peut facilement être atteint en liant toute opportunité de promotion professionnelle ou toute candidature à un financement par l’institution aux publications présentes dans le dépôt institutionnel. Ce stratagème, particulièrement efficace, peut s’accom- pagner d’un lien direct vers les publications de l’auteur dans le répertoire des chercheurs de l’institution, nul ne souhaitant qu’il conduise à un dépôt vide. Mais quelles que soient les mesures assurant le dépôt complet, il est clair que le meilleur incitant est l’augmentation significative de la lecture des articles et, par conséquent, l’augmentation de leur index de citation. Ces avantages compensent rapidement les désagréments du travail d’encodage nécessaire au dépôt. À côté de la résistance naturelle au changement et de l’imposition d’une obligation aux chercheurs, les universités rencontrent encore un obstacle : la difficulté de mettre en œuvre un dépôt institutionnel sur le plan technique, méthodologique, légal et moral. Elles peuvent être aidées par une organisation créée précisément pour cet objectif, EOS (Enabling Open Scholarship). Les dépôts institutionnels constituent un premier pas vers une transformation majeure de la recherche, une première étape vers l’accès libre aux résultats de la recherche, mais également un tremplin vers un nouveau mode de communication scientifique plus adapté à l’usage des techniques nouvelles de communication. Si les chercheurs de demain veillent scrupuleusement à préserver le seul vrai garant de leur crédibilité, la revue par les pairs, toute autre révolution dans la conception même de la communication scientifique deviendra possible et même souhaitable. L’efficacité et la rapidité de cette communication, et de la recherche elle-même, s’en trouveront immensément accrues. Bernard Rentier Recteur de l’Université de Liège Président d’EOS (Enabling Open Scholarship) NOTES 1. Voir le site <http://maps.repository66.org>. 116 Livre-hermes-57.indb 116 2. Voir le site <http://www.openscholarship.org>. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Les Carnets de Géologie La revue scientifique électronique, Carnets de Géologie - Notebooks on Geology (<http://paleopolis. rediris.es/cg>) est née en octobre 2002. Son fondateur, Bruno Granier, était convaincu de l’avenir des publications électroniques en accès libre, sur des modèles tels que GeoLogic, Terra NOVA, créé par Paul Browning en 1989 ou Palaeontologia Electronica fondée en 1998 par Norman MacLeod et ses collègues de l’association Coquina Press. Dès l’origine, son contenu est publié sous licence Creative Commons, afin d’offrir une plus large visibilité à ses auteurs. Initialement hébergé sur un serveur en Afrique du Sud, le site migre dès 2003 sur Red española para Interconexión de los Recursos InformáticoS (RedIRIS), qui n’autorise un hébergement de pages qu’aux seuls formats HTML et PDF. Cette contrainte n’en est pas vraiment une puisque qu’elle permet le transfert rapide et sans altération du contenu du site pour l’édition de la version CD-rom (5 tomes publiés entre 2003 et 2008) puis DVD-rom (en 2009, le tome 6 bénéficie d’un tirage à 1 000 exemplaires) de la revue : l’intégralité des publications depuis l’origine est ainsi retranscrite. La fabrication des supports et leur distribution à titre gracieux à plus de 200 bibliothèques de recherche sont prises en charge par le sponsoring d’entreprises ou d’associations. Inauguré en juin 2003, un service d’alerte a permis de fidéliser un lectorat dont les deux tiers sont non francophones : les 500 premiers abonnés étaient enregistrés fin août suivant ; ils sont plus de 2 500 aujourd’hui. Le programme utilisé (<http://dadamailproject.com>), sous GNU Public License, requiert une configuration particulière (PHP et My SQL), une facilité d’abord accordée par The University of Kansas HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 117 (KU) à Lawrence puis par l’Université de Bretagne occidentale (UBO) à Brest. En parallèle, dès mars 2003, Bruno Granier lance un cercle de revues électroniques de géosciences en accès libre sur le serveur de la KU. Puis, celui-ci est transféré en avril 2006 vers l’UBO et se transforme en un portail qui regroupe aujourd’hui plus de 50 revues (<http://paleopolis.rediris.es/geosciences>). En février 2005, le contenu intégral des Carnets est rendu accessible sur le site I-revues de l’Institut de l’information scientifique et technique (INIST). Enfin, en mars 2007, un partenariat du même type est conclus avec l’archive ouverte pluridisciplinaire HAL. Aujourd’hui la revue a atteint une certaine maturité. Après évaluation par des pairs, moins de la moitié des manuscrits soumis sont publiés. Les notes, articles et mémoires ont représenté environ 400 pages, chacune des trois dernières années – un volume qui ne tient pas compte des e-books (voir tableau). La revue a une visibilité internationale et est référencée dans la plupart des banques de données bibliographiques : GeoRef, Pascal, Petroleum Abstracts, SRef, Web of Science, etc. 600 500 Pages d’articles Pages de livres 400 300 200 100 0 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 117 27/07/10 16:28 Bruno Granier L’« aventure » des Carnets n’est pas le projet d’une personne, mais celui d’un petit noyau initial (éditeurs et auteurs) qui s’est transformé en une sorte de réseau social à géométrie variable (abonnés, auteurs, rapporteurs, hébergeurs, etc.). C’est là aussi la démonstration que des modèles de publications scientifiques, 118 Livre-hermes-57.indb 118 alternatifs et viables (à coût réduit), peuvent être développés. Bruno Granier Département des Sciences de la Terre et de l’Univers Université de Bretagne occidentale (UBO) HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Cécile Méadel Centre de sociologie de l’ innovation, Mines-ParisTech LES SAVOIRS PROFANES ET L’INTELLIGENCE DU WEB La coupure entre savoir expert et savoir profane n’a pas attendu le développement des nouvelles technologies de l’information pour être mise en cause ; le savoir expert n’est pas plus synonyme de vérité intangible que celui des profanes n’est tout entier du côté du subjectif et du local ; la vielle coupure entre les « savants » (ceux qui ont acquis et parfois inventé de nouvelles connaissances) et les « sachants » (ceux dont la connaissance a été acquise dans l’action, par le savoir vécu transmis, mais aussi conquise en réponse à une question, à un problème personnel particulier) s’estompe vers un autre partage des savoirs (Delmas-Marty, 2007). Les travaux sur les controverses scientifiques ont montré comment les exigences de standardisation auxquelles doivent se soumettre les scientifiques aboutissent à une définition abstraite et générale mais aussi lacunaire et réduite du réel (Wynne, 1999). Du coup, les savoirs profanes ne sont plus vus seulement comme l’expression de ceux qui ne savent pas ou ne comprennent pas, mais plutôt comme des connaissances et des points de vue qui peuvent être aussi établis, aussi fondés, aussi rationnels, aussi utiles que ceux des HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 119 scientifiques (Epstein, 1995). Dès lors, comme toute connaissance, le savoir profane ne se réalise pas exclusivement dans des pratiques implicites ou informelles ; il passe par des dispositifs, des façons de faire sens, des supports, des bases de données, des textes… et aussi, a minima, par la restitution de recherche d’informations, l’exploitation des données existantes, le recueil de documents, la diffusion de renseignements, de messages, de résultats. On verra donc se déployer ces savoirs profanes, tout particulièrement dans certains champs d’intervention liés à la santé ou à l’environnement. Puis, on constatera qu’Internet offre de nouvelles ressources qui ne se résument pas à la mise en ligne ou à la numérisation de contenus scientifiques mais qui offrent aussi de nouvelles possibilités informatives et cognitives. Cela nous conduira à montrer que ces savoirs, qui s’appuient sur des ressources en accès libre, tirent leur efficacité de la participation de collectifs et de leur contrôle. Et pourtant, comme on le verra enfin, malgré l’ample travail de confrontation et de vérification accompli par ces groupes de « sachants », ces savoirs profanes accèdent 119 27/07/10 16:28 Cécile Méadel difficilement au statut de connaissances stabilisées et reconnues. De la mutation des ressources De ce point de vue, Internet et surtout le Web fournissent des ressources démultipliées. Ressources informatives d’abord puisqu’y est mis à la disposition des internautes un énorme flux de textes, d’images et de sons, émanant d’acteurs de compétences et d’appartenances diversifiées. L’information scientifique y est surabondante et omniprésente ; certes, comme le montrent plusieurs des articles de ce dossier d’Hermès (Mounier, Farchy & Froissart, Vinck…), elle est aussi diffuse, hérissée de barrières, rendue artificiellement rare, souvent confuse, mais sa surabondance est réelle, au point que l’on a pu s’interroger, avec l’optimisme coutumier que provoquent les nouvelles technologies de l’information, sur la réduction de la fracture cognitive qu’elle pourrait autoriser. Cette information savante est omniprésente non seulement sous la forme « canonique » de l’article scientifique ou de ses avatars, mais aussi dans des formats plus adaptés à un public non spécialiste. Ce que le Web favorise en effet de manière privilégiée n’est pas tellement la forme vulgarisée des savoirs, mais des formats différents qui ne relèvent ni de la popularisation, ni de la rhétorique académique ; il permet en effet le développement d’autres formats qui rendent compte de la science en train de se faire, de la connaissance non aboutie, en donnant à voir les discussions sur les pratiques et les méthodes au même titre que les théories (discutées traditionnellement, quant à elles, dans les articles scientifiques). Outre Wikipedia et autres ressources pédagogiques ou éducatives, on citera comme illustration les blogs de chercheurs qui 120 Livre-hermes-57.indb 120 se multiplient et dans lesquels leurs auteurs peuvent décrire, à destination d’un lectorat intéressé mais non professionnel, leurs travaux et expliciter leur démarche (Blanchard, 2010)1. Ressources productives aussi puisqu’un des aspects les plus frappants d’Internet est de fournir la possibilité pour tout individu équipé d’un ordinateur et d’une liaison Internet de produire des informations et de les publier. Bien sûr, l’espace où ces informations seront éditées, la rhétorique du document, la visibilité de l’auteur, ses garants… contribueront à définir la taille et la composition du public potentiellement touché (ou non touché, si le document produit reste, comme c’est souvent le cas, perdu dans l’immensité du Web invisible2). Comment se déploient donc ces savoirs profanes en présence d’Internet et avec ses ressources ? La question a été principalement étudiée dans deux domaines, l’environnement et la santé, non parce qu’ils font seuls l’objet de productions profanes, mais d’une part parce que l’information y était, avant le développement des technologies de l’information, difficile d’accès et faiblement disponible et d’autre part parce que les parties prenantes y jouent un rôle moteur. S’informer, c’est faire connaissance(s) Si la quête d’informations sur Internet devient une procédure généralisée, elle reste le plus souvent une procédure personnelle et conjoncturelle. La fabrique des connaissances commence dès lors que la recherche et la collecte d’informations font l’objet de reprise et de diffusion. C’est par exemple le cas des malades qui, ayant fait un difficile parcours pour comprendre leur HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Les savoirs profanes et l’intelligence du web maladie et trouver des informations valides, estiment qu’ils peuvent faire économiser du temps et de l’énergie à des gens confrontés au même problème en publiant les résultats de leur recherche sur un site Web (Ziebland, 2004, Méadel, 2007). Les choix effectués, l’organisation des documents, les questions posées sont une traduction de l’information. Traduction entre des langues d’abord, une part importante de l’information scientifique étant publiée en anglais ; la traduction se faisant transposition lorsqu’elle est accompagnée par un texte introductif qui fait le lien entre la démonstration scientifique, l’expérience collective des patients, la situation locale confrontée à celle de l’article. Mais traduction entre deux mondes également : pour transposer et faire comprendre le langage des spécialistes, mais aussi pour le reconstruire en fonction des interrogations des profanes, pour l’articuler à leur propre expérience, pour l’adapter à leur situation particulière. Le degré d’autonomie par rapport au savoir savant est variable. Dans le domaine de la santé, ces informations reproduisent bien souvent le partage des compétences traditionnelles entre les scientifiques détenteurs du savoir et les patients en recherche d’information et d’expertise. Dans celui de l’environnement, on est plutôt dans l’exercice du pouvoir de vigilance des citoyens (Rosanvallon, 2006) qui assurent une veille assidue et d’autant plus autonome qu’elle se veut contreexpertise. Quel que soit le degré de retraduction par rapport aux approches savantes, ce travail de collecte et d’adaptation accompli par des profanes pour rendre compte de la production savante, ne peut être réduit ni à une popularisation du savoir savant, ni au savoir d’usage dont parle John Dewey ; il y a bien production propre ; elle peut n’être que traduction et adaptation, mais elle peut aussi s’autonomiser et acquérir ses formats et sa rhétorique propres, dans un régime particulier d’ouverture et de circulation des contenus. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 121 L’engagement collectif dans le savoir Cette production des internautes peut en effet revêtir des formats très différents. Si on prend le domaine de la santé, les documents élaborés par les patients ou parents de patients vont du témoignage très personnel d’un nouvel opéré sur son intervention à des productions cognitives élaborées sous forme de bases de données, recueil et sommation d’observations, formulation d’hypothèses… Certains groupes mettent en place de véritables bases de données à caractère épidémiologique, d’autres construisent des outils de médication informatisés ; beaucoup produisent des bases bibliographiques argumentées. Un seul exemple, à propos des maladies mal repérées et prises en charge comme les anomalies vasculaires (Méadel et Oziel, à paraître) : un groupe francophone recueille des témoignages et photos d’enfants atteints, permettant de favoriser à la fois le diagnostic, de repérer les bonnes ressources médicales et d’aider aux choix thérapeutiques souvent controversés dans ce domaine. Le caractère ouvert du site et la vigilance sur les contenus due à la modératrice, mais aussi le collectif de patients qui l’entourent permettent un repérage très extensif de cas et une agrégation de contenus à large échelle (à la fois d’un point de vue géographique et clinique). Cette production n’intervient pas seulement pour aider et informer les patients ; elle est aussi mobilisée par les spécialistes car elle constitue une base de données unique sur ces maladies, leur dépistage, leur prise en charge… Sous un certain nombre de conditions, on remarque que ce savoir profane construit de manière ouverte peut ainsi apporter une contribution originale et utile au débat public comme à la connaissance savante et qu’il peut contribuer à enrichir la connaissance ou la prise en charge des maladies par les professionnels eux-mêmes. 121 27/07/10 16:28 Cécile Méadel La force de telles connaissances dans l’espace public est souvent liée à l’engagement d’un collectif, qu’il soit structuré en association ou pas. Les savoirs produits peuvent être comme dans l’exemple des maladies vasculaires à l’origine de la constitution du collectif, mais ils peuvent aussi être un produit d’une mobilisation, d’une montée en généralité d’un groupe d’acteurs. Ainsi l’association de pêcheurs à la mouche, étudiée par Christelle Gramaglia (2008 et 2009), a-t-elle progressivement modifié son rôle traditionnel de « porte-parole » des poissons, chargé de rendre compte devant les autorités publiques de la qualité de ses peuplements piscicoles ; face à la pollution croissante des sites, elle est devenue la représentantes de la rivière dans son ensemble. Les membres ont changé de qualification et ont dû recueillir et mobiliser les connaissances qui leur ont permis de mener un véritable activisme juridique, nourri à la fois par leur intime connaissance de la rivière, de ses transformations et de ses habitants et par leur connaissances de procédures et des textes dans le domaine très particulier du droit de l’environnement. Leur travail se fait production propre lorsque, constatant les limites des jugements rendus par les tribunaux, ils s’allient avec des juristes pour « inventer » de nouvelles approches du droit de l’environnement et de nouvelles pratiques judiciaires transmissibles aux associations désireuses de se lancer dans des actions en justice. Les connaissances recueillies peuvent aller jusqu’à remettre en cause les paradigmes scientifiques dominants, comme l’a montré Phil Brown (2006) à propos du cancer. Le caractère collectif de cette production de savoirs et sa très large accessibilité sur les sites ou listes des membres assurent un contrôle qualité sur les productions de ces profanes. Ainsi, a-t-on pu montrer (Esquivel et al., 2006) que les erreurs médicales apparaissant dans une liste de discussion électronique entre malades sont corrigées avec une extrême rapidité, inégalée par aucun support d’information professionnel. Pourtant, cette 122 Livre-hermes-57.indb 122 production est difficilement reconnue par les professionnels et experts. Une production contestée et contestataire Cette production est en effet attaquée ou récusée, en particulier dans les lieux de débats scientifiques sur Internet, au motif qu’elle n’obéirait pas aux canons scientifiques. La bataille rappelle celle qui opposa au XVIIIe siècle les tenants de la « science mondaine » désireuse d’un public curieux, éclairé et varié, de mise en scène, de démonstration explicite, et la « science sévère » qui ne s’autorisait que de ses pairs (Chappey, 2006). L’état des connaissances s’est depuis largement transformé ; les normes scientifiques ne sont plus l’apanage des seuls professionnels de la science : il y a toujours parmi les lecteurs d’une information à caractère scientifique quelques lecteurs compétents qui la recouperont, la testeront, la valideront. Les « savoirs professionnels diffus » (Sintomer, 2008) sont ainsi mobilisés par les acteurs au service d’une cause à laquelle ils peuvent apporter leurs compétences techniques, tel ce médecin marié à une femme atteinte par la maladie de Parkinson aidant une association de patients à construire un outil de suivi de la médication, ou cet ingénieur expertisant une analyse bactériologique pour l’association de son quartier… « Cette forme de savoir tend à croître avec le développement de l’instruction et d’une “société de la connaissance”, et sa mobilisation va d’ailleurs de pair avec le rôle important que jouent les couches moyennes intellectuelles portées par la modernité dans les nouveaux mouvements sociaux » (idem). Mais cette production profane peut être récusée à cause de son articulation avec le politique. On constate HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Les savoirs profanes et l’intelligence du web que, dans un certain nombre de circonstances, elle contribue à nourrir le débat public autour de la santé ou de l’environnement et à alimenter la connaissance, ne serait-ce que celle des perceptions et réactions des citoyens et des patients. Cela a été par exemple le cas dans le débat anglais autour du vaccin ROR (rougeole, oreillons et rubéole) : le travail de recueil d’informations mené par les parents a pu leur permettre de construire une position cohérente et efficace face aux politiques de santé qui prônaient la vaccination de tous les enfants (Hardey, 2004). Il faut noter que le savoir profane change partiellement de statut de par cette conception collective. Les pouvoirs publics reconnaissent la validité des savoirs de la société civile ; et les connaissances de cette dernière y acquièrent (depuis longtemps – Prévil) un statut juridique dans la mesure où l’opinion des profanes est requise dans un certain nombre de procédures, comme par exemple les enquêtes publiques instituées pour les questions environnementales (Monnoyer-Smith, 2007). Enfin, elle peut être attaquée parce qu’elle serait motivée par des préoccupations personnelles, des motivations politiques qui empêcheraient ses auteurs d’analyser un phénomène en toute liberté et indépendance. Ainsi Chantal Aspe (2009) oppose-t-elle la connaissance-processus et la connaissance-produit. Le partage est difficile à tenir. La recherche de connaissances, y compris en science, est articulée à des objectifs qui lui sont extérieurs : les scientifiques ne l’emportent, comme Pasteur contre Pouchet (Farley & Geison, 1991) ou Edison contre Charles Cros, que quand ils arrivent à intéresser et à mobiliser une large pluralité d’acteurs qui ont des intérêts tout autres que scientifiques à les soutenir. Par ailleurs, ne pas rechercher une connaissance pour elle-même, pour des savoirs formels, mais pour résoudre un certain nombre de problèmes, pour aider à affronter une situation ou une condition difficile permet de poser des questions qui renouvellent la connaissance en amenant vers des territoires inexplorés. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 123 Une telle posture oblige à examiner des nouvelles interrogations, à prendre en compte de nouvelles hypothèses. On en revient à la notion de « passion contrariée » mobilisée par C. Gramaglia pour expliquer l’intense activité productive de ces pêcheurs à la mouche. Ainsi, nous avons pu montrer que les listes de discussion que nous avons étudiées avec Madeleine Akrich (2004 et 2007) ont bien une activité collective qui le plus souvent ne débouche pas sur des formats traditionnels de mobilisation, à la manière des associations ou des syndicats, mais qui ne se limitent pas non plus à des effets purement individuels. En fait, les échanges sur ces listes, s’ils ne se convertissent pas en une action collective immédiate, semblent être largement repris au niveau individuel dans des formes de participation à des collectifs externes. Les listes apparaissent comme des sortes de laboratoires dans lesquels circulent et sont débattues des informations, se forgent des convictions ou des identités, et s’élaborent des options stratégiques qui pourront être reprises dans d’autres espaces publics. Beaucoup de chercheurs se sont interrogés sur les raisons qui poussent les internautes ou du moins une minorité d’entre eux à ne pas seulement consommer de l’information, mais aussi à en produire, le plus souvent en l’absence de toute contrainte sociale, économique ou institutionnelle (Beuscart, 2009). En matière d’environnement comme de santé, on constate que, outre les motifs traditionnels mobilisés pour justifier cette activité : satisfactions personnelles, symboliques ou professionnelles, reconnaissance pour la compétence déployée, etc., cette production peut être motivée par un engagement dans une cause, l’engagement dans un combat, qu’il soit préalable au travail sur l’information (Granjon, 2002) ou qu’il en découle. Le rôle des technologies de l’information, et tout particulièrement d’Internet, dans les mobilisations a été très largement étudié (F. Greffet et S. Wojcik, 2008 ; Granjon, 2002). Les travaux ont montré que ses 123 27/07/10 16:28 Cécile Méadel caractéristiques propres (comme les formats de discussion et de participation, l’asynchronie des débats, les procédures d’archivage et de consultation, la caractérisation des participants, etc) influencent et modifient les modes d’argumentation et de mobilisation. Pourtant, ces approches importantes et fructueuses n’ont que peu analysé la production informative de ces groupes militants, ne les considérant que rarement comme des sources de connaissances diffusables et mobilisables en dehors de l’action circonscrite qui a suscité leur production. Or, comme nous avons pu le voir à propos des patients (Akrich et Méadel, 2002), ces collectifs peuvent aussi produire des savoirs non exclusivement réductibles à des situations locales et idiosyncratiques. Des travaux commencent à être menés sur ces savoirs profanes, mais ils ignorent le plus souvent les médiations par lesquelles ils se constituent. Internet est considéré principalement comme un outil de coordination et de diffusion parmi d’autres sans que l’on s’interroge sur la manière dont le Web, l’ouverture des bases de données, les procédures particulières qui permettent de collecter des informations dans le monde entier, de confronter différentes versions d’un même document, de discuter un texte, de le rédiger collectivement… contribuent à la fabrication de ces savoirs et à leur formatage. Ce qui est désormais étudié pour les savoirs scientifiques, devrait l’être pour les savoirs profanes ! NOTES 1. Voir par exemple le site <hypothèses> avec ses carnets de recherche en sciences humaines ou sociales, <le c@fé des sciences> ou encore <prisme de tête>. 2. M. Bergman (2001) estime que les moteurs de recherche n’indexent que 2 % ou 3 % du Web. 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Eisenhower Library & éditeurs non lucratif 400 2004 Sage Hindawi non lucratif 1 000 lucratif 560 Science Direct 1991 Elsevier lucratif 2 500 Springer 2003 Springer lucratif 2 250 4 900 000, 180 000 9 000 000 4 800 000 dont 2 400 000 articles accès payant, accès accès accès accès accès payant accès payant accès payant, accès gratuit pour certains payant, payant, payant, avec licence avec licence accès gratuit payant, articles prépayés par certaines accès certaines institutioninstitutionnelle pour certains accès les auteurs (3 000 $). archives gratuit pour archives nelle (prix fixé (prix fixé selon articles gratuit Partenariat commergratuites certains gratuites, selon pays de pays de consul- prépayés par pour cial avec EBSCO. (1 900 000 articles certains consultation). tation) les auteurs certains articles Acquisition en 2008 de articles articles gratuit depuis (3 000 $). prépayés BioMed Central, transen accès gratuits le continent Le partepar les formant Springer en gratuit) (prépayés africain nariat avec auteurs « leading global open par Hindawi access publisher ». l’auteur, ouvre à une (3 000 $). Partenaire des projets 3 000 $) centaine SOAP et PEER de titres en Open Access. http:// http://www. http:// http://www. http://muse. http://online. http:// http://www.springerhighwire. ingentaintersjstor.org/ jhu.edu sagepub. info. link.com/ stanford. connect. cience. com/ sciencediedu/ com/ wiley.com/ rect.com/ HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 127 Jstor 127 27/07/10 16:28 Pascal Froissart Plateformes francophones Nom Création Acteur Cairn 2005 Université de Liège, éditeurs (De Boeck, Belin, Découverte, Érès), Centre national du livre Erudit 1998 Université de Montréal, Université Laval, Université du Québec à Montréal Gallica 1997 Bibliothèque nationale de France Persée 2005 Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche – (MESR-DGES), Université de Lyon II (« Lumière »), Centre informatique national pour l’enseignement supérieur (CINES) RefDoc 1990 INIST, CNRS (anciennement article@inist, form@inist, compte@inist) But but lucratif but non lucratif but non lucratif but lucratif Nombre titres Nombre documents Nombre articles en accès libre Accès 220 but non lucratif 100 64 000 690 000 1 100 000 72 230000 dont 90000 articles 230 000 Site Web Interopérabilité 1 100 000 accès payant, avec barrière mobile accès gratuit, avec barrière mobile accès gratuit http://www.cairn. info/ Erudit, Armand Colin, revues.org, Persee.fr http://www. erudit.org/ Persée http://gallica. bnf.fr/ Revues.org 2000 Centre pour l’édition électronique ouverte (Cléo. Centre pour l’édition électronique ouverte CNRS/ EHESS/Université de Provence et d’Avignon) Fait partie d’Adonis1 but non lucratif 250 35 000 000 accès gratuit, avec barrière mobile accès payant. accès gratuit pour Sur iRevues, 44 la moitié des titres, titres proposent avec barrière mobile 26000 articles en autrement accès payant avec barrière mobile http://www.persee. http://www.refdoc. http://www.revues. fr/ fr/ org/ Erudit, Armand Colin, revues.org, cairn Cairn et Revues.org ont signé en 2009 un accord de partenariat permettant aux sommaires des deux platesformes d’apparaître sur chacune d’entre elles et visant à rapprocher leur moteur de recherche. La Bibliothèque nationale de France a également signé en 2006 un partenariat avec CAIRN pour la numérisation des périodes anciennes de certaines revues. Pascal Froissart Université Paris VIII, Saint-Denis NOTES 1. Adonis : Très Grand Équipement à visée innovante pour les sciences humaines et sociales 128 Livre-hermes-57.indb 128 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 III. LE MARCHÉ DE LA SCIENCE Ghislaine Chartron Laurent Romary Joëlle Farchy Pascal Froissart Geneviève Pietu Danièle Bourcier Salvatore Mele Morgan Meyer Groupe des éditeurs universitaires Livre-hermes-57.indb 129 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 130 27/07/10 16:28 Ghislaine Chartron Cnam-Paris, INTD et équipe Dicen SCÉNARIOS PROSPECTIFS POUR L’ÉDITION SCIENTIFIQUE La diffusion des idées, des résultats de la recherche ne s’improvise pas. Elle s’organise et, de façon générale, le marché est un dispositif utile pour mettre en relation une offre et une demande, apprécier la valeur des productions et réguler en quelque sorte l’activité des producteurs. Mais le raisonnement économique doit se doubler de règles éthiques répondant aux valeurs des communautés. Qualité et efficience du processus de publication dans les champs scientifiques doivent rester des objectifs majeurs pour l’organisation de cette diffusion. Ce qui signifie notamment : possibilité de publier ses résultats pour tout chercheur, indépendance de l’évaluation, mise en concurrence des idées et des résultats, accessibilité de la publication au plus grand nombre de lecteurs concernés. Or le constat qui est fait depuis le début des années 1990 est celui d’un marché qui dysfonctionne souvent : coûts inflationnistes des revues et des ouvrages dans certains secteurs, majoritairement en « sciences, techniques, médecine » (STM) ; difficulté d’accès à une littérature que ne peuvent plus acheter les institutions, en particulier dans les pays en développement ; délais trop HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 131 importants de publication dans de nombreuses revues ; indépendance de l’évaluation souvent malmenée. Ces critiques multipliées et d’autres ont conduit à remettre en cause l’organisation du marché de la publication scientifique dans un contexte où le numérique a ouvert de nouvelles opportunités et de nouvelles potentialités de diffusion de la recherche (Okerson & O’Donnell, 1995). La différenciation des marchés Le développement du marché de la publication dépend de l’histoire des disciplines et de leurs acteursrelais, et de la structure des recherches. Il serait plus juste de parler d’une diversité de marchés dont les caractéristiques peuvent différer considérablement. Plusieurs critères éclairent ces différences. Tout d’abord, l’échelle nationale ou internationale de l’édition en lien avec la nature des recherches menées. Les sciences du vivant, les différentes sciences 131 27/07/10 16:28 Ghislaine Chartron de la nature partagent des observations d’objets, des modélisations, des expérimentations au niveau international. Les objets des sciences sociales mobilisent par contre des enquêtes, des analyses en prise avec un contexte souvent plus local. Sans soustraire les sciences sociales à la nécessaire confrontation internationale des idées, il est évident que leur synergie avec l’environnement local est importante, ce contexte contribuant à favoriser une édition dans la langue nationale. Par leur caractère international et les enjeux économiques souvent associés, les sciences de la nature, les sciences du vivant, ont de leur côté organisé leur édition au sein de grandes sociétés savantes ou en partenariat avec des éditeurs assurant une diffusion internationale. Le budget de la recherche, la masse critique de chercheurs ont alors dessiné un marché financièrement intéressant, investi par des groupes internationaux réunis au sein d’associations influentes en STM (Ware & Mabe, 2009). La porosité des publics intéressés est un second critère de différenciation. Si le lectorat intéressé par les atomes froids est manifestement étroit et très spécialisé, le constat n’est pas le même pour des travaux relatifs à certaines questions sociales. Se pose donc la question de la répartition du lectorat entre chercheurs, grand public et professionnels qui caractérise différemment les champs scientifiques et, a fortiori, l’économie des publications associées. Le poids accordé aux citations des revues (« quotations ») reconnues dans les champs scientifiques est un troisième critère de différenciation des marchés qui distribue les valeurs. Ce phénomène n’est pas nouveau. Des indicateurs se sont imposés très tôt en sciences de la nature au niveau international : le Journal Citation Reports a été introduit en 1972 par Eugène Garfield (Garfield, 1972). Il est fondé sur les citations reçues par les articles des revues. Le poids de tels instruments de mesure était beaucoup moins important dans les champs des sciences humaines et sociales jusqu’à présent, en 132 Livre-hermes-57.indb 132 raison de la spécificité nationale des travaux et la valeur attribuée aux ouvrages dans la diffusion de la science. Toutefois, la montée en puissance des procédures d’évaluation de la recherche ces dernières années a exacerbé ces questions d’indicateurs, stimulant le développement d’autres mesures, d’autres échelles de valeurs (Scopus Impact Factors, liste ERIH, listes Aéres…). Les champs en SHS sont de plus en plus contraints à s’aligner sur ceux des sciences de la nature. La part des subventions publiques et/ou privées dans les activités d’édition varie selon les secteurs. Les subventions de l’édition scientifique peuvent être d’origine publique ou/et privée. Le poids des subventions directes ou en moyens est important en sciences humaines et sociales. Aux États-Unis, le mécénat et les fondations telles que la Fondation Andrew W. Mellon ont appuyé de nombreux projets notamment numériques. En France, c’est l’État qui intervient par le biais de son ministère de la Culture et de son ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sous forme de subventions diverses ; les aides directes en SHS sont évaluées à 8,5 millions d’euros, les aides en moyens (personnels, locaux) entre 15 et 18 millions d’euros (GFII-Adonis, 2009). L’implication de laboratoires privés est par ailleurs une caractéristique propre au domaine biomédical et n’est pas sans poser de problèmes de fond sur l’indépendance éditoriale des revues (Angell, 2009). La diversité des acteurs en présence Si l’on considère essentiellement les dimensions technique et commerciale, à savoir les fonctions dévolues au publisher selon la différenciation publisher/editor de la langue anglaise, il convient de souligner la très grande HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Scénarios prospectifs pour l’édition scientifique variété d’acteurs opérant sur ce marché (Académie des Sciences, 1998) : – les grands groupes financiers, souvent internationaux (ex : Reed-Elsevier, Springer Verlag, Wolters-Kluwer, Thomson-Reuters, Informa, Wiley…) ; – les maisons d’édition de périmètre national (ex : Armand Colin, Maloine, PUF) ; – les sociétés savantes et les associations scientifiques diverses (ACM, ACS, APS…) ; – Les établissements publics, les organismes de recherche et les universités. On distingue deux types d’éditeurs (publishers) : les éditeurs à but non lucratif et les éditeurs commerciaux, même s’il n’est pas toujours aisé de tracer une frontière très franche. À la différence des éditeurs commerciaux (surtout internationaux), les éditeurs à but non lucratif réinvestissent généralement leurs profits dans d’autres activités destinées à leurs communautés : conférences, formations professionnelles… Leur économie repose sur une structure associative et non sur l’actionnariat ; l’éditeur rend des comptes à des membres et non à des actionnaires. Les impératifs de rentabilité économique ne sont donc pas du même ordre. Le poids des grands groupes est majeur dans le secteur où la publication scientifique est organisée autour de quelques revues « phares ». La publication des résultats 2008 des grands groupes d’édition scientifique technique et médicale confirme une organisation du marché sous forme d’oligopole (cf. dépêche GFII du 25 août 2009). Cinq groupes dominent et se partagent majoritairement le secteur : Reed-Elsevier avec 1 057 millions d’euros de chiffre d’affaires (taux de marge opérationnelle : 32 % du CA) ; Springer Science Business, 892 millions d’euros de CA (taux de marge : 38 %), puis viennent Wolters Kluwer Health, Wiley et Thomson Reuters. Cette concentration résulte de nombreux mouvements de fusion et d’acquisition qui se sont accélérés ces dernières années avec le développement du numérique. La présence des fonds HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 133 d’investissement dans le secteur s’associe à des exigences accrues de rentabilité, de surcroît aux non-réinvestissements des marges et à une certaine instabilité de l’offre. Le dernier événement date de décembre 2009 avec la vente de Springer Science et Business Media (déjà racheté en 2003 par le fonds d’investissement britannique Cinven et Candover) à deux autres fonds d’investissements de Suède et de Singapour. Le secteur des sciences humaines et sociales ne connaît pas de telles concentrations. Une étude récente pour la France a confirmé le caractère très (voire trop) atomisé de l’édition de recherche en SHS, en dénombrant 1,34 revue en SHS par unité de recherche (GFIIAdonis, 2009). Une étude menée en 2005 pour le ministère de la Recherche nous avait conduit également à souligner cette atomicité du secteur en Italie et en Espagne, de même qu’en France (Minon & Chartron, 2005) : la très grande majorité des éditeurs de ces trois pays ne publiaient qu’une ou deux revues ; la situation était extrême en Espagne, un peu plus nuancée en France où un noyau de maisons d’éditions cumulaient entre 3 et 9 titres. La répartition entre public et privé était également très différente selon ces pays. Il faut donc retenir de ce point que les acteurs de l’édition scientifique sont pluriels, que leur stratégie n’est pas animée par les mêmes intérêts notamment les intérêts financiers et que toute remise en cause du système éditorial doit nuancer ces types d’acteurs, pour éviter des amalgames qui pourraient être préjudiciables. Numérique et édition de recherche : effets contrastés Un marché plus concentré/un marché plus ouvert. Le numérique a suscité une plus forte concentration du côté 133 27/07/10 16:28 Ghislaine Chartron de l’offre et du côté de la demande. Du côté de l’offre, les dernières années sont marquées par l’émergence de plate-formes d’éditeurs et d’agrégateurs offrant un point d’accès unique à de gros catalogues vendus sous forme de bouquets sectoriels ou d’offres globales. Du côté de la demande, c’est la montée en charge des consortia d’achat de bibliothèques qui marque la décennie, avec des négociations mutualisées pour un ensemble d’acheteurs (cf. l’association internationale ICOLC, ou les consortia nationaux Couperin et Carel). Mais inversement, le numérique favorise la visibilité et l’accessibilité de certaines productions (par exemple, la plate-forme Scielo, les serveurs de thèses et d’archives ouvertes), l’émergence de nouveaux éditeurs (Plos, Biomedcentral), de nouveaux intermédiaires, de sites personnels… En ce sens, il est aussi porteur d’ouvertures inédites. Inflation des coûts / gratuité apparente. Le paradoxe se poursuit entre une dépense accrue pour ces ressources électroniques (ARL, 2009) et l’apparente gratuité des contenus. L’achat de licences des offres commerciales est plus coûteux que le papier. Le libre accès (Open Access) est aussi porteur de nouvelles dépenses d’infrastructures (personnels et moyens). Contrairement aux idées reçues, le numérique n’a pas fait baisser les coûts mais les a multipliés, même si la qualité des services est supérieure (accessibilité à partir de chez soi, catalogue élargi et international, fonctionnalités de recherche…). Renégociation du pouvoir éditorial / affirmation de nouvelles formes de pouvoir. L’émergence de nouvelles revues, de plates-formes inédites de thèses, d’archives ouvertes et de collections patrimoniales par les institutions publiques a instauré un régime renouvelé de l’autorité éditoriale. En ce sens, le conflit ayant opposé violemment la BNF à Google, sans vouloir blanchir Google de ces irresponsabilités juridiques, est révélateur de ce partage de l’autorité : Gallica sélectionne selon les valeurs de la BNF, Google donne la possibi- 134 Livre-hermes-57.indb 134 lité à toute production d’être visible sans passer par les critères d’intermédiaires. Mais inversement, le paysage éditorial dominé désormais par des logiques d’acquisition de bouquets est soumis aux choix des responsables de plates-formes qui ne sont pas exempts d’intérêts ou de pressions diverses. Les nouvelles modalités d’acquisition de l’offre confèrent aux « programmateurs » des bouquets un nouveau pouvoir, réduisant considérablement l’autonomie des politiques documentaires des établissements. Face à ce formatage, les archives ouvertes préservent une certaine transversalité sur la diversité des publications qui peuvent animer un champ scientifique. Innovations de la diffusion / conservatisme des chercheurs. Les nouvelles modalités de diffusion ouvertes par Internet auraient pu remodeler la communication entre chercheurs. Or le constat général est pourtant celui d’évolutions assez marginales, la valeur centrale de l’évaluation par les pairs (économie symbolique) reste portée par les revues en place et par quelques nouvelles revues, mais peu nombreuses. Les sciences biomédicales illustrent cette dualité. Les revues installées sont incontournables ; l’organisation hiérarchique de la recherche confère pouvoir et reconnaissance aux chercheurs-rédacteurs de ces revues ; à la marge quelques nouveaux titres se sont imposés. Par ailleurs, le poids des NIH américains a permis le développement d’une des plus grandes archives ouvertes d’articles avec un mandat obligatoire de dépôt de 12 mois pour les chercheurs américains. Nous assistons donc au développement d’un système hybride à grande échelle dont la clé de voûte est l’embargo sur les articles nouveaux qui permet de préserver les abonnements aux revues que souscrivent les laboratoires. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Scénarios prospectifs pour l’édition scientifique Bilans et vision prospective Nous avions formulé durant les dernières années certains scénarios prospectifs sur l’évolution du secteur de l’édition de recherche (Chartron, 2005). Début 2010, ces scénarios se confrontent à des évolutions observables et la prudence conduit à penser que chaque domaine connaît et connaîtra des évolutions différentes, déclinées aussi par aire linguistique ou nationale dans certains champs. Les sciences humaines et sociales sont certainement les domaines où les développements les plus inédits de valorisation de la production scientifique ont eu lieu, notamment par des investissements en amont, publics ou privés, permettant un libre accès total au lecteur ou par l’émergence de nouveaux acteurs de type agrégateurs rassemblant une offre commerciale atomisée. De façon plus générale, le devenir du marché de l’édition de recherche semble associé à quelques tendances transverses. La route vers le libre accès est et sera plurielle Si le libre accès est majoritairement associé à une égalité d’accès à l’information, au bien être général et à la stimulation de l’innovation, les modalités pour y parvenir sont diverses, comme l’ont souligné les conclusions du groupe de travail du GFII dont les recommandations viennent d’être publiées et dont le rapport sera bientôt en ligne (GFII-OA, 2009). Le « libre accès or » (financement en amont, en totalité) est la voie suivie par certains champs de la physique (cf. le projet Scoap3). Ce contexte se caractérise par un nombre peu élevé de revues, quelques gros laboratoires réunissant l’ensemble de la communauté, une recherche adossée à des financements contractuels HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 135 élevés, l’animation du champ par quelques grands organismes internationaux. L’économie de l’édition apparaît proportionnellement ridicule comparée à l’économie de la recherche et le financement en amont tout à fait envisageable si les laboratoires s’accordent sur la répartition de la dépense. Cette transposition en sciences sociales n’a guère de sens. Le « libre accès or » partiel propose, quant à lui, de réserver un budget spécifique pour le droit à publier, budget versé aux revues afin de rendre librement accessibles les articles. En SHS, cette modalité pose de facto le problème de la liberté de publication du chercheur ainsi que celui des conflits d’intérêts potentiels avec l’autorité qui déciderait des crédits. La durée de l’embargo est un autre élément de différenciation des modalités vers le libre accès. Les pratiques d’informations, la durée de vie des articles ne sont pas comparables et si l’on tient à préserver l’équilibre général des acteurs, il faudra en tenir compte. Certaines données fournies par les éditeurs au sein du groupe GFII-OA, ont aussi pointé que la dernière année de publication pouvait représenter plus de 60 % des téléchargements d’articles en sciences de la vie, 40 % en mathématiques, 35 % en sciences sociales, voire 22 % dans certains cas. Autrement dit, plus la demande se concentre sur l’année en cours, plus l’embargo peut être court, puisque l’éditeur peut avoir l’assurance du maintien des abonnements. Mais pour les domaines où la demande est plus diffuse, un embargo court pourrait inciter les institutions à se désabonner et mettre en péril l’activité éditoriale dans son modèle économique. La dimension politique sera très influente sur le marché Le développement des mandats obligatoires de dépôts des articles scientifiques et l’orientation des subventions publiques dans l’économie de l’édition 135 27/07/10 16:28 Ghislaine Chartron seront deux entrées influentes sur l’évolution du marché de la publication scientifique. Actuellement les obligations de dépôt sont encore faibles au niveau international1, même si certaines institutions emblématiques comme Harvard se sont engagées dans cette voie. Le cadrage par la loi (Congrès américain) est une mesure qui pourrait accélérer le processus comme c’est déjà le cas pour le domaine biomédical aux ÉtatsUnis depuis 2008, tandis que la réflexion est en cours pour l’étendre à d’autres agences de recherche américaines2. En Europe, une accélération est donnée dans le cadre du 7e Programme-cadre3. En France, la politique menée privilégie plutôt la recommandation et non l’obligation de dépôt. Une plus grande exhaustivité de ces archives ouvertes pourrait dans l’avenir capter l’attention des chercheurs. Les modes d’intervention de l’État ont également un impact majeur sur le comportement des usagers, sur la valeur des produits et la stratégie des agents économiques. Jusqu’à présent, les pouvoirs publics intervenaient principalement en aval (budgets d’acquisitions des bibliothèques) et plus faiblement en amont. Dans le contexte numérique, les subventions en amont pourraient se renforcer, appuyant une logique de libre accès (notamment pour les archives). Le manque à gagner des acteurs privés multipliera alors les tensions, des régulations seront nécessaires à moins de considérer que l’édition de recherche n’est plus qu’une affaire d’acteurs publics ? Mais est-ce réaliste dans le contexte actuel de crise et est-ce souhaitable pour la dynamique du secteur ? L’évaluation de la recherche sera un facteur dominant Le libre accès et l’évolution des modes de publication ne risquent-ils pas en fait d’être de plus en plus 136 Livre-hermes-57.indb 136 occultés par la question de l’évaluation de la recherche ? La pression des indicateurs de mesure de l’activité scientifique occupe désormais le devant de la scène, et mobilise prioritairement l’attention des chercheurs, se souciant de façon secondaire de l’économie de leurs revues. Ce constat pourrait conduire à renforcer les positions dominantes, l’injonction politique du dépôt serait alors un « contrepoids » important. Conclusion La diversité du marché de l’édition de recherche est réelle. Internet a ouvert de nouvelles opportunités, une nouvelle donne pour ce marché qui doit notamment répondre aux enjeux d’un accès plus ouvert aux résultats de la recherche. Mais l’édition de recherche est soumise à des forces internes aux communautés et à des forces externes de l’environnement que nous avons esquissées. Quoi qu’il en soit, parce que les chercheurs y sont particulièrement sensibles, les valeurs centrales devraient continuer à cadrer l’évolution du secteur : indépendance des revues, des chercheurs, qualité des articles publiés, accessibilité optimale et archivage pérenne de la production scientifique. Entre la financiarisation de l’économie de l’édition de recherche à laquelle nous avons assisté ces dernières années et dont on connaît les dérives (inflation des prix, instabilité du secteur) et une édition purement publique dont on peut redouter l’endogamie, la fragmentation et les freins à l’innovation, les complémentarités public-privé sont certainement la voie à privilégier avec l’objectif de respecter les valeurs qui viennent d’être rappelées. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Scénarios prospectifs pour l’édition scientifique NOTES 1. Voir les 178 mandats recensés par S. Harnard sur <http:// www.eprints.org/openaccess/policysignup/>. 3. Voir le projet OpenAire sur <http://www.tge-adonis. fr/?openaire-une-e-infrastructure-pour>. 2. Voir notamment la consultation publique menée par l’Office of Science and Technology Policy sur <http://blog.ostp. gov/2009/12/09>. R ÉFÉR ENCES BIBLIOGR APHIQUES ACADÉMIE DES SCIENCES, Les Publications scientifiques et techniques en langue française, rapport nº 43, éd. Tec & Doc, 1998. A NGELL, M., « La corruption de la science médicale américaine », Books, nº 4, avril 2009, p. 15-19. ASSOCIATION OF RESEARCH LIBRARIES, Statistics, 2009. En ligne sur <http://www.arl.org/bm~doc/arlstat08.pdf>. CHARTRON, G., Expertise pour l’étude européenne « Évolution économique et technique des marchés de la publication scientifique en Europe », contrat nº SAS6-CT-2004-20001, synthèse de 30 pages sur les acteurs du marché de l’article scientifique, 2005. GARFIELD, E., « Citation analysis as a tool in journal evaluation. 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OKERSON, A., O’DONNELL, J., An Internet Discussion about Scientific and Scholarly Journals and their Future, Association of Research Libraries, 1995. En ligne sur <http://www.arl.org/ bm~doc/subversive.pdf>. 137 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 138 27/07/10 16:28 Laurent Romary Inria et Université Humboldt de Berlin COMMUNICATION SCIENTIFIQUE : POUR LE MEILLEUR ET LE PEER Les fondements de la communication scientifique ont profondément évolué au cours des quinze dernières années. En réponse à la crise des revues (serials crisis) et conscients des nouvelles potentialités technologiques d’Internet, des chercheurs, bibliothécaires ou décideurs ont cherché à mettre en œuvre des moyens de diffuser largement et si possible librement l’ensemble du patrimoine des publications scientifiques. Ceci s’est traduit notamment par la prolifération au niveau international d’archives dites institutionnelles, permettant à tout chercheur de déposer ses productions pour une diffusion immédiate en ligne. Cependant, la situation globale est loin d’être claire. Le caractère très fragmenté du paysage des archives électroniques1 rend difficile la perception de l’usage effectif qu’en font les chercheurs, ainsi que l’impact que cet usage, potentiellement croissant, peut avoir sur l’édition scientifique traditionnelle. Une meilleure compréhension de ces phénomènes, à la fois sur le plan technique et sociologique, permettrait non seulement HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 139 d’améliorer la collaboration avec les éditeurs, mais aussi de définir des schémas directeurs pour les politiques d’information scientifique des organismes de recherche. Fruit d’un débat très animé au niveau européen, le projet PEER (Publishing and the Ecology of European Research, <http://www.peerproject.eu>) vise à apporter des éléments de réponse dans le cadre d’un espace de collaboration entre éditeurs et chercheurs. Émergence du projet PEER dans un contexte politique agité Les réflexions ayant mené à la définition du projet PEER remontent au début de l’année 2005, quand, dans le contexte de l’annonce par la Commission européenne des Recommandations concernant l’évolution technique et économique des marchés de l’édition scientifique en 139 27/07/10 16:28 Laurent Romary Europe (Dewatripont et al., 2006), les communautés de chercheurs et d’éditeurs se sont lancées dans une bataille de tranchées à coups, respectivement, de pétitions (cf. <www.ec-petition.eu>) et de communiqués de presse (cf. <www.stm-assoc.org>), plaçant de facto la Commission européenne en position d’arbitre. De part et d’autre, la conscience est forte que des avancées politiques majeures sont en train de se préparer. Les chercheurs et les organisations dont ils font partie anticipent la possibilité d’une « obligation de dépôt » (mandate) pour les publications en Europe, ce que les éditeurs ne verraient pas d’un bon œil. Par ailleurs, les responsables gouvernementaux tant nationaux qu’européens comprennent de mieux en mieux les enjeux des archives ouvertes de publications, mais cherchent malgré tout à préserver un équilibre pour garantir une communication scientifique performante, susceptible entre autres de fournir les moyens d’évaluation de la qualité des recherches qu’ils financent. La Commission européenne, inspirée par les travaux du groupe d’experts sur les bibliothèques numériques, a donc réuni autour d’une table les représentants d’institutions scientifiques et les éditeurs, et a tenté de définir des actions communes visant notamment à offrir une transition contrôlée vers différents modèles de diffusion libre de l’information scientifique (Commission européenne, 2005). Très tôt émerge l’idée d’un « Observatoire de l’édition scientifique » dont la mission serait de suivre les évolutions du domaine et d’identifier, à l’aide de différents indicateurs (production scientifique, usages, modèles économiques sousjacents) les éventuels changements dans ses grands équilibres. Le projet PEER, financé dans le cadre du programme eContent+, est la première étape pour développer conjointement un tel observatoire, en se focalisant sur les archives. 140 Livre-hermes-57.indb 140 PEER : une plate-forme de communication entre les éditeurs et la communauté scientifique Le projet PEER repose sur cinq partenaires : éditeurs scientifiques2 regroupés dans le STM (association internationale des éditeurs des domaines scientifique, technique et médical) ; organismes de recherche (Max-Planck Society, Inria3) ; universités (bibliothèque de l’Université de Göttingen) ; agences de recherche (European Science Foundation). Le projet collabore par ailleurs étroitement avec la fondation SURF4, l’Université de Bielefeld et l’initiative européenne Driver5. Son objectif principal est d’observer les effets d’un dépôt systématique et à grande échelle des manuscritsauteurs après évaluation par les pairs, à savoir la phase 2 du cycle de vie d’un article scientifique (phase 1 : manuscrit soumis ; phase 3 : version finale de l’éditeur). Les questionnements envisagés tournent autour des aspects suivants : – impact du dépôt systématique sur la viabilité des journaux (impact sur les abonnements et/ou les téléchargements sur le site de l’éditeur) ; – impact sur la diffusion de l’article scientifique (accroissement cumulé des accès et/ou des citations) ; – impact sur l’écologie globale des productions de recherche (par exemple, transfert de soumission d’un journal vers un autre) ; – détermination des facteurs favorisant le dépôt par les auteurs et évaluation des coûts correspondants ; – conceptions de modèles permettant de faire coexister l’édition scientifique « traditionnelle » avec l’auto-archivage. Le dispositif PEER est conçu comme un espace de communication entre scientifiques et éditeurs. À un premier niveau, il s’agit de mieux comprendre les HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Communication scientifique : pour le meilleur et le peer perspectives propres à chaque groupe vis-à-vis de l’Open Access en général et de la place des archives en particulier. À un deuxième niveau, des réponses communes sont envisagées de façon à réduire les craintes ou les défiances de part et d’autre. Que ce soit en termes de contribution des éditeurs au dépôt systématique ou d’identification des critères de confiance pour les archives (gestion des périodes mobiles d’embargo, fournitures de statistiques d’accès), le but est de mieux articuler les archives aux processus éditoriaux traditionnels. Enfin, le projet PEER est l’occasion de définir des directives précises sur l’échange tant des métadonnées que des textes intégraux (le contexte technique actuel est en effet très fragmenté, avec notamment une absence de stratégie claire de normalisation). Vues sous un angle plus critique, les perspectives d’études sont le résultat de compromis difficiles : – Les éditeurs visaient une évaluation de l’impact des archives ouvertes sur l’économie de l’édition. Leur approche a été contrebalancée par une autre permettant, du point de vue de l’auteur, d’observer l’impact sur la diffusion des contenus de la recherche (le nombre de citations a-t-il crû ? les chercheurs proposent-ils plus ou moins leurs articles aux journaux en ligne ? quels sont les critères pour choisir une revue scientifique ?…). – Le choix d’articles en phase 2 est le résultat d’un compromis. Pour les éditeurs, il n’était pas question que le dépôt concerne des articles en version finale ; la version manuscrite (phase 1) n’aurait pas offert de valeur scientifique ; finalement, l’article en phase 2 a fait consensus, puisqu’il contient l’essentiel du contenu scientifique (la relecture par les pairs a été effectuée) et que les différences entre phase 2 et phase 3 sont en général peu pertinentes, sauf dans quelques domaines (où la précision des formulations est cruciales, comme le biomédical ou le droit). HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 141 Corpus et méthode Les travaux du projet PEER reposent sur un corpus de plus de 300 journaux scientifiques fournis par les éditeurs participants, et répondant aux quatre critères suivants : tout d’abord, 20 % du contenu est européen (déterminé par l’auteur-correspondant) ; ensuite, la qualité des revues, reflétée notamment par le « facteur d’impact », est bonne (ce critère, non absolu, est considéré au cas par cas, en fonction des journaux proposés par les éditeurs) ; de plus, autant que possible, les domaines concernés sont relativement larges ; enfin, la période d’embargo, définie par les éditeurs, est courte (12 mois ou moins) pour permettre des observations fiables au cours du projet (pour la plupart des journaux, un rétro-dépôt d’articles préalable à la période d’observation est envisagé, de façon à disposer très rapidement d’un nombre suffisant d’éléments observables). Ce corpus de revues est divisé en deux : dans l’un, les éditeurs déposent directement le manuscrit-auteur et les métadonnées (affiliations, volume et quantième, pagination, ISSN, DOI, etc.) ; dans l’autre, les auteurs, incités par un courrier ad hoc, effectuent eux-mêmes le dépôt (dans ce dernier cas, les métadonnées complètes de publication sont fournies par les éditeurs malgré tout, ce qui garantit la cohérence des contenus entre eux). Le dépôt proprement dit, qu’il s’agisse d’un dépôt par l’éditeur ou d’un dépôt par l’auteur, s’effectue par le biais d’un portail (le « PEER Depot ») qui gère la normalisation des données et redirige les informations sur les archives de publication qui participent au projet. 141 27/07/10 16:28 Laurent Romary Les domaines de recherche Les activités de recherche ne sont pas conduites directement pas les membres du projet, mais elles sont sous-traitées, après appel d’offre, à des équipes indépendantes6. Les axes de recherche, initiés depuis avril 2009, portent sur les aspects suivants : – Les comportements. L’équipe du département des Sciences de l’information et du LISU à l’Université de Loughborough (UK) est chargée d’identifier les comportements des auteurs et des usagers d’archives de publication. – Les usages. Le groupe CIBER de l’UCL (University College London) est chargée de définir les origines et les conditions d’usage des articles déposés dans les archives et de définir des indicateurs facilitant le suivi de tels usages. – Les modèles économiques. L’appel d’offre lancé en septembre 2009, porte sur la détermination de l’ensemble des coûts (éditeurs et archives) associés aux différents modes de dépôt et d’accès envisagés, et la mise en perspective de ces coûts avec les coûts actuels de publication d’articles scientifiques. capacité à assurer un service fiable au-delà du projet, ainsi qu’une visibilité internationale. De même, les éditeurs acceptent de se conformer à un certain nombre de contraintes liées notamment à la fourniture d’un jeu minimal de métadonnées et permettant le suivi précis des informations liées à chaque article. Par contre, il a été décidé d’accepter tous les formats (XML) des différents éditeurs, afin d’avoir une idée de la complexité des opérations de normalisation à réaliser. Le « PEER Depot » joue un rôle particulier en ce qu’il reçoit toutes les informations primaires, en vérifie les contenus puis transfère une version normalisée vers les différentes archives. Il permet en fait aux éditeurs et aux archives d’avoir un interlocuteur technique unique qui assure la cohérence et la complétude des opérations de dépôt. L’une des activités importantes du « PEER Depot » a ainsi été de définir un format conforme aux directives de la TEI (Text Encoding Initiative, <www. tei-c.org>) permettant de reprendre le contenu intégral des articles ainsi que les métadonnées correspondantes (cf. Bijsterbosch et al., 2009, pour les spécifications techniques). L’un des enjeux principaux est de définir un format non propriétaire qui garantisse l’interopérabilité entre archives (et les outils associés de recherche et de présentation), ainsi qu’un archivage pérenne des contenus. La plate-forme technologique Le projet PEER ne propose pas d’archivage propre ; les articles qui y sont déposés aboutissent dans des dépôts d’archives ou trusted repositories qui acceptent de recevoir les publications et se plient à des règles techniques précises (modèles de données, interface Sword de dépôt) et éditoriales (fourniture de statistiques communes normalisées, gestion fine des affiliations) garantissant un traitement uniforme du dépôt des manuscrits-auteurs. Ce réseau réduit d’archives est choisi en fonction de la 142 Livre-hermes-57.indb 142 Bilan à mi-parcours Un premier bilan à mi-parcours montre que le projet PEER a conduit à une amélioration du dialogue entre éditeurs et chercheurs sur les attentes réciproques en matière d’archives. De nouveaux éditeurs ont ainsi souhaité rejoindre le projet en cours de route. Surtout, le climat de confiance, établi autour de la mise en place de la plate-forme de dépôt et des actions de recherche, HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Communication scientifique : pour le meilleur et le peer a permis de valider les processus de transfert d’information, qui n’étaient pas nécessairement acquis au moment du lancement du projet. Sur le plan technologique, la normalisation des formats (cf. Holmes & Romary, 2009) nécessitera probablement des développements qui vont au delà du projet PEER lui-même. Il apparait en effet nécessaire de définir un vrai cadre de standardisation pour les articles scientifiques, alors que cet aspect est peu considéré par les éditeurs privés. Des formats spécifiques, du type DTD de la National Library of Medecine, sans véritable objectif de qualité technique, de maintenance ou de documentation (ce qui caractérise un standard), et utilisés de façon très variable dans les milieux de l’édition, nuisent à la diffusion des publications scienti- fiques. On a ainsi pu observer une grande hétérogénéité des usages des textes des articles en XML, empêchant une exploitation unifiée des contenus. Enfin, les partenaires académiques du projet ne sont pas naïfs et voient que le milieu de l’édition cherche à maintenir un marché dont le rendement, au regard d’autres domaines d’activités du secteur de l’information, est élevé. Il reste que, dans un contexte de forte pression politique au niveau européen, avec la perspective d’une obligation intégrale de dépôt pour les publications associées aux projets du Huitième Programme-cadre, il est important de mieux connaître les modèles de collaboration possibles entre éditeurs et chercheurs, ainsi que les schémas viables de déploiement d’archives qui peuvent y être associés. NOTES 1. Cf. Romary & Armbruster (2010). Chaque institution (université, organisme de recherche) a cherché à mettre en œuvre sa propre archive de publication, sans toujours anticiper sur les difficultés à maintenir de telles infrastructure de taille souscritique. La France représente à cet égard une exception avec le consensus qui s’est créé autour d’une archive unifiée, HAL (<http://hal.archives-ouvertes.fr>). 3. <http://www.inria.fr>. Voir aussi HAL-Inria : <http://hal. inria.fr>. 2. Les éditeurs suivants sont directement impliqués dans le PEER : BMJ Publishing Group, Cambridge University Press, EDP Sciences, Elsevier, IOP Publishing, Nature Publishing 6. Une partie non négligeable du management lié au projet consiste, comme on peut s’en douter, à gérer le plus finement possible les éventuels conflits d’intérêt. Group, Oxford University Press, Portland Press, Sage Publications, Springer, Taylor & Francis Group, Wiley-Blackwell. 4. <http://www.surffoundation.nl/en/Pages/default.aspx>. 5. <http://www.driver-repository.eu>. R ÉFÉR ENCES BIBLIOGR APHIQUES BIJSTERBOSCH, M., BRÉTEL, F., BULATOVIC, N., PETERS, D., VANDERFEESTEN, M., WALLACE, J., PEER. D3.1. Guidelines for Publishers and Repository Managers on Deposit, Assisted Deposit and Self-Archiving, 2009. En ligne sur <http://www.peerproject.eu/fileadmin/media/ reports/D3_1_Guidelines_v8.3_20090528.Final.pdf>. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 143 COMMISSION EUROPÉENNE, i2010 : l’initiative “Bibliothèques numériques”, 2005. En ligne sur <http://ec.europa.eu/information_ society/activities/digital_libraries/index_fr.htm>. DEWATRIPONT, M., GINSBURGH, V., LEGROS, P., et alii, Study on the Economic and Technical Evolution of the Scientific Publication 143 27/07/10 16:28 Laurent Romary Markets in Europe, Bruxelles, Commission Européenne, 2006. En ligne sur <http://ec.europa.eu/research/science-society/pdf/ scientific-publication-study_en.pdf>. HOLMES, M., ROMARY, L., « Encoding models for scholarly literature », in KAPIDAKIS, S. (dir.), Publishing and Digital Libraries: Legal 144 Livre-hermes-57.indb 144 and Organizational Issues, 2009. En ligne sur <http://hal.archivesouvertes.fr/hal-00390966/fr>. ROMARY, L., ARMBRUSTER, C., « Beyond institutional repositories », à paraître dans International Journal of Digital Library Systems, 2010. En ligne sur <http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00399881/fr>. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Joëlle Farchy Centre d’ économie de la Sorbonne, Université Paris I Pascal Froissart Université Paris VIII, Saint-Denis LE MARCHÉ DE L’ÉDITION SCIENTIFIQUE, ENTRE ACCÈS « PROPRIÉTAIRE » ET ACCÈS « LIBRE » Bien que perpétuellement contestée, la place de l’article scientifique dans « la rose des vents de la recherche » (Callon et al., 1995) au milieu des autres « extrants » scientifiques (livres, thèses, cahiers de laboratoires, colloques, manuels, polycopiés, brevets, catalogues de produits, notes techniques, rapports, normes, règlements, demandes de subventions, voire scénarios de films) ne semble pas remise en cause. Sans faire du « réductionnisme bibliométrique » (Polanco, 1995) qui consisterait à réduire la science aux seuls extrants, on pourrait donc parler de l’article comme d’une sorte de « brique » fondamentale (De Solla Price, 1962) qui contribue à la construction de la bâtisse scientifique. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 145 « Au temps du papier » s’était imposé le modèle de l’édition marchande. L’arrivée des réseaux électroniques dans les années 1980, et du Web en particulier dans les années 1990, a semblé bouleverser la donne, et ce que l’on a nommé l’Open Access (OA) y a acquis ses lettres de noblesse. Se substituant (ou non) au modèle marchand, un double modèle de libre accès aux publications s’est en effet affirmé, au sein duquel on fait une distinction classique : l’édition de revues en ligne (golden road to OA) et l’auto-archivage des chercheurs (green road to OA) qui ajoute à la notion d’accès libre, celle de dépôt libre d’archives. Divers aspects pratiques ainsi que des considérations morales et politiques avaient déjà contribué à la 145 27/07/10 16:28 Joëlle Farchy, Pascal Froissart mise en place de l’Open Source dans le domaine pionnier des logiciels, puis à l’extension de la philosophie du « libre » aux domaines de la culture et de la recherche. Cet article explore la généalogie de la science « ouverte » en mettant l’accent sur une autre variable, les dysfonctionnements économiques du marché et montre que, bien que ceux-ci aient joué un rôle important dans la mise en place de l’Open Access, ils sont loin d’avoir été totalement résolus par cette forme de diffusion de la science. Généalogie de l’édition scientifique « ouverte » La revue, soubassement de la bâtisse scientifique Science et édition ont maille à partir depuis longtemps. Si la pensée scientifique a émergé au XVIe siècle, c’est autant grâce à l’émergence des institutions scientifiques (Académie des Sciences et autres Sociétés royales) que par la constitution d’une communauté de lecteurs et de chercheurs : en France, Académie des Sciences et Journal des sçavants (1665) ; à Londres, Royal Society et Philosophical Transactions (1660 et 1665) ; à Schweinfurt (Bavière), Academia Naturae Curiosorum et Ephemeriden (1652 et 1670). La communication joue un rôle connu dans la constitution d’un « espace public », et la science n’échappe pas à ce mouvement. On remarque néanmoins qu’un modèle homogène de diffusion du savoir s’est imposé : les revues savantes font le recueil d’un certain nombre de contributions courtes, évaluées par des pairs, écrites par des auteurs nombreux, dont la rémunération n’est pas assurée ; elles sont éditées de manière périodique, offrent un tirage 146 Livre-hermes-57.indb 146 confidentiel, se font dans une langue nationale ; et elles sont toutes payantes. La production d’articles scientifiques prend rapidement son essor, en une courbe exponentielle désormais célèbre (De Solla Price, 1972) qui voit augmenter le nombre de publications d’un facteur 10 tous les 50 ans depuis le XVIIe siècle. Sur la seule période 1983-2008, le nombre d’articles publiés dans le monde a doublé (Gupta et al., 2009), à raison de 2,5 millions d’articles par an, en croissance annuelle comprise entre 2,5 et 3,5 % depuis le début du XXe siècle (Research Information Network, 2009). Pour expliquer l’augmentation très forte du nombre d’articles scientifiques, on met souvent en avant la pression évaluative (publish or perish), qui n’a jamais été aussi quantitative que ces dernières années, entraînant mathématiquement une inflation de publications indépendamment de leur qualité ou de leurs lecteurs potentiels (Waters, 2008). Mais on pourrait parler également de l’implication croissante d’acteurs commerciaux dans le circuit de l’édition scientifique, surtout depuis le milieu du XXe siècle. L’attrait des profits faits et à faire explique aussi la frénésie des acteurs commerciaux, peu nombreux mais agressifs (achats de revues, fusions et acquisitions d’entreprises, etc.). Enfin, on doit se rappeler de la corrélation que De Solla Price (1962) avait mise en avant concernant le nombre de chercheurs lui-même et le nombre d’articles. Les deux courbes marchent ensemble, et suivent une croissance exponentielle. Les facteurs récents tels que la contractualisation et la vive concurrence entre institutions ne font qu’intensifier le phénomène. Ainsi, sur la période récente (2000-2008), l’Europe (en fait, c’est une mutation mondiale) voit augmenter de 26 % son effectif total de chercheurs (Eurostat, 2009). Mais, si on regarde le nombre de chercheurs sous statut public, ceux-ci n’augmentent que de 9 %, tandis que leurs collègues du secteur privé explosent de 29 %. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Le marché de l’édition scientifique, entre accès « propriétaire » et accès « libre » Internet en 2010 : 5 000 revues « ouvertes », 30 000 revues « propriétaires »… La rencontre entre ce milieu productiviste et l’anticonformisme des chercheurs qui ont façonné les réseaux électroniques qui allaient devenir le Web ne pouvait qu’être explosive. Dans la logique beatnik des débuts d’Internet, le partage de la connaissance est en effet un donné, non un construit : le partage y est une « règle d’or » (Stallman, 1985). De fait, la mise en place de dépôts de textes en libre accès est très rapide : dès 1969, avec les RFC (Request For Comments) de S. Crocker. Dans le domaine scientifique, un dépôt de texte spécialisé en physique, ArXiv.org, apparaît dès 1991. Des revues savantes surgissent : en 1987, New Horizons in Adult Education (Université de Syracuse) ; en 1989, Psycoloquy (American Psychological Association) ; en 1991, la première revue scientifique francophone, Surface (J.-C. Guédon). En 1996, une étude dénombre une quarantaine de revues savantes en accès libre sur les réseaux (Harter) ; dix ans après, on en compte 2 200 (Morrison, 2006) ; aujourd’hui, elles ne sont pas moins de 5 000 (Morrison, 2009). On pourrait croire que l’idéologie du partage a gagné sur Internet. C’est sans compter avec la puissance de feu des éditeurs « classiques ». Rapidement, le marché des revues scientifiques s’organise et des « majors » apparaissent dans la sphère commerciale : Elsevier, Thomson, WileyBlackwell, Wolters Kluwer, Taylor et Francis (Informa), Springer, Blackwell… (selon le nombre décroissant de disciplines couvertes par les éditeurs). Les acteurs de l’édition scientifique ne tardent pas à proposer leurs publications en consultation sur Internet. Selon un sondage de 2008, la presque totalité est désormais en accès électronique : 96 % dans les sciences de la nature, et 87 % dans les sciences de la culture (Cox & Cox, 2008). Dans la sphère HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 147 Première page-écran de « New Horizons in Adult Education » (1987). Source : Hugo & Newell, 1991 Première page-écran de « Psycoloquy » (1989) commerciale, les chiffres sont relativement simples à obtenir : 14 000 revues sont offertes à la consultation sur IngentaConnect.com (Publishing Technology plc), 16 000 par ThomsonReuters.com, 18 000 par Scopus. com (Elsevier), 38 000 par EBSCOind.com. Mais globalement, les chiffres sont difficiles à agréger : les revues 147 27/07/10 16:28 Joëlle Farchy, Pascal Froissart qui ne sont pas anglophones ont du mal à exister… jusque dans les bases de données les plus réputées, et aucun chiffre n’est cohérent avec les autres (cf. Dassa et al., 2010). On peut cependant estimer le nombre de revues savantes à 100 000 dans le monde (sur 400 000 périodiques repérés par leur numéro ISSN – cf. Genamics JournalSeek, 2010) et conjecturer que les neuf dixièmes sont accessibles sur Internet. Qu’il s’agisse de revues réputées ou confidentielles, en accès payant ou en accès libre (voire en accès payant jusqu’à une certaine date et gratuit au-delà – logique dite de l’embargo), incluses dans des bouquets (bundle) ou diffusées à partir de sites Web spécialisés, les formules sont nombreuses et en perpétuelle mutation. À lire les communiqués de presse montrant les mille fusions et acquisitions dans le domaine, y compris les plus grosses (le rachat de la séculaire Reuters par la pimpante Thomson Corporation pour 13 milliards d’euros en 2008 et 2009), on comprend qu’on n’est qu’au début de la constitution du marché. Et, fait remarquable, le libre accès n’est pas l’apanage d’une clique « subversive » (ainsi que s’autoproclamait Harnad en prônant l’auto-archivage dans les années 1990 – cf. Harnad, 1994), mais une solution comme une autre pour diffuser la littérature scientifique. De fait, la plupart des éditeurs – Sage, InterScience (Wiley Blackwell), Springer, Ingenta, JStor, Highwire – offrent une partie de leur contenu en libre accès. Ce n’est pas gratuit (entre 1 000 et 3 000 $ demandé à l’auteur), mais cela fait désormais partie de l’offre (Van Orsdel & Born, 2009). Springer, deuxième éditeur en STM est ainsi également devenu le plus gros éditeur en libre accès après l’acquisition en 2008 de la revue BioMedCentral. Science ouverte et mobilisation politique La problématique du libre accès fondée initialement à la fois dans le domaine des logiciels et dans 148 Livre-hermes-57.indb 148 celui de la recherche sur la rapidité des commentaires des pairs (argument avancé dans le premier numéro de Psycoloquy), se mêle, on le voit, avec une problématique de la gratuité, la même qui est apparue dans d’autres secteurs des industries culturelles, liée à la musique, aux films, voire à la presse. Quand est apparu Internet (années 1980), et plus particulièrement le World Wide Web (années 1990), les publications professionnelles se sont remplies de scénarios catastrophes sur le thème ô combien techniciste de « ceci tuera cela », du grand méchant loup électronique qui mangera les petits cochons de papier, du grand régulateur qui seul pourra mettre un ordre raisonné dans les bouleversements en cours. Cette vision catastrophiste n’était pas dénuée de toute réalité. Oui, les réseaux électroniques ont bien bouleversé l’édition… mais pas seulement elle : c’est toute la société occidentale marchande qui en a été bouleversée ! Ce n’est pas Internet qui a changé la manière de se documenter, d’acheter des livres, voire de publier, c’est la société entière qui est entrée dans une profonde mutation où le savoir et la connaissance voient leurs publics se diversifier sans cesse. Il y a pourtant une mutation profonde, peu prévisible a priori, qu’il faut ici relater : la mobilisation d’un discours politique et la réponse des instances. À l’injonction du partage des connaissances, les politiciens ne restent pas sourds, puisque dès 1985 et malgré des tensions fortes liées à la Guerre froide, on voit apparaître une directive américaine signée par Ronald Reagan visant explicitement au partage des textes scientifiques : « Il importe que cette administration se donne pour politique de conserver l’accès libre (unrestricted), dans la plus grande mesure possible, aux produits de la recherche fondamentale » (National Security Council, 1985) [cf. Vest, 2006]. Les discours ne sont pas suivis d’effets en tant que tels, mais ils entérinent les voies tracées par les initiatives individuelles HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Le marché de l’édition scientifique, entre accès « propriétaire » et accès « libre » et institutionnelles qui se multiplient : en 1993, l’Open Society Institute (OSI) milite pour un accès gratuit aux plus pauvres ; en 1996, une Déclaration des Bermudes appelle à laisser libres d’accès les données qui seraient tirées de l’exploration du génome humain ; en 1997, des sociétés savantes américaines se rassemblent derrière l’University Provosts’ Initiative pour promouvoir l’accès libre à la littérature scientifique (Phelps, 1997) ; en 1998, un doctorant de l’Université de Stockholm, Stefano Ghirlanda, lance une Campaign for the Freedom of Distribution of Scientific Work ; en 1998, une Déclaration de San José pour une bibliothèque virtuelle en sciences médicales est lancée (LACSHSI, 1998)… Peu à peu, les instances nationales et internationales se saisissent du problème et prennent position : l’Unesco en 1999, les Nations Unies en 2000, l’OCDE en 2004 ; voire l’Académie française des sciences en 2001. Une série d’« initiatives » et de conférences voit le jour (Budapest, 2001 ; Berlin, 2003 ; Southampton, 2005), auxquelles se rallient les individus et les institutions sur une base volontaire. Une flopée de politiques contraignantes naît dans les limbes du libre accès, parmi lesquelles la plus frappante du côté francophone est sans nul doute la fermeture en 2005 du site PubliCNRS (où tous les laboratoires du CNRS devaient déclarer leurs publications) et l’envoi d’un courrier à l’ensemble des chercheurs, les enjoignant à « déposer, chaque fois que c’est possible, les “manuscrits” de leurs travaux sur la base HAL, les rendant ainsi librement consultables par la communauté scientifique internationale » (Migus, 2006). On entrait là de plain-pied dans la politique des mandates. Pourtant, celle-ci serait restée lettre morte si on n’avait agité le bâton. En 2005 par exemple, les National Institutes of Health (NIH) américain avaient lancé une politique de simple incitation au dépôt par les chercheurs subventionnés par cet organisme. Résultat : moins de 5 % des articles étaient déposés (Young, 2009). HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 149 En 2008, le dépôt devient obligatoire et immédiatement le taux d’article archivé en libre accès explose (NIHMS, 2010). Aujourd’hui, près de 200 institutions ont édicté des règles astreignantes (<www.eprints.org>, 2010), et non des moindres : de Harvard à la Commission européenne, du CERN de Genève à l’ANR. On voit que, pour être libre, il faut parfois être contraint. Les dysfonctionnements du marché de l’édition scientifique comme justification de l’OA Un marché multiface d’échange de notoriété Le marché de l’édition scientifique s’apparente à un marché biface (ou multiface). Dans un marché biface, l’utilité d’un consommateur du groupe A dépend du nombre de consommateurs du groupe B (Evans, 2003 ; Rochet & Tirole, 2004). L’exemple typique est celui du média financé par la publicité : la télévision est payante pour les annonceurs mais gratuite pour les téléspectateurs. Les interactions entre annonceurs et téléspectateurs sont internalisées par le travail d’intermédiation d’une plate-forme (chaîne de télévision, radio, journal) qui propose un produit joint à deux types de clientèles, du contenu médiatique à des spectateurs d’un côté, et de l’attention aux annonceurs de l’autre (le fameux « temps de cerveau disponible »). La plate-forme doit avoir une large base installée (programmes) pour attirer des téléspectateurs mais les annonceurs ne financent des programmes que s’ils sont assurés de toucher le nombre de téléspectateurs promis. Pour résoudre ce problème de « la poule et de l’œuf », le système de prix optimal implique de subventionner une face du marché pour attirer des utilisateurs 149 27/07/10 16:28 Joëlle Farchy, Pascal Froissart sur l’autre face. Dans le cas de subvention totale, une face du marché devient accessible gratuitement. Les annonceurs publicitaires (qui constituent l’une des faces du marché pour l’entreprise médiatique) donnent plus de valeur à une entreprise de médias qui capte de l’audience ; l’entreprise médiatique qui reçoit une rémunération des annonceurs publicitaires utilise ces ressources pour produire de nouveaux programmes et offre sur l’autre face du marché des programmes gratuits aux spectateurs. Comme marché multiface, l’édition scientifique est organisée autour de trois acteurs principaux : les scientifiques (à la fois producteurs et consommateurs d’articles), les bibliothèques et, enfin, les éditeurs, plate-forme intermédiaire entre les différents acteurs. Comme il y a peu d’abonnements individuels, le marché est essentiellement structuré par les transactions entre éditeurs et bibliothèques. Le prix des revues est absorbé par le budget des bibliothèques, tandis que l’accès libre des chercheurs – grâce aux bibliothèques ou à des abonnements en ligne financés par les institutions – rend le système financier opaque pour l’utilisateur final qui ne prend nullement conscience du coût réel. Schématiquement, dans ce marché multiface, les auteurs et referees proposent leurs articles gratuitement (ou quasi-gratuitement – dans tous les cas, les auteurs sont payés des sommes sans rapport avec le coût de production de l’article) aux éditeurs de revue qui vendent la notoriété de la revue aux bibliothèques qui elles-mêmes proposent gratuitement des articles aux lecteurs… Le marché multiface s’organise autour d’un bien qui n’est plus l’audience, comme dans les médias, mais la notoriété : les revues qui peuvent compter sur une importante base de lecteurs attirent les auteurs et les comités scientifiques les plus réputés, qui à leur tour attirent une importante base de lecteurs. Les revues comme les auteurs cherchent à maximiser leur notoriété ; les auteurs en publiant dans des revues réputées 150 Livre-hermes-57.indb 150 et en étant abondamment cités ; les revues atteignent une réputation élevée en fonction de la qualité des articles acceptés et du nombre de citations afférentes. La revue ne se contente pas d’enregistrer et de diffuser les articles comme le supposerait un pur modèle coopératif de transmission du savoir, elle agit comme un label de certification. Ce modèle traditionnel multiface a été soumis à un feu de critiques qui renvoient aux deux notions du terme free en anglais : – la fermeture d’accès aux revues que l’on oppose à l’ouverture de l’OA et qui induit le risque de sous-diffusion de la recherche ; – la structure non concurrentielle du marché qui conduit à l’augmentation des prix des abonnements (que l’on oppose à la gratuité de l’OA) au seul profit des grands éditeurs commerciaux dont les marges bénéficiaires sont excessives (Pignard, 2000). L’arrivée de l’Open Access dans ce contexte n’a pourtant pas modifié, autant que l’on aurait pu s’y attendre, la structure du marché. Améliorer la diffusion de la recherche La nécessité de permettre la circulation des résultats de la recherche est largement reconnue dans le monde académique. Or, dans l’édition traditionnelle, la lenteur des délais de diffusion des revues est souvent pointée du doigt, notamment parce que les éditeurs commerciaux produisent à période fixe un nombre donné de pages par numéro. L’édition et la diffusion électronique donnent la possibilité de diffuser un article sans attendre la date officielle de tombée (ainsi en est-il pour les organes de presse hebdomadaire d’actualité qui, presque sans exception, ont lancé des services Web d’actualité en continu : <http://tempsreel.nouvelobs. com> par exemple, à l’ombre du Nouvel Observateur). HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Le marché de l’édition scientifique, entre accès « propriétaire » et accès « libre » Mais, dans l’univers de l’édition scientifique, les délais de publication sont liés pour l’essentiel à la durée du travail d’expertise des referees et des comités de rédaction. On voit donc difficilement ce que peut changer fondamentalement l’OA pour l’édition validée, sauf à considérer importante l’habitude dans certaines communautés scientifiques (économie, physique), de diffuser des working papers non encore validés par les pairs. L’accès numérique offre également un avantage financier en diminuant les coûts de diffusion ce qui accroît la visibilité des articles. Dans le modèle centré sur le papier – le « papyrocentric model », pour reprendre l’expression d’Harnard (1994) – les éditeurs facilitaient le processus de communication scientifique grâce à des avantages en termes de mise en page, de distribution, de publicité, de gestion des abonnements. L’édition numérique semble donc changer la donne, permettant aux chercheurs de produire des manuscrits et de disposer de circuits de distribution ouverts. Le monde académique n’aurait alors plus rien à attendre des éditeurs commerciaux (Couleu & Wooders, 2009). L’entrée sur le marché d’une revue en OA avec referees est beaucoup plus aisée, parce que moins coûteuse que celle d’une revue en papier. Mais il reste difficile d’en faire un projet durable à long terme (Ramello, 2009). Les coûts significatifs restent liés à la production de recherche, à la certification de sa valeur et à la mise en place de réputations. Et non au coût du papier. Ce changement dans les coûts de diffusion accélèret-il réellement la visibilité des articles ? C’est ce qu’affirment les partisans de l’OA dans nombre d’études qui montrent que les articles en OA sont plus utilisés à la fois en termes de téléchargements et de citations (Stevens & Rayburn [2003] pour l’astrophysique, Harnad & Brody [2004] pour la physique, Lawrence [2001] pour l’informatique, Hajjem et al. pour une dizaine de disciplines [2005]…). Plus rares, quelques études infirment HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 151 cette corrélation (Davis et al., 2008) ou notent que les avantages en termes de citations sont dus à des biais de sélection : les auteurs les plus influents mettent plus facilement leurs travaux en OA et notamment les articles les plus importants (Craig, 2007). Le numérique fait basculer d’un modèle distributeur fondé sur le contrôle de l’accès vers un modèle d’économie des réseaux fondé sur l’abondance des informations disponibles et sur l’extension du nombre des utilisateurs. C’est de plus en plus l’attention des usagers (Simon, 1971 ; Lanham, 2006) qui devient la ressource rare au milieu d’une abondance d’informations. Ce modèle, qui favorise une relation plus directe entre producteurs et consommateurs, n’implique pas la disparition de toute intermédiation : il est au contraire indissociable de l’apparition de nouveaux intermédiaires qui ont essentiellement pour fonction de capter l’attention des internautes en les guidant dans l’abondance. Dans cette économie de l’audience et du trafic, on finit par oublier l’information, le contenu lui-même, au profit d’une seule réflexion sur la gestion des flux et le contrôle des interfaces par lesquelles l’utilisateur entre sur le réseau. Ainsi, il est possible que les éditeurs commerciaux cèdent une partie de ce pouvoir de plateforme d’intermédiation, mais d’autres acteurs comme les moteurs de recherche le prennent alors. L’hydre Google a ainsi mis en place très tôt dans sa stratégie commerciale le service de recherche de documents à l’intention des chercheurs : Google Scholar est un moteur de recherche spécialisé dans la littérature scientifique. La question devient alors : est-il plus efficace pour diffuser la recherche d’assurer une rente de monopole à Google ou à Elsevier ? Pour le chercheur, l’accès serait gratuit, financé par un abonnement coûteux des bibliothèques dans un cas, par l’attention qu’il consacre à de la publicité dans l’autre. Enfin, la question de la diffusion à tout prix des extrants scientifiques peut être critiquée. L’édition 151 27/07/10 16:28 Joëlle Farchy, Pascal Froissart scientifique sur le Web a, on l’a vu, pour argument majeur l’augmentation du nombre de lecteurs… Derrière cet argument aussi diffusionniste que techniciste se cache une réalité que la plupart des chercheurs préfèrent occulter. Comme le remarquent Callon et al. (1993), « une fois l’article publié, […] la partie n’est pas encore gagnée ! Sur cent articles publiés, quatre-vingt-dix ne sont lus par personne, tout simplement parce que leur contenu est jugé inintéressant ». Déjà, dans les années 1950, Robert K. Merton se faisait l’écho de ces statistiques alarmantes : en chimie, seuls 0,5 % des articles ont plus… d’un lecteur (Ackoff et Halbert, 1958, cité par Merton & Storer, 1973) ; en psychologie, aucun article des revues les plus importantes ne peut espérer être lu par plus de 7 % des chercheurs (APA, 1963, cité par Merton & Storer, 1973). La question du libre accès ne fait que redoubler cette interrogation : à quoi bon viser la seule diffusion si celle-ci est tangentielle, si le fait de publication est ailleurs (dans la carrière des chercheurs pour qui publier est une nécessité plus grande que lire, par exemple). Le paradoxe de la valeur La valeur du travail fourni dans le travail d’édition scientifique vient pour l’essentiel des chercheurs qui, en tant qu’auteurs, referees ou membres de comités scientifiques, ne sont pas ou peu rémunérés. Pourtant, le prix de la publication des articles est de plus en plus élevé. Nous nommerons cette situation qui a pu surprendre certains économistes (Bergstrom, 2001 notamment) « le paradoxe de la valeur ». Le prix d’abonnement à une revue est fixé par négociation entre éditeurs et bibliothèques. Bien que celles-ci s’organisent désormais en consortium pour accroître leur pouvoir collectif, elles ne sont pas parvenues à enrayer une croissance des prix qui, depuis les années 1970, augmentent bien plus vite que l’inflation. Cette hausse 152 Livre-hermes-57.indb 152 constante des prix, combinée à une baisse des budgets des bibliothèques, a parfois entraîné l’annulation d’abonnements et donné naissance à la « serials pricing crisis ». Un exemple désormais classique est le budget des acquisitions de l’Université de Californie : en 1980, 65 % de son budget allait aux livres et 35 % aux revues ; en 2003, on assiste à un complet retournement avec 20 % pour les livres et 80 % pour les revues (Waters, 2008). Dewatripont et al. (2006, 2007) ont étudié les prix (papier) de plus de 2 600 revues scientifiques dans 22 domaines. Ils montrent que, entre 1975 et 1995, ceux-ci ont augmenté entre deux et trois fois plus vite que l’inflation. Sur la période 2003-2007, en fonction des domaines, les hausses de prix se situent entre 22 et 57 % (Van Ordsel et Born, 2007). Cette inflation des dépenses pour les périodiques se répercute sur le budget des bibliothèques : pour les seuls périodiques (serials expenditures), presque 400 % d’augmentation en vingt ans (cf. graphique infra). L’explosion des coûts de publication est une donnée peu discutable. Les revues publiées par des éditeurs sans but lucratif sont moins chères que celles publiées par les éditeurs commerciaux qui les vendent jusqu’à quatre fois plus cher (Dewatripont et al.). Le coût par page des revues basé sur le prix payé par les bibliothèques est de trois à six fois plus cher pour les éditeurs commerciaux que pour les autres, dans six disciplines. En science économique, l’inflation moyenne par page depuis 1985 est de 300 % pour les éditeurs commerciaux contre « seulement » 50 % pour les autres (Bergstrom & Bergstrom, 2004). Diverses caractéristiques « naturelles » du marché de l’édition scientifique rendent improbable l’entrée de nouveaux acteurs et permettent aux acteurs commerciaux en place, sans pression concurrentielle, de maintenir des prix élevés. Tout d’abord, d’importantes économies d’échelle sont possibles pour les acteurs historiques pour qui HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Le marché de l’édition scientifique, entre accès « propriétaire » et accès « libre » Dépenses médianes pour les monographies et les périodiques dans les bibliothèques américaines sur la période 1986-2008. Source : Kyrillidou & Bland, 2009 l’essentiel des dépenses sont les coûts fixes d’administration, de traitement, de marketing ; un exemplaire supplémentaire d’une revue largement diffusée coûte donc nettement moins cher que celui d’une revue peu diffusée, puisque les coûts fixes sont alors répartis d’autant. Un nouvel entrant potentiel subira donc à la fois un accès coûteux pour une revue qui démarre et n’aura pas accès aux infrastructures déjà existantes des éditeurs en place. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 153 D’autre part, l’édition scientifique est un marché où chaque article est unique et sans équivalent. Il n’existe pas en effet un seul marché pertinent de référence mais des marchés distincts par domaine, les scientifiques ne concevant pas les revues d’un autre domaine comme un substitut au leur. Cela explique pourquoi les revues dans les domaines dans lesquels les éditeurs détiennent une part de marché importante sont plus chères. D’importantes différences de prix par domaines apparaissent (écarts de 1 à 6) du moins cher (le droit) aux plus chères (la physique et la chimie) [Dewatripont et al.]. On notera ici que le droit d’auteur est loin d’être l’élément majeur de hausse des prix puisque ce sont justement les domaines où l’on paie les auteurs (le droit) qui sont les moins chers ! Enfin, l’intermédiation assurée par la revue comme plate-forme d’un marché multiface accentue elle aussi le manque de pression concurrentielle. Les chercheurs en tant que lecteurs sont peu sensibles aux prix que la plupart du temps, on l’a vu, ils ignorent ; en tant qu’auteurs ils aspirent à publier dans des revues prestigieuses et n’ont pas de fortes incitations à encourager des vecteurs de diffusion alternatifs. Les bibliothèques qui estiment le prix d’une revue trop cher auront donc beaucoup de mal à convaincre auteurs et lecteurs de s’orienter vers d’autres produits. Les chercheurs deviennent ainsi « les acteurs immobiles du marché multiface diminuant la pression concurrentielle sur les revues réputées » (Dewatripont et al., 2007). À ces barrières à l’entrée que les économistes qualifient de naturelles ou techniques, il faut ajouter des barrières d’ordre stratégique qui expliquent que les éditeurs puissent fixer des prix supérieurs aux coûts moyens sans attirer de nouvelles entreprises. Parmi celles-ci, les contrats de bouquets (big deal ou bundle) pour l’accès aux collections électroniques d’un éditeur jouent un rôle fondamental. Par ces contrats de vente liée, la bibliothèque est amenée à augmenter le montant 153 27/07/10 16:28 Joëlle Farchy, Pascal Froissart des dépenses totales consacrées à un éditeur ; celui-ci s’engage à donner un accès numérique à une collection plus large que celle pour laquelle la bibliothèque a un abonnement papier ; l’accès à des revues numériques est donc vendu sous forme liée, y compris pour celles dont les chercheurs n’ont pas réellement besoin. La possibilité d’exprimer une insatisfaction sur un titre devient très difficile, et les possibilités de changements peu attrayantes. En effet, une bibliothèque qui décide de ne plus accéder à telle revue de physique ne pourra consacrer le montant économisé à l’achat d’une autre revue de physique chez un éditeur concurrent, mais devra choisir une autre revue de l’éditeur avec qui le contrat de big deal a été négocié, à moins de renoncer à la version électronique de toutes les revues de cet éditeur… Ces clauses ont non seulement pour résultat de limiter la pression concurrentielle de nouveaux entrants, mais elles ont de plus des conséquences sur les modalités de la recherche ; en enfermant les lecteurs dans l’espace clos des collections de l’éditeur avec qui le contrat a été négocié, elles améliorent les facteurs d’impact et la notoriété de ces revues éliminant encore plus toute autre publication concurrente… L’OA, un accès libre mais non gratuit L’OA est apparu comme une alternative intéressante à l’explosion des coûts, puisqu’apparemment il propose un accès gratuit. La question du financement de l’accès gratuit pour les chercheurs n’est pourtant pas résolue pour autant. En sus des seuls coûts techniques (informatiques essentiellement), l’accès à des bases de données contenant des articles en plein texte est cher : il faut ordonner les ressources et les promouvoir, ajoutant ainsi des coûts bibliothéconomiques et marketing. Le financement par la publicité sera-t-il le viatique du futur ? Elsevier se risque dans cette voie, puisque 154 Livre-hermes-57.indb 154 l’éditeur néerlandais a annoncé en 2007 l’ouverture d’un site spécialisé financé par la publicité et la gestion des profils des cancérologues, OncologySTAT. En échange de quoi, il propose de l’information spécialisée dans le champ, et l’accès gratuit aux publications de l’éditeur. Ce modèle économique est classique dans les médias, mais très nouveau dans l’édition scientifique. Un autre modèle se dessine : un financement en amont par les chercheurs – modèle dit « auteur payeur », en référence au modèle classique « abonné payeur » où le financement aval est assuré par les bibliothèques. Le modèle peut surprendre puisqu’il s’agit, rappelons-le, de résoudre le paradoxe de la valeur… en faisant payer des auteurs qui n’étaient déjà pas rémunérés ! En réalité, la mise en œuvre de ce modèle suppose que ce soit l’institution de rattachement du chercheur qui finance la publication. Cela nécessite des centres de recherche suffisamment dotés pour dégager un budget propre de publications, à l’instar d’une entreprise qui incorpore d’emblée son budget de publicité dans son coût de production total. Dans la mesure où la recherche est largement publique, le modèle de financement de l’OA suppose comme le modèle classique que les pouvoirs publics financent deux fois la recherche : via le salaire des chercheurs une première fois, via les subventions aux centres de recherche (pour l’OA) ou aux bibliothèques (pour le modèle classique) une seconde fois. Ainsi, en matière de financement, l’OA redessine les frontières entre les acteurs du marché multiface mais laisse, comme dans le modèle classique le poids final reposer sur les contribuables – sauf à supposer que l’essentiel du financement des laboratoires devienne privé, ce qui impliquerait une privatisation du savoir sans doute peu attendue par les promoteurs de l’OA… C’est au final la question du financement public de la recherche qui semble expliquer la vivacité du débat. La puissance publique finance l’édition et accepte que les bénéfices de la seule activité éditoriale enrichissent HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Le marché de l’édition scientifique, entre accès « propriétaire » et accès « libre » quelques organisations plus douées pour les affaires que d’autres. Parce que les sommes en jeu sont importantes (estimées par exemple à 4 milliards de dollars pour 123 universités américaines membres de l’ARL en 2008), elles suscitent convoitise et inquiétude. Mais il faut se garder d’oublier que la recherche est une acti- vité hautement dispendieuse et que l’activité de publication, dont on discute tant les modes de financements optimaux, n’en est qu’une petite partie : en 2008, si le budget des bibliothèques universitaires américaines est de 4 milliards, le budget global de la seule recherche publique américaine est de 550 milliards. 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Les chercheurs mettaient en ligne leurs résultats dès qu’ils en obtenaient, en temps réel, dans une base de données ouverte. Ce sont des données descriptives : si l’on prend par exemple les microsatellites (courtes séquences d’ADN caractérisées par la répétition d’un motif) utilisés lors de la construction de la carte génétique, on peut comparer le fait de les rendre publics à la mise en place de panneaux de signalisation sur une route : ce n’est pas cela qui vous permet de circuler mais, sans eux, vous ne pouvez pas vous diriger ! En ce qui concerne le séquençage d’un gène, une séquence n’a pas d’intérêt en soi, elle reste « figée » tant qu’on ne l’utilise pas, mais elle est en quelque sorte le matériel de base pour HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 159 pouvoir ensuite faire de la recherche sur les maladies. La question se pose dans les mêmes termes, en matière de diffusion et de protection des données, pour les gènes, pour les puces ADN ou pour toute autre biotechnologie. Le fait de rendre publiques des cartes génétiques ou des données de séquençage n’empêche pas la reconnaissance de la paternité des découvertes en matière de décryptage du génome. Cette reconnaissance, qui passe toujours, selon le modèle scientifique traditionnel, par la publication et l’Open Access, n’en modifie pas sensiblement les formes et les modalités. Une fois la paternité établie, les données du génome n’ont d’intérêt que si les chercheurs les étudient et les utilisent dans leur propre projet de recherche. Le consortium académique international qui travaillait dans le cadre du Human Genome Project sur le projet de séquençage demandait que soient immédiatement mis à disposition les résultats des recherches qu’il avait contribué à financer. Cependant, dès le début, la logique a été compliquée : en même temps que le consortium académique prescrivait la mise en ligne ouverte des résultats, une société privée, Celera Genomics, créée par Craig Venter, s’attaquait au décryptage du génome. Quoi qu’il en soit, 159 27/07/10 16:28 Cécile Méadel le génome a été publié dans sa totalité en 2002-2003 et, aujourd’hui, on continue à tout mettre sur le Web. En parallèle, se posait la question du brevetage du génome. Je considère pour ma part, tout comme la majorité de la communauté scientifique, qu’il n’y a pas de brevet possible sur les séquences elles-mêmes. Cela poserait la question de savoir à qui appartient le vivant. Ces données sur les gènes sont des ressources. Breveter aurait bloqué toute recherche ultérieure. Et pourtant, des acteurs privés ont breveté des séquences de gènes, malgré un tollé général. La mise en ligne des résultats en temps réel a eu également un impact sur le besoin de standardisation dans la présentation des résultats. Par exemple, dans le domaine des puces ADN sur lequel j’ai beaucoup travaillé, il s’est mis assez vite en place un système destiné à faire que tout le monde présente les données avec un minimum d’informations associées (MIAME) dans un format standardisé, notamment la façon dont avaient été conduites les expériences et la manière dont les données avaient été analysées. Bientôt, de nombreuses revues décidèrent de n’accepter un article que si les données étaient déposées dans des bases ouvertes (la revue Nature la première). Cette façon de travailler, en mettant en ligne les données et avec des techniques permettant de travailler à grande échelle (comme le permettent les puces ADN), a changé le métier. Les chercheurs ont dû changer de mentalité. Avant, chacun étudiait son gène ou sa protéine, et publiait sur son gène ou sur sa protéine. Il n’y avait pas de ressources collectives. On posait une hypothèse et on la vérifiait (hypotheses driven). Lorsque des tonnes de données ont été mises à la disposition des chercheurs, on est passé à un mode de fonctionnement que l’on pourrait qualifier de resource driven : on arrivait à des résultats en travaillant sur une masse de données et sans avoir fait d’hypothèse au départ. C’est le matériau qui fait émerger les hypothèses. Je l’ai bien ressenti quand on a produit les premiers résultats des puces ADN : les chercheurs se sont mis à exploiter les données, qui apportent des réponses à des questions qu’ils ne pouvaient pas avoir avant de consulter cet amas de données. C’est un véritable changement de perspective, lié à ces approches à grande échelle. Bilan ? D’un côté, l’Open Source favorise l’accessibilité aux connaissances et aux ressources biologiques ; de l’autre, la privatisation gagne du terrain (dépôts de brevets sur les séquences, bases de données payantes ou protégées par le secret commercial, contrats d’accès exclusif aux données génétiques et médicales des populations, etc.). Le brevet sur le gène du cancer du sein est l’emblème des dérives d’une telle privatisation, mais il y a finalement peu d’exemples de ce type. Aujourd’hui, la mise à disposition des données est telle, que cette privatisation partielle ne pose guère de problèmes dans de nombreux domaines de la génétique. Les chercheurs continuent leurs travaux sans en être gênés. Geneviève Piétu, Inserm et laboratoire I-Stem NOTE 1. Une puce à ADN est un capteur bio-informatique formé de molécules d’ADN disposées en rangées ordonnées sur une petite surface de verre, de silicium, ou de plastique. Cette biotechnologie permet d’analyser le niveau d’expression des 160 Livre-hermes-57.indb 160 gènes dans une cellule, un tissu, un organe, un organisme, à un moment donné et dans un état donné par rapport à un échantillon de référence. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Danièle Bourcier Cersa, Université Paris II SCIENCE COMMONS : NOUVELLES RÈGLES, NOUVELLES PRATIQUES Nous sommes tous conscients qu’Internet va changer les façons de faire de la science. Les nouveaux modes d’accès et de circulation de l’information scientifique sur le Web ne sont qu’une des facettes de ce changement. La seule diffusion de la communication ne conduira pas à des sauts qualitatifs décisifs. Il est nécessaire d’avoir une vue de la façon dont travaillent les professionnels, quels qu’ils soient, et surtout de repérer et de dépasser les blocages, tous les types de blocage, qui empêchent cette communication d’être réellement efficace. Dans un article sur les rapports entre droit et technologies de l’information, j’avais fait une distinction entre les interactions fortes et faibles entre deux domaines de savoirs (Bourcier, 2006). L’informatique a en effet influencé toutes les pratiques dans les disciplines et les métiers : c’est ainsi que de nouvelles disciplines comme l’informatique juridique ou l’informatique médicale ont vu le jour. Aujourd’hui, la physique ne se conçoit plus que liée à l’informatique et aux réseaux. Mais l’infor- HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 161 matique, si elle a changé des façons de travailler, n’a pas toujours affecté comme elle le fait actuellement le cœur du métier lui même. Quand on parle des transformations du travail scientifique à travers les techniques du Web et les politiques qui les soutiennent (accès ouvert, par exemple), on transforme les conditions institutionnelles de la production au-delà des modes de communication scientifique. Et on crée les conditions pour en renouveler les résultats. Les conditions d’une transformation de la communication scientifique Les sciences dépendent de l’accès et de l’utilisation de données, qu’elles soient textuelles ou factuelles. Améliorée par des développements dans le stockage 161 27/07/10 16:28 Danièle Bourcier électronique et la capacité de calcul, la recherche scientifique gère de plus en plus de données dans toutes les disciplines. Les avancées rapides dans les technologies numériques et les réseaux au cours des deux dernières décades ont modifié significativement la façon dont les données et les informations peuvent être produites, diffusées, gérées et utilisées dans les sciences et les autres domaines de l’activité humaine. Des opportunités nouvelles ont été créées, accélérant les progrès de la science et de l’innovation. Ces développements viennent principalement du mouvement qui a émergé de la peer production (co-production entre pairs) formelle et informelle, c’est-à-dire de la « co-production » à travers des plates-formes adaptées, et de la diffusion globale de l’information en mobilisant la coopération – dans un réseau distribué et ouvert – de communautés de connaissances. La science dans l’environnement numérique est le résultat d’un mélange complexe de partage et d’échanges sociaux entre pairs. Faire un Web scientifique Dans le travail scientifique, ce n’est plus seulement l’accès aux données qui importe, mais les nouvelles formes de partage de données. La « science ouverte » vise à aller au-delà de l’accès ouvert aux résultats de la recherche, en facilitant un partage non seulement des données et de l’information mais des données brutes et des outils logiciels. L’examen systématique de preuves disponibles, nécessaire aux expériences en cours, ainsi que la mise à disposition de méthodes adaptées au contexte de ces mêmes expériences, visent à l’interprétation immédiate des résultats, y compris inattendus. 162 Livre-hermes-57.indb 162 Dépasser les obstacles juridiques Dans beaucoup de disciplines, les processus de recherche dépendent de politiques de lois et de pratiques, qui sont pour la plupart opaques aux scientifiques euxmêmes. Au cours des dernières décades, les lois sur la propriété intellectuelle ont évolué dans une direction de fermeture et non d’ouverture des droits. Par exemple, auparavant, la protection ne portait pas sur les données brutes ; on brevetait le piège mais non les données sur le comportement de la souris ; un article était protégé mais pas les données sur lesquelles il s’appuyait. Dans certains pays comme les États-Unis, pays de Common Law où les droits moraux ne sont reconnus qu’exceptionnellement, les travaux scientifiques subventionnés par le gouvernement fédéral tombaient immédiatement dans le domaine public, sans droit d’auteur. Mais la tendance a changé radicalement. Dans le domaine de la génétique, le droit des brevets a créé un droit sur les faits bruts, comme les séquences de gènes. Dans d’autres domaines, des contrats complexes ont modifié la propriété intellectuelle sur les bases de données, avec de nombreuses limitations d’usages et de réutilisation. L’auto-archivage par les chercheurs est devenu difficile. Ces tendances sont parfaitement opposées aux fondements de la propriété intellectuelle, qui prévoyait qu’on ne pouvait s’approprier des faits ou des idées mais seulement des inventions et des créations originales et formalisées. Le paradoxe est que, à une époque où les technologies permettent un accès mondialisé et un traitement distribué des données, des restrictions juridiques empêchent de lier ces mêmes données entre les banques de données. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Science commons : nouvelles règles, nouvelles pratiques Qu’est-ce que Science Commons ? Science Commons est un projet lancé en 2005 par des scientifiques, des juristes et des entrepreneurs du Web qui, après avoir repéré précisément les blocages de la communication dans le monde scientifique, ont appliqué une philosophie issue des Creative Commons et ont expérimenté à travers le Web, de façon pragmatique, les outils et méthodes qui pouvaient réduire ces obstacles. En France, l’Institut Pasteur a suivi le mouvement et met désormais à la disposition des industriels et des organismes de recherche extérieurs un vaste portefeuille de matériels biologiques issus des travaux de recherche menés par divers laboratoires pasteuriens ; ces matériels sont disponibles sur simple requête (Institut Pasteur, 2010). De Creative Commons à Science Commons En réaction au mouvement de fermeture des droits de la propriété intellectuelle s’est ainsi créé le mouvement Science Commons (SC), inspiré du mouvement Creative Commons (CC). Deux facteurs les séparent : tout d’abord, les licences CC concernent les créateurs individuels et leurs droits d’auteur, alors que le projet SC a une portée plus large, incluant les institutions dont dépendent les scientifiques. De plus, les revues scientifiques demandent de plus en plus que leurs auteurs renoncent à leur copyright et ils le font pour être cités dans des publications à indice d’impact élevé. Il y a donc un problème d’action collective : personne n’a d’incitations directes à changer le système (Wilbanks, 2005). Science Commons, aidé par un groupe d’experts issus des sciences et du droit, a retenu la philosophie du partage dans le respect du droit des auteurs qui HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 163 avait fait le succès de CC dans le domaine des arts et de la culture. Les deux projets ont de nombreux points communs, à commencer par les acteurs. On retrouve ainsi dans le projet des membres du conseil exécutif de Creative Commons : Hal Abelson, chercheur au MIT ; James Boyle, Michael Carroll, Lawrence Lessig, experts en propriété intellectuelle ; John Wilbanks, entrepreneur en bio-informatique. Pourquoi Science Commons ? Science Commons a pour objectif de créer des stratégies et des outils pour rendre le Web scientifique plus rapide. Trois principes ont été fixés. Le premier est de rendre la recherche réutilisable grâce à des politiques et des outils qui aident les individus et les organisations à rendre leur production accessible, et à indiquer, sur leurs résultats et leurs données, cette possibilité de réutilisation ; un Protocole Open Data permet à la communauté scientifique mondiale de mettre en commun leurs ressources, quel que soit leur statut juridique. Le deuxième est de permettre l’accès immédiat à des outils grâce à des contrats standard qui apportent des économies d’échelle aux chercheurs de sorte que ces mêmes chercheurs puissent dupliquer vérifier et étendre leur recherche. Le troisième, enfin, est d’intégrer des sources fragmentées d’information en fournissant aux chercheurs les moyens de trouver, d’analyser et d’utiliser des données de sources disparates en marquant et intégrant l’information à travers un langage commun et traduisible dans la machine. Le programme consiste ainsi à offrir concrètement un spectre d’outils et de ressources susceptibles d’être traités en accès ouvert : le transfert de matériaux biologiques (ADN, lignées de cellules, anticorps, plasmides…) ; une plate-forme de gestion de connaissances en accès ouvert pour la recherche en neurosciences ; un 163 27/07/10 16:28 Danièle Bourcier Common sanitaire, coalition d’acteurs intéressés à considérer la santé comme bien commun. Fer de lance du projet, le site Web de Science Commons propose divers services (Science Commons, 2010). On peut y marquer les données pour les réutiliser de façon légale (Scholar’s Copyright Project). On y apprend à faciliter le transfert des matériaux physiques (Biological Materials Transfer Project), à intégrer les résultats, les données, les matériaux et les services émanant de sources disparates (NeuroCommons et Health Commons), etc. Des standards ouverts sont développés pour faciliter l’émergence d’une infrastructure collaborative qui accélère la traduction de données en découvertes. Les instruments du partage de données Quand recherche et données sont rendues publiques, des régimes propriétaires ou des contrats empêchent souvent de changer les formats ou les langages, et d’intégrer les données, l’enrichissement sémantique, ou la fouille de données. Ces restrictions limitent l’impact des recherches publiées et empêchent d’exploiter les potentialités du Web pour accélérer les découvertes scientifiques. En réaction, le Scholar’s Copyright Project propose des outils et des ressources pour étendre et améliorer l’accès ouvert. La plupart des systèmes et formats existants actuellement sont issus de la civilisation pré-numérique. L’accès ouvert est un pré-requis pour trouver de nouvelles façons d’exploiter la valeur de vastes gisements de recherches. Le Science Commons Protocol for Implementing Open Access Data est une méthode qui garantit que la base de données utilisée peut être légalement intégrée à une autre, eu égard au pays d’origine. Le protocole n’est pas une licence ou un outil juridique, mais une méthodologie et un document de 164 Livre-hermes-57.indb 164 « bonnes pratiques » pour créer de tels outils juridiques et marquer les données comme appartenant au domaine public. Deux outils juridiques utilisent ce même protocole : l’Open Data Commons Public Domain Dedication and License et l’option Creative Commons CC0. De plus en plus souvent, les fondations et agences qui alimentent la recherche demandent d’adopter l’accès ouvert pour les résultats scientifiques. À la fin de 2008, plus de 1 000 journaux scientifiques peer-reviewed mettaient en œuvre une philosophie proche de Creative Commons, ce qu’illustre la Public Library of Science (plos.org). Tous utilisent la licence Creative Commons « Attribution » (BY). Les éditeurs de journaux juridiques sont intéressés par le Programme d’accès ouvert (Open Access Law Program – cf. Science Commons, 2010). 35 journaux s’y sont engagés depuis son lancement. Ce programme fournit un ensemble de ressources proposant l’accès ouvert en science. Auteurs et éditeurs s’engagent sur ces principes et un modèle gratuit de contrat est à la disposition des auteurs et des journaux. Beaucoup de scientifiques font de l’auto-archivage après avoir publié dans des revues. Cependant les rapports avec les éditeurs sur cette restriction sont parfois confus. Science Commons a créé un outil d’aide au copyright Scholar’s Copyright Addendum Engine (Science Commons, 2010) qui aide les auteurs à négocier les droits qu’ils veulent. Cet outil, appelé Addendum Engine, met à disposition une interface pour générer une annexe au contrat (1 page) prête à signer. Ce document garantit que vous pouvez mettre votre recherche librement sur le Web, pour la publication, la pré-publication, ou après une période de temps déterminée. Les institutions peuvent intégrer cet outil sur leur site. Ainsi, par la licence « Accès-réutilisation », « vous conservez les droits nécessaires pour accorder au public une licence Creative Commons Attribution non commercial (BY-NC) ou une licence similaire qui HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Science commons : nouvelles règles, nouvelles pratiques permet au public la réutilisation ou la rediffusion de votre article, tant que vous êtes crédité comme l’auteur et aussi longtemps que l’usage est non-commercial ». Vous pouvez également choisir d’autres options, tels « Accès immédiat » ou « Accès retardé » : – « Accès immédiat. Vous conservez les droits suffisants pour afficher une copie de la version publiée de votre article (généralement sous forme de PDF) en ligne immédiatement sur un site qui ne fait pas payer pour l’accès à l’article ». – « Accès retardé. Vous avez également le droit d’offrir votre article à la consultation, immédiatement après la version finale de votre texte, et après examen par les pairs, sur un site qui ne fait pas payer l’accès à l’article, mais vous ne devez mettre la version publiée à la disposition du public que six mois après la date de publication. » Le projet Neurocommons Le projet Neurocommons a créé une plate-forme de gestion de connaissances Open Source pour la recherche biologique, et particulièrement les neurosciences. La première phase a été testée en 2007. La deuxième phase met en place un système informatique d’analyse de données. Ces deux éléments représentent une plateforme standard avec des contenus ouverts sur le Web. On cherche à provoquer des liens entre les agences à travers le Biological Materials Transfer Project. Neurocommons combine édition et annotation fondées sur les commons et création d’une communauté de logiciel libre autour d’une plate-forme d’analyse (pour les aspects techniques, se reporter à Science Commons, 2010). Neurocommons a émergé de l’histoire de Creative Commons et du Web sémantique. John Wilbanks avait créé le Semantic Web for Life Sciences au World Wide HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 165 Web Consortium (w3c.org) tout en dirigeant une startup en bio-informatique. En effet, la portée de la connaissance issue du secteur public et du secteur commercial avait conduit certains experts dans le champ de la gestion de la connaissance pharmaceutique à construire des méthodes de production fondées sur des commons et des partages de connaissances avant leur exploitation industrielle. Aucune société pharmaceutique ne peut en effet capturer, représenter et utiliser toute la connaissance disponible sur le Web. La recherche publique, avec l’aide de cette même industrie s’est investie dans un grand projet de collecte ontologique des relations et des termes communs à partir des textes et des bases de données non structurés pour fournir une “carte” de la sémantique implicite, partagée entre les secteurs scientifiques, et à l’intérieur des domaines. Les sociétés Pfizer et Bioden ont apporté des éléments dès les premières discussions et le système a été modélisé et porté sur un service (hélas propriétaire) qui appartient à Novartis. Actuellement l’équipe Neurocommons vise à rendre publique et à améliorer la base de données ouverte d’annotations en les étendant aux résumés d’articles biomédicaux à travers une base de codes ouverts pour la biologie informatique. Les plus grands fonds en neuroscience sont intégrés dans le graphe d’annotation. Avec ce système, les scientifiques peuvent charger, dans des listes de gènes, des données venant des robots des laboratoires et revenir à ces listes avec une information pertinente fondée sur une connaissance partagée. Ils peuvent ainsi trouver les articles et fragments de données d’où vient cette information, bien plus rapidement qu’avec Google ou tout autre outil de recherche documentaire, à cause du système qui permet de créer des liens avec la structure sous-jacente. Enfin, tout le monde est incité à mettre ses publications dans le même système et à le rendre plus performant. L’échelle de l’effort demandé pour cartographier la connaissance est immense, d’autant plus que ce travail 165 27/07/10 16:28 Danièle Bourcier requiert l’intervention humaine à un certain moment du processus (la fouille de textes est nécessaire mais non suffisante). Le modèle est fondé sur le modèle Wikipédia, incrémental et décentralisé. La deuxième phase est le logiciel d’analyse de données fourni par Science Commons sous la licence BSD Open Source. Sans ce logiciel, le Web n’aurait ni moteur ni fonction de recherche. Le futur des commons scientifiques Le recours aux commons scientifiques1 s’inscrit dans une évolution qui dépasse le monde scientifique lui-même. Le prix Nobel d’économie a été attribué en 2009 à une ardente avocate des commons, Elinor Ostrom : elle s’intéressait depuis plusieurs décades aux nouveaux modes de gouvernance des ressources naturelles (eau, forêt), caractérisées par définition par leur rareté et un besoin de préservation (Ostrom, 1990). Les commons de la connaissance et de la création, aidés par les technologies du numérique, suivent une tendance résolument parallèle : dans un univers scientifique caractérisé par des obstacles juridiques et techniques mais aussi par des exigences d’efficacité sinon de rareté (tragédies dites anti-commons), il faut inventer des institutions et des normes fondées sur la non-exclusivité des ressources. Les commons, impliquent donc, à côté de ces ressources partagées, une gestion commune, ni publique ni privée, pour une meilleure utilisation d’un patrimoine qui intéresse toute l’humanité. Le projet SC reprend la philosophie et la méthodologie du projet CC au monde de la recherche scientifique. L’objectif de SC est de dégager la voie juridique et technique pour accélérer les découvertes scientifiques à travers le monde. Le processus 166 Livre-hermes-57.indb 166 de production scientifique a toujours été soutenu par une série de politiques, de lois et de pratiques qui ont été en grande partie invisibles, même pour ceux qui travaillaient dans les sciences elles-mêmes. Tentons un résumé. Premièrement, les données brutes doivent rester dans le domaine des commons scientifiques. Deuxièmement, les résultats issus de subventions du gouvernement et des collectivités, ou de ressources publiques, ont vocation à être en accès ouvert au public. Troisièmement, dans les sciences elles-mêmes, et notamment dans les universités, une tradition sociologique forte – parfois appelée la tradition mertonienne de la science ouverte – devrait décourager l’exploitation exclusive de données. Ces trois principes fondamentaux existaient même avant la révolution industrielle. De même, la publication scientifique a une tradition de longue date. Les technologies modernes, notamment l’utilisation du World Wide Web, ont changé les mécanismes de livraison et de duplication des documents. Dans de nombreux domaines, les résultats sont publiés presque aussi vite qu’ils sont découverts. Mais le droit d’auteur a évolué à un rythme différent. Les progrès dans les technologies modernes, combinés à un système juridique qui a été conçu pour l’ère analogique, vont provoquer des obstacles artificiels et freiner l’innovation. Pour faire contrepoids, une communauté mondiale importante et dynamique a mis sur pied, pour appuyer le libre accès à la littérature scientifique, des plates-formes rendant les données « numériques, en ligne, gratuitement et libre de la plupart des droits d’auteur et les restrictions de licence ». En Amérique du Nord, des fondations de recherche importantes, comme le Howard Hughes Medical Institute, ont adopté des politiques novatrices pour exiger l’accès libre aux résultats de recherche, les Institutes of Health exigent maintenant un accès ouvert à la recherche financée, des établissements d’enseignement (Harvard, MIT) recommandent que les travaux HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Science commons : nouvelles règles, nouvelles pratiques soient publiés « ouvertement », la plupart des grands journaux ont accordé aux auteurs le droit à l’autopublication des versions successives de leurs articles. Pourtant, dans de nombreux cas, les questions juridiques restent en suspens. Comment faciliter la réutilisation de la recherche tout en assurant que les auteurs et les éditeurs puissent en conserver l’attribution ? Quel est le meilleur moyen de permettre l’intégration des données recueillies dans différents systèmes juridiques ? De quels types d’infrastructures juridiques et politiques avons-nous besoin pour faciliter le transfert du matériel nécessaire, vérifier les résultats et enrichir la recherche ? Nous avons essayé à partir d’un projet de Web scientifique ouvert de montrer comment de nouvelles interactions fortes entre disciplines (l’informatique et la science par exemple) pouvaient changer les façons de communiquer, à condition de se situer dans un monde ouvert. En France, les derniers débats sur Google et les œuvres du patrimoine, ainsi que sur la loi dite Hadopi, ont montré l’intérêt immense de l’opinion publique et des scientifiques sur ces sujets et les oppositions voire les incompréhensions qu’ils mettaient en évidence. Ce n’est plus seulement l’accès aux données qui importe mais l’évolution des formes de production et de communication scientifique, les politiques de partage et d’échanges d’information scientifique, l’Open Access et l’innovation. Enfin, le droit doit s’adapter aux nouvelles pratiques du monde scientifique pour éviter des effets contre-productifs pour les avancées scientifiques. L’éthique ne peut être seule à intervenir, en créant une soft law, dans des domaines si compétitifs. Depuis quelques années, les débats éthiques se sont déplacés sur le terrain de la communication, alors que c’est le droit lui-même qui est interpellé comme instrument pour des politiques scientifiques clairement débattues. L’exemple des cellules souches montre que le défi concerne moins le statut de l’embryon que les règles du jeu à imposer à la communauté scientifique et à l’industrie « bio-tech ». Ces règles portent désormais sur la gratuité, sur l’accès aux connaissances, sur la brevetabilité, sur la protection des données et des personnes, règles qui peuvent traditionnellement être traitées par le droit. NOTE 1. Nous avons gardé résolument le mot anglais commons car la notion de biens communs recouvre une acception moins « juridique » (Bourcier, 2009). R ÉFÉR ENCES BIBLIOGR APHIQUES BOURCIER, D., « Droit, administration et technologies de l’information et de la communication », in GANASCIA, J.-G. (dir.), Communication et connaissance, supports et médiations à l’âge de l’information, Paris, CNRS Éditions, 2006. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 167 BOURCIER, D., « Digital Commons Works : Thinking governance », in BOURCIER, D., CASANOVAS, P., DULONG DE ROSNAY, M., MARACKE, 167 27/07/10 16:28 Danièle Bourcier C. (dir.), Intelligent Multimedia. Sharing Creative Works in a Digital World, Florence, European Press Academic Publishing, 2009. INSTITUT PASTEUR, Technology Transfer. Matériel biologique, 2010. En ligne sur <http://www.pasteur.fr/ip/easysite/go/03b-000012-005/ produits-et-services/materiel-biologique>. OSTROM, E., Governing the Commons. 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Dès la naissance d’arXiv.org, archétype des sites d’archive de documents en libre accès, destiné aux besoins de la PHÉ mais ouvert aussi à d’autres disciplines, celui-ci a pris aussitôt une place importante, au point de proposer environ 97 % du contenu des grandes revues de PHÉ en prépublication (Gentil-Beccot et al., 2009). Les articles sont en conséquence cités davantage, cinq fois plus que les articles de revues « classiques » (ibid.). La diffusion avant publication explique cet avantage : grâce à leur disponibilité en pre-print, les articles en PHÉ récoltent des citations avant leur parution en revue, près de 20 % dans les deux ans avant publication. De même, on estime qu’un article a quatre à huit fois plus de chances d’être téléchargé sous sa forme pre-print sur arXiv que sous sa forme finale sur le site Web de la revue (ibid.). L’engouement pour le libre accès ne se dément pas : dernier coup d’éclat en date, les équipes internationales qui collaborent autour de l’accélérateur LHC du CERN, regroupant plus de 8 000 chercheurs de 50 pays, ont décidé de ne publier que dans les revues en libre accès. L’adoption du libre accès a un bénéfice immédiat pour les auteurs, sans passer par l’obligation de HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 169 dépôt (mandate) ni par des débats incessants. La PHÉ dessine donc un avenir possible de la communication scientifique, profitable pour les chercheurs, et rompant avec plus de trois siècles de tradition centrée sur les revues scientifiques. Si les revues à comité de lecture ont perdu leur rôle de plate-forme d’échanges, que remplit désormais arXiv, elles conservent toutefois un rôle indispensable de reconnaissance entre pairs, en toute indépendance, nécessaire dans ce domaine et pour la communauté mondiale. De plus, l’évaluation des établissements de recherche et des (jeunes) chercheurs repose largement sur de prestigieuses revues à comité de lecture, véritable « interfaces avec la sphère officielle » de la discipline. Les revues savantes gardent donc leur place. Le modèle SCOAP3 En PHÉ, on constate donc un paradoxe : les bibliothèques achètent des abonnements à des revues à peine lues par les chercheurs, qui utilisent désormais arXiv. Le projet SCOAP3 (Sponsoring Consortium for Open Access Publishing in Particle Physics – Consortium de soutien à l’édition en libre accès en physique des particules) vise à proposer une nouvelle solution aux bibliothèques, aux chercheurs et aux éditeurs. Le projet SCOAP3 est né en 2007, après deux ans de débats entre bibliothèques, agences de financement, organismes de recherche, et éditeurs. Il vise à faire passer au libre accès de grandes revues à comité de lecture. 169 27/07/10 16:28 Le passage au libre accès est facilité par une caractéristique particulière du champ de la PHÉ : la plus grande partie des articles est publiée dans seulement cinq revues (European Physical Journal C, Springer ; Journal of High-Energy Physics, SISSA/ IOP ; Nuclear Physics B, Elsevier ; Physical Review D, American Physical Society ; Physics Letters B, Elsevier). Deux autres revues proposent également des articles en PHÉ, en moins grand nombre : Nuclear Instrument and Methods B, Elsevier ; Physical Review Letters, American Physical Society. Au total, sans que la liste soit close, ces sept revues savantes au moins sont concernées par le projet SCOAP3. SCOAP3 propose un modèle de financement révolutionnaire. Les organismes de financement et les bibliothèques cessent d’acheter des abonnements aux revues et reversent les fonds ainsi dégagés dans les caisses du consortium. Celui-ci se rapproche des éditeurs et rétribue, en échange de la promesse du libre accès ultérieur, la production des articles (c’està-dire la mise en place des comités de lecture et autres prestations éditoriales). À raison de 1 000 à 2 000 par article et de 5 000 à 7 000 articles publiés par an, le budget pour passer au libre accès est fixé à 10 millions d’euros par an. Il est prévu par la suite que SCOAP3 négocie le coût des articles par appels d’offres. Les éditeurs seront invités à soumissionner et fixer eux-mêmes le coût de la validation et des prestations éditoriales. En même temps, chaque revue sera évaluée selon des critères objectifs. Puis les offres reçues seront classées en fonction de leur rapport qualité-prix. Ayant un budget plafonné, SCOAP3 allouera les marchés à autant de revues que possible, par ordre décroissant de rapport qualité-prix, pour couvrir la totalité de la littérature en PHÉ. Les revues hors-budget ne seraient pas ajoutées à ce plan et continueraient à fonctionner comme avant. Bien sûr, les revues 170 Livre-hermes-57.indb 170 passées au libre accès s’engageraient à proposer aux bibliothèques une réduction de prix sur les bouquets d’abonnements correspondant à la partie du financement déjà engagé par SCOAP3. La procédure par appel d’offre de SCOAP3 innove sensiblement par rapport aux modèles classiques. Le prix est lié à la qualité des revues et, en même temps, au prix au volume. Les résultats de l’appel seront publics, gage de transparence. Les articles retenus par SCOAP3 sont définitivement libres d’accès, tout en maintenant les auteurs dans leurs droits. Les éditeurs sont tenus de déposer les articles dans le site Web du consortium. De là, il est possible de les indexer dans les archives institutionnelles. Les établissements pourront stocker de façon transparente et aisée les versions finales des articles publiés par leurs membres, un gain pour les bibliothèques en termes de valorisation des abonnements et des contenus numériques. Financement de SCOAP3 Les coûts de SCOAP3 sont répartis équitablement par pays, selon les taux de publication respectifs (voir figure 1) ; chaque part est relevée de 10 % pour financer par péréquation les chercheurs de pays trop pauvres pour contribuer. Le Consortium SCOAP3 est encore en phase de construction. La plupart des pays européens se sont déjà engagés, ainsi que les États-Unis, le Canada, l’Australie, Israël et la Turquie. Au total, en 2010, les deux tiers du budget prévu ont été réunis, grâce aux subventions des 23 pays parties prenantes du projet. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Le projet SCOAP3, une révolution en physique des hautes énergies 1% 1% 1% 1% 1% 1% 1% 1% 1% 2% 2% 3% 3% 3% 3% 3% 4% 6% 7% 7% 9% 1% 10 % 24 % 25% 15% 5% Taïwan Suède Mexique Portugal pays-Bas Iran Israël Suisse pologne Corée CERN Inde Brésil Canaa Espagne Russie France Chine Royaume-Uni Italie Japon Allemagne Autres pays États-Unis -5% Conclusion SCOAP3 est un projet ambitieux qui, pour obtenir le libre accès des articles scientifiques en physique des hautes énergies, passe par une collaboration inédite, des établissements de recherche, des bibliothèques et des bailleurs de fonds, au niveau planétaire. Les raisons pour lesquelles le projet remporte un franc succès tient autant à la longue tradition de mise à disposition en libre accès des articles entre les chercheurs de PHÉ qu’à un consensus financier et politique sur la nécessité d’innover en matière de communication scientifique. Les enseignements de SCOAP3 sont inestimables là où nombre d’autres disciplines vont être face à des dilemmes similaires. Salvatore Mele CERN, Organisation européenne pour la recherche nucléaire (texte traduit de l’anglais par Herbert Gruttemeier et Jean-Francois Nominé) Répartition des articles en PHE par pays, moyenne sur 2005-20061 NOTE 1. États-Unis 24,3 % ; Autres pays 9,5 % ; Suède 0,8 % ; Mexique 0,8 % ; Taïwan 0,8 % ; Portugal 0,9 % ; Pays-Bas 0,9 % ; Iran 0,9 % ; Israël 1,0 % ; Pologne 1,3 % ; Suisse 1,3 % ; Corée 1,8 % ; CERN 2,1 % ; Inde 2,7 % ; Brésil 2,7 % ; Canada 2,8 % ; Espagne 3,1 % ; Russie 3,4 % ; France 3,8 % ; Chine 5,6 % ; Royaume-Uni 6,6 % ; Italie 6,9 % ; Japon 7,1 % ; Allemagne 9,1 % R ÉFÉR ENCE BIBLIOGR APHIQUE GENTIL-BECCOT, A., MELE, S., BROOKS, T, Citing and Reading Behaviours in High-Energy Physics. How a Community Stopped HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 171 Worrying about Journals and Learned to Love Repositories, 2009. [arXiv : 0906.5418. 171 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 172 27/07/10 16:28 Morgan Meyer Centre de sociologie de l’ innovation, Mines-ParisTech LES COURTIERS DU SAVOIR, NOUVEAUX INTERMÉDIAIRES DE LA SCIENCE « J’ai une formation assez particulière », me confie Vicky lors de notre entretien. En effet, Vicky a un doctorat en musique et elle a pendant de longues années donné des cours de clarinette et de saxophone – un parcours pour le moins original pour quelqu’un qui travaille aujourd’hui en tant que « knowledge broker » dans une université. Son travail actuel consiste à servir d’intermédiaire entre la recherche et le monde de la santé. Sur son site Web personnel à l’Institute for Health Sciences de l’Université de Leeds, elle est présentée ainsi : « Ce qui passionne Vicky, c’est de s’assurer que la recherche effectuée par les universités parvient là où on en a le plus besoin et que les chercheurs universitaires sont en mesure de communiquer avec un large public. Ses recherches s’emploient à identifier les meilleurs moyens pour y parvenir. » Rendre la science ouverte – le versant « communiquer avec un large public » étant l’un des moyens pour y parvenir – ne veut pas seulement dire rendre les savoirs disponibles. Cela signifie également rendre HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 173 ces savoirs appropriables, exploitables et utilisables. À cet effet, on fait de nos jours fréquemment appel à un nouveau type d’agent comme Vicky : les « courtiers du savoir » (knowledge brokers). Bien qu’ils soient le plus souvent employés dans des universités ou des centres de recherche, ces courtiers ne forment pas (encore) une profession à part. Leur rôle n’est pas celui du documentaliste, archiviste ou bibliothécaire traditionnel, c’est-àdire quelqu’un qui collecte, stocke, conserve, inventorie, gère et rend accessibles des savoirs. Leur rôle est de traduire les savoirs et de servir de lien entre le monde de la recherche et ses usagers ; d’ouvrir, en quelque sorte, la science à ses usagers et les usagers à la science. Ces deux dernières décennies ont vu la démultiplication de ces intermédiaires et des espaces dédiés à l’intermédiation des savoirs1 avec des formats différents : les boutiques des sciences, lieu de « courtage » entre le milieu académique et différents groupes sociétaux (Wachelder, 2003) ; les offices de transfert de technologie dont la vocation est de faire le lien entre les 173 27/07/10 16:28 Morgan Meyer universités et l’industrie (Vogel et Kaghan, 2001) ; les Research Councils (conseils de recherche) anglais, qui servent d’intermédiaire entre le monde scientifique et le monde politique, et qui mobilisent, traduisent et recadrent les priorités en matière de politique de recherche du gouvernement (Kearnes et Wienroth, 2009 ; Bielak et al., 2008). On pourrait même concevoir le journalisme scientifique comme une variété de ce courtage. Le présent article porte plus spécifiquement sur un terrain particulier : le courtage dans le domaine de la santé (CHSRF, 2003 ; Mecheri et al., 2009 ; Ward et al., 2009a, 2009b). Tous ces espaces de courtage font apparaître une tendance plus générale : on assiste non seulement à une démultiplication du nombre d’intermédiaires, mais aussi à une institutionnalisation, à une professionnalisation, une formalisation et une diversification croissante des activités et lieux de courtage. Un médiateur se caractérise avant tout par le mouvement (Osborne, 2004, p. 440) : les médiateurs et les intermédiaires se déplacent constamment2. Et c’est en se déplaçant qu’un intermédiaire accomplit son travail, qui est, en fait, triple : mettre en circulation les savoirs ; les traduire et les transformer ; en fin de compte, les rendre plus robustes3. Le produit final de cette mise en circulation et traduction du savoir est la production d’une nouvelle forme de savoir, le « savoir brokerisé » : un savoir qui a été dé- et ré-assemblé ; un savoir rendu plus résistant, plus utilisable ; un savoir qui doit servir localement à un moment donné (Meyer, 2010). On conçoit ordinairement le mouvement et le positionnement de ces courtiers du savoir comme ceux d’un « entre-deux », occupant un espace interstitiel entre deux mondes (Bielak et al., 2008 ; Lomas, 2007 ; Schaffer et al., 2009 ; Shinn, 2002). Toutefois, comme on va le voir, si on suit de près le travail d’un courtier, on s’aperçoit vite que les déplacements effectués et imaginés par ce courtier sont bien plus complexes et multiformes qu’un simple va-et-vient entre deux mondes. L’objectif de cet 174 Livre-hermes-57.indb 174 article est donc, en se basant sur les descriptions et les métaphores que mobilisent les courtiers eux-mêmes, de rendre compte de la géographie du travail des courtiers du savoir et d’élucider ainsi les trajectoires et « politiques de positionnement » (De Laet, 2002) en jeu dans l’intermédiation du savoir. Écouter, articuler, formaliser Rejoignons à nouveau notre protagoniste du début. Vicky travaille à l’Institute of Health Sciences de l’Université de Leeds, un institut de recherche dans le domaine de la santé, qui offre des formations professionnelles et des programmes pédagogiques visant à améliorer les soins. Avec deux collègues (ci-dessous dénommés A. et S.), elle s’est lancée entre 2007 et 2010 dans un projet de courtage du savoir. Ce projet les a amenés à travailler avec trois équipes d’un service de santé mentale qui cherchaient à utiliser des résultats de recherche pour la planification, l’exécution ou l’évaluation de leurs services. Il faut préciser que les trois opérations de courtage avec ces trois équipes ont eu des buts assez différents : mettre en œuvre des mesures des résultats obtenus à travers des services ; mieux prendre en compte les besoins en matière de santé des clients ; fournir des informations et des conseils à des collègues sur les façons d’offrir une gamme de thérapies psychologiques. Comme elle l’explique dans une de ses publications, Vicky a joué le rôle de courtier du savoir avec ces trois équipes pour « aider les participants à identifier, affiner et recadrer les enjeux, questions et besoins essentiels ; trouver, synthétiser et transmettre des résultats de recherche pertinents et d’autres preuves ; trouver des experts adéquats pour informer et assister les participants ; faciliter des interactions et servir de médiateur entre les participants et les experts pertinents ; et trans- HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Les courtiers du savoir, nouveaux intermédiaires de la science férer des compétences comme la recherche d’informations aux équipes » (Ward et al., 2009a, p. 4). On voit donc que le courtage du savoir implique une multitude de pratiques : identifier et localiser des savoirs, les redistribuer et les disséminer, les redimensionner et les transformer (Meyer, 2010). Concentrons-nous d’abord sur le premier point mentionné : l’identification, l’affinage et le recadrage de problèmes et de besoins. Vicky explique que dans un premier temps : « Il s’agit d’être réactif […]. Il s’agit essentiellement de trouver quels sont les besoins et d’être en mesure de répondre à ces besoins […]. Il faut écouter […] Je leur ai dit : Je ne sais rien au sujet des soins. Je ne viens pas de ce milieu, vous devez m’expliquer comment ça marche. Et effectivement cela a permis de les faire articuler leurs besoins beaucoup plus clairement qu’ils ne l’auraient fait autrement. » C., qui a participé au projet, confirme : « Vicky a été très bonne pour écouter et essayer de comprendre ce dont nous avions besoin. Et elle n’a pas seulement écouté, elle a ensuite essayé de formuler les choses. » Écouter, essayer de comprendre les besoins, aider à formuler… voilà des pratiques qui visent à poser ou, mieux, à faire poser un problème. Par exemple, pour une des équipes, il fut décidé de se concentrer sur deux questions essentielles : comment pouvons-nous évaluer les besoins en matière de santé de nos clients ; comment d’autres équipes en santé mentale essayent-elles de répondre à ces besoins ? Dans un premier temps, on s’efforce donc d’expliciter, d’extérioriser, de décrire, de cadrer, de cerner et de décomposer un problème. Ce travail d’articulation et de cadrage est absolument nécessaire pour toute personne impliquée dans la production et la circulation de savoirs ; tout producteur de connaissances doit procéder à un cadrage du monde afin de produire – au moins temporairement – un espace défini et délimité contenant des objets d’intérêt stables (Meyer, 2007). Co(m)-poser un problème n’est toutefois pas une HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 175 fin en soi, il faut que ce problème devienne « intéressant ». Le but est de construire un « doable problem » (un problème faisable) [Fujimura, 1987], un problème qu’on peut maintenant aborder, auquel on peut s’attacher et à partir duquel on peut planifier et coordonner des activités ultérieures. Catalyser : travailler entre et à côté de… Dès lors, le va-et-vient incessant du courtier se met en route. Pour une des équipes, le courtier a contacté d’autres équipes anglaises qui travaillent dans le même domaine, fait des recherches dans la littérature académique et sur Internet, écrit un résumé court et « userfriendly » sur les informations collectées, identifié un questionnaire développé par une des principales organisations en santé mentale (qui fut par la suite implémenté), encouragé l’équipe à partager leurs expériences dans leur organisation et au-delà. Comme on vient de le voir plus haut, le courtier s’efforce donc de « faciliter des interactions » et « servir de médiateur ». Mes interlocuteurs ont décrit le rôle du courtier du savoir comme « faisant des aller-retour » (V.), « une tierce partie qui regarde des deux côtés » (A.), « un traducteur et un conduit entre ces différents mondes » (S.). Le courtier est donc décrit comme quelqu’un qui travaille entre deux mondes ; qui sert de relais, de pont, de passerelle. En outre, en y regardant de plus près, on repère aussi d’autres sortes de mouvements. Un courtier travaille également à côté de certains acteurs : – « Et si vous voulez faire en sorte que la recherche puisse être utilisée, vous devez effectivement travailler aux côtés des gens qui vont l’utiliser. » (V.) 175 27/07/10 16:28 Morgan Meyer – « Être capable de marcher aux côtés des personnes et de les coacher, mais en n’ayant pas besoin d’affirmer une domination hiérarchique sur eux […]. Le courtage du savoir efficace implique de jouer le rôle de coach. Il s’agit de comprendre le contexte. Il s’agit d’écouter et de comprendre où les gens veulent aller et ensuite de marcher à leurs côtés. » (S.) Travailler « aux côtés de » signifie que, « au lieu de superviser et d’observer les gens et de faire des choses pour eux, il faut être avec eux et faire des choses avec eux […]. Un soutien de ce type est à la fois plus satisfaisant et plus valorisant pour les personnes si on le fait en travaillant, en décidant, en faisant avec eux » (Perkins et Repper, 1999). Si travailler « à côté de » suppose une proximité certaine entre acteurs, cette image implique aussi un certain écart, si petit soit-il. Vicky décrit d’ailleurs ses interventions comme « des connaissances que vous amenez ensuite vers une équipe, qui s’intègrent ensuite à leurs propres connaissances et qui sont en quelque sorte assimilées, ou qui peuvent être pondérées […]. C’est en fait un catalyseur […]. Le courtage est un catalyseur pour le transfert des connaissances. En fait le courtage est ce catalyseur, mais les produits de courtage que vous apportez peuvent aussi agir comme un catalyseur ». En chimie, un catalyseur est défini comme une substance qui participe à une réaction (et en augmente ou diminue la vitesse) tout en étant régénéré à la fin de cette réaction. Dans le cas étudié ici, ce sont les activités de courtage et les savoirs mobilisés par le courtier, qui sont censées déclencher et entraîner – c’est-à-dire catalyser – des processus d’apprentissage, des prises de décision, d’autres intermédiations, etc., tout en transformant potentiellement le courtier4. 176 Livre-hermes-57.indb 176 Délier et éloigner Le travail intermédiaire et contigu fait appel à tout un éventail de pratiques et de techniques, telles que échange de mails, production de documents, coups de téléphone, organisation de réunions, recherche de littérature dans des bases de données et sur Google, identification d’experts, synthèse de textes… la liste est longue (et mériterait un papier à lui tout seul). Ceci étant, le courtage est une activité qui, dans notre cas, prend fin à un certain moment. Vicky explique : « En fait ce que j’avais tendance à faire c’était des aller-retour et puis sortir du champ. Et les laisser faire eux-mêmes. En fait, une grande partie de mon rôle était de me rendre redondante. Je pense que le courtage du savoir, c’est se rendre soi-même redondant. [Rires] […] La présence d’un courtier du savoir est un bon coup de départ, mais il n’a pas besoin d’être là tout le temps. Car, en fait, il faut que cela devienne autonome. » Selon un des participants du projet (C.), le courtier doit aider à ce que les gens « soient capables à l’avenir de faire ce genre de travail [eux]-mêmes ». Tout comme un catalyseur, que l’on sépare du milieu réactionnel après une réaction chimique, le courtier se délie des acteurs qu’il vient d’accompagner (le mot catalyse vient du grec katalÚein et signifie dissolution). La double stratégie de l’attachement et du détachement (Callon, 1999) prend une forme bien particulière ici : le courtier du savoir est bien conscient que le courtage est une activité délimitée dans le temps et que sa relation avec les autres acteurs passe par des stades différents d’attachement et de détachement. Si au début et au cours du projet, Vicky tenait à entrer en contact avec les scientifiques, à construire des relations de confiance, à rassembler des gens, la fin du projet et, surtout, son succès sont marqués par son détachement. Comme si la présence du courtier était devenue gênante et qu’il lui faut « sortir du champ ». De telles « disparitions », il HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Les courtiers du savoir, nouveaux intermédiaires de la science Vue schématique du courtage du savoir. faut le noter, sont « les traces sûres de l’intermédiaire » (Delbourgo, 2009). On retrouve aussi ces disparitions à un niveau plus institutionnel, comme le souligne le viceprésident du transfert de connaissances de la Fondation canadienne de la recherche sur les services de la santé : « Nous prévoyons l’obsolescence de notre programmation […]. Nous espérons vraiment qu’on n’aura plus besoin de nous dans le système. » (D.) Conclusion On a vu tout au long de cet article qu’un courtier ne se déplace pas seulement entre deux mondes, mais que ses mouvements sont plus variés, multidimension- HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 177 nels et multiformes. On décèle au moins quatre sortes de trajectoires : dans un premier temps, la volonté et le travail de s’engager dans un projet de courtage ; puis, de se déplacer entre différents mondes et de travailler à côté d’acteurs ; puis, en fin de compte, de les émanciper et de s’en éloigner (voir figure 1). Le courtage fait apparaître un rapport intéressant entre les acteurs, un rapport qui, tout en étant basé sur une proximité, se caractérise aussi par un petit écart. Le courtier se montre courtois : il influence sans imposer, assiste sans diriger, accompagne sans bousculer, indique un chemin sans forcer la marche et, surtout, à la fin du processus, il se détache des acteurs qu’il vient d’accompagner. Le courtage requiert une « connexion participative » (Wenger, 1998) bien particulière, nécessairement temporaire, transitoire et mouvante. 177 27/07/10 16:28 Morgan Meyer Le courtage du savoir est à la fois un lieu et un processus. C’est un taxi et l’acte de conduire un taxi. C’est un intermédiaire entre deux mondes existants et l’action de médiation au bout de laquelle ne se trouve pas un monde existant mais une autre médiation (Hennion, 2007). Le courtier fait donc à la fois de l’intermédiation et de la « prémédiation ». Il sert de conduit entre deux mondes et il conduit vers un nouveau monde. Mais ce monde futur a des contours incertains : on n’est jamais sûr qu’une intervention de courtage sera un succès. Le courtier ne fait qu’accompagner des gens pour les encourager à apprendre, à changer certaines pratiques, à penser différemment. Vicky le sait bien, elle devra attendre encore quelques années avant de pouvoir dire si ses intermédiations ont eu un effet et ont laissé des traces, et si les savoirs qu’elle a mobilisés et transformés ont vraiment « pris ». Un intermédiaire ne peut être qu’un agent « prometteur » (Pollock et Williams, à paraître), un agent qui ne peut qu’évoquer et suggérer un nouveau monde, sans pour autant en garantir la matérialisation. Remerciements Je tiens à remercier Madeleine Akrich, Véra Ehrenstein, Antoine Hennion, Brice Laurent, Cécile Meadel et Katharina Schlierf pour leurs commentaires. Un grand merci à Vicky Ward pour l’entretien et à Marie-Paule Goetzinger pour le schéma. NOTES 1. À vrai dire, la science ouverte (entendue comme accès ouvert) se caractérise aussi par une « désintermédiation », c’est-à-dire par la disparition de certains intermédiaires entre chercheurs (voir l’article de Pierre Mounier dans ce volume). 2. Pour être rigoureux, il faut différencier entre médiation et intermédiaire (voir Hennion 2007, p. 31-2). 4. La comparaison a ses limites : pour une catalyse chimique on connaît les substances finales, dans notre cas (de catalyse et expérimentation « sociale ») on ne les connaît pas tout de suite. D’autre part, Vicky se transforme pendant le processus : elle apprend, se distancie de plus en plus de la définition usuelle de « knowledge brokering » (CHSRF, 2003), etc. 3. Par savoir « plus robuste » je n’entends pas ici « meilleur », mais savoir qui a survécu à de nombreux reality checks, déplacements et transformations. R ÉFÉR ENCES BIBLIOGR APHIQUES BIELAK, A.T., CAMPELL, A., POPE, S., SCHAEFER, K., SHAXSON, L., « From Science Communication to Knowledge Brokering : the Shift from “Science Push” to “Policy Pull” », Communicating Science in Social Contexts, Springer Netherlands, 2008, p. 201-226. 178 Livre-hermes-57.indb 178 CALLON, M., « Ni intellectuel engagé, ni intellectuel degagé : la double stratégie de l’attachement et du détachement », Sociologie du travail, vol. 99, n° 1, 1999, p. 1-13. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Les courtiers du savoir, nouveaux intermédiaires de la science CHSRF (Canadian Health Services Research Foundation), The Theory and Practice of Knowledge Brokering in Canada’s Health System, Ottawa, Canadian Health Services Research Foundation, 2003. OSBORNE, T., « On mediators : intellectuals and ideas trade in the knowledge society », Economy and Society, vol. 33, n° 4, 2004, p. 430-447. 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Nous n’évoquerons ici que les publications, à savoir les documents ayant fait l’objet d’un traitement éditorial qui va de la sélection à l’archivage électronique1 en passant par toutes les étapes de l’édition, de la promotion-communication et de la commercialisation. Aussi partageons-nous le point de vue des partisans du libre accès qui estiment que la publication des résultats de la recherche implique un travail spécifique pour permettre leur valorisation, travail qui diffère de la mise en ligne de résultats, de commentaires ou de contributions bruts. La vocation des éditeurs universitaires a toujours été de diffuser le plus largement et le plus efficacement possible des publications scientifiques et techniques de qualité. Et ils n’ont pas ménagé leurs efforts pour opérer la transition du papier au numérique (la quasi-totalité des publications périodiques françaises en STM et en SHS est aujourd’hui disponible en ligne), en veillant à améliorer la qualité scientifique et à développer de nombreuses fonctionnalités qui facilitent l’accès au savoir. Ils participent ou suivent avec intérêt les expériences en cours, au premier rang desquelles le projet PEER (voir l’article de Laurent HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 181 Romary, ci-dessus) et ils sont favorables à tout partenariat avec les communautés scientifiques. En effet, si de nouveaux modèles économiques ont aujourd’hui été définis puis expérimentés en partie, les modalités concrètes de leur mise en œuvre, voire de leur généralisation, restent incertaines. À cet égard, la position des éditeurs est simple. Les nouveaux modèles doivent impérativement être économiquement viables sur le long terme. Ils ne doivent pas conduire à un affaiblissement des modalités de vérification scientifique, à une diminution de la qualité ou au déclin des publications scientifiques. Ils doivent effectivement favoriser la diffusion de la pensée. Or, aujourd’hui, l’efficacité des différents modèles connus – le libre accès « or » 2 et le libre accès « vert » 3 – mérite certainement une analyse plus approfondie en termes de risques et d’avantages. Comme nombre d’acteurs du libre accès, les éditeurs pensent que les conditions ne sont pas, et ne seront peut-être jamais réunies, pour que le libre accès « or » devienne, au niveau international, le modèle économique dominant de mise à disposition des publications scientifiques. Quelles sont les incertitudes pesant sur un basculement des modèles économiques actuels vers un modèle fondé sur le libre accès « or » ? Nous prendrons trois exemples, parmi ceux identifiés à ce jour. Le premier risque est celui de la sous-estimation des financements en amont que ce modèle suppose. Les pouvoirs publics peuvent-ils assurer les coûts de publication de tout ou partie des revues et des ouvrages scientifiques et techniques de manière pérenne ? Une étude du Research Information Network britannique montre ainsi que, 181 27/07/10 16:28 Groupe des éditeurs universitaires du Syndicat national de l’édition (SNE) alors qu’en 2007 le Royaume-Uni produisait 6,6 % des articles scientifiques publiés mondialement, la puissance publique n’y prenait à sa charge que 3,5 % du montant mondial des abonnements universitaires4. Il est hautement probable que la plupart des pays européens, dont la France, se trouvent dans une situation comparable. Peut-on augmenter à ce point les budgets concernés ? Un second risque concerne les acteurs de l’édition scientifique : maisons d’édition, sociétés savantes, presses universitaires. De leur diversité dépend celle des publications, tant de leur nature que de leur contenu. Or l’extension du modèle du libre accès « or » peut aboutir à la concentration des acteurs, en déplaçant les circuits financiers des utilisateurs ou clients vers les organismes scientifiques ou les auteurs et, par conséquent, à une perte de diversité et de liberté pour les chercheurs. Un troisième risque concerne la période de transition et les modalités de cohabitation de plusieurs systèmes. Les exemples qui précèdent ne doivent cependant pas conduire à condamner le modèle du libre accès « or », qui a le mérite majeur de prendre en compte la question du financement des activités éditoriales. Mais il ne peut être mis en œuvre, pensons-nous, qu’avec de fortes différences notamment par discipline, par pays et par nature de publication. Les éditeurs en sciences humaines et sociales (SHS) sont parmi les plus prudents sur ce point . L’autre modèle principal du libre accès est le libre accès « vert », le dépôt des contributions scientifiques en archives ouvertes, tel qu’il est promu en France par les organismes de recherche contribuant au site d’archives HAL. De nombreux éditeurs affichent, certains depuis quelques années déjà, des politiques tenant compte de cette demande des milieux scientifiques. D’autres réfléchissent activement à 182 Livre-hermes-57.indb 182 certaines formules innovantes. Mais le sujet demeure difficile et nécessite un partenariat très étroit entre les organismes de recherche et les éditeurs, afin de combiner efficacement les conditions nécessaires à la poursuite et au développement des activités d’édition d’une part, et celles qui faciliteraient un dépôt par les auteurs d’autre part. En l’état actuel de notre réflexion, quelques points nous semblent acquis. Les règles présidant au dépôt (durée de l’embargo, nature du document déposé, etc.) doivent être définies par l’éditeur, en concertation avec les communautés scientifiques et en considération des disciplines concernées, et non de façon générale et indifférenciée. De même, doit-on tenir le plus grand compte de la nature et des conditions d’équilibre économique des publications concernées. En outre, les éditeurs sont clairement défavorables à toute obligation générale qui serait faite aux chercheurs de déposer les articles dans telle ou telle condition de temps ou de lieu sans paiement correspondant des activités éditoriales. Il s’agit ici, en somme, de conserver à l’éditeur le pilotage de son activité, ce qui est absolument indispensable à la poursuite des publications dans les conditions de viabilité et de qualité souhaitées, tout en mettant en place un cadre durable de relations avec les organismes de recherche. C’est pourquoi les éditeurs sont partie prenante du projet de création d’un site d’information, à l’image du site anglais Sherpa-Romeo, sur lequel ils afficheront leurs politiques de dépôt. Les éditeurs voient dans ce projet la première étape d’une collaboration renouvelée, féconde et approfondie avec les communautés scientifiques. le Groupe des éditeurs universitaires du Syndicat national de l’édition (SNE) HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Le point de vue du Syndicat national de l’édition (SNE) NOTES 1. Les livres sur support papier sont avant tout archivés par les dépôts légaux et les bibliothèques, les éditeurs universitaires ne veillant pas nécessairement à constituer une bibliothèque de référence ou à conserver les derniers exemplaires d’un ouvrage bientôt épuisé. En revanche, les ouvrages sur support numérique sont archivés par les éditeurs, ceux-ci intégrant souvent l’ensemble de leur fonds à leur offre numérique. 2. Le « green open access » désigne un modèle de diffusion de l’information scientifique et technique dans lequel les chercheurs déposent dans des archives ouvertes des versions « pre-print » ou « post-print » de leurs articles soumis ou publiés dans des revues scientifiques. Selon la classification STM, on entend par « pre-print » le manuscrit de l’au- HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 183 teur, tel que soumis pour publication, et par « post-print » le manuscrit final de l’auteur, accepté pour publication par une revue, et incluant toutes les modifications requises à l’occasion du processus de révision par les pairs. 3. Activities, costs and funding in the scholarly communications system in the UK (mai 2008). Mentionnons également, du même organisme, E-Journals : Their Use, Value and Impact (avril 2009). 4. Voir la récente étude sur le passage au libre accès « or » pour huit revues américaines en sciences humaines et sociales, qui conclut qu’il serait extrêmement difficile de mettre en place ce système dans les SHS : <http://www.marywaltham. com/humanitiessocialsciencesreport.pdf>. 183 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 184 27/07/10 16:28 VARIA coordination, Michel Durampart Charline Leblanc-Barriac Paul Rasse Michel Wieviorka Livre-hermes-57.indb 185 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 186 27/07/10 16:28 Charline Leblanc-Barriac et Paul Rasse Laboratoire I3M (Information, Milieux, Médias, Médiation) Université de Nice Sophia-Antipolis LES ENSEIGNANTS-CHERCHEURS FACE AUX MUTATIONS DE LEUR ENVIRONNEMENT DOCUMENTAIRE La maîtrise de la documentation écrite, ce que Yves Jeanneret (2008) appelle la « culture du texte », est une prérogative, un savoir autant qu’un savoir-faire, caractéristique des milieux universitaires et, plus précisément, du monde de la recherche. Cette compétence est bouleversée par la digitalisation et l’inflation des documents scientifiques. Pensez : 16 000 revues publient chaque année un bon million d’articles, tous stockés dans des banques de données accessibles depuis n’importe quel ordinateur, auxquels s’ajoutent la multiplication des autres sources d’information possibles relayées par Internet et la diversité des médias (Claessens, 2009). Tandis que la facilité avec laquelle les connaissances circulent contribue concomitamment à accélérer les processus de leur obsolescence et donc la nécessité de les réactualiser toujours plus fréquemment. Les bibliothèques universitaires (BU) avaient jusque-là un rôle fondamental de panoptique des savoirs académiques. Elles constituaient un dispositif, indis- HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 187 pensable, incontournable, matérialisé dans la pierre et le béton, pour rassembler, organiser, conserver, donner à voir aux enseignants-chercheurs les livres et les revues dont ils avaient besoin pour leurs travaux. La digitalisation des supports papiers, leur mise à disposition toujours plus rapide dans des banques de données virtuelles toujours plus vastes et plus ouvertes, accessibles de n’importe où, bouleverse la fonction des BU, les obligeant à réagir vite pour rester dans le jeu. Aussi s’efforcentelles de s’adapter au changement ; mieux, pour les plus audacieuses, de l’anticiper et d’y contribuer, de redéfinir leur mission, d’actualiser la formation de leur personnel, d’inventer et de proposer aux chercheurs de nouveaux services… Et c’est dans cette perspective, qu’avec l’Urfist Paca, elles ont impulsé et financé la recherche dont nous présentons ici les premiers résultats. Cette étude s’efforce d’appréhender la façon dont le chercheur s’approprie les nouvelles possibilités d’accès à l’information en fonction de cultures informationnelles 187 27/07/10 16:28 Charline Leblanc-Barriac et Paul Rasse propres à chaque grand champ disciplinaire. En effet, l’une de nos hypothèses fortes repose sur la distinction des pratiques et des cultures des chercheurs en sciences formelles et non formelles. L’enquête qualitative a été élaborée à partir d’interviews réalisées à l’aide d’un questionnaire semi-directif auprès d’un échantillon de population représentatif de la diversité des chercheurs (âge, sexe, discipline, statut) des universités de Nice, Toulon et Marseille. L’analyse du corpus discursif, ainsi recueilli, s’est faite au moyen d’une grille thématique conçue de telle manière qu’elle puisse renseigner sur le profil du chercheur, son statut professionnel, ses habitudes de travail et ses relations à l’information et à la recherche d’informations. Une approche cognitive, intuitive, des nouveaux outils d’accès à l’information Tous les chercheurs interrogés utilisent régulièrement Internet ; la moitié d’entre eux affirment se servir des services des BU en ligne (catalogues) ainsi que des revues numérisées ; mais dans tous les cas, les pratiques traditionnelles, anciennes, persistent. La plupart des spécialistes interviewées, quelle que soit leur discipline, consultent en ligne et lisent sur papier. Ils impriment le document dès que celui-ci leur paraît important. Ils manifestent un réel besoin de contact avec le support d’information. En définitive, tout le potentiel des nouveaux outils d’accès à l’information n’est pas exploité. Il est réduit, pour l’essentiel, en une sorte de portail d’accès au document papier. Les possibilités de la plate-forme de consultation, les hyperliens sur Internet qui, en associant les mots-clés permettent d’améliorer et accélérer l’accès à l’information, ne sont pas ou très peu utilisés. Les outils 188 Livre-hermes-57.indb 188 d’analyse de corpus documentaires ne sont pas connus (sauf pour quelques chercheurs qui pratiquent depuis toujours les méthodes d’analyse de discours) ; il n’est jamais fait allusion à ce type de ressource. Autrement dit, la pratique des chercheurs et apprentis-chercheurs reste pauvre, bien en deçà des potentialités offertes par les nouveaux dispositifs de documentation. Parallèlement à l’énumération des outils habituellement utilisés, les sujets précisent encore qu’ils connaissent les ressources en ligne des BU : ils consultent les catalogues numérisés et utilisent des moteurs de recherche Intranet liés à leur domaine de spécialité. Ils ont l’habitude de naviguer sur les univers virtuels. Mais cette navigation reste, telle sa définition, en surface. Le moteur favori de tous les chercheurs interrogés est incontestablement Google. Plus rarement, et cela dépend des disciplines, certains utilisent des moteurs de recherche spécialisés propres à leur domaine d’activité. D’autres, principalement les chercheurs en sciences formelles, attachent un grand intérêt aux données diffusées au sein de leur propre communauté scientifique. Le chercheur est d’abord confronté à un flux croissant d’informations qu’il dit devoir apprendre à gérer. C’est là un des principaux enjeux de l’appropriation des ressources mises à sa disposition. La possibilité d’élargir indéfiniment le nombre de données le contraint à une sélection rigoureuse. Le tri et le classement de l’information en ligne : savoir organiser, pouvoir interpréter, sollicite des compétences spécifiques, acquises dans l’expérience des outils, en mobilisant et en adaptant l’expérience antérieure, en sollicitant les conseils de collègues plus expérimentés, et plus exceptionnellement lors de formations pratiques. L’obligation de « se débrouiller », de faire évoluer son expérience, de la maintenir tant bien que mal à jour, explique le manque d’enthousiasme pour la plupart des nouveaux outils et nouvelles ressources dont l’apprentissage moins intuitif nécessiterait de passer par un apprentissage formel. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Les enseignants-chercheurs face aux mutations de leur environnement documentaire Les personnes interrogées sont en attente, disentelles, d’une globalisation des sources numérisées (revues, ouvrages, articles…) et de moteurs de recherche plus performants permettant un tri croisé par discipline, et au sein même des disciplines. Elles ont l’intuition des possibilités de perfectionnement des outils de recherche informationnelle, d’approfondissement de leurs performances. De même, elles ont une conscience des possibilités offertes par les nouvelles plates-formes de diffusion des connaissances, et de la mission qui revient au chercheur de les développer, de les alimenter autant que de les utiliser. Une culture disciplinaire Nous avons pu observer que les représentations des chercheurs varient profondément en fonction du champ disciplinaire auquel ils appartiennent. En effet, selon qu’ils font partie des sciences humaines et sociales (SHS) ou des « sciences dures », ils ont une culture spécifique, une conception de leur métier et de leur statut propre à leur champ disciplinaire. Bourdieu et Passeron (1972) remarquaient que ce qui distingue les sciences dures des sciences humaines tient à la matérialité du laboratoire, aux frontières qu’il trace entre le dedans et le dehors ; elle définissent strictement le champ d’étude et les données expérimentales que produisent les chercheurs, alors que le sociologue habite le monde qu’il étudie. Cette distinction s’exprime dès le début des carrières universitaires. Ainsi dans les sciences de la nature, un individu se considère chercheur dès lors qu’il intègre la seconde année des Masters spécialisés en recherche. Contrairement aux sciences humaines et sociales où le chercheur ne se considère comme tel qu’au moment où il atteint un statut académique dans l’institution, le plus souvent à son accession au premier poste titulaire. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 189 Au-delà de la place du chercheur dans sa propre communauté, la façon de mener des recherches est elle aussi influencée par la culture disciplinaire. La documentation des sciences formelles passe pour l’essentiel par des revues, certifiées par les dispositifs académiques, hiérarchisées par la bibliométrie. Les plus réputées constituent un cœur de revues incontournables, auxquelles s’ajoutent en fonction de l’ultra-spécialisation du chercheur et de l’actualité des revues plus confidentielles, des articles en pré-publication (working paper), mais susceptibles de contenir des informations importantes pour les études en cours. Autrement dit, les chercheurs utilisent presque uniquement des données issues d’études réalisées au sein de leur communauté scientifique et validées par elle. Les travaux récents de Bégault (2010) sur les pratiques de documentation et de publication des chercheurs en sciences de l’ingénieur le confirment : dans cette discipline, « le chercheur se réfère seulement à quatre ou cinq revues “phares”, qui pour lui sont incontournables ». Par opposition, les sciences informelles, de par la nature et le contenu même de leurs recherches, se doivent d’adopter une démarche d’ouverture sans restriction sur le monde environnant. Quand nous avons interrogé les universitaires sur leurs sources d’information, les chercheurs appartenant aux sciences dures ont cité spontanément une liste de revues auxquelles ils se référent, alors que les autres ont rarement cité de références, ou ont précisé qu’ils utilisaient certaines sources parmi tant d’autres, sans restriction. Et cela corrobore les observations d’Araskiewiez et al. (2008) sur la sérendipité, sur la pratique en SHS d’une approche informelle, hasardeuse, intuitive, de toutes les sources d’information possibles. D’autres études ont par ailleurs montré que si les chercheurs en sciences humaines lisent assez régulièrement les revues de leur discipline, ils les citent plus rarement et privilégient davantage le document traditionnel par excellence 189 27/07/10 16:28 Charline Leblanc-Barriac et Paul Rasse qu’est le livre. On peut en conclure qu’ils ont tendance à moissonner assez librement toutes les informations possibles sur leurs problématiques de recherche, pour ensuite, les retravailler, les mettre en forme, les utiliser pour leurs démonstrations et leurs publications ; en les resituant au sein d’un corpus de connaissances formelles, légitimes, médiatisées par les supports académiques traditionnels que sont les revues et les livres sous format papier et/ou électronique. Ce processus qui consiste à discipliner les savoirs est caractéristique des SHS. Rigaudière (2010) à propos de la musicologie, ou Ségur (2010) au sujet de la réception télévisuelle, montrent bien qu’il est lié à l’histoire des revues savantes et bien antérieur à leur numérisation. R ÉFÉR ENCES BIBLIOGR APHIQUES ARASKIEWIEZ, J., GALLEZOT, G., ROLLAND, M., « La recherche floue », in BROUDOUX, E., CHARTRON, G. 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Un outil reposant sur un concept suffisamment original pour mériter d’être présenté dans ces colonnes. La naissance d’un projet Le Comité exécutif (CE) d’une grande association comme l’Association internationale de sociologie, l’AIS (quelque 4 000 membres) est l’instance qui organise son bon fonctionnement et prend les décisions qui préparent l’avenir. Ses réunions ne sont pas toujours exaltantes, car il doit régler toutes sortes de problèmes dont la plupart n’ont rien de scientifique et dont beaucoup appellent des discussions longues et fastidieuses. Du coup, la tendance spontanée est plus à régler ces problèmes, nombreux et souvent vitaux, qu’à innover et réformer en profondeur. La vingtaine de membres qui composent HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 191 le CE n’ont guère le temps d’engager des débats sur le fond, et c’est bien regrettable : ces chercheurs reconnus, qui viennent du monde entier et se retrouvent une fois par an, discutent alors pendant trois jours de tout, sauf de leur vie intellectuelle ! Simple membre de ce CE de 2002 à 2006, je m’y étais suffisamment ennuyé pour, une fois élu président de l’association, désirer introduire un souffle nouveau dans son mode de fonctionnement. Et j’avais de plus une visée politique, le souci de mettre en œuvre de véritables changements. C’est pourquoi à Recife, j’ai proposé la création d’une dizaine de task forces, des groupes de travail placés sous la responsabilité d’un membre du CE et chargés chacun d’un dossier important. Par exemple, renforcer notre démocratie interne. Ou bien encore, convaincre nos collègues chinois de rejoindre notre organisation (un problème diplomatique : Taïwan étant l’une de nos associations affiliées, la Chine continentale se refusait à demander son affiliation). L’une de ces task forces avait pour mission de réfléchir au lancement d’une série d’ouvrages à prétention encyclopédique, s’appuyant sur le travail de nos comités de recherche (une bonne cinquantaine, s’intéressant chacun à un domaine particulier de la sociologie). Je venais d’expliquer ce 191 27/07/10 16:28 Michel Wieviorka projet lorsqu’un collègue hollandais, Bert Klandermans, fit remarquer qu’Internet nous permettait d’envisager de développer un projet en ligne, présentant l’avantage d’autoriser des mises à jour en temps réel, là où une encyclopédie classique, sur papier, ne peut offrir que des textes datés. L’idée était si séduisante que le soir même, je réunissais quelques amis, dont Bert bien sûr, pour commencer à la préciser et à définir les grandes lignes d’un projet tangible. Robert Rojek, représentant les éditions Sage, avec lesquelles l’AIS entretient des rapports étroits, s’est immédiatement déclaré enthousiaste, et en un an Sociopedia était conçue. L’initiative en fut validée en mars 2008, lors de la rencontre annuelle du CE de l’association. À cette occasion, des collègues japonais m’apprirent qu’un des leurs, Kenji Kosaka, avait développé un projet assez proche, et je lui proposais dans les mois suivants de rejoindre le collège des « fondateurs » de Sociopedia. Un concept nouveau Sociopedia publie des entrées relativement longues, de l’ordre de 6 000 à 7 000 mots, qui se présentent comme l’état de la question traitée, tout en laissant une certaine place aux orientations personnelles des auteurs. Chaque entrée comporte systématiquement un résumé (en anglais, français et espagnol) et des motsclés, et elle est rédigée en veillant à ce que les principales approches concernées soient toutes présentées, que des données empiriques soient le plus possible mobilisées et passées en revue, enfin que les recherches les plus récentes soient évoquées. Les références bibliographiques doivent être très soignées et une liste annotée de lectures complémentaires doit être proposée. Les textes sont publiés obligatoirement en anglais, et, de façon facultative, en français et en espagnol, les deux autres langues officielles de l’AIS. Ils sont soigneusement 192 Livre-hermes-57.indb 192 édités, ce qui distingue Sociopedia des « wiki », avec un dispositif qui s’apparente à celui d’une revue avec comité de rédaction. Des lecteurs sont sollicités, au moins deux par entrée, qui demandent d’éventuelles corrections ou améliorations, et la maison d’édition Sage effectue ellemême un travail professionnel sur les textes. Il est prévu de publier jusqu’à 50 entrées par an, et de mettre en place une politique de révision systématique des textes publiés, de façon à ce qu’ils soient mis à jour régulièrement. Si un auteur refuse de mettre à jour son entrée, les éditeurs se réservent le droit de la remplacer par une autre, confiée à un nouvel auteur sur le même thème. Les lecteurs peuvent soumettre des critiques et des suggestions, qui sont transmises aux auteurs, de façon à ce qu’ils modifient éventuellement leur contribution, et à chaque entrée est associée une section de discussion, elle aussi soigneusement éditée par la rédaction. Sociopedia est gratuite pour les membres de l’AIS et fait partie de « bouquets » que les éditions Sage proposent aux bibliothèques universitaires, ce qui veut dire que son contenu sera accessible gratuitement aux publics – notamment étudiants et enseignants-chercheurs – des établissements ayant souscrit un abonnement. Pour le reste, il fonctionnera selon le principe du pay-on-line. Finies, désormais, les encyclopédies encombrantes, avec leurs nombreux volumes, au contenu vite vieilli, jamais mis en débat, et à l’accès nécessairement limité aux lieux où les volumes sont disponibles ! Soutenue par un Comité de parrainage prestigieux, Sociopedia est donc un concept nouveau, qui combine deux caractéristiques essentielles : la rapidité et la souplesse qu’offrent Internet, et la rigueur scientifique de ses procédures, au moins aussi exigeantes que celles des meilleures revues professionnelles des sciences sociales. Elle peut s’appuyer, aussi bien pour la production de ses entrées, que pour leur diffusion, sur les membres individuels de l’association, et surtout sur ses comités de recherche, qui constituent le cœur de sa vie intellectuelle. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 HOMMAGES coordination, Bernard Valade à Pierre Hadot à Claire Blanche-Benveniste Livre-hermes-57.indb 193 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 194 27/07/10 16:28 PIERRE HADOT (1922-2010) LA PHILOSOPHIE COMME Peu médiatisé, discret, Pierre Hadot était reconnu par ses pairs comme un remarquable spécialiste de la « philosophie antique », qu’il a contribué à mieux faire apprécier par des traductions soignées et des commentaires originaux, entraînant un nouveau regard sur une période, pourtant fondatrice mais sur laquelle finalement tout n’avait pas été dit. Cité, aussi bien par André Comte-Sponville que par Michel Onfray, Pierre Hadot est devenu au terme de son œuvre une référence en matière d’art de vivre ; sa présentation des stoïciens et des épicuriens et son attrait pour les « exercices spirituels » en font un philosophe, non pas de bibliothèque, mais du séjour terrestre, une sorte de « sage », qui invite chacun à vivre selon ses propres convictions. Pierre Hadot est né à Paris dans un milieu modeste, il passe son enfance à Reims, dans une ambiance pieuse. Sa mère, catholique très pratiquante, pousse ses trois fils à devenir prêtre, y compris le petit dernier, Pierre, qui abandonnera son sacerdoce en 1952 mais restera marqué par sa formation théologique. Lors de son baccaluréat en 1939, il avait dû commenter une citation de Bergson (« La philosophie n’est pas une construction de système, mais la résolution une fois prise de regarder naïvement en soi et autour de soi »), qu’il adopta et qu’il mentionnera fréquemment comme ayant été un détonateur le HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 195 « ART DE VIVRE » conduisant à consacrer sa vie à la philosophie. Au début de la guerre, il étudie au séminaire, où il apprécie l’Histoire littéraire du sentiment religieux de l’abbé Bremond et la poésie des mystiques, avant d’effectuer le service du travail obligatoire (STO) en France, à l’usine de réparation des locomotives de Vitry-sur-Seine. Là, il devient ajusteur, travaille de ses mains et sympathise avec des ouvriers. Ordonné à l’automne 1944, il est nommé professeur de philosophie au grand séminaire et dans un pensionnat de jeunes filles, tout en poursuivant ses études à l’Institut catholique et à la Sorbonne, où ses professeurs sont Albert Bayet, René Le Senne, Georges Davy, Raymond Bayer, Henri-Charles Puech… Il assiste également à de nombreuses conférences (Gabriel Marcel, Henri-Irénée Marrou, Albert Camus, Nicolas Berdiaev, etc.) et lit Maritain, Gilson, Sartre, Merleau-Ponty et, après bien des tergiversations, décide de s’inscrire en thèse. « J’hésitais, confie-t-il à Jeannie Carlier et Arnold I. Davidson (La Philosophie comme manière de vivre, 2001), entre une thèse sur Rilke et Heidegger, sous la direction de Jean Wahl, et une thèse sur un écrivain néoplatonicien chrétien du IVe siècle de notre ère, très énigmatique, qui est loin d’avoir livré tous ses secrets, Marius Victorinus, sous la direction, officiellement, de Raymond Bayer, mais, en fait, de Paul 195 27/07/10 16:28 Hommages Henry ; je me suis finalement décidé pour Victorinus. » En 1949, il loge au presbytère de l’église Saint-Séverin, et commence à s’interroger sur l’Église (l’encyclique Humani generis du 12 août 1950 condamne Teilhard de Chardin) qu’il quitte en 1952, avant de se marier l’année suivante, puis de divorcer onze ans plus tard… Il travaille alors au CNRS (tout en rédigeant sa thèse qu’il soutiendra en 1968) et fréquente divers « lieux intellectuels » (la revue Esprit et le groupe de recherches philosophiques de Paul Ricœur, le Centre de recherche psychologique d’Ignace Meyerson, le Collègue philosophique de Jean Wahl, où il intervient en 1959 sur Wittgenstein…). En 1963, il rédige un essai pour la collection « La Recherche de l’Absolu », dirigée par Angèle et Georges-Hubert de Radkowski, Plotin ou la simplicité du regard. En 1964, il est élu directeur d’études à l’École pratique des hautes études, section des sciences religieuses, titulaire d’une chaire de Patristique latine. En 1966, il épouse Ilestraut Marten, spécialiste de Sénèque, avec laquelle il traduira Simplicius et écrira Apprendre à philosopher dans l’antiquité (2004). En 1980, Michel Foucault l’invite à candidater au Collège de France ; son présentateur Paul Veyne convainc sans difficulté les autres professeurs. Élu en 1982, il prononce sa leçon inaugurale en février 1983. Questionné sur sa bibliothèque idéale1, il mentionne les Essais de Montaigne, le Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein, les pensées de Marc Aurèle, Plotin et Goethe. « Plotin voulait voir la lumière elle-même, je me contente, écrit-il, de regarder la lumière illuminant les objets, comme Faust contemplait le soleil dans l’arc-en-ciel de la cascade. » À propos de Montaigne, il précise que celui-ci lui « a appris que la réalité humaine est tellement complexe qu’on ne peut la vivre qu’en utilisant simultanément ou successivement les méthodes les plus différentes : tension et détente, engagement et détachement, enthousiasme et réserve, certitude et critique, passion et indifférence. Montaigne est le bréviaire de la 196 Livre-hermes-57.indb 196 philosophie antique, le manuel de l’art de vivre : “C’est une absolue perfection, et comme divine, de savoir jouir loyalement de son être”. » Le long travail, érudit et minutieux, qu’il mène sur Marius Victorinus, ainsi que ses commentaires aux traductions de Plotin ou Marc Aurèle s’apparentent plus à la philologie qu’à la philosophie spéculative. Il cherche à retrouver le ton de l’oralité des dialogues philosophiques. Pour lui, la philosophie antique sert à former plutôt qu’à informer, d’où l’importance de la forme « dialogue », comme argumentation-en-acte. Il reconstitue le contexte historico-culturel de l’auteur, analyse l’œuvre et pas seulement le système supposé du philosophe étudié, etc. Il explique, à Arnold I. Davidson (Pierre Hadot, l’enseignement des antiques, l’enseignement des modernes, 2010) ce qu’il entend par « lecture scientifique » : « Ces textes ont été écrits dans des mondes, des univers extrêmement différents du nôtre. Seule une lecture scientifique peut les replacer dans la perspective de la mentalité générale de l’époque, des traditions littéraires, des dogmes philosophiques qui exigent que l’on dise ceci ou cela. Sans commentaire, les textes ne seront pas compris du tout, ou bien mal compris, ou provoqueront l’indignation, chez un lecteur ou un auditeur imbu de la mentalité contemporaine. C’est donc cette lecture scientifique, qui est elle-même un choix éthique, qui permet dans l’enseignement universitaire de lire des textes qui pourrons avoir une valeur formatrice. » Dans un autre texte, il précise que le mot « confessions » pour saint Augustin signifie « louanges à Dieu » et non pas « introspection » ou « confidences »… Dans ses entretiens avec Jeannie Carlier et Arnold I. Davison (La Philosophie comme manière de vivre, 2001) qui comprend un long développement autobiographique, il expose sa conception de la philosophie, en confiant à ses interlocuteurs : « C’est le problème du philosophe qui, théoriquement, devrait se séparer HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Pierre Hadot (1922-2010) du monde, mais qui en fait doit y rentrer et mener la vie quotidienne des autres. Socrate est toujours resté le modèle dans ce domaine-là. Je pense à un beau texte de Plutarque qui dit justement : Socrate était philosophe, non parce qu’il bavardait avec ses amis, qu’il plaisantait avec eux ; il allait aussi sur l’agora, et, après tout cela, il a eu une mort exemplaire. Donc, c’est la pratique de la vie quotidienne de Socrate qui est sa vraie philosophie. » Plus loin, il explique, avec une certaine humilité : « Ce qui importe, ce n’est pas ce que l’on fait, mais comment on le fait. […] Le présent, c’est le seul moment où nous pouvons agir. » Ainsi, le choix de vie l’emporte sur la sophistication des concepts et l’architecture audacieuse de leur assemblage. Il le dit autrement à Arnold I. Davidson (Pierre Hadot, l’enseignement des antiques, l’enseignement des modernes, 2010) : « Au XXe siècle, Bergson me paraît extrêmement important, parce qu’il conçoit la philosophie avant tout comme un acte, une décision, une attitude à l’égard du monde, et non comme un discours. » Pour Pierre Hadot, à côté de cette philosophie vécue et pas uniquement pensée, se trouvent les exercices spirituels. De quoi s’agit-il ? Il s’en explique à Arnolds I. Davidson : « J’entendais par “exercice spirituel” une pratique susceptible de provoquer une transformation d’ordre existentiel et moral dans le sujet qui la pratique. » En fait, il distingue deux types d’exercices : l’un est ponctuel, comme l’examen de conscience, l’autre « s’identifie avec le choix de vie philosophique », comme chez les stoïciens qui en permanence sont attentifs à eux-mêmes. Cette pratique ordinaire, quotidienne, de l’exercice spirituel, n’est pas nouveau, déjà dans Plotin ou la simplicité du regard (1963), il notait : « C’est là un exercice spirituel bien connu des stoïciens : la “préméditation”. Il faut vouloir à l’avance les événements fâcheux afin de mieux les supporter lorsqu’ils arriveront inopinément. La liberté doit aller au-devant de ce qui risquerait de la contraindre. » HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 197 Son intérêt pour Plotin (205-270), illustre peut-être sa quête d’un Dieu plus accessible que celui des chrétiens. Il écrit : « Nous retrouvons ici l’intuition centrale de Plotin : le moi humain n’est pas irrémédiablement séparé du modèle éternel du moi, tel qu’il existe dans la pensée divine. Ce vrai moi, ce moi en Dieu, nous est intérieur. Dans certaines expériences privilégiées, qui haussent le niveau de notre tension intérieure, nous nous identifions à lui, nous devenons ce moi éternel ; sa beauté indicible nous émeut, et, nous identifiant à lui, nous nous identifions à la Pensée divine elle-même, dans laquelle il est contenu. » Dans Le Voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de Nature (2004), il avoue dès la première ligne de cet ouvrage consacré « aux différents sens que pouvait revêtir la notion de secret de la Nature » qu’il y songe depuis une quarantaine d’années. C’est dire si cet essai résulte d’un long mûrissement… D’autant que l’affaire ne va pas de soi. Il s’agit d’une enquête sur l’interprétation du fameux aphorisme d’Héraclite, « La Nature aime à se cacher », chez les philosophes grecs classiques (Platon, Aristote, les stoïciens), mais aussi chez Philon d’Alexandrie, Thémistius et Symmaque, Descartes, Diderot, Goethe, Schelling, Nietzsche, Bergson, Heidegger… Une telle enquête n’est pas un cours d’histoire de la philosophie, un rien scolaire et souvent ennuyeux, mais une pensée pensante qui rassemble des données puis les commente, les organise, reprend la problématique, bouleverse la chronologie, questionne la question, réexamine l’étymologie, suggère de nouvelles pistes, bref informe, forme et déforme le lecteur. Que voulait bien dire Héraclite ? Certainement que « ce qui fait apparaître tend à faire disparaître ». Est-ce ainsi qu’il a été compris ? On peut en douter, mais cela n’est pas très grave, car l’essentiel est qu’il donne à penser et ainsi permet à chaque philosophe, en se positionnant vis-à-vis de lui, d’élaborer son propre raisonnement. Les uns pencheront vers une nature, entendue comme ce 197 27/07/10 16:28 Hommages qui est propre à chaque chose, d’autres insisteront sur le processus de naissance et de croissance d’une chose et chacun verra Isis, à sa manière, parfois voilée, parfois dévoilée, sachant dans ce cas que la nudité ne signifie pas pour autant la fin du secret… Avec le progrès scientifique, il est possible de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans la Nature mais perd-elle son mystère ? Pierre Hadot malicieusement note qu’en grec méchané signifie « ruse »… Baumgarten dans son Aesthetica en 1750 et, plus tard, Goethe vont évoquer une « vérité esthétique », considérant que le secret de la Nature peut être révélé par l’art davantage que par la science. Merleau-Ponty opposera le problème au mystère et Heidegger, nourri de pensée grecque, expliquera que l’Être dévoile en se voilant. En définitive, Isis n’exprime pas le secret de la Nature mais le mystère de l’existence. Pierre Hadot regroupe des informations sur les représentations de la Nature au fil des siècles, il enseigne à son lecteur l’expérience philosophique et l’incite à penser par lui-même, en ceci qu’il dérange les idées reçues et institue l’étonnement comme mode d’interrogation des choses. Pierre Hadot a beaucoup lu et pas seulement les « classiques » de la théologie et de la philosophie occidentale, il évoque au cours de ses entretiens, aussi bien Tchouang-Tseu ou Thoreau que Simon Leys (Pierre Ryckmans), Henri Laborit, Rilke et Havel… Il rédige une substantielle préface au Nietzsche. Essai de mythologie d’Ernst Bertram (1932) lors de sa réédition, en 1990 par Le Félin, ainsi qu’à l’ouvrage de Juliusz Domanski, La Philosophie, théorie ou manière de vivre ? Les controverses de l’Antiquité à la Renaissance (Cerf, 1996), tout comme il écrit sur Thoreau (Cahiers de l’Herne, 1994) ou répond à la question « Qu’est-ce que l’éthique ? » (Cités, n° 5, PUF, 2001). Pierre Hadot tâchait d’être présent à son présent, aux questionnements de son temps, tout comme il aimait cheminer en compagnie de ses chers philosophes antiques, qu’il nous présente tels des contemporains essentiels… 198 Livre-hermes-57.indb 198 OUVRAGES DE PIERRE HADOT Plotin ou la simplicité du regard, Plon, 1963, nlle éd., Gallimard, 1997. Porphyre et Victorinus, 2 vol., Éditions Augustiniennes, 1968. Apologie de David, par Saint-Ambroise, traduit du latin et annoté par Pierre Hadot, Le Cerf, 1977. Écrits de Plotin. Traité 38 (VI, 7), traduction et commentaire par Pierre Hadot, Cerf, 1988. Écrits de Plotin. Traité 50 (III, 5), traduction et commentaire, par Pierre Hadot, Cerf, 1990. La Citadelle intérieure. Introduction aux “Pensées” de Marc Aurèle, Fayard, 1992. Écrits de Plotin. Traité 9 (VI, 9), traduction et commentaire, par Pierre Hadot, Cerf, 1994. Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Gallimard, 1996. Éloge de la philosophie antique, Allia, 1997. Éloge de Socrate, Allia, 1998. Écrits de Marc-Aurèle pour lui-même, traduction et introduction par Pierre Hadot, Les Belles Lettres, 1998. Études de philosophie ancienne, recueil d’articles, Les Belles Lettres, 1998. Plotin, Porphyre. Études néoplatoniciennes, recueil d’articles, Les Belles Lettres, 1999. Commentaire sur les catégories d’Aristote, par SIMPLICIUS, traduction (en collaboration), Les Belles Lettres, 2001. La Philosophie comme manière de vivre, entretiens avec Jeannie CARLIER et Arnold I. DAVIDSON, Albin Michel, 2001. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Pierre Hadot (1922-2010) Exercices spirituels et philosophie antique, Albin Michel, 2002. Le Voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de Nature, Gallimard, 2004. Wittgenstein et les limites du langage, Vrin, 2004. Apprendre à philosopher dans l’antiquité. L’enseignement du “Manuel d’Épictète” et son commentaire néoplatonicien, avec Ilsetraut HADOT, Le Livre de poche, 2004. N’oublie pas de vivre, Goethe et la tradition des exercices spirituels, Albin Michel, 2008. ÉCRITS SUR PIERRE HADOT « Spiritual exercices and ancient philosophy : An Introduction to Pierre Hadot », par Arnold I. DAVIDSON, Critical Inquiry, n° 16, 1990. « Philosophy as a way of life : Foucault and Hadot », par Thomas FLYNN, Philosophy & Social Criticism, vol. 31, 2005. « Entretien, avec Martin Legros », Philosophie Magazine, n° 21, Juillet 2008. Pierre Hadot, l’enseignement des antiques, l’enseignement des modernes, sous la direction d’Arnold I. DAVIDSON et Frédéric WORMS, éd. rue d’Ulm, 2010, avec un entretien inédit et des contributions de Jean-François Balaudé, Barbara Carnevali, Sandra Laugier, Gwenaëlle Aubry, Philippe Hoffmann, Anne-Lise Darras-Worms, JeanCharles Darmon. Thierry Paquot Professeur à l’Institut d’urbanisme de Paris Université Paris XII - Val de Marne Courriel : <[email protected]> « Philosophy as way of life for Christians ? », par Wayne J. HANKEY, Laval philosophique et théologique, vol. 59, n° 2, 2003. NOTE 1. Cf. La Bibliothèque imaginaire du Collège de France. Trentecinq professeurs parlent des livres qui ont fait d’eux ce qu’ils sont, Le Monde Éditions, 1990, p. 21-128. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 199 199 27/07/10 16:28 1. Livre-hermes-57.indb 200 1. 27/07/10 16:28 CLAIRE BLANCHE-BENVENISTE (1935-2010) LA Claire Blanche-Benveniste naquit à Lyon le 15 janvier 1935 dans une famille aux multiples origines linguistiques et dès son enfance elle fut en contact avec les langues les plus diverses : russe, grec, turc, yiddish, judéo-espagnol, portugais… Celle qui devint ainsi l’une des linguistes les plus novatrices de sa génération est décédée à Aix en Provence, le 29 avril 2010. « Je voudrais dévoiler les mécanismes complexes, qui font de l’homme avant tout un opérateur. » Claire Blanche Benveniste connaissait les poètes modernes. Cette citation de Henri Michaux figure à la page 33 de la récente réédition de son Approches de la langue parlée en français. Elle se reconnaissait dans l’intérêt des poètes pour les productions du langage parlé. Les hésitations et les réponses erronées, loin d’être des déchets dont il faudrait se débarrasser, sont des voies d’accès à la fabrication du sens, comme le montre Henri Michaux avec les tâtonnements pour nommer les choses, qu’on remarque dans l’exemple du polyèdre « en route pour la forme sphère » : « un grand polyèdre, presque une sphère, non pas presque, mais en route pour la forme sphère » (Façons d’endormi, p. 277). Pour Claire, la langue française était un tout dont l’ensemble des manifestations devait susciter l’intérêt de l’analyste. Elle suivait Michaux en tirant les plus grands HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 201 PASSION DE LA LANGUE VÉRITABLE enseignements de ces énoncés minutieusement observés et choisis parmi les productions orales quotidiennes anonymes qui rivalisent en effets de style avec les réussites individuelles des auteurs reconnus : « Les machins, là… Comment ça s’appelle ?… Les Flamands belges… mamama !… Pour les comprendre, eux ! » Dans l’ouvrage qu’elle a écrit avec Colette Jeanjean au milieu des années 1980, elle s’élevait contre la tentation de considérer le français parlé comme un domaine séparé de ce qu’elle appelait le « français tout court » : « Quand on parcourt une documentation sur le français parlé depuis le début du vingtième siècle, on est frappé par la persistance de quelques grands mythes qui ont pour effet de “séparer” ce qu’on appelle le “français parlé” de l’ensemble de la langue ; on le voit retranché, mis à l’écart – pour le décrier comme pour l’encenser. Assimiler le parlé au populaire, c’est le retrancher du français légitime ; y voir la source des innovations ou des conservatismes, c’est le retrancher dans le temps ; opposer le parlé à l’écrit, c’est lui assigner une place bien à part ; l’accabler d’étiquettes et de “niveaux”, c’est vouloir le cantonner dans certaines activités de langage et l’exclure des autres. Toutes ces séparations sont faites, en général, sans la moindre étude sérieuse préalable. On sépare le français parlé du reste avant même de savoir 201 27/07/10 16:28 Hommages en quoi il consiste, avant de l’avoir défini, comme s’il s’agissait là d’une évidence. » (Blanche-Benveniste & Jeanjean, 1987, p. 11). L’un des préjugés qu’elle a le plus tôt dénoncé est celui selon lequel le français parlé serait invariablement assimilable à du français populaire, position largement soutenue jusqu’à une date récente : « Le français parlé est compris comme du français populaire. C’est une constante, de 1900 à nos jours ; comme si le “non-populaire” ne se parlait pas ; ou comme si, parlé, il n’avait aucune caractéristique remarquable. La restriction est de taille ; quantité d’ouvrages qui portent en titre “français parlé” ne s’occupent pas du tout de ce qui se dit en français, oralement, mais seulement de ce que dit “le peuple”. […] “Populaire” vaut évidemment ce que vaut “peuple” dans l’idée des grammairiens. » (idem, p. 12). Pour montrer l’unité du système de la langue française, elle a donc mis au point pendant de longues années avec l’aide de collègues et d’étudiants dont elle suscitait la vocation dès la première année d’université, tout un ensemble d’outils d’analyse qui sont aujourd’hui adoptés par tous ceux qu’une mode récente a tournés vers l’étude de la langue parlée si longtemps « séparée » de celle de la langue écrite académique. La première urgence était évidemment de donner à voir cette langue parlée qu’on a longtemps connue paradoxalement à partir d’écrits malhabiles, par exemple les lettres de soldats de la guerre de 14-18 à leurs familles qui ont servi de matériau à Henry Frei, disciple de Saussure pour élaborer sa Grammaire des fautes. L’entreprise de réhabilitation suggérée par le titre ne pouvait que tourner court, compte tenu de la pauvreté du corpus étudié. C’est à partir de là que Claire s’est prise de passion pour cette question de l’établissement de corpus, qu’elle considérait comme une tâche extrêmement noble, qu’il fallait accomplir avec un soin de philologue et qui nécessitait de développer des méthodes de transcription parfaitement rigoureuses. 202 Livre-hermes-57.indb 202 Mais même si tout au long de sa carrière elle a pu promouvoir avec une grande efficacité la nécessité du recueil de données, même si elle a toujours été prête à reprendre inlassablement son bâton de pèlerin pour aller expliquer à toutes sortes d’instances que la constitution de corpus était un facteur crucial pour l’évolution des connaissances, elle est restée persuadée jusqu’à la fin de sa vie que cette dimension de la recherche n’avait jamais été prise suffisamment au sérieux en France. Elle estimait que cela condamnait malheureusement les descriptions grammaticales à demeurer parcellaires. Dans son tout dernier ouvrage qui est sur le point de paraître (Le Français : usages de la langue parlée), elle insiste sur ce point : « Nous manquons encore d’instruments pour décrire la grammaire du français parlé dans toute son ampleur et dans toutes ses variétés. Il y faudrait de grandes quantités de données enregistrées et transcrites, c’est-à-dire de grands corpus de l’ordre de dix millions de mots, qui font défaut pour l’instant. Ce petit ouvrage ne peut présenter que certains aspects de la description du français parlé. » Il est évident que la question de l’outillage technique ne représentait qu’un des défis à relever pour faire entrer l’oral dans la grammaire du français : affirmer la place centrale des données orales dans la démarche de description ne disait rien sur la manière de mener cette description. C’est ainsi que Claire a défendu le besoin impérieux d’une rénovation des cadres d’analyse, se méfiant tout autant de la doxa trop rigide et passéiste de la grammaire traditionnelle que de certains courants théoriques qui manifestaient à ses yeux trop peu d’intérêt pour la description des données. Ce qu’il s’agissait de révéler par une approche descriptive, c’est d’abord des phénomènes nouveaux, jamais décrits jusqu’ici, comme les emplois si divers et si surprenants de séquences comme « une fois ». Le français écrit peut commencer une phrase par un participe apposé comme dans « Arrivés au sommet de HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Claire Blanche-Benveniste (1935-2010) la colline, nous nous reposâmes » en concurrence avec une forme introduite par « une fois » : « une fois arrivés au sommet de la colline nous nous sommes reposés ». Le français parlé de conversation montre une tendance forte à utiliser la forme introduite. Pour expliquer cette variation dans les usages, Claire, dans une analyse magistrale, a créé une nouvelle catégorie d’analyse, celle de « stabilisateur de relation », catégorie que les variétés de conversation utiliseraient dans le cas de relations syntaxiques instables, comme le serait celle d’apposition de participes. Cette catégorie se révèle féconde et peut être réutilisée pour rendre compte par exemple du fait que l’on dira plus facilement « il y a des gens on les comprend pas » que « des gens on les comprend pas ». Mais on peut aussi améliorer certaines analyses existantes, ce qui nous dispensera d’imaginer que la syntaxe du français subirait de dramatiques transformations. Combien de linguistes ont cru prédire que dans le futur, l’énoncé élémentaire du français « L’enfant court » serait remplacé par la forme avec redoublement de sujet « L’enfant, il court », en apparence si fréquente dans la conversation. Dans une étude fondée sur l’examen de transcriptions d’origines variées (conversations, explications, récits, écrits scientifiques) Claire a montré, dans la perspective de l’unité du français, que les deux tournures étaient en concurrence, mais dans des proportions variables, dans tous les corpus, ce qui leur assurait à chacune de solides chances de survie. Des innovations lorsqu’on peut en montrer la nécessité, un simple approfondissement des analyses existantes, c’est une des leçons de méthodologie que nous a laissée Claire. Ce questionnement sur les concepts de la description grammaticale a été constant chez Claire, à qui nous devons des études bien connues consacrées notamment aux limites de la notion de subordination, à l’étude des éléments non régis, à l’organisation des constructions syntaxiques à travers différents « dispositifs de la rection », à la notion de « verbes faibles », HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 203 à l’importance des phénomènes de listage paradigmatique, ou à l’ordre des mots, pour ne prendre que quelques exemples. Claire n’est plus là. Et l’esquisse que nous avons tentée révèle tout ce que les études de langue française ont perdu avec elle. Mais elle nous laisse beaucoup : une manière libre et créative de penser le langage, une façon irremplaçable d’aborder les problèmes linguistiques en alliant une immense érudition à une attention extrêmement minutieuse portée aux données, le souci que les propositions théoriques soient constamment fondées sur des procédures descriptives rigoureuses. Mais comme le dit admirablement notre collègue Morris Halle, professeur au MIT, Claire n’était pas seulement une grande universitaire, mais aussi « an outstanding human being ». Cette qualité humaine nous n’en mentionnerons que la face publique, celle qui a passionné et fasciné ses anciens étudiants, devenus ses collègues, qui se reconnaîtront tous dans cette belle évocation de moments de travail et d’humanité : « C’était un grand moment de privilège de retrouver Claire pour travailler ; moment de privilège empreint d’intimidation. Ses lectures étaient sans complaisance aucune, son enseignement toujours enrichissant, son savoir intarissable. Nous étions conscients de vivre un moment déterminant de la discipline en étudiant le français parlé sous un jour tellement original et avec des prises de positions audacieuses. C’était la transmission d’une passion derrière de jolis mots : “langue du dimanche” ; “squelette syntaxique” ; “visage des mots”. Claire aimait ses étudiants. Elle leur témoignait beaucoup d’estime et de confiance, mais discrètement, presque timidement (elle me confia un jour qu’au tout début de sa carrière, elle enlevait ses lunettes dans les amphithéâtres pour ne pas voir les étudiants). Elle leur accordait sans compter son temps avec une écoute et une attention particulières quel que soit le lieu, quel que soit le jour. Les enseignants-chercheurs que Claire a formés continueront de la citer avec le bonheur de l’avoir 203 27/07/10 16:28 Hommages côtoyée, la fierté de tout avoir appris avec elle et l’honneur de poursuivre leurs recherches sur ses traces. Nous garderons le souvenir d’une femme remarquable qui nous a transmis le goût de l’enseignement et de la recherche dans le partage du travail et des émotions. Nous revenions voir Claire au fil des ans pour prolonger les instants d’amitié et, sans vraiment lui avouer, apprendre encore et toujours. Elle venait nous ouvrir au son de la cloche, le sourire aux lèvres, chaleureuse, accueillante. Nous revenions chercher son regard vert bienveillant et, tout en discutant, regarder ses longues mains nous servir un café sous le figuier. » Nul doute que, par les nombreux écrits qu’elle nous laisse et dont nous donnons ci dessous un florilège, Claire Blanche-Benveniste continuera longtemps à nous aider à penser le langage et les langues dans le respect de tous leurs locuteurs. Comme savant, Claire a écrit ou dirigé huit livres : l’Orthographe, avec André Chervel en 1969, dont le 204 Livre-hermes-57.indb 204 caractère iconoclaste souleva de roboratives polémiques ; Pronom et syntaxe en 1984 avec José Deulofeu et Karel Van den Eynde ; Le français parlé : édition et transcription avec la regrettée Colette Jeanjean en 1987 ; Le français parlé : études grammaticales en 1990 avec ses étudiants docteurs ; Recueil de textes de français parlé en 1995, avec Frédéric Sabio et Christine Rouget ; Approches de la langue parlée en français en 1997 ; Eurom 4 en 2003 avec André Valli et d’autres auteurs. Un huitième ouvrage est en cours de publication, Le Français : usages de la langue parlée, en collaboration avec Philippe Martin. Ces ouvrages synthétisent la matière de plus de cent cinquante articles publiés sous son nom ou en collaboration. Henri-José Deulofeu Professeur de linguistique française Université Aix-Marseille I, Aix-en-Provence Courriel : <[email protected]> HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 LECTURES Aurélie AUBERT, La Société civile et ses médias. Quand le public prend la parole, éd. Le Bord de l’Eau / INA, 2009, 288 p. Les médias de masse s’adressent par définition à de larges auditoires, dispersés, anonymes, avec lesquels tout dialogue est problématique. Les journaux, les stations de radio, les chaînes de télévision se sont dotés d’un ensemble d’outils, qualitatifs ou quantitatifs, pour connaître leur public, le compter et appréhender ses caractéristiques, ses habitudes de consommation, ses réactions à l’offre, etc. Selon le contexte politique, économique, technique ou professionnel, les moyens de représentation du public ne sont pas les mêmes. Parmi la grande diversité de ces retours d’information, le courrier reçu tient une place à part. Il est la seule réaction spontanée du public, non provoquée par un dispositif d’enquête toujours susceptible de biaiser, de forcer les attitudes. Mais, revers de la médaille, il n’émane pas d’un échantillon construit et ne peut prétendre à une représentation scientifique. C’est pourquoi, très rapidement, au sein de la radiotélévision publique, le service des relations avec les téléspectateurs complète le traitement du courrier par des enquêtes ponctuelles ou régulières. Les lettres de téléspectateurs, transmises aux professionnels concernés, ne sont plus guère invoquées dans les décisions d’une chaîne qu’en cas de mobilisation extrême (tollé face à une « dérive », tir de barrage contre un nouveau programme…). C’est seulement en 1998 que la volonté politique de resituer le secteur public sur le terrain de la qualité, HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 205 face à la concurrence, débouche sur l’installation de médiateurs à France Télévisions. Le courrier qui leur est directement adressé est pris en compte, donne lieu à une réponse argumentée et à une synthèse transmise aux responsables de la chaîne. En outre, une émission hebdomadaire (supprimée en 2008), animée par le médiateur pour l’information de France 2, instaurait un dialogue en direct sur la chaîne entre deux téléspectateurs et un ou deux journalistes interpellés au cours de la semaine écoulée. Aujourd’hui, les messages sont publiés sur le site du médiateur hébergé dans celui de France 2. Le succès du service de médiation est indéniable : si le nombre de lettres reste stable (autour de 4 500 par an), les courriels ne cessent d’augmenter, de 3 000 en 1999 à plus de 35 000 depuis 2002. L’ouvrage prend le parti d’analyser la « prise de parole » du public de l’information de France 2, en faisant l’hypothèse que les rédacteurs du courrier reçu par le médiateur de l’information de la chaîne publique, bien que non « représentatifs », nous renseignent sur le rapport du public à l’information, aux médias et à la citoyenneté. La rédactrice du livre, sociologue des médias, a étudié 3 500 messages et en a retenu plus de 2 200 pour l’analyse statistique. Elle a centré sa recherche sur les réactions à l’actualité internationale pendant les années 2001 et 2002 et s’est axée sur une vingtaine de grands événements de cette période, qui ont suscité un courrier abondant. Deux d’entre eux dominent le corpus de façon écrasante : l’un concerne les attentats du 11 septembre 2001, avec 1 766 messages reçus jusqu’au 6 octobre ; l’autre, le conflit israélo-palestinien, revient 205 27/07/10 16:28 Lectures régulièrement au centre de l’actualité pendant les deux années considérées, générant le volume le plus important de courrier (une sélection aléatoire a été opérée parmi les 1 563 messages reçus au printemps 2002). La part du courrier traditionnel sur papier correspond à 11 % des messages analysés. Les auteurs des courriers ne se décrivent pas selon les critères habituels d’une enquête et se dérobent donc à une analyse socio-démographique. On apprend toutefois que les hommes sont majoritaires, que l’âge est rarement mentionné et que, lorsque la profession est indiquée (moins de 10 % des cas), il s’agit plutôt de celles correspondant à un niveau d’instruction élevé. La profession est précisée pour mieux légitimer un point de vue, celui du professeur par exemple, qui s’inquiète de l’impact de tel ou tel commentaire sur ses élèves. Fait paradoxal : dans des courriers de réaction à l’actualité internationale, adressés à une grande chaîne nationale, l’information la plus volontiers fournie est la ville ou la région d’appartenance (36 % des messages) ! Mais c’est sans doute la reprise d’un schéma d’identification commun à de nombreux dispositifs de participation et d’expression du public (radio, presse écrite). En ce qui concerne les modalités de la prise de parole de ces téléspectateurs qui s’adressent au médiateur de la chaîne publique au sujet de l’actualité internationale, la rédactrice distingue trois grands types de registres qui font chacun l’objet d’une analyse approfondie. – La parole critique, majoritaire dans les courriers étudiés, exprime les attentes normatives de ce type d’usagers vis-à-vis des journalistes et de l’information, et vis-à-vis des médias en général. C’est une parole de vigilance, mais aussi de méfiance, de dénonciation, qui se réclame d’une éthique médiatique. Elle corrige une erreur dans un terme employé sur un bandeau, une expression utilisée par un journaliste, le commentaire erroné d’une image d’archive, une conclusion trop 206 Livre-hermes-57.indb 206 hâtive. Elle reproche le manque d’objectivité, les dérives liées à la recherche de scoops. Par dessus tout, elle rejette la violence des images, même si elle peut parfois en déplorer le manque… L’appartenance de France 2 au secteur public n’est invoquée que par 5 % des courriers. – La parole identitaire, moins représentée, concerne la réaction d’individus à certains événements internationaux et à leur traitement par la chaîne au nom de leur(s) appartenance(s) à certaines communautés, diasporas ou courants d’opinion. Plusieurs cas sont finement analysés. En décembre 2001, lors de la crise ouverte par la réélection (truquée) du président en exercice à Madagascar, c’est au nom d’un idéal démocratique que la communauté malgache exprime son indignation envers la France qui a tardé à reconnaître la fraude. Bien différent, le conflit israélo-palestinien s’importe en quelque sorte en France et cristallise des accusations symétriques, provenant aussi bien de communautés qui se sentent concernées que de groupes d’opinions, accusant le gouvernement et les médias français d’être pro-israéliens ou pro-palestiniens. L’émergence d’une conscience altermondialiste, reprochant notamment à la chaîne de se focaliser sur l’agenda dicté par les ÉtatsUnis, ainsi que la complexité du sentiment européen sont mises en évidence à la fin de ce chapitre. – Par la parole citoyenne, enfin, le téléspectateur peut se situer comme un acteur au sein de l’espace public qui souhaite intervenir auprès des médias considérés alors, non plus comme fautifs, partiaux, mais comme relais d’opinions dans une démocratie. Cet aspect, qui apparaissait déjà dans les paroles critique et identitaire, émises au nom de l’universalité de certaines valeurs, devient alors central et dépasse l’usage premier du dispositif de médiation. L’engagement du téléspectateur peut être individuel, mais aussi relayer les prises de position d’associations, de mouvements divers (pétitions, messages pré-rédigés par des collectifs, etc.). HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Lectures En se faisant expert d’une question particulière, en protestant contre les failles des journalistes, en apportant une information complémentaire, alternative, les auteurs de ces courriers préfigurent un téléspectateur nouveau. Celui-ci est plus exigeant, critique, participatif, préoccupé par des questions citoyennes, mais en même temps contradictoire dans ses attentes, subjectif, polarisé par des prises de positions identitaires. Cette réflexion sur l’évolution des rapports qui lient les individus à leurs médias, en matière d’information, est bienvenue dans une période où la défiance vis-à-vis des journalistes s’est accrue et au moment où la banalisation d’Internet permet le développement d’une infinité de sites invitant chacun à s’exprimer, de forums de discussion, de blogs, etc. (cf. le parallélisme intéressant avec l’expression des blogueurs). Il ne faut toutefois jamais oublier que 35 000 messages envoyés par an, ce n’est pas grand chose par rapport aux millions de téléspectateurs qui regardent chaque jour les journaux de France 2. Et que, la plupart du temps, les plaintes et reproches exprimés traduisent surtout un fort attachement à la télévision, voire même une dépendance chez certains qui ne disposent pas d’autres sources d’information ou de culture… Plus profondément, des études qualitatives ont montré que la grande majorité des téléspectateurs ne ressent pas le besoin de formuler un jugement sur les émissions qu’il regarde (Boullier). L’hypothèse que chaque individu aspire à se libérer de l’offre des chaînes pour accéder sur Internet aux informations à la source, provenant du monde entier, avant de devenir à son tour producteur de messages, serait un contresens. La force de la télévision (et des médias en général), c’est justement de proposer une médiation entre le monde et le récepteur, une sélection de l’information, une hiérarchisation des sources, un regard sur l’actualité, de rendre visibles ou contribuer à construire les problématiques HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 207 concernant la société ou les grandes questions de l’humanité. Une recherche accomplie en appelle toujours d’autres ! Il serait intéressant d’évaluer les effets de la prise en compte de cette parole au sein des rédactions, ce que la préface de Jean-Claude Allanic, médiateur de France 2 entre 2000 et 2005, amorce de façon très vivante, à partir d’exemples convaincants. On rêve aussi d’une démarche analogue sur d’autres secteurs de l’actualité (l’environnement), qui mettrait en valeur des ressorts différents de prise de parole, et tout autant, d’une analyse comparative entre deux chaînes ou deux médias. Pour approfondir la relation du public avec la télévision (et avec France 2), il semble enfin indispensable de prendre en compte l’ensemble des courriers adressés à la chaîne. En effet, les études sur la réception établissent à quel point les programmes de fiction, les magazines, etc., peuvent aussi favoriser l’identification, cristalliser l’opinion, susciter l’engagement. Régine Chaniac Laboratoire Communication & Politique, Paris, CNRS Courriel : <[email protected]> Claude A LBAGLI, Les Sept Scénarios du nouveau monde, Paris, L’Harmattan, 2009, 278 p. Publié lors du sommet de Copenhague de décembre 2009, ce livre connaît déjà une troisième édition. La couverture demeure inchangée : le bleu de l’espace, le vert de la nature et, au centre, comme les grains d’un chapelet, la boule terrestre sous sept faces différentes, mais reliées entre elles. L’une des idées maîtresses de cet ouvrage, écrit par un économiste, est l’oubli de la nature dans toutes les théories du marché. Or, l’actualité la plus 207 27/07/10 16:28 Lectures récente, avec les cendres volcaniques empêchant toute activité aérienne vient confirmer la fragilité des systèmes organisationnels humains. En 1999, on redoutait un bug informatique, une mémorable tempête survint ; la crise économique passe au second plan quand l’espace aérien se trouve fermé quasi mondialement, bloquant le transport, le négoce, les stocks, l’activité industrielle. Cet ouvrage – qui contient une importante bibliographie de 18 pages – s’articule en trois gros chapitres, successivement consacrés à la construction du concept de marché, à la mondialisation sous ses différentes formes, enfin à la présentation des scénarios. Pour les non-spécialistes que nous sommes, la lecture est aisée, les exemples nombreux ; les deux premiers chapitres permettent même de structurer des notions souvent éparses. Cet intérêt pédagogique se double de références abondantes puisant très largement en dehors du champ de l’économie pure, dans la science politique, la communication, la philosophie et les grands essayistes contemporains, tant français qu’étrangers. Le chapitre 1 relate l’émergence du concept de « marché » et ses théorisations successives. Le chapitre suivant, plus critique, aborde la mondialisation et en dénonce les contradictions. « Les clignotants s’allument de toutes parts, le modèle consumériste est dans l’impasse. La Nature vient rendre inaccessible l’avènement des espérances » lit-on à la page 130, car il existe plusieurs formes de mondialisation. Le troisième et dernier chapitre développe le thème de la circularité déjà présent en couverture. Entre le double étau des « lois du marché » et de l’inéluctable mondialisation se déroule un processus tournant, oscillant entre la régulation étatique, la fin du consumérisme, le refus de la mondialisation, un retour régressif vers des structures alvéolaires. Ce parcours est parsemé de bouleversements et de révoltes, et aussi de stagnation. Comme on le voit ces jours-ci pour la Grèce, l’ajustement financier décidé par les politiques exige du renoncement, ce qui engendre de vives réactions. 208 Livre-hermes-57.indb 208 Mais prévient l’auteur, ces décisions humaines peuvent être balayées par des tempêtes, la pollution, la raréfaction des ressources énergétiques. N’en déplaise à Descartes, l’homme n’est plus maître et possesseur de la nature. Chaque scénario est théoriquement possible, pas forcément probable, parfois peu souhaitable. La prise (brutale) de conscience du XXIe siècle que nous sommes dans un monde fini amène à penser que l’homme est l’espèce vivante la plus menacée, que l’avenir écologique et globalitaire est bien incertain. La connaissance des périls, des impasses, des contradictions permettra, peut-être, d’inventer le salut pour un nouveau monde, radicalement différent, conclut Claude Albagli. La concertation d’experts désintéressés pourrait innover vers un huitième scénario, encore dans les limbes. Ce à quoi, en définitive, nous incite cet ouvrage. Anne-Marie Laulan Université Bordeaux III - Michel de Montaigne Courriel : <[email protected]> Jean-Paul LAFRANCE, La Télévision à l’ère d’Internet, Québec, éd. du Septentrion, 2009, 222 p. L’auteur, spécialiste reconnu de l’étude des médias, mais philosophe de formation, n’hésite pas à s’opposer à l’idée fort répandue qu’un nouveau média chasse le plus ancien. Il propose plutôt une vision, paradoxale parce que circulaire, d’une permanente rétroaction des uns sur les autres, d’une créativité circulaire plutôt que successive. Non pas un éternel retour, mais des mutations par emprunts réciproques, favorisant finalement l’enrichissement des langages et des scénarios. HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Lectures Voyons les étapes de l’argumentation soutenant le paradoxe. En première partie, l’auteur pose la (fausse) question de la prochaine disparition de la télévision, engendrée mécaniquement par les nouveaux outils technologiques : tout le monde peut devenir producteur d’informations, reporter au service d’une cause révolutionnaire ou auxiliaire de justice grâce au téléphone mobile qui photographie et enregistre ; tout le monde devient « écrivant », comme le disait Barthes grâce aux blogs ; tout le monde peut rassembler des inconnus par milliers autour d’apéros géants, grâce à Internet. Pour qui a encore en mémoire la critique de l’École de Francfort sur la « communication de masse » aliénante, soumise aux lois de l’industrie de la production, il semble que nous soyons passés de l’autre côté du miroir. Selon Jean-Paul Lafrance, les changements existent, mais ne sont pas produits là où se déroulaient les combats. II étudie et démonte tour à tour la modification du rythme, du défilement des images, il souligne avec ironie qu’Internet et les téléphones portables alimentent la télévision (p. 75). Au chapitre suivant, plus philosophique, sont analysées les mutations du registre de la subjectivité. L’époque post-moderne se ressent d’une vacuité symbolique, de l’absence des grands récits qui, dans toutes les civilisations, donnaient du sens au passé et orientaient vers l’avenir. Fragmentation, perte de repères, avec pour conséquence un refuge dans l’instant présent, qualifié d’authentique, seule façon de ré-enchanter le monde par l’ancrage dans la « réalité », parfois cruelle comme les exclusions dans les émissions de téléréalité, HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 209 qui sont pourtant de plus en plus « montées », scénarisées à l’insu du naïf téléspectateur qui se complaît dans le « direct », l’instantané. Un autre changement important, technique celuici, est lié à l’interactivité. Autre emprunt à la numérisation et à la haute définition avec un quasi-infini choix de films, d’effets spéciaux, la possibilité du téléchargement en direct (et accessoirement la ruine des locations de vidéos, la disparition des DVD après celle du disque). L’industrie de l’audio-visuel est exposée à bien des vents contraires, et, au Canada comme en France, la poursuite pénale du téléchargement sur Internet risque de s’avérer infructueuse. L’auteur conclut que la télévision n’est plus le premier des médias, mais que jamais autant d’images animées n’ont occupé notre environnement, à domicile, sur la route ou au travail. Sorte de « confessionnal à domicile », la télévision permet de rêver le présent. Outre la démonstration du paradoxe, cet ouvrage apporte d’autres agréments. Rédigé dans un savoureux parler québécois, appuyé sur des références philosophiques, constamment nourri d’exemples et d’études concrètes, il offre au lecteur français une sorte de miroir biaisé, car la télévision québécoise n’est pas identique à la nôtre, mais pas totalement américanisée non plus. Un entre-deux dépaysant, nourri de références en sciences de la communication jamais rébarbatives. Le plaisir en sus de l’information ! Anne-Marie Laulan Université Bordeaux III - Michel de Montaigne Courriel : <[email protected]> 209 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 210 27/07/10 16:28 RÉSUMÉS – Abstracts Pierre MOUNIER, Open Access : entre idéal et nécessité Les débats qui se développent autour de la question du libre accès sont bien souvent menés comme des combats idéologiques, mobilisant des registres d’expression militants autour des notions de biens publics. La très grande visibilité de ces débats occulte deux éléments qui pourraient en relativiser la portée. L’analyse du développement des initiatives de libre accès montre que la dimension politique de la question est loin d’être prédominante dans toutes les disciplines et varie considérablement selon les communautés. Par ailleurs, les modifications profondes que le développement des réseaux numériques entraîne dans les pratiques de communication scientifique pourraient rendre moins pertinente l’approche volontariste et militante du libre accès. La multiplication du nombre de documents disponibles, l’effacement relatif des frontières entre les différents modes de publication, l’abaissement des barrières d’accès à la publication contribuent à relativiser la portée des dispositifs de fabrication de rareté artificielle et à soumettre progressivement le système de communication scientifique à un régime d’économie de l’attention. Il est dès lors possible que le secteur de l’édition scientifique connaisse une évolution comparable à celle des secteurs de la presse et de l’édition musicale. Mots-clés : édition scientifique, édition, économie de l’attention, communication scientifique. Open Access: an Ideal or a Necessity? Much of the current debate on the open access issue has been akin to ideological warfare, using militant language registers around the concept of public common goods. The high level of visibility of the debate masks two important points that could change perceptions on its real impact. Our analysis of the development of open access initiatives shows that the political dimension of the issue is by no means predominant in all disciplines and varies considerably among different communities. Furthermore, the profound changes in scientific communication practices brought about by the expansion of digital networks could lessen the relevance of the militant approach to open access. The proliferation of documents, the relative blurring of boundaries between different forms of publishing and the fact that barriers to access to publications are being lowered are lessening the perceived influence of systems that artificially manufacture rarity, and the scientific communication system is gradually being forced to conform to the economics of attention. This makes it possible to anticipate changes in scientific publishing comparable to those in the press and music publishing sectors. Keywords: scientific publishing, publishing, economics of attention, scientific communication. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 211 211 27/07/10 16:28 Résumés – Abstracts Dominique VINCK, Les transformations des sciences en régime numérique Pour comprendre ce qui se joue avec la numérisation des productions scientifiques, leur mise en circulation et leur accès, le présent article opère un bref détour par l’histoire des pratiques des chercheurs en termes d’échange de données et de publications. Il se penche ensuite sur les pratiques contemporaines d’acquisition et d’actualisation des connaissances, lesquelles passent aujourd’hui par des réseaux d’ordinateurs, ainsi que par une vaste gamme d’outils de calcul et de visualisation, de réseaux de capteurs, de bases de données, de logiciels d’aide à l’édition, d’outils d’aide au travail coopératif, etc. Ces pratiques de communication évoluent au cours du temps et varient selon les disciplines. Le présent article s’efforce de caractériser ce qu’il en est aujourd’hui, y compris en termes d’accès libre. Mots-clés : travail scientifique, écriture, publication, revue, communication, accès libre, numérique. When Science Turns Digital In delving into the issues that arise from the digitisation of scientific output, circulation and access, this article first makes a brief detour into the history of practices in the exchange of research data and applications. It then explores contemporary practice in acquiring and updating knowledge, which is now dependent on computer networks and a vast range of calculation and visualisation tools, data capture networks, databases, computer assisted publication software, computer supported collaborative work, and so on. Communication practices have evolved over time and vary among disciplines. This article attempts to characterise the situation today, including in the open access field. Keywords: scientific work, writing, publication, journal, communication, open access, digital. Christian ZIMMERMANN, La dissémination de la recherche en sciences économiques : les « cahiers de recherche » Publier en sciences économiques impose des délais considérables se chiffrant facilement en de multiples années, de la soumission à la parution. Aussi, le contenu des revues est en retard par rapport à la frontière de la recherche. Les principaux médias pour s’informer de cette frontière sont alors les conférences et les cahiers de recherche, des polycopiés qui circulent parmi certains scientifiques. Ceci favorise la formation de petits cercles fermés et exclut la participation de tiers à la pointe de la recherche. L’apparition d’Internet a fondamentalement changé l’accès aux cahiers de recherche, mais encore faut-il que cet accès soit organisé et qu’il permette d’être lu par les autres. Le présent article décrit RePEc, une initiative qui a justement permis d’accorder tous les économistes sur un dénominateur commun et qui est maintenant devenue un instrument incontournable dans leur domaine de recherche. Des initiatives similaires dans d’autres champs de recherche sont aussi abordées. Mots-clés : économie, publication, recherche, cahiers de recherche. 212 Livre-hermes-57.indb 212 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Résumés – Abstracts Disseminating Research in the Economical Sciences: the « Research Notes » Publishing articles on the economical sciences involves long time frames of up to several years, from submission to publication. Consequently, journal contents tend to lag behind what is happening on the research front-line. The most usual sources of information on front-line research are conferences and « research notes », which are photocopied documents that circulate among certain scientists. This practice is fostering the emergence of exclusive small groups and prevents third parties from participating in pioneering research. The Internet has radically changed possibilities for access to research notes, but Internet access still needs to be organised and to allow others to read one’s work. This article describes the RePEc initiative, which effectively places all economists on the same footing and has become an essential instrument in its field. Similar initiatives in other fields are also investigated. Keywords: economics, publication, research, research notes. Guylaine BEAUDRY, La communication scientifique directe : auteurs et infrastructures La fonction d’auteur se transforme en raison des nouvelles potentialités du numérique, particulièrement de la communication scientifique directe. Néanmoins, le statut de l’auteur d’un discours scientifique répond dans l’univers numérique aux mêmes critères que dans le monde de l’imprimé. Ce sont surtout les modalités d’expression et de diffusion des résultats de la recherche qui changent en raison d’infrastructures et de pratiques scientifiques d’un nouveau genre. Notamment, le dépôt de données dans des systèmes d’information homologués par les chercheurs est reconnu de plus en plus comme une forme de publication. En cela, on assiste à une remise en question et à la proposition de nouveaux modèles d’évaluation et de reconnaissance. La révolution numérique provoque une restructuration des acteurs du système de communication scientifique qui, pour l’heure, donne à voir un tableau d’ensemble fragmenté. Mots-clés : système de communication scientifique, communication scientifique directe, fonction d’auteur scientifique, révolution numérique. Direct Scientific Communication: Authors and Infrastructure New digital potential is profoundly changing the authorship function, especially in direct scientific communication, although authorship of a scientific discourse nevertheless obeys the same criteria in the digital world as in print. What has mainly changed are the methods used to express and disseminate research results, because of the appearance of infrastructures and scientific practice of a new type. In particular, posting data to researcher-approved information systems is increasingly recognised as a legitimate form of publication. This implies that models for evaluation and recognition are HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 213 213 27/07/10 16:28 Résumés – Abstracts being brought into question and new models are being proposed. The digital revolution is transforming the role structure of a scientific communication system where the overall picture, at present, is fragmentary. Keywords: scientific communication system, direct scientific communication, scientific authorship function, digital revolution. Lorna HEATON, Florence MILLERAND et Serge PROULX, « Tela Botanica » : une fertilisation croisée des amateurs et des experts Nous chercherons ici à montrer comment le projet Tela Botanica permet à la fois une transformation et une actualisation du savoir botanique. Trois éléments particuliers retiendront notre attention : la libre circulation et la mise à disposition des données les plus récentes du travail des botanistes ; l’articulation nouvelle entre le travail scientifique des amateurs et celui des professionnels ; la création d’une forme organisationnelle hybride combinant des éléments propres au milieu associatif et à l’entreprise privée. Nous utiliserons ces trois axes d’analyse tour à tour, en fournissant des exemples et des réflexions théoriques pour chacun. Mots-clés : savoirs botaniques, libre circulation des savoirs savants, accessibilité, amateurs et professionnels, expertise, formes organisationnelles hybrides. « Tela Botanica »: Cross-Fertilisation between Amateurs and Specialists This article seeks to show how the Tela Botanica project is at once transforming botanical knowledge and breathing new life into the field of botany. We discuss three characteristics in particular: the ready availability and free circulation of the most up-to-date botanical data, new links between the scientific work of amateur and professional botanists and the appearance of a hybrid organisational form that combines features from the amateur society model and from private enterprise. We examine the three characteristics in turn, with examples and theoretical discussions in each case. Keywords: botanical knowledge, free circulation of scientific knowledge, accessibility, amateurs and professionals, expertise, hybrid organisational forms. Lionel BARBE, Wikipedia, un trouble-fête de l’édition scientifique Wikipedia est devenue en quelques années un outil de diffusion d’informations scientifiques de premier plan, utilisée par élèves, professeurs et chercheurs (parmi ces derniers, un sur dix reconnaît y contribuer). Malgré un 214 Livre-hermes-57.indb 214 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Résumés – Abstracts système d’édition relativement complexe, le « wiki de la connaissance » a gagné en popularité (15 millions d’articles, 270 langues, 100 000 contributeurs bénévoles). On en sait davantage sur son fonctionnement : son taux d’erreur factuel est relativement similaire à celui de l’encyclopédie payante Britannica ; les articles sont souvent rédigés par un petit nombre de contributeurs (5 % des contributeurs sont à l’origine de 90 % du contenu) ; une série d’« administrateurs » jouent les pompiers ou les gendarmes, non sans s’attirer les foudres d’une partie des contributeurs ; dynamique communautaire et positionnement identitaire sont les deux motivations principales pour contribuer ; les sources scientifiques sont d’autant plus citées dans Wikipedia qu’elles le sont déjà dans le monde scientifique (le « facteur d’impact » est involontairement reproduit)… Comparée à ses concurrents, Citizendium et Knol, l’encyclopédie contributive se démarque par son développement insolent, mais l’éventualité d’une stabilisation du nombre d’articles (on assiste aujourd’hui à une sorte de plafonnement) laisse imaginer qu’à l’avenir les contributeurs se concentreront davantage sur la qualité des articles. Mots-clés : encyclopédie ouverte, travail collaboratif, connaissance profane. Wikipedia Meddling with Scientific Publication In the space of just a few years, Wikipedia has become one of the foremost tools for disseminating scientific information, used by pupils, teachers and researchers alike (of the latter, one out of ten say they contribute). Despite a relatively complex publication system, the popularity of the « knowledge wiki » is increasing (15 million articles, 270 languages, 100 000 unpaid contributors). We are learning more on how it functions: the factual error rate is fairly similar to that for the fee-paying Encyclopaedia Britannica; the majority of articles are written by a small number of contributors (5 % of contributors are responsible for 90 % of the content); a series of « administrators » act as fire-fighters or policemen, sometimes attracting the wrath of contributors; community dynamics and a common identity are the two main reasons for contributing; scientific sources are cited as much and more in Wikipedia as in scientific circles (which is involuntarily reproducing the « impact factor »). In comparison with its competitors, Citizendium and Knol, this contributory encyclopaedia stands out for its outrageously rapid growth, but a possible levelling out in the number of articles (of which there are signs today) suggests that in future, contributors may focus more closely on the quality of articles. Keywords: open encyclopaedia, collaborative work, laymen’s knowledge. Florence AUDIER, Les publications ouvertes : coopération ou concurrence Quel rôle peuvent jouer les publications « ouvertes » alors que les normes de publication se rigidifient et pèsent de plus en plus sur le classement et l’évaluation des institutions, des équipes et des chercheurs ? À quelles conditions peuvent-elles améliorer la diffusion des résultats les plus intéressants ou les plus originaux ? Facilitent-elles les HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 215 215 27/07/10 16:28 Résumés – Abstracts échanges et la coopération, ou paradoxalement contribuent-elles à la concurrence de tous contre tous ? Il s’agit d’un des enjeux auxquels la recherche, notamment en SHS, est confrontée aujourd’hui. Mots-clés : publications ouvertes, travail scientifique. Open Publishing: Cooperation or Competition? What should be the role of « open » publishing at a time when publishing standards are becoming more rigid and weighing more and more heavily on the way research institutions, research teams and researchers themselves are ranked and assessed? Under what conditions can open publishing improve dissemination of the most interesting or original research results? Does it foster exchanges and cooperation or, paradoxically, does it contribute to a spirit of all-out competitiveness? This is one of the issues that research, especially in the human and social sciences, is faced with today. Keywords: open publishing, scientific work. Bernard LANG, Des cordonniers mal chaussés ou les informaticiens face au libre accès Les informaticiens, qui sont les premiers à avoir travaillé à la conception du libre accès, ne s’en sont pas nécessairement saisis pour leurs propres pratiques scientifiques, privilégiant longtemps les échanges interindividuels. La question de l’accès ouvert se pose pour leurs productions de manière différente selon qu’il s’agit de conception de logiciels ou de publication de texte, de recherche industrielle ou publique, de secteurs brevetables, de données ouvertes ou non. Mots-clés : informatique, brevetabilité, communauté d’utilisateurs, pratiques scientifiques, valorisation. When the Cobbler Goes Unshod: Computer Engineers and Open Access Computer engineers, who were the first to work on open access design, have not necessarily been its most fervent users in their own scientific practice, since they have long given preference to interpersonal exchanges. Concerning their output, the question of open access arises in different terms, depending on whether the context is software design, text publishing, industrial public research, patentable sectors, or open or restricted access data. Keywords: informatics, patentability, user community, scientific practice, data products. 216 Livre-hermes-57.indb 216 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Résumés – Abstracts Marie CORNU, Création scientifique et statut d’auteur La production et la diffusion des résultats scientifiques soulèvent un certain nombre de questions juridiques. L’activité scientifique est en effet, en bonne part, une activité de création, donnant naissance à des œuvres au sens du Code de la propriété intellectuelle. Le chercheur est aussi et souvent un auteur dans l’accomplissement de sa tâche. En France, comme dans un certain nombre d’autres États, la recherche est pour l’essentiel du côté du secteur public, dont les personnels relèvent, en général, du statut de la fonction publique, et la production dans ce cadre doit articuler liberté de créer du chercheur et intérêt public. La reconnaissance des droits des chercheurs sur la création scientifique se heurte à certaines difficultés, dont un bon nombre se concentrent sur les questions de paternité. Le mode collectif sur lequel se réalise la création scientifique rend encore plus ardue la détermination de la qualité d’auteur. Les nouveaux modes de production de la connaissance sur les réseaux Internet s’accommodent mal des différents schémas de création collective. Comment qualifier une œuvre initiée par une personne, volontairement versée dans l’espace public pour être discutée, poursuivie et transformée par d’autres ? La question du statut de la création rejoint ici celui de son mode de diffusion. Mots-clés : création scientifique, recherche publique, paternité scientifique. Scientific Creativity and Authorship The production and dissemination of scientific results raise a number of legal questions. Scientific activity is in fact, and largely, a creative activity that produces « works » as defined in the Intellectual Property Code. Researchers are often also authors in the performance of their tasks. In France, as in a number of other countries, research is essentially a public sector activity employing staff who are usually civil servants and whose output needs to reconcile the freedom to perform creative research with the public interest. The recognition of researchers’ rights in creative scientific work comes up against a number of difficulties, many of which have to do with paternity issues. The collective nature of creative scientific work makes authorship all the harder to determine. The new methods of knowledge production through the Internet do not fit easily into the various provisions covering collective creation. What description can be given to a work initiated by one person, deliberately handed over into the public sphere for discussion, then continued and transformed by other people? In this context, the question of creative authorship is closely tied to the issue of science dissemination. Keywords: creative scientific work, public research, scientific paternity. Valérie-Laure BENABOU, La propriété intellectuelle chahutée : libre accès ou libre recherche ? La confrontation de l’Open Access avec la propriété intellectuelle demeure mesurée dès lors que l’exercice du droit d’auteur n’est nullement antinomique avec un modèle de gratuité pour l’utilisateur final. L’existence de préro- HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 217 217 27/07/10 16:28 Résumés – Abstracts gatives morales fortes présente les garanties mêmes que la communauté scientifique appelle de ses vœux, à savoir l’identification de la source et la traçabilité de la version originale de la publication. Le constat est sans doute moins angélique s’agissant du mouvement du Public Access, lequel ne se soucie plus guère des intérêts des auteurs, mais est tout entier tourné vers la diffusion des savoirs comme remboursement des tributs versés par les contribuables dans le financement de la recherche. La logique suivie devrait à terme nier l’existence même de droits d’auteurs de la part des chercheurs lesquels verraient la diffusion de leurs travaux leur échapper en totalité. Il n’est cependant pas certain que l’alternative proposée conduise à des résultats souhaitables car le chercheur doit pouvoir bénéficier d’une certaine liberté dans sa recherche et dans sa parole pour être incité à produire des travaux de qualité ; court-circuiter son contrôle intellectuel sur le destin de ses recherches risque, au contraire de le brider. La rencontre des deux aspirations est sans doute possible. Il n’est pas nécessaire pour atteindre le libre accès de détruire la libre recherche. Mots clés : droit d’auteur, libre publication, contrats d’auteur. Intellectual Property in the Hot Seat: Free Access versus Freedom for Research? The incipient clash between open access and intellectual property need not come to a head as long as the exercise of authorship rights does not contradict free access for end users. The existence of strong moral prerogatives offers the very guarantees that the scientific community is pressing for: identification of sources and traceability of the original version of a publication. The picture is not so well-tempered in the case of the Public Access movement, which has little concern for authorship and is entirely geared to knowledge dissemination as compensation for the taxpayers’ money spent on research. Taken to its logical conclusion, this would deny the very existence of authorship rights for researchers, who would lose all control over the dissemination of their work. However, the alternative solution proposed may not necessarily produce the desired results, since researchers need to have a certain amount of freedom in their work and in their communication to motivate high-quality output. Short-circuiting their intellectual control over the fate of their research is more likely to inhibit them than otherwise. But the clash between these two aspirations may yet be resolved: achieving free access does not necessarily mean destroying freedom for research. Keywords: authorship rights, free-access publication, authorship agreements. Cécile MÉADEL, Les savoirs profanes et l’intelligence du Web Les savoirs profanes acquièrent une portée et une visibilité accrue, tout particulièrement dans les domaines de l’environnement ou de la santé. Internet leur offre de nouvelles ressources qui ne se résument pas à la mise en ligne de contenus ou à la numérisation de textes scientifiques, mais qui ouvrent aussi de nouvelles possibilités informatives et cognitives. Ces savoirs, qui s’appuient sur des ressources en accès libre, tirent leur efficacité de la participation 218 Livre-hermes-57.indb 218 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Résumés – Abstracts de collectifs et de leur contrôle. Et pourtant, malgré l’ample travail de confrontation et de vérification accompli par ces groupes de « sachants », ces connaissances profanes accèdent difficilement au statut d’informations stabilisées et reconnues. Mots-clés : savoirs profanes, environnement, santé, communautés, Internet. Laymen’s Knowledge and Web Intelligence Laymen’s knowledge of is becoming increasingly visible and influential, especially in environment and health fields. The Internet provides laymen with new resources that go well beyond downloading content or digitising scientific texts, as they also open up new possibilities for information and cognition. Laymen’s knowledge, which is built up from openaccess resources, owes its effectiveness to collective participation and the auditing methods in place. And yet, despite the considerable amount of comparative and verification work performed by these groups of « people who know », laymen’s knowledge rarely achieves the status of stable and reputable information. Keywords: laymen’s knowledge, environment, health, communities, Internet. Ghislaine CHARTRON, Scénarios prospectifs pour l’édition scientifique Cet article s’intéresse au marché de l’édition scientifique et à son évolution dans le cadre de l’Internet et du développement du libre accès. Il s’attache à montrer la diversité de ce marché en fonction des champs scientifiques, notamment par le type d’éditeurs impliqués, les lectorats concernés, les économies associées. Il met en exergue le nécessaire discernement de ces marchés face aux critiques générales de dysfonctionnement soulignées. Il pointe certains effets contrastés du numérique conduisant à certaines reconfigurations paradoxales. Enfin, la vision prospective sur le devenir de ce marché insiste sur la pluralité des modalités de progression vers le libre accès, le poids de la dimension politique et celui des processus d’évaluation de la recherche. La voie d’un partenariat public-privé est privilégiée au regard de certaines valeurs centrales : indépendance, qualité, accessibilité et pérennité des publications scientifiques. Mots-clés : marché de l’édition scientifique, éditeur scientifique, discipline scientifique, libres accès, valeur de l’édition, prospective. Future Scenarios for Science Publishing This article investigates the scientific publishing market and how it is being transformed by the Internet and the development of open-access services. We illustrate the diversity of the market in terms of scientific fields, and especially in HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 219 219 27/07/10 16:28 Résumés – Abstracts the types of publishers and readerships concerned, and of the associated economics. In view of the sweeping criticisms of dysfunctional practices illustrated in the article, we alert readers as to the need for discernment among these markets. The article points to a number of contrasting effects of digital publishing that are leading to various paradoxical reconfigurations. Finally, this forward-looking study of the publishing market’s future emphasises the multiple forms of the onward march towards open access and the influence exerted by the political dimension and the research evaluation process. Publicprivate partnerships are the preferred option to cater for the central values of independence, quality, accessibility and the enduring nature of scientific publications. Keywords: scientific publishing market, scientific publisher, scientific discipline, open access, publishing value, forward study. Laurent ROMARY, Communication scientifique : pour le meilleur et le PEER Le projet PEER (Publishing and the Ecology of European Research), lancé en 2005, vise à mieux connaître les développements actuels en matière d’archives institutionnelles scientifiques alors que celles-ci prolifèrent. Il fait collaborer des éditeurs scientifiques et des organismes de recherche et d’enseignement supérieur. Il étudie en particulier les effets du dépôt systématique des travaux scientifiques sur la diffusion des publications, sur la viabilité des revues, sur la production de la recherche… Mots-clés : archives institutionnelles, marché de l’édition scientifique, éditeur scientifique, impact des publications ouvertes. Scientific Communication: PEER Pressure and the Scientific Publishing Market The PEER project (Publishing and the Ecology of European Research) launched in 2005 aims to achieve a better understanding of current developments in the field of rapidly proliferating institutional scientific archives. The project involves collaboration from scientific publishers and from research and higher education organisations. It focuses in particular the effects of systematic copyrighting of scientific output on the dissemination of publications, on the viability of scientific journals and on research output itself. Keywords: institutional archives, scientific publishing market, scientific publisher, impact of free-access publications. 220 Livre-hermes-57.indb 220 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Résumés – Abstracts Joëlle FARCHY et Pascal FROISSART, Le marché de l’édition scientifique, entre accès « propriétaire » et accès « libre » Divers aspects pratiques ainsi que des considérations morales et politiques ont contribué à la mise en place de l’Open Source dans le domaine pionnier des logiciels, puis à l’extension de la philosophie du « libre » aux domaines de la culture et de la recherche. Cet article explore la généalogie de l’édition scientifique « ouverte » et met l’accent sur une autre variable, les dysfonctionnements économiques du marché et montre que, bien que ceux-ci aient joué un rôle important dans la mise en place de l’Open Access, ils sont loin d’avoir été totalement résolus par cette forme de diffusion de la science. Mots-clés : édition ouverte, marché biface, gratuité. The Scientific Publishing Market, from « Proprietary » to « Open » Access A number of practical aspects as well as ethical and political considerations have contributed to the advent of opensource applications in pioneering software, and subsequently to an extension of the openness principle to culture and research fields. This article explores the genealogy of open-source scientific publishing, emphasising the other variable of economic market dysfunction to show that although this has been an important factor in the development of open access, the problem has by no means been entirely resolved by this new form of science dissemination. Keywords: open publishing, two-sided market, free access. Danièle BOURCIER, Science Commons : nouvelles règles, nouvelles pratiques Les avancées rapides dans les technologies numériques ont considérablement changé et amélioré la façon dont les données, informations et outils peuvent être diffusés, gérés, utilisés et réutilisés dans la recherche, et ont créé de nouvelles opportunités pour accélérer le progrès dans la science et l’innovation. Ces développements sont principalement dus au large mouvement formel ou informel de la peer production et à la diffusion globale de l’information mobilisant la coopération de communautés distribuées œuvrant dans des environnements en réseaux. Les initiatives comme celle de Science Commons s’appuient sur un modèle économique de la science évoluant dans un environnement numérique et plus précisément sur un socle de partage et d’échange entre communautés de pairs comme modalité de production. Beaucoup d’autres initiatives de ce type sont en cours (Atlas au Cern, Genève). Nous avons choisi Science Commons, dont l’objectif, au-delà de la communication scientifique, vise à accélérer la traduction des données en découverte – en débloquant tous les verrous y compris juridiques qui empêchent que la société bénéficie plus rapidement des résultats scientifiques. La philosophie et les outils pratiques de Science Commons seront HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 221 221 27/07/10 16:28 Résumés – Abstracts décrits comme constitutifs d’une approche résolument ouverte de la connaissance scientifique, dans la lignée de la Déclaration de Berlin (2003). Mots-clés : accès ouvert, biens communs scientifique, domaine public, propriété intellectuelle, licences Creative Commons. Science Commons: New Rules and New Practices Rapid advances in the digital technologies have profoundly changed and improved the way in which data, information and tools can be disseminated, managed, used and re-used in research, and have created new opportunities to speed up progress in science and innovation. These developments are mainly due to an emerging broader movement in support of formal and informal « peer production » and global dissemination of information drawing on the cooperation of distributed science and knowledge communities working in open networked environments. Initiatives like the Science Commons rely on an economic model where science evolves in a digital environment, and more specifically on sharing and exchanges between peer communities as a basis for production. Many other initiatives of this kind are under way (e.g. ATLAS at the CERN in Geneva). We have chosen the Science Commons, whose objective, over and above scientific communication, is to speed up the translation of data into discovery by removing all barriers, including legal obstacles, that prevent society from enjoying the benefits of scientific results as quickly as possible. The philosophy and practical tools of the Science Commons are described as making up a resolutely open approach to scientific knowledge, as recommended by the Berlin Declaration (2003). Keywords: open access, Science Commons, public domain, intellectual property, Creative Commons licences. Morgan MEYER, Les courtiers du savoir, nouveaux intermédiaires de la science Les courtiers du savoir sont présentés comme des acteurs se déplaçant entre deux mondes, les producteurs de savoir et les utilisateurs de savoir. Leur travail ne consiste pourtant pas seulement à servir de véhicule entre les deux mondes ; ils opèrent d’une triple manière : ils mettent les savoirs en circulation, les traduisent et les solidifient. Ils établissent en fait des connexions très particulières transitoires, temporaires et flexibles. L’article s’attache à décrire ces opérations pour montrer que le courtage conduit vers un nouveau monde aux contours incertains et surtout imprévisibles. Mots-clés : information scientifique et technique, vulgarisation, science appliquée, courtier du savoir. 222 Livre-hermes-57.indb 222 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Résumés – Abstracts Knowledge Brokers as the New Science Mediators Knowledge brokers may be described as people moving between the two different worlds of knowledge producers and knowledge users. However, they do more than merely shuttle knowledge between the two worlds. Their task is threefold: they bring knowledge into circulation, translate it and give it solid substance. To do so, they establish very specific, transitory, temporary and flexible connections. This article describes their operations to show that knowledge brokering is ushering in a new world whose boundaries are not only uncertain but also unpredictable. Keywords: scientific and technical information, science popularisation, applied science, knowledge broker. Charline LEBLANC-BARRIAC et Paul RASSE, Les enseignants-chercheurs face aux mutations de leur environnement documentaire Le milieu universitaire, précisément le monde des enseignants-chercheurs, se trouve dans la nécessité absolue de s’approprier les nouvelles technologies de l’information ; en même temps, il est l’héritier d’habitudes épistémologiques séculaires. Cet article pose la question des pratiques présentes et émergentes dans les processus de documentation scientifique. Il s’agit d’une part de constater les éventuelles carences dénoncées par les chercheurs en matière d’accès à l’information, d’autre part de faire émerger tout un système de représentations sociales participant d’une culture informationnelle spécifique influençant nécessairement les pratiques. Sur la base d’une analyse qualitative, nous mettons en évidence la nécessité, pour les chercheurs, quelle que soit leur discipline, de maintenir une relation « papier » avec les supports d’information. Cette relation traditionnelle permet de mieux appréhender l’innovation technique et de faire face aux potentialités offertes par les nouvelles sources d’accès à l’information. En outre, nous montrons que la définition même du métier de chercheur et son comportement face au traitement de l’information dépend de sa culture disciplinaire, selon qu’il appartient aux sciences humaines et sociales ou aux « sciences dures ». Mots-clés : documentation scientifique, culture disciplinaire, enseignants-chercheurs, information. University Professors in a Changing Documentary Environment The university environment, where scholars and professors work, is faced with an imperative need to appropriate the new information technologies, but it has also inherited the epistemological habits of centuries. This article raises the question of current and emerging practices in the scientific documentation process. It seeks on the one hand to observe the failings exposed by researchers regarding access to information, and on the other hand to draw out the contours of a whole system of social representations relating to a specific information culture that necessarily influences practice. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 223 223 27/07/10 16:28 Résumés – Abstracts Based on a qualitative analysis, we show the need for researchers in any discipline to maintain « print » relationships with information media. This traditional relationship helps to gain a better grasp of technical innovation and to cope with the potential of new ways of accessing information. We also show that the very definition of the research profession, as well as researchers’ attitudes to information processing, depend on their disciplinary culture and whether they belong to the humanities and social sciences or to the « hard sciences ». Keywords: scientific documentation, disciplinary culture, scholars and professors, information. 224 Livre-hermes-57.indb 224 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 LES AUTEURS DE HERMÈS 57 Samuel Alizon est chargé de recherche au CNRS, affecté au laboratoire « Génétique et évolution des maladies infectieuses » (Gémi), UMR CNRS-IRD 2724, à Montpellier. Il est biologiste théoricien et travaille sur l’évolution des maladies infectieuses. Courriel : <[email protected]>. Florence Audier est économiste, chercheur au Centre d’économie de la Sorbonne (UMR 8174, Université Paris I et CNRS). Ses travaux portent principalement sur l’emploi, et spécialement sur l’emploi public, ainsi que sur l’évaluation. Courriel : <[email protected]>. Lionel Barbe est maître de conférences à l’Université Paris X - Nanterre et membre de l’équipe « info-com » du Modyco (modèles, dynamiques, corpus), UMR spécialisée en linguistique française. Ses recherches portent sur la co-construction des savoirs, les usages et l’appropriation des dispositifs socio-techniques d’information et de communication sur le Web, ainsi que sur les changements dans les organisations médiatiques liées à Internet. Courriel : <[email protected]>. Guylaine Beaudry est directrice de la bibliothèque Webster de l’Université Concordia et présidente de la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec. Elle est spécialiste de la conception et de la gestion de projets d’édition numérique scientifique. Parmi ses dernières publications, signalons : Les Enjeux de l’édition du livre dans le monde numérique (Montréal, Association nationale des éditeurs de livres, 2008) ; Bibliothécaire : passeur de savoirs (Montréal, éd. Carte Blanche, 2009). Courriel : <[email protected]>. Valérie Laure Benabou est professeur de droit à l’Université de Versailles - Saint-Quentin en Yvelines et directrice du laboratoire Dante (Droit des affaires et nouvelles technologies). Elle est spécialisée dans le droit de la propriété intellectuelle et de la concurrence et a rédigé de nombreuses contributions sur le statut des œuvres « ouvertes ». Courriel : <[email protected]>. Danielle Bourcier est directrice de recherche au CNRS et responsable du département Droit, Gouvernance et Technologies au Cersa (Université Paris II). Juriste, présidente de Creative Commons France, elle s’est spécialisée dans l’accès aux données publiques et dans les biens communs numériques (propriété intellectuelle, politiques publiques…). Courriel : <[email protected]>. Ghislaine Chartron travaille au Cnam où elle est titulaire de la chaire d’Ingénierie documentaire depuis 2006, directrice de l’Institut national des sciences et techniques de la documentation (INTD) et de l’équipe Dicen. Ses HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 225 225 27/07/10 16:28 Les auteurs de Hermès 57 travaux concernent l’évolution des dispositifs d’information et de communication scientifique. Elle est co-fondatrice de l’archive ouverte @rchiveSic et a participé à l’étude récente GFII sur l’édition scientifique en SHS. Courriel : <[email protected]>. Marie Cornu est directrice de recherche au CNRS et directrice du Cecoji (Centre de recherche sur la coopération juridique internationale). Ses principaux thèmes de recherche portent sur le droit des biens culturels et le droit de la création artistique. Elle co-anime avec Jérôme Fromageau un groupe de recherche international au sein duquel plusieurs programmes sont en cours (notamment : dictionnaire de droit des biens culturels, étude comparée sur le trafic illicite des œuvres d’art). Parmi ses divers ouvrages, citons : Le Droit culturel des biens. L’intérêt culturel juridiquement protégé (Bruylant, 1996) ; Droit, œuvres d’art et musées. Protection et valorisation des collections (avec Nathalie Mallet-Poujol, CNRS Éditions, 2006). Courriel : <[email protected]>. Joëlle Farchy est professeur de sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris I - Panthéon Sorbonne et chercheur au Centre d’économie de la Sorbonne. Ses principaux thèmes de recherche portent sur les industries culturelles, l’économie numérique et la propriété intellectuelle dans la mondialisation culturelle. Elle est membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, et directrice adjointe du Master « Droit, économie et gestion de l’audiovisuel » à Paris I. Courriel : <[email protected]>. Stephan Foldes est professeur de mathématiques à l’Université de Technologie de Tampere (Finlande). Spécialiste des mathématiques discrètes, il est l’auteur de Fundamental Structures of Algebra & Discrete Mathematics (Wiley, 1994). Parmi ses nombreux articles, citons : « The Lorentz group and its finite field analogs: local isomorphism and approximation » (Journal of Mathematical Physics, vol. 49, n° 9, 2008) ; « Invertibility and Dedekind finiteness in structural matrix rings » (avec J. Szigeti et L. van Wyk, à paraître dans la revue Linear and Multilinear Algebra). Courriel : <sf@ tut.fi>. Pascal Froissart est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris VIII (« Vincennes à Saint-Denis ») où il est également responsable du premier cycle en « Information et communication ». Chercheur associé du laboratoire « Communication et Politique » (Paris, CNRS), il poursuit des travaux sur les phénomènes collectifs médiatisés (rumeurs, emballements médiatiques, etc.). Courriel : <pascal.froissart@ univ-paris8.fr>. Bruno Granier est Professeur des Universités à l’UBO (Université de Bretagne occidentale, Brest). Il est membre du département des Sciences de la Terre et de l’Univers où il enseigne la sédimentologie, la stratigraphie et la paléontologie. Il avait travaillé plus de quinze ans dans l’industrie pétrolière avant d’intégrer le monde universitaire en 2004. En 2002, il a lancé les Carnets de Géologie, journal géo-scientifique électronique, bilingue et en accès libre. Par ailleurs, il est éditeur associé de plusieurs revues (Palaios, Studia UBB, etc.) et administrateur de sites (notamment Geoscience e-Journals). Courriel : <[email protected]>. 226 Livre-hermes-57.indb 226 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Les auteurs de Hermès 57 Lorna Heaton est professeur au département de Communication de l’Université de Montréal, où elle est membre du Centre de recherche interdisciplinaire sur les technologies émergentes (Cité), du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (Cirst) et du Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur (LabCMO). Ses travaux portent sur les collaborations interorganisationnelles et interdisciplinaires utilisant les technologies, et sur les pratiques d’innovation socio-technique. Courriel : <[email protected]>. Bernard Lang est directeur de recherche à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria). Il a travaillé sur de nombreux sujets liés à la conception et à l’implémentation des langages de programmation, au génie logiciel et au traitement du langage naturel. Cofondateur et vice-président de l’Association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres (Aful), il s’est intéressé aux aspects sociétaux, économiques et juridiques du monde numérique et d’Internet, et notamment à la promotion des logiciels libres, des ressources libres et des standards ouverts. Il est aussi membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA). Courriel : <[email protected]>. Charline Leblanc-Barriac, docteur en sciences de l’information et de la communication, est Attachée temporaire d’enseignement et de recherche (Ater) au sein du département Sciences de la Communication et du laboratoire I3M (Information, Milieux, Médias, Médiation) de l’Université de Nice Sophia-Antipolis. Elle mène actuellement des recherches sur les représentations sociales associées aux usages des nouveaux dispositifs socio-techniques, lorsque ceux-ci, intégrés à l’environnement privé ou socio-professionnel de l’individu, posent la question de leur appropriation et de leur détournement. Courriel : <[email protected]>. Cécile Méadel est professeur à l’École des Mines de Paris (Mines-ParisTech) où elle est aussi chercheuse au Centre de sociologie de l’innovation (CSI). Ses travaux portent sur la construction et les usages des technologies de communication. Son dernier ouvrage est Quantifier le public. Histoire des mesures d’audience de la radio et de la télévision (Economica, 2010). Courriel : <[email protected] >. Salvatore Mele est titulaire d’un doctorat de physique et travaille à Genève au Cern (Conseil européen pour la recherche nucléaire) où il dirige le service de l’Open Access. Dans ce cadre, il développe les programme SCOAP3 et INSPIRE et, de façon générale, il prépare les futurs systèmes d’information en physique des hautes énergies, à travers le libre accès généralisé. Courriel : <[email protected]>. Morgan Meyer est « postdoc » à Mines-ParisTech. Il s’intéresse à la rencontre de la science et des cultures : sociologie et géographie des sciences ; frontières et travail-frontière ; théorie des acteurs-réseaux ; musées ; science et culture au Luxembourg… Sa recherche actuelle porte sur le « courtage du savoir ». Ses articles sont publiés dans diverses revues : Revue d’anthropologie des connaissances, Interdisciplinary Science Reviews, Museum and Society, Science and Public Policy, European Review of History, Sociological Research Online, BioSocieties, Science Communication Review. Courriel : <[email protected]>. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 227 227 27/07/10 16:28 Les auteurs de Hermès 57 Florence Millerand est professeur au département de Communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal (Uqam) où elle est aussi codirectrice du Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur (LabCMO) et membre du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (Cirst). Ses travaux portent sur les usages des technologies de communication, le phénomène du Web social et les phénomènes d’innovation socio-technique, en particulier dans les milieux scientifiques. Courriel : <[email protected]>. Pierre Mounier est professeur certifié à l’EHESS, où il enseigne les Digital Humanities et anime le Centre pour l’édition électronique ouverte. Il est auteur de L’Édition électronique (avec Marin Dacos, éd. La Découverte, 2010). Courriel : <[email protected]>. Francesca Musiani est attachée de recherche à Mines-ParisTech, où elle est doctorante en socio-économie de l’innovation au Centre de sociologie de l’innovation (CSI). Ses travaux de thèse portent sur les applications « alternatives » de la technologie pair-à-pair. Courriel : <[email protected]>. Thierry Paquot est professeur de philosophie de l’urbain à l’Institut d’urbanisme de Paris (IUP). Il dirige la revue Urbanisme et a publié de nombreux ouvrages, dont les plus récents sont : Petit Manifeste pour une écologie existentielle (Bourin-Éditeur, 2007) ; Utopies et utopistes (La Découverte, 2007) ; Le Territoire des philosophes (codirigé avec Chris Younès, La Découverte, 2009) ; Philosophie de l’environnement et milieux urbains (codirigé avec Chris Younès, La Découverte, 2010). Il vient de publier, en collaboration avec d’autres auteurs, le Dictionnaire des citations philosophiques (Larousse, 2010). Courriel : <[email protected]>. Enoch Peserico est chercheur au département d’ingénierie de l’information (DEI) de l’Université de Padoue, en Italie. Il a obtenu un doctorat en sciences informatiques au Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston, USA, en 2007. Il travaille sur les réseaux (de capteurs, pair-à-pair, sociaux…), les logiciels de calcul à hautes prestations et l’analyse automatique d’images médicales. Courriel : <[email protected]>. Geneviève Piétu est directeur de recherche à l’Inserm. Elle a travaillé de 1993 à 2005 dans le domaine de la génomique en développant une première génération de puces à ADN au Généthon puis au service de Génomique fonctionnelle du CEA. En 2005, elle a rejoint le laboratoire I-Stem à Évry où elle a développé une modélisation pathologique d’une maladie neuromusculaire en utilisant des lignées de cellules souches embryonnaires humaines porteuse de la mutation causale. Courriel : <[email protected]>. Serge Proulx est professeur titulaire à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (Uqam) où il est aussi codirecteur du Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur (LabCMO) et membre du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (Cirst). Ses travaux portent sur les mutations des usages et des dispositifs d’information et de communication à l’ère du numérique, en particulier les innovations et contributions des usagers en contexte de capitalisme informationnel. Courriels : <[email protected]> et <serge. [email protected]>. 228 Livre-hermes-57.indb 228 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Les auteurs de Hermès 57 Paul Rasse est professeur à l’Université de Nice Sophia-Antipolis où il est directeur du laboratoire des sciences de l’information et de la communication I3M, et directeur du Master professionnel « Médiation et ingénierie culturelle ». Il a publié une dizaine de livres et de nombreux articles sur la communication scientifique, les cultures populaires et savantes, la médiation dans les musées et le théâtre, l’ingénierie culturelle et les identités face à la mondialisation. L’un de ses derniers ouvrages est La Rencontre des mondes, Diversité culturelle et communication (Armand Colin, 2006). Courriel : <[email protected]>. Bernard Rentier est recteur de l’Université de Liège. Licencié en sciences zoologiques et docteur en sciences biomédicales expérimentales, il est aussi professeur au département des Sciences de la Vie et dirige le laboratoire de Virologie fondamentale et d’Immunologie. Il est auteur de plus de 120 publications scientifiques, dont beaucoup sont en libre accès sur le Web (<http://orbi.ulg.ac.be/ph-search?uid=U010972&start=0>). Il soutient le mouvement pour l’accès libre aux publications scientifiques (Open Access) et il s’efforce d’encourager les responsables des universités à installer des dépôts bibliographiques institutionnels, via l’action de EOS (Enabling Open Scholarship, <http://www. openscholarship.org>). Courriel : <[email protected]>. Laurent Romary est directeur de recherche à l’Inria et mène depuis de nombreuses années des recherches en informatique linguistique sur la modélisation et la normalisation des données nécessaires à l’étude des langues. Ces dernières années, il a dirigé les politiques d’information scientifique du CNRS et de la Max-Planck Gesellschaft, où il a en particulier mis en œuvre des actions visant à accroître l’accès aux résultats de la recherche. Il est actuellement chercheur invité à l’Université Humboldt à Berlin. Courriel : <[email protected]>. Dominique Vinck est professeur des Universités en sociologie à l’Université de Grenoble et membre de l’UMR « Pacte » (politiques publiques, action publique, territoires, environnement). Ses recherches portent sur la sociologie des sciences et de l’innovation, en particulier dans le domaine des micro- et nano-technologies. Courriel : <dominique. [email protected]>. Michel Wieviorka, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), est l’administrateur de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme. Membre du Cadis (Centre d’analyse et d’intervention sociologiques), ses recherches portent sur la violence, le terrorisme, le racisme, mais aussi sur les différences culturelles, les mouvements sociaux et la démocratie. Il a été président de l’Association internationale de Sociologie de 2006 à 2010. S’intéressant au problème actuel de « l’argent-roi », le dernier ouvrage qu’il vient de diriger est L’Argent (Éditions Sciences Humaines, 2010). Courriel : <[email protected]>. Dominique Wolton est fondateur et directeur de la revue Hermès qui a fêté en 2008 ses 20 ans et son 50e numéro. Dans ses nombreux ouvrages tels que Il faut sauver la communication (Flammarion, 2005), il montre le paradoxe qui fait que les outils de communication sont souvent un révélateur de l’incommunication et il insiste sur le fait que la communication concerne tous les domaines, et pas seulement les nouvelles technologies et la vie quotidienne. Il se consacre actuellement à la communication entre les sciences et, dans ce but, il a créé en novembre 2009 HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 229 229 27/07/10 16:28 Les auteurs de Hermès 57 la Maison des sciences de la communication et de l’interdisciplinarité (MSCI). Courriel : <dominique.wolton@iscc. cnrs.fr>. Christian Zimmermann est professeur associé d’économie a l’Université du Connecticut, aux États-Unis. Citoyen suisse, il a étudié a l’Université de Lausanne et à Carnegie Mellon University (USA) avant d’enseigner a l’Université du Québec a Montréal (Uqam). Expert en macro-économie, il est présent sur le Web depuis 1995, où il avait d’abord créé un site specialisé pour son propre domaine de recherche, avant de s’impliquer dans RePEc peu après sa création. Courriel : <[email protected]>. 230 Livre-hermes-57.indb 230 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 OUVRAGES REÇUS ANDRIEU Bernard (dir.), Philosophie du corps. Expériences, interactions et écologie corporelle, Paris, Vrin, 2010, 384 p. BIANCHINI Samuel et alii (École nationale supérieure d’art de Nancy), Recherche & Création : art, technologie, pédagogie, innovation, Montreuil, Burozoïque, 2010, 264 p. CERVETTO Arrigo, La difficile question des temps, Montreuil, éd. Science marxiste, 2e éd. 2010, 168 p. (traduit de l’italien.) CHAPRON Françoise et DELAMOTTE Éric, L’Éducation à la culture informationnelle, Actes du colloque de Lille (octobre 2008), Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2010, 308 p. DEMORGON Jacques, Déjouer l’inhumain. Avec Edgar Morin, Paris, Economica et Anthropos, 2010, XII-132 p. DERÈZE Gérard, Méthodes empiriques de recherche en communication, préface d’Yves Winkin, Bruxelles, De Boeck, 2009, 256 p. Digiworld Yearbook 2010 (Les enjeux du monde numérique), 10e édition, Montpellier, Idate, 2010, 168 p. GATIGNOL Claude (député) et ÉTIENNE Jean-Claude (sénateur), Pesticides et santé, Les Rapports de l’OPECST, Paris, Assemblée Nationale et Sénat, 2010, 262 p. Géoéconomie, n° 53, « Les batailles du savoir », Paris, Institut Choiseul, printemps 2010, 136 p. LE CAM Florence, Le Journalisme imaginé. Histoire d’un projet professionnel au Québec, Montréal, Leméac, 2009, 256 p. LUYCKS GHISI Marc, Surgissement d’un nouveau monde, Monaco, Alphée/Jean-Paul Bertrand, 2010, 414 p. MARCHETTI Dominique, Quand la santé devient médiatique, Presses Universitaires de Grenoble, 2010, 192 p. ROUGÉ Matthieu (dir.), Jean-Marie Lustiger, cardinal républicain, Paris, Parole & Silence, 2010, 192 p. Synergies Brésil, numéro spécial 1, STREHLER René et GOROWITZ Sabine (dir.), « Pour un enseignement réciproque du portugais et du français », Revue du Gerflint (Groupe d’études et de recherches pour le français langue internationale), São Paulo, 2010, 240 p. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 231 231 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 232 27/07/10 16:28 TITRES PARUS D’HERMÈS Pour plus d’informations sur les publications, consulter les sites : http://www.wolton.cnrs.fr et http://irevues.inist.fr/hermes Hermès 8-9 1990, 415 pages 24,50 € Coordonné par Daniel Dayan, Jean-Marc Ferry, Jacques Sémelin, Isabelle Veyrat-Masson, Yves Winkin et Dominique Wolton Frontières en mouvement Hermès 10 Espaces publics, traditions et communautés Hermès 1 Théorie politique et communication 1988, 225 pages 24,50 € Coordonné par Christian Lazzeri et Jean-Pierre Chrétien-Goni Coordonné par Jean-Marc Ferry Hermès 11-12 À la recherche du public Réception, télévision, médias Hermès 2 Masses et politique 1988, 250 pages 24,50 € 1992, 360 pages 24,50 € 1993, 464 pages 24,50 € Coordonné par Daniel Dayan Coordonné par Dominique Reynié Hermès 13-14 Hermès 3 Psychologie ordinaire et sciences cognitives 1988, 188 pages 24,50 € Espaces publics en images 1994, 444 pages 28,00 € Coordonné par Daniel Dayan et Isabelle Veyrat-Masson Coordonné par Pascal Engel Hermès 15 Hermès 4 Le nouvel espace public 1989, 255 pages 24,50 € Coordonné par Dorine Bregman, Daniel Dayan, Jean-Marc Ferry et Dominique Wolton Argumentation et rhétorique (vol. 1) Coordonné par Alain Boyer et Georges Vignaux Hermès 16 Argumentation et rhétorique (vol. 2) Hermès 5-6 Individus et politique 1990, 404 pages 24,50 € Coordonné par Erika Apfelbaum, Jean-Michel Besnier et Alexandre Dorna 1990, 310 pages 24,50 € Coordonné par François Clementz, pour la partie philosophique et logique et par Anne-Françoise Schmid pour la partie politique 1995, 327 pages 24,50 € 1995, 325 pages 24,50 € Coordonné par Alain Boyer et Georges Vignaux Hermès 17-18 1995, 440 pages 28,00 € Coordonné par Gilles Gauthier, André Gosselin et Jean Mouchon Communication et politique Hermès 7 Bertrand Russell. De la logique à la politique HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 233 Hermès 19 1996, 312 pages 32,00 € Coordonné par Patrice Meyer-Bisch et Edward M. Swidersky Voies et impasses de la démocratisation 233 27/07/10 16:28 Titres parus d’Hermès Hermès 20 Toutes les pratiques culturelles se valent-elles ? Création artistique, développement culturel et politique publique 1997, 296 pages 29,50 € Hermès 29 2001, 288 pages 23,00 € Dérision – Contestation Coordonné par Arnaud Mercier Coordonné par Jean-Pierre Sylvestre Hermès 30 Hermès 21 Sciences et médias 1997, 288 pages 29,50 € 2001, 262 pages 23,00 € Stéréotypes dans les relations Nord-Sud Coordonné par Gilles Boëtsch et Christiane Villain-Gandossi Coordonné par Suzanne de Cheveigné Hermès 31 Hermès 22 Mimesis Imiter, représenter, circuler 1998, 228 pages 26,00 € La cohabitation culturelle en Europe Regards croisés des Quinze, de l’Est et du Sud 1999, 396 pages 29,50 € Coordonné par Éric Dacheux, Annie Daubenton, Jean-Robert Henry, Patrice Meyer-Bisch et Dominique Wolton Hermès 25 Le dispositif Entre usage et concept 23,00 € L’opinion publique Perspectives anglo-saxonnes Coordonné par Loïc Blondiaux et Dominique Reynié avec la collaboration de Natalie La Balme Coordonné par Susan Ossman Hermès 23-24 2001, 308 pages 1999, 312 pages 29,50 € Hermès 32-33 2002, 656 pages 29,00 € La France et les Outre-mers L’enjeu multiculturel Coordonné par Tamatoa Bambridge, Jean-Pierre Doumenge, Bruno Ollivier, Jacky Simonin et Dominique Wolton Hermès 34 2002, 288 pages 23,00 € L’espace, enjeux politiques Coordonné par Geneviève Jacquinot-Delaunay et Laurence Monnoyer Hermès 26-27 2000, 388 pages 29,50 € Coordonné par Éric Maigret et Laurence Monnoyer-Smith www. démocratie locale.fr Coordonné par Isabelle Sourbès-Verger Hermès 35 2003, 344 pages Les journalistes ont-ils encore du pouvoir ? 25,00 € Coordonné par Jean-Marie Charon et Arnaud Mercier Hermès 28 Amérique latine Cultures et communication Coordonné par Guy Lochard et Philipp R. Schlesinger 234 Livre-hermes-57.indb 234 2000, 320 pages 29,50 € Hermès 36 2003, 256 pages 23,00 € Économie solidaire et démocratie Coordonné par Éric Dacheux et Jean-Louis Laville HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 Titres parus d’Hermès Hermès 37 L’audience Presse, Radio, Télévision, Internet 2003, 312 pages 25,00 € Hermès 45 Fractures dans la société de la connaissance 2006, 240 pages 25,00 € Coordonné par Didier Oillo et Bonaventure Mvé-Ondo Coordonné par Régine Chaniac Hermès 46 Hermès 38 Les Sciences de l’information et de la communication Savoirs et pouvoirs 2004, 256 pages 23,00 € Coordonné par Yves Jeanneret et Bruno Ollivier 2006, 240 pages 25,00 € Coordonné par Jocelyne Arquembourg, Guy Lochard et Arnaud Mercier Événements mondiaux, regards nationaux Hermès 47 Paroles publiques : communiquer dans la cité Hermès 39 Critique de la raison numérique 2004, 268 pages 25,00 € Coordonné par Virginie Paul et Jacques Perriault Hermès 40 Francophonie et mondialisation Coordonné par Françoise Massit-Folléa et Cécile Méadel Hermès 48 2004, 422 pages 25,00 € 2007, 248 pages 25,00 € 2007, 288 pages Racines oubliées des sciences de la communication 25,00 € Coordonné par Anne-Marie Laulan et Jacques Perriault Coordonné par Tamatoa Bambridge, Hervé Barraquand, Anne-Marie Laulan, Guy Lochard, Didier Oillo Hermès 49 Hermès 41 Psychologie sociale et communication 2005, 224 pages 23,00 € Traduction et mondialisation (vol. 1) 2007, 220 pages 25,00 € Coordonné par Joanna Nowicki et Michaël Oustinoff Coordonné par Birgitta Orfali et Ivana Marková Hermès 50 Hermès 42 Peuple, populaire, populisme 2005, 264 pages 25,00 € Coordonné par Nicole D’Almeida, Pascal Griset et Serge Proulx Coordonné par Pascal Durand et Marc Lits Hermès 43 Rituels 2005, 252 pages 25,00 € Coordonné par Gilles Boëtsch et Christoph Wulf Hermès 44 Économie et communication Coordonné par Joëlle Farchy et Pascal Froissart HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 235 Communiquer – Innover réseaux, dispositifs, territoires 2008, 224 pages 25,00 € 2006, 248 pages 25,00 € Hermès 51 2008, 264 pages 25,00 € Coordonné par Joanna Nowicki, Michaël Oustinoff et Serge Proulx L’épreuve de la diversité culturelle Hermès 52 2008, 224 pages 25,00 € Coordonné par Pascal Blanchard, Marc Ferro et Isabelle Veyrat-Masson Les guerres de mémoires dans le monde 235 27/07/10 16:28 Titres parus d’Hermès Hermès 53 Traçabilité et réseaux 2009, 264 pages 25,00 € Coordonné par Michel Arnaud et Louise Merzeau Hermès 54 2009, 272 pages 25,00 € Coordonné par Éric Dacheux, Jérôme Dutel et Sandrine Le Pontois La bande dessinée : art reconnu, média méconnu Hermès 55 Société civile et Internet en Chine et Asie orientale 2009, 240 pages 25,00 € Coordonné par Olivier Arifon, Liu Chang et Éric Sautedé Hermès 56 Traduction et mondialisation (vol. 2) 2010, 256 pages 25,00 € Coordonné par Michaël Oustinoff, Joanna Nowicki et Juremir Machado da Silva Hermès 57 Sciences.com libre accès et science ouverte 2010, 000 pages 25,00 € Coordonné par Joëlle Farchy, Pascal Froissart et Cécile Méadel 236 Livre-hermes-57.indb 236 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 HERMÈS Cognition, Communication et Politique Informations aux auteurs : Les manuscrits doivent être adressés à la Rédaction en deux exemplaires (avec une copie sur disquette Word), saisis en double interligne et d’une longueur maximale de 20 000 signes et espacements (notes et références bibliographiques comprises). Chaque article doit comporter plusieurs intertitres et doit être accompagné d’un résumé (en français et en anglais) d’une dizaine de lignes environ. Les appels de notes figurent dans le texte en numérotation continue et les notes, sont rassemblées en fin d’article. Les références bibliographiques font également l’objet d’un appel, dans le texte, qui renvoie à une liste située en fin d’article. Rédaction : 20 rue Berbier-du-Mets, 75013 Paris Tél. : 01.58.52.17.31 Administration et diffusion : CNRS ÉDITIONS, 15 rue Malebranche, 75005 Paris Mail : [email protected] Tél. : 01.53.10.27.00 Fax : 01.53.10.27.27 Vente en commande permanente : Voir ci-après. Vente au numéro : Par l’intermédiaire de votre libraire habituel, ou sur commande à CNRS ÉDITIONS 15 rue Malebranche, 75005 Paris Mail : [email protected] Anciens articles : Libre accès sur le site de l’Inist : http://irevues.inist.fr/hermes Prix de vente de HERMÈS 57, SCIENCES.COM : libre accès et science ouverte : 25 € HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 237 237 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 238 27/07/10 16:28 COMMANDE PERMANENTE • Avant chaque parution d’un nouveau titre vous recevez un courrier de notre part ainsi qu’un devis dont le paiement déclenche la livraison de l’ouvrage. Vous avez la certitude de recevoir tous les numéros dès leur parution. • Vous bénéficiez du prix de lancement, valable un mois avant la parution de chaque numéro. • CNRS ÉDITIONS offre à tout souscripteur les frais de poste. • Les modes de règlement sont adaptés à chacun : virement, mandat postal, chèque, CB, Visa, Mastercard. • Vous n’avez pas de souci de renouvellement. Sauf avis contraire de votre part, votre commande permanente sera reconduite chaque année. À tout moment, vous pouvez annuler une commande permanente par simple courrier. À compléter et à retourner (accompagné de votre règlement dans le cas d’une commande au numéro) à CNRS ÉDITIONS, 15, rue Malebranche, F-75005 Paris Nom............................................................................... Prénom ................................................................ Nom du donneur d’ordre ............................................................................................................................ Profession........................................................... Société ou organisme .................................................... Adresse ......................................................................................................................................................... Code postal ....................... 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Signature obligatoire : HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 239 239 27/07/10 16:28 Livre-hermes-57.indb 240 27/07/10 16:28 LA REVUE HERMÈS EN LIBRAIRIE (Liste non exhaustive : Paris, banlieue et province) COGNITION COMMUNICATION POLITIQUE Île-de-France * Les Cahiers de Colette, 23 rue Rambuteau, 75004 Paris * Compagnie, 58 rue des Ecoles, 75005 Paris * Eyrolles, 61 bd Saint-Germain, 75005 Paris * Gibert Jeune, 5 place Saint-Michel, 75005 Paris * Palimpseste, 16 rue de Santeuil, 75005 Paris * Tekhné, 7 rue des Carmes, 75005 Paris * Gibert Joseph, 26 bd Saint-Michel, 75006 Paris * La Hune, 170 bd Saint-Michel, 75006 Paris * La Procure, 3 rue de Mézières, 75006 Paris * Tschann, 125 bd du Montparnasse, 75006 Paris * La Documentation Française, 29 quai Voltaire, 75007 Paris * Sciences politiques, 30 rue Saint-Guillaume, 75007 Paris * Librairie Lavoisier, 11 rue Lavoisier, 75008 Paris * Le Roi Lire, 4 rue Florian, 92330 Sceaux * Folies d’Encre, 9 av. de la Résistance, 93100 Montreuil * Berthet, 107 Grande rue Charles-de-Gaulle, 94130 Nogent sur Marne HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 241 CNRS ÉDITIONS Autres régions * Privat Sorbonne, 37 rue de l’Hôtel des Postes, 06000 Nice * Maupetit, 142 La Canebière, 13001 Marseille * Regards, 2 rue de la Charité, 13002 Marseille * Goulard, 37 cours Mirabeau, 13100 Aix-en-Provence * Librairie de Provence, 31 cours Mirabeau, 13100 Aix-en-Provence * Vents du Sud, 7 rue Maréchal-Foch, 13100 Aix-en-Provence * Au Brouillon de Culture, 29 rue Saint-Sauveur, 14000 Caen * Librairie de l’Université, 110 rue de Geôle, 14000 Caen * Grangier, 14 rue du Château, 21000 Dijon * Librairie de l’Université, 17 rue de la Liberté, 21000 Dijon * Marbot, 21-23 cours Montaigne, 24000 Périgueux * Camponovo, 50 Grande Rue, 25000 Besançon * L’Esperluète, 10 rue Noël Ballay, 28000 Chartres * Castéla, 20 place du Capitole, 31000 Toulouse * Études, 5 allée Antonio-Machado, 31000 Toulouse * Floury Frères, 36 rue de la Colombette, 31000 Toulouse * Ombres Blanches, 50 rue Gambetta, 31000 Toulouse 241 27/07/10 16:28 COGNITION COMMUNICATION POLITIQUE * La Machine à Lire, 8 place du Parlement, 33000 Bordeaux * Mollat, 14 rue Vital-Carles, 33000 Bordeaux * Librairie Georges, 300 cours de la Libération, 33400 Talence * Gibert Joseph, 3 place des Martyrs de la Résistance, 34000 Montpellier * Le Grain des Mots, 13 bd du Jeu de Paume, 34000 Montpellier * Sauramps, place de la Comédie, 34000 Montpellier * Le Failler, 8-14 rue Saint-Georges, 35000 Rennes * Forum du Livre, 5 quai Lamartine, 35000 Rennes * La Boîte à Livres, 19 rue Nationale, 37000 Tours * Librairie de l’Université, 2 place Docteur Léon-Martin, 38000 Grenoble * Durance, 4 allée d’Orléans, 44000 Nantes * Vent d’Ouest, 5 place du Bon Pasteur, 44000 Nantes * Privat Loddé, 2 place de la République, 45000 Orléans * Richer, 6-8 rue Chaperonnière, 49100 Angers * Privat Guerlin, 70 place Drouet d’Erlon, 51100 Reims * L’Autre Rive, 19 rue du Pont Mouja, 54000 Nancy * Le Hall du Livre, 38 rue Saint-Dizier, 54000 Nancy * Géronimo, 2 rue Ambroise-Thomas, 57000 Metz * Le Furet du Nord, 15 place du Général-de-Gaulle, 59000 Lille * Le Furet du Nord, 15 bd Basly, 62300 Lens * Les Volcans, 80 bd de Gergovie, 63000 Clermont-Ferrand * Torcatis, 10 rue de Mailly, 66000 Perpignan * Kléber, 1 rue des Francs-Bourgeois, 67000 Strasbourg * Quai des Brumes, 120 Grand’rue, 67000 Strasbourg * Decitre, 29 place Bellecour, 69002 Lyon * Flammarion, 19 place Bellecour, 69002 Lyon * L’Armitière, 5 rue des Basnage, 76000 Rouen * Privat Colbert, 1 place Colbert, 76130 Mont-Saint-Aignan * Librairie Charlemagne, 50 bd de Strasbourg, 83000 Toulon * La Mémoire du Monde, 36 rue Carnot, 84000 Avignon * Gibert Joseph, 9 rue Gambetta, 86000 Poitiers * Page et Plume, 4 place de La Motte, 87000 Limoges CNRS ÉDITIONS Dom-Tom Guadeloupe * Librairie Générale Jasor, 46 rue Schoelcher, 97110 Pointe-à-Pitre * Librairie Saint-John Perse, 11 rue Nozières, 97110 Pointe-à-Pitre Guyane * Librairie Albert Jean-Charles, 31 bd Jubelin, BP 810, 97300 Cayenne 242 Livre-hermes-57.indb 242 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 * Librairie Encrage, CV 13, place Appolo, Simarouba, 97310 Kourou Martinique * Librairie Alexandre, 29 rue de la République, 97200 Fort-de-France Nouvelle Calédonie * Librairie L’As de Trèfle, 12 rue du Docteur Lescour, BP 3493, Nouméa * Librairie Montaigne, place des Cocotiers, BP 4225, Nouméa COGNITION COMMUNICATION POLITIQUE Polynésie française * Librairie Archipels, 68, rue des Remparts, BP 20676, Papeete, Tahiti La Réunion * L’Entrepôt, 82 rue Juliette Dodu, BP 812, 97400 Saint-Denis * Librairie Autrement, 42 rue Alexis de Villeneuve, BP 262, 97400 Saint-Denis * Librairie Gérard, 5 ter rue de la Compagnie des Indes, BP 110, 97400 Saint Denis Étranger Allemagne * Wasmuth Buchhandlung, Pfalzburger str. 43-44, 10717 Berlin * Dokumente Verlag, Hildastrasse 4, Postfach 13 40, 77603 Offenburg Belgique * Filigranes, 39-40 av. des Arts, 1040 Bruxelles * Libris - Espace Louise, 40-42 av. de la Toison d’Or, 1050 Bruxelles * Presses Universitaires de Bruxelles, 42 av. Paul Héger, 1000 Bruxelles * Librairie Agora, 10 rue Charlemagne, 1348 Louvain-la-Neuve * Librairie Agora Béranger, 7b rue des Carmes, 4000 Liège CNRS ÉDITIONS Canada * DPLU (bureau 112), 5165 rue Sherbrooke Ouest, Montréal, H4A 1T6 Québec * Librairie Coop Uqam, 405 rue Sainte-Catherine Est, Montréal, H2L 2C4 Québec * Librairie Olivieri, 5219 chemin de la Côte-des-Neiges, Montréal, H3T 1Y1 Québec Espagne * Marcial Pons Librero, San Sotero 6, 28037 Madrid * Portico Librerias, Munoz Seca 6, 50005 Zaragoza Grande Bretagne * Oxbow Books, Park End Place, Oxford OX1 1HN HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 243 243 27/07/10 16:28 Île Maurice * Éditions Le Printemps, 4 route du Club, Vacoas * Bookcourt, Caudan Waterfront, Port-Louis * Librairie Le Trèfle, rue Royale, Port-Louis COGNITION COMMUNICATION POLITIQUE Italie * Librairie Française de Florence, Piazza Ognissanti 1r, 50123 Firenze * Libreria di Fama, Piazza di San Luigi dei Francesi 23, 00186 Roma Liban * Librairie El-Bourj, place des Martyrs, BP 11 533, Beyrouth Luxembourg * Librairie Alinea, 5 rue Beaumont, Luxembourg Maroc * Livre Service, 40 av. Allal Ben Abdellah, Rabat * Le Triangle universitaire, 14 rue Balafrej, Kebibat, Rabat Portugal * Nouvelle Librairie Française, 91 av. Luís Bívar, Lisbonne Roumanie * Librairie Noi, 18 bd Nicolae Balcescu, Bucarest * Prior and Books, 32 rue Raspantiilor, Bucarest CNRS ÉDITIONS Suisse * Le Rameau d’or, 17-19 bd George Favon, 1204 Genève * Librairie Payot, 4 place Pépinet, 1003 Lausanne 244 Livre-hermes-57.indb 244 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 COLLECTION « CNRS COMMUNICATION » CNRS Éditions, 15 rue Malebranche, 75005 Paris Directeur de collection Dominique WOLTON Créée en 1998, la collection « CNRS Communication » publie des travaux interdisciplinaires de chercheurs et d’universitaires. Elle vise trois objectifs : • Publier des études portant sur les dimensions suivantes de la communication : – interpersonnelle, – médiatisée par les techniques classiques ou nouvelles, – politique, – interculturelle. • Développer des connaissances dans ce champ scientifique neuf, difficile, mais essentiel, la communication étant substantiellement modifiée par le progrès technique, les enjeux économiques et les idéologies. Dans l’explosion de la communication, comment distinguer ce qui relève des valeurs et des idéaux, humanistes et démocratiques, de ce qui renvoie aux intérêts et aux idéologies ? • Poursuivre la politique du CNRS dans ce domaine de recherche interdisciplinaire où, depuis plus de quinze ans, il joue un rôle précurseur, et ce, en favorisant des travaux théoriques, des recherches empiriques, des œuvres d’auteurs étrangers. Ces trois types de livres contribueront à construire ce domaine de connaissance, indispensable à l’avenir des sociétés contemporaines. Cette collection complète la revue Hermès (cognition, communication, politique), publiée depuis 1988 à CNRS Éditions. HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 245 245 27/07/10 16:28 OUVRAGES PARUS • Associations et communication. Critique du marketing, Éric DACHEUX, 1998 • Miroirs maghrébins. Itinéraires de soi et paysages de rencontre, sous la direction de Susan OSSMAN, 1998 • La Fin de l’exception culturelle ?, Joëlle FARCHY, 1999 • Les Oies du Capitole ou les raisons de la rumeur, sous la direction de Françoise R EUMAUX, 1999 • L’ « Expert » à la télévision. Traditions électives et légitimité médiatique, Yves CHEVALIER, 1999 • Pratiques médiatiques. 50 mots clés, Claire BELISLE, Jean BIANCHI et Robert JOURDAN, 2000 • L’ Environnement dans les journaux télévisés. Médiateurs et visions du monde, Suzanne DE CHEVEIGNÉ, 2000 • CNN et la mondialisation de l’imaginaire, Andrea SEMPRINI, 2000 • Observer la communication. Naissance d’une interdiscipline, Bruno OLLIVIER, 2000 • Vaincre l’indifférence. Les associations dans l’espace public européen, Éric DACHEUX, 2000 • Raison pratique et sociologie de l’éthique. Autour des travaux de Paul Ladrière, coordonné par Simone BATEMAN-NOVAES, Ruwen OGIEN, Patrick PHARO, 2000 • Langage et Travail. Communication, cognition, action, sous la direction de Anni BORZEIX, Béatrice FRAENKEL, 2001 • La Démocratie mise en scènes. Télévision et élections, Marlène COULOMB-GULLY, 2001 • L’ Ordre sensoriel. Une enquête sur les fondements de la psychologie théorique, Friedrich A. von H AYEK. Traduit de l’anglais par Philippe R. Mach, 2001 • Prévention du sida et agenda politique. Les campagnes en direction du grand public (19871996), Geneviève PAICHELER, 2002 • Des médias aux médiations. Communication, culture et hégémonie, Jesús M ARTÍN-BARBERO. Traduit de l’espagnol par Georges Durand, 2002 • Naturaliser la phénoménologie. Essais sur la phénoménologie contemporaine et les sciences cognitives, coordonné par Jean PETITOT, Francisco J. VARELA, Bernard PACHOUD, Jean-Michel ROY, 2002 • « Purification ethnique ». Une formule et son histoire, Alice K RIEG-PLANQUE, 2003 • Internet et le droit d’auteur. La culture Napster, Joëlle FARCHY, 2003 • Prospéro. Une technologie littéraire pour les sciences humaines, Francis CHATEAURAYNAUD, 2003 • L’ Expression gestuelle de la pensée d’un homme politique, Geneviève CALBRIS, 2003 • Altérité polynésienne ou les métamorphoses de l’espace-temps, Bernard R IGO, 2004 • Le Régime de la civilité en Égypte. Public et réislamisation, Jean-Noël FERRIÉ, 2004 • Armes de communication massive. Informations de guerre en Irak : 1991-2003, coordonné par Jean-Marie CHARON et Arnaud MERCIER, 2004 • Art et Internet. Les nouvelles figures de la création, Jean-Paul FOURMENTRAUX, 2005 • Télévisions arabes sur orbite. Un système médiatique en mutation (1960-2004), Tourya GUAAYBESS, 2005 • L’ Homme des confins. Pour une anthropologie interculturelle, Joanna NOWICKI, 2008 246 Livre-hermes-57.indb 246 HERMÈS 57, 2010 27/07/10 16:28 COLLECTION « LES ESSENTIELS D’HERMÈS » CNRS Éditions Inscrite dans le sillage de la revue, la collection Les Essentiels d’Hermès souhaite faciliter l’accès de tous les publics aux travaux de recherche présentés dans les différents numéros d’Hermès depuis sa création en 1988. En format de poche, chaque ouvrage de la collection Les Essentiels, construit autour d’un thème, propose un dossier permettant au lecteur d’accéder aux textes fondateurs de la revue : – En introduction, une synthèse inédite fournit les points de repère et actualise les enjeux. – Les problématiques ainsi dégagées sont accompagnées par une sélection des articles publiés dans la revue (eux-mêmes remis à jour). – Des outils aident à la compréhension des articles (présentation des textes, glossaire, bibliographie sélective d’une quinzaine d’ouvrages de base). Le but est de donner envie au lecteur d’en savoir plus. Chacun des Essentiels a pour ambition d’ouvrir les portes donnant accès à une recherche de qualité. C’est là aussi une volonté de démocratiser les débats en rapprochant communication, savoir et connaissance. Dominique Wolton Premiers volumes de la collection Année 2008 – L’ Espace public (Éric Dacheux) – Francophonie et mondialisation (Didier Oillo et Anne-Marie Laulan) – La Communication politique (Arnaud Mercier) HERMÈS 57, 2010 Livre-hermes-57.indb 247 Année 2009 – L’ Opinion publique (Nicole d’Almeida) – Les Identités collectives à l’heure de la mondialisation (Bruno Ollivier) – Le Journalisme (Arnaud Mercier) – L’ Audience (Régine Chaniac) – La Télévision (Guy Lochard) – La Réception (Cécile Méadel) – Sociétés de la connaissance, fractures et évolutions (Michel Durampart) – Les Sciences de l’information et de la communication (Éric Dacheux) – Populaire et populisme (Marc Lits) Année 2010 – La Cohabitation culturelle (Joanna Nowicki) – Critique de la société de l’information (Jean-Paul Lafrance) – Le Rituel (Aurélien Yannic) – Racines oubliées des sciences de la communication (Jacques Perriault) – Sciences et médias (Isabelle Veyrat-Masson) – La Communication (Éric Dacheux) À paraître – L’ Argumentation – La Rhétorique – Économie et communication – Psychologie et communication – Bertrand Russell – La médiation – L’ Économie solidaire 247 27/07/10 16:28 Achevé d’imprimer Livre-hermes-57.indb 248 27/07/10 16:28