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© Anne GAYAN
Fiche découverte
création, théâtre
Le Faiseur de théâtre
jeudi 13 février - 20h30
de Thomas Bernhard, compagnie Java Vérité, mise en scène Julia Vidit
acb, scène nationale bar-le-duc
le théâtre - 20 rue Theuriet - 55000 Bar-le-Duc
réservations : 03 29 79 73 47
Nathalie HAMEN
Professeur de Lettres
Professeur-relais auprès de l’acb
BAR-LE-DUC
LE FAISEUR DE THEATRE
de Thomas Bernhard
mise en scène Julia Vidit
I - LE TEXTE
1 L’auteur
Ecrivain et auteur dramatique autrichien, Thomas Bernhard, né en 1931 au Pays-Bas, est reconnu dès les
années soixante comme l’écrivain le plus important de sa génération et l’un des écrivains de langue allemande
les plus originaux. Il obtient des prix littéraires prestigieux en Allemagne ainsi que le prix Medicis étranger
pour Maîtres anciens en 1988.
Personnage austère, exigeant, maniaque, provocateur, misanthrope, il entretient des rapports complexes
avec l’Autriche et vit une relation d’amour et de haine avec sa patrie. Sa pièce, Place des héros (Helden
Platz, nom de la place où 250 000 Viennois firent une ovation à Hitler au lendemain de l’Anschluss) fit
scandale en 1988, quelques mois avant sa mort. Il y déclare « qu’il y a aujourd’hui plus de nazis à Vienne
qu’en 1938. »
Thomas Bernhard fait une ultime provocation dans son testament : il interdit dans des termes d’une
extrême agressivité la diffusion et la représentation de ses œuvres en Autriche.
Sa langue singulière développe des soliloques obsessionnels et obsédants, des monologues ininterrompus
délivrés par des personnages solitaires et amères qui vitupèrent contre (l’Autriche, les écrivains, la bêtise
des gens, les musées, la médiocrité des intellectuels viennois, le mauvais goût général…) et qui ressassent
sans fin « comme une scie circulaire […] travaillant les nerfs [du lecteur] à petits coups d’archet aussi
exaspérant qu’un sillon de disque rayé » (Hervé Guibert)
Ses récits autobiographiques, ses romans et ses pièces révèlent un destin peu commun marqué par une
jeunesse douloureuse pendant la guerre et l’après-guerre (pauvreté humiliante, sentiment d’abandon,
absence de père) et une vie sans cesse menacée par une maladie pulmonaire contractée jeune qui lui
vaudra de longs séjours à l’hôpital et au sanatorium.
En 1950, il rencontre au sanatorium Hedwig Stavianicek, de 35 ans son aînée qui devient sa compagne,
son « être vital », dont il partage désormais la tombe. Hedwig Stavianicek est, jusqu’à sa mort en 1984,
son soutien moral et financier. Elle est la première lectrice de ses manuscrits et sans doute la seule autorisée
à critiquer son travail.
En 1965, il achète une ferme fortifiée en très mauvais état à Ohlsdorf en Autriche qu’il travaillera à remettre
en état avec passion, puis deux autres grosses maisons dans la même région en 1971 et 1972. Il passe son
temps, solitaire, à Ohlsdorf où il mène une vie austère et réglée de paysan alors qu’il est un propriétaire
foncier plutôt riche ; il fait aussi des séjours à Vienne et des voyages dans les pays méditerranéens.
Il meurt dans sa ferme de Haute-Autriche des suites de sa maladie pulmonaire.
2 Le titre
Le titre original est Der Theatertmacher ; la pièce date de 1984. La traduction littérale est Le Faiseur de Théâtre.
Le faiseur de théâtre est Bruscon, un directeur de troupe de théâtre qui tourne en province avec la pièce
dont il est l’auteur : La Roue de l’Histoire
« une comédie genèse / pour ne pas avoir à dire / une œuvre du siècle » p. 15
« une espèce de théâtre du monde » p. 22
C’est une épopée gigantesque qui brasse l’Histoire de César à Churchill ; son projet est celui d’une comédie totale :
« L’idée bien sûr c’était / d’écrire une comédie / où seraient contenues toutes les comédies / qui ont été
écrites un jour » p. 110
Bruscon définit ce qu’est un faiseur de théâtre :
« Homme de théâtre né vous savez / faiseur de théâtre / poseur de pièges très tôt déjà » p. 23
Bruscon est faiseur de théâtre à tous les niveaux, il est l’auteur de la pièce, directeur de la troupe familiale
qu’il tyrannise, il est metteur en scène et comédien :
« Le plus grand comédien / de tous les temps » p. 70
Notons que le terme faiseur a en français une connotation péjorative. « C’est un faiseur » renvoie à quelqu’un
de poseur et d’habile qui sait tirer les ficelles… Et l’idée d’échec affleure peut-être déjà dans ce titre.
3 La liste des personnages, le découpage de la pièce et sa forme
- La page liminaire de la pièce annonce sept personnages, quatre personnages constituent la famille
Bruscon, trois personnages celle de l’hôtelier mais c’est principalement Bruscon qui parle, fulmine et
ratiocine dans un long soliloque tyrannique, mégalomaniaque et désespéré.
- La pièce est découpée en quatre scènes dont la longueur ira en s’amenuisant jusqu’à la « catastrophe » finale.
La première scène occupe 57 pages : c’est la découverte de la salle de spectacle.
La deuxième, 32 pages : c’est la préparation de la salle, l’installation des rideaux…
La troisième scène, 18 pages : c’est la préparation des costumes, la répétition de certains passages du texte...
La quatrième scène, 12 pages : c’est l’attente, en costume , du public.
- Le texte est composé de vers libres, cours, rageurs, sans ponctuation ; les ruptures et les redites de la
pensée sont marquées par des majuscules. Des didascalies, très précises complètent le texte des paroles.
4 La fable de pièce et le théâtre dans le théâtre
La pièce semble se moquer férocement du théâtre, elle le célèbre pourtant avec jubilation.
Le théâtre (et son impossibilité) est le propos de la pièce Le Faiseur de théâtre.
Bruscon est le faiseur de théâtre. En effet il est l’auteur, le metteur en scène, et le comédien principal
de sa pièce maîtresse La Roue de l’Histoire qui déroule sur scène une fresque épique et théâtrale de sa
vision de l’Histoire avec un grand H dans laquelle se rencontrent César, Churchill, Napoléon et Marie
Curie… C’est l’œuvre de la vie de ce grand comédien d’Etat autrichien qui fait une tournée « décentralisée » avec
sa troupe familiale ambulante. Il se heurte à la réalité du lieu de la représentation : la salle de bal vétuste d’une
auberge dans un village autrichien. L’endroit est sale, poussiéreux, bruyant. Les conditions d’éclairage
ne vont pas avec son cahier des charges (il exige le noir total). L’hôtelier et le personnel de l’auberge
sont peu disponibles car c’est le jour de la confection du boudin. Les cochons grognent, l’odeur est pestilentielle,
le temps est lourd et l’orage gronde. On assiste donc pendant toute la pièce à l’installation d’une troupe
de théâtre, à la préparation de l’espace scénique, à la pose des rideaux, à la préparation des costumes,
aux ultimes répétitions de certains passages, à l’attente des spectateurs et surtout aux fulminations de
Bruscon qui conchie les mauvaises conditions de représentation pour son théâtre, qui critique sa famille
sans talent, celle de l’hôtelier, son public de province inculte et qui dégoise sur la situation théâtrale de
l’Art en Autriche : lamentable, abjecte et catastrophique.
A la fin de la pièce de Thomas Bernhard, Le Faiseur de théâtre, lorsque la pièce de Bruscon, La Roue de
l’Histoire doit commencer, le public d’Utzbach, à peine installé dans la salle de bal du Cerf Noir, se précipite
hors de la salle : un incendie s’est déclaré au presbytère ! Fin du théâtre de Bruscon ! Fin de la pièce de
Thomas Bernhard !
5 L’espace et le temps
- Le lieu du Faiseur de théâtre est indiqué dans la didascalie liminaire : « Au Cerf Noir à Utzbach. Salle de
bal ». Dès les premières lignes du texte, Bruscon vitupère contre cet espace abject qui lui a été dévolu
pour sa représentation théâtrale de sa Roue de l’Histoire : « Quoi ici / dans cette atmosphère confinée
/ […] Mon Dieu / pas même pour uriner / je ne suis entré dans cette sorte d’auberge […] Au Cerf Noir /
désolant il regarde autour de lui Néant culturel absolu / désolant » (p. 9). Dans cette auberge s’inscrit son
espace scénique, dérisoire et vermoulu : « il tâte encore une fois le plancher de l’estrade mais c’est tout
moisi et pourri » (p. 16), impropre à sa représentation qui nécessite un noir total difficile a obtenir ici qui
inquiète Bruscon : il revient sur ses problèmes de lumière de manière obsessionnelle (p. 12, 13, 19, 20,
24, 61, 71, 77, 95, 96, 115) car, en fait,Thomas Bernhard insère dans sa pièce la violente polémique qu’il
eut en 1972 lors de la création de L’ignorant et le fou au festival de Salzbourg dont il avait interdit toute
représentation additionnelle parce que l’extinction complète des lumières y compris celles du signalement des sorties de secours lui avait été refusée.
Cet espace visible du plateau est constamment contaminé par un espace hors scène qui offusque
Bruscon. C’est celui des cochons et de la fabrication du boudin par la population locale qui se manifeste
par une odeur pestilentielle et les grognements récurrents des cochons (p. 14, 37, 41, 44, 103, 104, 108…)
- Le temps de la pièce est notifié très précisément par Thomas Bernhard au début de chaque scène et
mentionné encore par les personnages.
L’installation dans l’auberge se fait à « trois heure de l’après-midi » (première scène) jusqu’au soir vers
20h quand le public arrive… pour quitter les lieux très vite.
Ce temps de la troupe de théâtre de Bruscon, temps de l’Art, se heurte au temps de la population locale,
qui est celui du jour du boudin, temps d’une effervescence bruyante et empressée des locaux et de l’hôtelier
qui n’ont donc que peu de temps à accorder au grand Bruscon.
Le temps météorologique (temps lourd, grondement du tonnerre) se révèle encore un empêchement
au temps de l’Art puisque l’orage va déclencher un incendie et donc annuler la représentation.
Le temps de l’Histoire, avec La Roue de l’Histoire de Bruscon, vient se télescoper de manière risible et
pathétique avec le temps « réel » de Bruscon et du village. Ce temps de l’histoire va de l’Antiquité avec
César à la seconde guerre mondiale avec Churchill, mais il est également inscrit dans le décor de l’auberge
avec le portrait d’Hitler qui orne le mur et fait fulminer Bruscon : « Il représente Hitler / Ici tous les portraits
d’hommes représentent Hitler / ici tous les hommes sont Hitler / je trouve / que nous devrions laisser le
tableau au mur / en quelque sorte comme un objet de démonstration / me comprends-tu / tous ici sont
Hitler » (p. 88-89).
6 Bruscon, un personnage tyrannique, tragique et burlesque
- Bruscon est, à première lecture, un personnage odieux (au sens étymologique, in odio esse, être dans
la haine), il se comporte de manière abominable avec sa famille et celle de l’hôtelier. Son comportement
est proprement tyrannique avec ses enfants et sa femme. Son fils est un « Bon à rien / Anti-talent » (p. 70).
Il dit à sa fille « tu es la partie la plus faible / dans ma comédie / Allez disparais / il la chasse dehors avec
sa canne » (p. 84) « tu es restée bête / mais je t’aime » (p. 58). A sa femme : « Si seulement je pouvais /
t’insuffler de la vie / hélas tu es restée aussi raide / que lorsque je t’ai connue » (p.124). L’hôtelier quant à
lui est « un misérable, un ennemi de l’art, une détestation, une impudence, une monstruosité » (p. 58),
de surcroît il « sent très mauvais de la bouche ». (p.87)
Bruscon, contempteur et imprécateur tonitruant, vitupère contre sa famille, les gens du village, « cette
racaille de campagne » (p.97) , la société dans son ensemble, « des gens profondément stupides », et
l’Autriche, « une fosse d’aisance / la poche purulente de l’Europe » (p.49).
Bruscon, tyran grotesque à la Jarry, ne porte-t-il pas dans son nom même la brutalité dont il fait preuve ?
- Bruscon est également un personnage beckettien, enfermé dans sa ratiocination et sa désespérance.
Ses maîtres mots qu’il ressasse à l’envi avec une jubilation féroce et désespérée sont « catastrophe »,
« échec », « mort », « piège », « anéantissement », « mensonge » et « absurdité ». Certaines de ses
déclarations résonnent comme des aphorismes beckettiens :
« En fait nous sommes assujettis la vie durant / à l’absurdité / d’être nés » (p.113)
Bruscon vieil homme solitaire pourrait dire, à l’instar de Hamm de Fin de partie : « J’entame mon dernier
soliloque ». Il est au centre du monde et de l’art et constate la désertification, l’immobilité et le déclin
du monde qui l’entoure, il est un penseur du déclin « le monde est sur son déclin » (p.73), il est le maître
du soliloque, du discours obsessionnel et fait courber l’échine aux autres protagonistes dans un jeu du
maître et de l’esclave beckettien là aussi.
(Il dit à sa fille : « Tu ne m’as pas ciré mes chaussures / fais les briller / vite » p.119)
Comme les personnages de Beckett, il passe de la souveraineté mégalomaniaque au dénuement
puisqu’il va être dépossédé de son public et de son théâtre. Son théâtre du monde va aboutir à une
scène vide. Le faiseur de théâtre assiste à l’orage qui anéantit toute perspective de représentation de
sa Roue de l’Histoire qui s’enlise dans le néant culturel de ce monde fini.
Un autre indice qui renvoie à l’univers beckettien est celui du bonnet dont Bruscon est affublé (p.19, p. 90 et 91). Le
faiseur de théâtre possède un bonnet de coton sans lequel il est incapable de penser et l’on sait comme
le chapeau est un objet récurrent dans le théâtre et les romans de Beckett.
Dans l’art de destruction qu’opère Bruscon dans ses anathèmes, il y a comme une jubilation de l’échec
et de manière paradoxale comme un dynamisme de l’échec qui le fait vivre et le pousse à produire son
théâtre de l’imprécation. Bruscon pourrait faire sienne cette citation de Beckett : « Echouer, échouer
encore, échouer mieux ».
Bruscon est un personnage tragique, un vieil homme usé et malade (les références à la maladie et à la
mort sont un des motifs récurrents dans son discours et rappellent l’état de santé de Thomas Bernhard)
- obsédé par la dégradation de l’être et de l’art - qui porte sur le théâtre, avec lucidité et désespoir, son
rêve d’un théâtre ambitieux. La Roue de l’Histoire est l’œuvre de sa vie ; il en a fait l’ébauche à 14 ans,
dit-il (p.22), il a mis 9 années à l’écrire (p.19), « assoiffé d’ esprit de création » (p.88) et il n’a pas été entendu,
compris :
« Les critiques ont pris le parti / de regarder stupidement / ils n’entendent plus rien / Nous donnons sans
limites / mais ce n’est pas compris / plus nous nous dépouillons / plus grande est notre tension d’esprit /
moins la critique est compréhensive / nous nous produisons la vie durant / et pas un seul ne nous comprend /
Réclusion théâtrale la vie durant / sans la moindre chance de rémission / et jamais renoncé pourtant »
(p.111). Il écrit pour résister , résister à la déliquescence de l’art dans le monde actuel « néant culturel
absolu » et surtout dans cette Autriche au passé nazi mal surmonté : « En fait ici il n’y a rien / sauf des
églises / et des nazis » (p.14). Il écrit pour ne pas mourir : « Si nous n’avions pas cette foi / et même s’il ne
s’agit que d’art dramatique / nous serions depuis longtemps au cimetière » (p.111)
Bruscon est un avatar du Lear détrôné qui se bat contre les éléments (l’orage), la trahison des siens, ces
« anti-talents » qui ne portent pas son texte comme il le veut, et celle de son public inculte et qui déserte
de surcroît. Il est tragique parce qu’il est lucide à propos de sa propre mégalomanie : « Ma faute / ma
mégalomanie » (p.117), à propos de sa tyrannie de l’art « Notre avantage est / que nous n’accusons personne /
seulement nous-mêmes / Besoin de s’accuser soi-même la vie durant (p.130). Bruscon comprend que sa
haute conception de l’art, héritière d’une poétique romantique de la beauté et de l’absolu, est irrémédiablement vouée à l’échec. A la fin de la pièce, il constate, dans un chiasme pathétique :
« La salle est vide
Vide est la salle »
Puis ses derniers mots sont : « Comme si je l’avais deviné ».
Lear qui se heurte au monde froid, ennemi de l’art mais aussi Don Quichotte qui se bat pour ses illusions
artistiques, Bruscon est aussi, à l’évidence, un personnage comique et burlesque.
Sa mégalomanie délirante, la brutalité et l’excès de ses apophtegmes, le génie imprécatoire de ses
aphorismes, les variations de ses griefs obsessionnels, la méchanceté effroyable dans son rapport aux
autres en font un personnage hautement comique. Il relèverait même de la marionnette ou de l’automate
tant il semble être remonté par la machine de son discours qui l’anime ; il semble emporté par la spirale
de ses motifs de diatribes.
Sa mégalomanie se traduit par le pluriel de majesté, « nous », ou il parle de lui, comme César, à la troisième
personne :
« Shakespeare
Goethe
Bruscon
Voilà la vérité » (p.130)
Il use d’ailleurs de ces raccourcis elliptiques et comiques qui le mettent sur le même plan que des auteurs
célèbres :
« Shakespeare
Voltaire
Et moi » (p. 21)
Dans la dernière scène, Bruscon parle de lui ainsi :
« Artiste du jeu de mots
Qui ne déteste pas non plus
La plaisanterie facile » (p.126)
Il semblerait que Bruscon / Bernhard utilise les moyens du comique pour briser les sentiments lyriques
et pathétiques qui affleurent dans son discours sur la mort du théâtre et sa propre mort. Rappellons que
Le Faiseur de théâtre est une œuvre de la fin de vie de Thomas Bernhard et que, dans les dix dernières
années de sa vie, il se voyait volontiers sous les traits du vieux bouffon :
« Vous m’avez demandé comment je me voyais. Je ne peux dire qu’une chose : le bouffon. Là, ça va. Je
ne me vois que comme le bouffon, la vieillesse du bouffon. » (cité par Hans Holler, Thomas Bernhard,
une vie, p.172)
II - LE SPECTACLE
1 Julia Vidit, metteur en scène du Faiseur de théâtre
Comédienne et metteur en scène, Julia Vidit crée sa compagnie Java Vérité en 2006.
En 2009, au CDN de Thionville, elle met en scène Fantasio de Musset, que l’ACB avait coproduit et accueilli.
On se souvient de sa mise en scène intelligente, drôle et poétique.
De 2011 à 2013 elle est artiste associée à Scène Vosges, la Scène Conventionnée d’Epinal. Elle crée Bêtes
et Méchants puis Rixe de J. Cl. Grumberg.
Elle se lance ensuite dans un grand chantier sur Thomas Bernhard : marathon de lecture des œuvres
autobiographiques, Mes prix littéraires, (pamphlet qui évoque certaines des remises de prix qui lui sont
décernés et les discours sarcastiques qu’il prononça) et Le Faiseur de Théâtre qui tourne en 2014 et sera
présent au théâtre de l’Athénée - Louis Jouvet du 28 mars au 12 avril.
Outre son travail de création, Julia Vidit est fortement impliquée dans un travail de formation d’acteurs
et de spectateurs dans les lycées, les foyers ruraux, les maisons d’arrêts, les centres culturels. Elle travaille
aussi au théâtre de Peuple de Bussang fondé en son temps par Frédéric Pottecher pour promouvoir un
théâtre populaire, pour tous, au fond d’une vallée vosgienne.
2 Notes d’intention de Julia Vidit : FAIRE DU THEATRE / malgré tout
« Comment faire du théâtre dans une Europe en crise, où la plupart des créateurs n’ont pas les moyens
de créer, où les territoires n’ont plus les moyens d’accueillir des troupes ? Comment ne pas être atteint
par l’histoire théâtrale passée que la majorité des metteurs en scènes ne peut faire perdurer ? Bruscon
ne parvient pas à trouver sa place dans la création contemporaine. Il insulte les institutions tout en
rêvant d’en être, lui qui a toujours refusé de jouer le jeu du mensonge. En conséquence il agit seul, sur
des territoires isolés, où reste une modeste salle de spectacle, probablement quelques subventions des
communes et un public qui vient au théâtre comme on vient à la kermesse ou au loto.
Insidieusement la pièce pose la question de la décentralisation dévolue au théâtre public. Comment se
place-t-on en tant que metteur en scène sur les territoires ruraux ? Comment former et attirer le public,
celui pour qui l’ont fabrique des spectacles ? Ces communes rurales regorgent de poésie et de chaleur
humaine mais le manque de moyen use l’artiste qui y travaille sans la reconnaissance de l’état. […]
Le Faiseur de Théâtre, précisément permet de tuer le prétendu nihilisme de Bernhard avec les outils du
théâtre. Il s’agit de mettre en scène l’impossibilité de Bruscon de jouer. C’est donc cet équilibre entre le
théâtre fragile et un théâtre qui résiste que je veux mettre en scène. En ce sens cette mise en scène sera
optimiste, puisqu’elle existe et fabrique une illusion, malgré le discours destructeur du protagoniste.
Car la tentative de Bruscon me touche. Je comprends son désir de faire un théâtre grandiose. Il ignore
que la perfection n’est pas de ce monde et j’aimerai qu’on le plaigne : mi-triste, mi-moqueur. Et que l’on
reconnaisse le tragi-comique de notre existence. »
3 Choix dramaturgiques
- Jeux sur la langue :
Dans le texte original Thomas Bernhard fait parler Bruscon en allemand et les hôteliers en autrichien. Julia
Vidit souligne cette différence en faisant jouer la famille d’hôtelier avec « un accent lorrain qui viendra
rappeler la supposée inculture du terroir que Bruscon dénigre ».
- Jeux sur les corps :
François Clavier qui incarne Bruscon est un comédien de grande taille. Julia Vidit a choisi des comédiens
de petites tailles pour jouer les membres de sa famille : « par contraste, dit-elle, son corps devient celui
de la solitude et de l’oppression. L’homme semble avoir empêché la croissance de ses enfants et choisit
une femme petite pour mieux la diminuer » et des acteurs gros pour jouer les hôteliers. Elle explique :
« Je souhaite ainsi montrer des aubergistes proches de la caricature, aux corps pourtant légers quand ils
franchissent des portes battantes trop étroites. Leur agilité n’a d’égale que leur élégance. Leur embonpoint
n’est un problème que pour le jugement hâtif de Bruscon. En somme, ces corps inadaptés nous mettent
sur une fausse piste. Ce n’est pas celui qui prend le plus de place - ou qui parle le plus - qui parvient à vivre. »
4 Scénographie : un espace piégeur
« Le décor sera contraignant et inconfortable pour piéger le grand Bruscon ratiocineur et mégalomaniaque :
portes battantes, lustre suspendu trop bas… Des effets de théâtre appuyés vont le gêner : la poussière
volera, les hurlements des cochons couvriront sa voix donneuse de leçon, la lumière sera trop crue…
Portes et fenêtres trop grandes et bande-son rendront le hors champs omniprésent.
Par ailleurs, le décor sera évolutif puisque la scène fictive de l’auberge tournera au fil des actes et, à la
dernière scène, quand les faux spectateurs arriveront, la scène se trouvera face aux vrais et faux spectateurs
de sorte que le rideau du vrai théâtre deviendra celui de l’auberge.
Enfin les indices « culturels » du décor piocheront dans tous les siècles pour figurer le brassage des
siècles de la Roue de l’Histoire de Bruscon qui tente de reconstituer l’histoire européenne : ainsi il y aura
des lustres autrichiens du 17ème, des chaises Napoléon 1er, un portrait d’Hitler, un podium des années 80.
L’auberge sera un condensé de l’histoire européenne. »
Julia Vidit
III - PISTES PEDAGOGIQUES
1 En amont du spectacle
- Recherches biographiques sur la vie singulière de Thomas Bernhard, qui est en soi « un roman » et qui
irrigue largement son œuvre (père absent, la figure du grand-père, la maladie, sa misanthropie, les scandales
médiatiques qu’il suscite…)
- Lecture de la pièce Le Faiseur de Théâtre et étude du début et de la fin (voir en annexes) Comment
l’échec de la fin est déjà « annoncé » au début.
- Etude comparée de l’univers de Samuel Beckett et de Thomas Bernhard dans leurs œuvres romanesques
et théâtrales.
- Commentaire de la citation de Beckett confrontés à l’œuvre de Thomas Bernhard :
« Echouer,
Echouer encore,
Echouer mieux » Beckett
A rapprocher de ce passage de Maîtres Anciens de Thomas Bernhard
« Jusqu’ici dans chacun de ces tableaux, soi-disant chefs d’oeuvres, j’ai trouvé un défaut rédhibitoire, j’ai
trouvé et dévoilé l’échec de son créateur. […] Au fond, cela me rend heureux. C’est seulement lorsque
nous nous sommes rendus compte, à chaque fois, que le tout et la perfection n’existent pas, que nous
aurons la possibilité de continuer à vivre. […] Il n’y a pas de tableau parfait et il n’y a pas de livre parfait,
et il n’y a pas de morceau de musique parfait a dit Reder, voilà la vérité, et c’est cette vérité qui permet
qu’une tête comme la mienne, qui n’est autre sa vie durant, qu’une tête désespérée, continue d’exister.
La tête doit être une tête chercheuse, une tête chercheuse de défauts, de défauts humains, une tête
chercheuse de l’échec. » p. 37 et 38, édition folio
2 Après avoir vu le spectacle
A) Analyse de la représentation théâtrale
- Description de l’espace scénique (sol, mur, plafond, couleur, encombré ou minimaliste) : est-il évolutif
ou non ? Éléments et objets scéniques : usage fonctionnel, rôle métaphorique ? Cet espace scénique
fait-il référence à une (ou des) esthétique(s) culturelle(s) ?
- Description des lumières (variations des lumières, des noirs, des couleurs), quel est le rôle de la lumière
(créer une atmosphère, associer des transitions, éclaire une action, un personnage…)
- Description de l’environnement sonore (musique, instrumentale ou vocale, bruitages…), rôle du son :
ponctuer la mise en scène, faire exister un hors scène…
- Description des personnages et de leurs voix (physiques, costumes, mimiques, gestuelle, posture, diction,
silences)
- Description du personnage principal, Bruscon : démarche, occupation de l’espace, contacts physiques
avec les autres, jeux de regards, mode de parole (diction, rythme, variation…)
B) Lecture de la mise en scène
- Quels rapports y a-t-il entre la première et la dernière image ?
- Quelle fable est racontée par la mise en scène ?
- Quel est le parti prix esthétique de Julia Vidit (réaliste, théâtralisé, symbolique, expressionniste, stylisé… ) ?
- Quels ont été ses choix dramatiques (choix des comédiens, des codes de jeu, du rapport entre le plateau
et le hors scène…) ?
- Quelle est sa visée, son discours sur l’homme et sur le monde à travers la mise en scène ?
C) Analyse de la réception de la pièce
Quelles ont été vos émotions pendant la représentation théâtrale ? Avez-vous ri ? Quand et pourquoi ?
Avez-vous été ému ? Avez-vous envie de voir d’autres pièces de Thomas Bernhard ? Quelles ont été les
réactions du public ? Dans quel état étiez-vous à la fin du spectacle (heureux, dubitatif, curieux…) ?
D) Débat (ou sujet de dissertation)
Le Faiseur de théâtre est-il une comédie ? Est-ce une tragédie ?
IV - BIBLIOGRAPHIE
1 Oeuvres de Thomas Bernhard
Citons quelques œuvres de Thomas Bernhard parmi sa production assez dense composée de poésie, prose (romans, récits, scénarios, récits autobiographiques) et de théâtre (sans parler des discours,
interviews et entretiens)
- Sur la terre comme en enfer, 1957 (premier recueil de poésie)
- Gel, 1962 (roman)
- Une fête pour Boris, 1970 ( première grande pièce de théâtre)
- L’ignorant et le fou, 1972 (théâtre)
- La société de chasse, 1974 (théâtre)
- Des arbres à abattre, 1984 (« roman à clefs », confisqué dés sa sortie en raison d’une plainte en diffamation de Gerhard Lampersberg)
- Le Faiseur de théâtre, 1985 (théâtre)
- Maîtres anciens, 1985 (roman)
- Extinction, 1986 (grand roman, presque terminé en 1980, comédie humaine satirique de la société autrichienne)
2 Sur Thomas Bernhard
- Hans Höller, Thomas Bernhard, une vie, 1994, L’Arche
- Chantal Thomas, Thomas Bernhard, 1990, Seuil ; Thomas Bernhard, le briseur de silence, 2006, Seuil
- Aldo G. Gargani, La phrase infinie de Thomas Bernhard, 1990, L’Eclat
- Valéry Pratt, Invitation à la lecture de Thomas Bernhard (thèse)
- Marc H. Moser, Etude psychocritique sur l’œuvre romanesque et théâtrale de Thomas Bernhard : la vie
au cœur de la mort, la mort au cœur de la vie (thèse de doctorat d’Etat, Université Lumière/ Lyon II)
- Nicolas Elder, « Thomas Bernhard ou la grande détestation », in le Langage et l’homme, vol. XXVI
n°2-3 (juin-septembre 1991)
- Simon Harel, « Fatalité de la parole : invective et imitation de l’œuvre de Thomas Bernhard » in Etudes
littéraires, vol 39, n°2 (hiver 2008)
V - ANNEXES
- Extraits du Faiseur de Théâtre, éd l’Arche, le début (p. 9 à 15), la fin (p.123 à 131)
- Extrait de Maîtres Anciens, roman de 1985, éd Folio (p. 251 à 252)
- Photographie de Thomas Bernhard
Thomas Bernhard
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