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Giordano Bruno, son époque, sa vie (1548-1600)
Une formation religieuse
Giordano Bruno, de son vrai prénom Filippo, naît en 1548 à Nola, en Italie, près de Naples, au pied du
Vésuve. Son père est un sous-officier de l’armée du vice-roi d’Espagne (le royaume de Naples est alors
intégré à la couronne d’Espagne), sa mère possède quelques terres.
Après des études secondaires à Naples, il entre à 17 ans dans le plus grand couvent de la ville, de
l’ordre des Dominicains1. Il y entreprend des études générales, puis de théologie2. Dans l’enseignement,
donné en latin (comme dans toutes les universités d’Europe au XVIème siècle), deux autorités
dominent : le philosophe grec Aristote et Thomas d’Aquin, l’illustre théologien dominicain qui en 1274
avait fini ses jours dans ce couvent même.
Ordonné prêtre en 1573, Bruno, qui a pris le nom de frère Giordano, soutient avec succès en 1575 une
thèse sur Thomas d’Aquin3. Le voilà à 27 ans docteur en théologie.
La rupture avec l’Église (1576-1578)
Remarqué de ses supérieurs, et peut-être même du pape Pie V, pour sa vaste culture et sa mémoire
exceptionnelle, Bruno a devant lui une brillante carrière de théologien. Mais il se signale aussi par son
indocilité. A la suite d’une querelle avec un autre Dominicain, devant qui il n’a pas hésité à défendre son
droit à lire des auteurs condamnés pour hérésie4, il juge préférable de quitter le couvent pour Rome
(février 1576).
On retrouve peu après, cachés dans sa cellule, des ouvrages interdits, contenant notamment des
passages d’Erasme5. S’estimant en danger, Bruno s’enfuit de Rome. Officiellement excommunié, c’est-
à-dire rejeté hors de l’Eglise, il gagne le Nord de la péninsule italienne.
Il vit de leçons particulières à Gênes, Venise, Padoue, Chambéry… Après avoir cherché un
accommodement, il rompt totalement avec son ordre - mais garde le prénom de Giordano qu’il s’était
choisi.
Errances à travers l’Europe (1579-1592)
Au printemps 1579, Bruno gagne Genève, haut-lieu du protestantisme. Il se convertit au calvinisme et
s’inscrit à l’université, tout en gagnant sa vie comme correcteur d’imprimerie. Peut-être a-t-il vu dans la
ville de Calvin un havre de tolérance religieuse. Mais la désillusion est rapide et brutale. Pour avoir
dénoncé publiquement l’incompétence d’un enseignant de philosophie, proche des autorités religieuses,
il est bientôt à nouveau excommunié par celles-ci, et doit à nouveau s’enfuir de crainte d’un procès
(septembre 1579).
Bruno s’établit alors à Toulouse, où il obtient par concours une chaire d'enseignant de philosophie
(1579-81).Mais la menace d’une reprise de la guerre ouverte entre protestants et catholiques français le
pousse à se rendre à Paris. Il y publie un traité (en latin) consacré à l’art de la mémoire, De l’ombre des
Idées. Le roi Henri III est séduit. Amateur de culture italienne, et sans doute politiquement intéressé à
laisser s’exprimer un philosophe rejeté à la fois par les catholiques et les calvinistes, il crée pour Bruno
un poste de “lecteur extraordinaire” (c’est-à-dire exceptionnellement dispensé d’assister à la messe) au
Collège des lecteurs royaux, le futur Collège de France. Bruno publie alors plusieurs œuvres, dont sa
comédie Le Chandelier.
1 Dominicains, ou ordre des prêcheurs : ordre religieux fondé en 1216 par Saint Dominique, destiné à former des prédicateurs voués à la
défense de la foi.
2 théologie : étude des questions religieuses à partir des textes sacrés d’une religion.
3 Intitulé de sa thèse principale : “Que tout ce que dit le Docteur Thomas dans sa ‘Somme contre les Gentils’ [les non-chrétiens] est vrai ”. Il
était en effet interdit aux étudiants en théologie de l’ordre dominicain de s’écarter en quoi que ce soit de la pensée de Saint Thomas,
surnommé le Docteur Angélique.
4 hérésie : opinion condamnée par une religion comme contraire à ses croyances fondamentales ou dogmes.
5 Erasme de Rotterdam (vers 1469-1536). Le grand humaniste avait vigoureusement critiqué l’enrichissement du clergé et le pouvoir
temporel des papes. Le concile de Trente (1563, voir plus loin) avait interdit la lecture de ses œuvres.