acb, scène nationale bar-le-duc
le théâtre - 20 rue Theuriet - 55000 Bar-le-Duc
réservations : 03 29 79 73 47
jeudi 13 février - 20h30
Le Faiseur de théâtre
création, théâtre
de Thomas Bernhard, compagnie Java Vérité, mise en scène Julia Vidit
Fiche découverte
© Anne GAYAN
Nathalie HAMEN
Professeur de Lettres
Professeur-relais auprès de l’acb
BAR-LE-DUC
LE FAISEUR DE THEATRE
de Thomas Bernhard
mise en scène Julia Vidit
I - LE TEXTE
1 L’auteur
Ecrivain et auteur dramatique autrichien, Thomas Bernhard, né en 1931 au Pays-Bas, est reconnu dès les
années soixante comme lécrivain le plus important de sa génération et l’un des écrivains de langue allemande
les plus originaux. Il obtient des prix litraires prestigieux en Allemagne ainsi que le prix Medicis étranger
pour Maîtres anciens en 1988.
Personnage austère, exigeant, maniaque, provocateur, misanthrope, il entretient des rapports complexes
avec l’Autriche et vit une relation d’amour et de haine avec sa patrie. Sa pièce, Place des héros (Helden
Platz, nom de la place 250 000 Viennois rent une ovation à Hitler au lendemain de l’Anschluss) t
scandale en 1988, quelques mois avant sa mort. Il y déclare « qu’il y a aujourd’hui plus de nazis à Vienne
qu’en 1938. »
Thomas Bernhard fait une ultime provocation dans son testament : il interdit dans des termes d’une
extrême agressivité la diusion et la représentation de ses œuvres en Autriche.
Sa langue singulre développe des soliloques obsessionnels et obdants, des monologues ininterrompus
délivrés par des personnages solitaires et amères qui vitupèrent contre (l’Autriche, les écrivains, la bêtise
des gens, les musées, la médiocrité des intellectuels viennois, le mauvais goût général…) et qui ressassent
sans n « comme une scie circulaire […] travaillant les nerfs [du lecteur] à petits coups d’archet aussi
exaspérant qu’un sillon de disque rayé » (Hervé Guibert)
Ses récits autobiographiques, ses romans et ses pièces révèlent un destin peu commun marqué par une
jeunesse douloureuse pendant la guerre et l’après-guerre (pauvreté humiliante, sentiment d’abandon,
absence de père) et une vie sans cesse menacée par une maladie pulmonaire contractée jeune qui lui
vaudra de longs séjours à l’hôpital et au sanatorium.
En 1950, il rencontre au sanatorium Hedwig Stavianicek, de 35 ans son aînée qui devient sa compagne,
son « être vital », dont il partage désormais la tombe. Hedwig Stavianicek est, jusqu’à sa mort en 1984,
son soutien moral et nancier. Elle est la première lectrice de ses manuscrits et sans doute la seule autorisée
à critiquer son travail.
En 1965, il achète une ferme fortiée en très mauvais état à Ohlsdorf en Autriche qu’il travaillera à remettre
en état avec passion, puis deux autres grosses maisons dans la même région en 1971 et 1972. Il passe son
temps, solitaire, à Ohlsdorf où il mène une vie austère et réglée de paysan alors qu’il est un propriétaire
foncier plutôt riche ; il fait aussi des séjours à Vienne et des voyages dans les pays méditerranéens.
Il meurt dans sa ferme de Haute-Autriche des suites de sa maladie pulmonaire.
2 Le titre
Le titre original est Der Theatertmacher ; la pièce date de 1984. La traduction littérale est Le Faiseur de Théâtre.
Le faiseur de théâtre est Bruscon, un directeur de troupe de théâtre qui tourne en province avec la pièce
dont il est l’auteur : La Roue de l’Histoire
« une comédie genèse / pour ne pas avoir à dire / une œuvre du siècle » p. 15
« une espèce de théâtre du monde » p. 22
Cest une épopée gigantesque qui brasse l’Histoire de César à Churchill ; son projet est celui d’une comédie totale :
« L’idée bien r c’était / d’écrire une comédie / seraient contenues toutes les codies / qui ont é
écrites un jour » p. 110
Bruscon dénit ce qu’est un faiseur de théâtre :
« Homme de théâtre né vous savez / faiseur de théâtre / poseur de pièges très tôt déjà » p. 23
Bruscon est faiseur de théâtre à tous les niveaux, il est l’auteur de la pièce, directeur de la troupe familiale
qu’il tyrannise, il est metteur en scène et comédien :
« Le plus grand comédien / de tous les temps » p. 70
Notons que le terme faiseur a en français une connotation jorative. « C’est un faiseur » renvoie à quelqu’un
de poseur et d’habile qui sait tirer les cellesEt l’ie d’échec aeure peuttre dans ce titre.
3 La liste des personnages, le découpage de la pièce et sa forme
- La page liminaire de la pièce annonce sept personnages, quatre personnages constituent la famille
Bruscon, trois personnages celle de l’hôtelier mais c’est principalement Bruscon qui parle, fulmine et
ratiocine dans un long soliloque tyrannique, mégalomaniaque et désespéré.
- La pièce est découe en quatre scènes dont la longueur ira en samenuisant jusquà la « catastrophe »nale.
La première scène occupe 57 pages : c’est la découverte de la salle de spectacle.
La deuxième, 32 pages : c’est la préparation de la salle, l’installation des rideaux…
La troisme scène, 18 pages : c’est la préparation des costumes, la tition de certains passages du texte...
La quatrième scène, 12 pages : c’est l’attente, en costume , du public.
- Le texte est composé de vers libres, cours, rageurs, sans ponctuation ; les ruptures et les redites de la
pensée sont marquées par des majuscules. Des didascalies, très précises complètent le texte des paroles.
4 La fable de pièce et le théâtre dans le théâtre
La pièce semble se moquer férocement du théâtre, elle le célèbre pourtant avec jubilation.
Le théâtre (et son impossibilité) est le propos de la pièce Le Faiseur de théâtre.
Bruscon est le faiseur de théâtre. En eet il est l’auteur, le metteur en scène, et le comédien principal
de sa pièce maîtresse La Roue de l’Histoire qui déroule sur scène une fresque épique et théâtrale de sa
vision de l’Histoire avec un grand H dans laquelle se rencontrent César, Churchill, Napoléon et Marie
Curie… Cest lœuvre de la vie de ce grand comédien dEtat autrichien qui fait une tournée « centralie » avec
sa troupe familiale ambulante. Il se heurte à la réali du lieu de la repsentation : la salle de bal tuste d’une
auberge dans un village autrichien. L’endroit est sale, poussiéreux, bruyant. Les conditions d’éclairage
ne vont pas avec son cahier des charges (il exige le noir total). L’hôtelier et le personnel de l’auberge
sont peu disponibles car c’est le jour de la confection du boudin. Les cochons grognent, l’odeur est pestilentielle,
le temps est lourd et l’orage gronde. On assiste donc pendant toute la pièce à l’installation d’une troupe
de théâtre, à la préparation de l’espace scénique, à la pose des rideaux, à la préparation des costumes,
aux ultimes répétitions de certains passages, à l’attente des spectateurs et surtout aux fulminations de
Bruscon qui conchie les mauvaises conditions de représentation pour son théâtre, qui critique sa famille
sans talent, celle de l’hôtelier, son public de province inculte et qui dégoise sur la situation théâtrale de
l’Art en Autriche : lamentable, abjecte et catastrophique.
A la n de la pièce de Thomas Bernhard, Le Faiseur de théâtre, lorsque la pièce de Bruscon, La Roue de
l’Histoire doit commencer, le public d’Utzbach, à peine instal dans la salle de bal du Cerf Noir, se précipite
hors de la salle : un incendie s’est déclaré au presbytère ! Fin du théâtre de Bruscon ! Fin de la pièce de
Thomas Bernhard !
5 L’espace et le temps
- Le lieu du Faiseur de théâtre est indiqué dans la didascalie liminaire : « Au Cerf Noir à Utzbach. Salle de
bal ». Dès les premières lignes du texte, Bruscon vitupère contre cet espace abject qui lui a été dévolu
pour sa représentation théâtrale de sa Roue de l’Histoire : « Quoi ici / dans cette atmosphère connée
/ […] Mon Dieu / pas même pour uriner / je ne suis entré dans cette sorte d’auberge […] Au Cerf Noir /
désolant il regarde autour de lui Néant culturel absolu / désolant » (p. 9). Dans cette auberge s’inscrit son
espace scénique, dérisoire et vermoulu : « il tâte encore une fois le plancher de l’estrade mais c’est tout
moisi et pourri » (p. 16), impropre à sa représentation qui nécessite un noir total dicile a obtenir ici qui
inquiète Bruscon : il revient sur ses problèmes de lumière de manière obsessionnelle (p. 12, 13, 19, 20,
24, 61, 71, 77, 95, 96, 115) car, en fait,Thomas Bernhard insère dans sa pièce la violente polémique qu’il
eut en 1972 lors de la création de L’ignorant et le fou au festival de Salzbourg dont il avait interdit toute
représentation additionnelle parce que l’extinction complète des lumières y compris celles du signale-
ment des sorties de secours lui avait été refusée.
Cet espace visible du plateau est constamment contaminé par un espace hors scène qui ousque
Bruscon. C’est celui des cochons et de la fabrication du boudin par la population locale qui se manifeste
par une odeur pestilentielle et les grognements récurrents des cochons (p. 14, 37, 41, 44, 103, 104, 108…)
- Le temps de la pièce est notié très précisément par Thomas Bernhard au début de chaque scène et
mentionné encore par les personnages.
L’installation dans l’auberge se fait à « trois heure de l’après-midi » (première scène) jusqu’au soir vers
20h quand le public arrive… pour quitter les lieux très vite.
Ce temps de la troupe de théâtre de Bruscon, temps de l’Art, se heurte au temps de la population locale,
qui est celui du jour du boudin, temps d’une eervescence bruyante et empressée des locaux et de l’telier
qui n’ont donc que peu de temps à accorder au grand Bruscon.
Le temps météorologique (temps lourd, grondement du tonnerre) se révèle encore un empêchement
au temps de l’Art puisque l’orage va déclencher un incendie et donc annuler la représentation.
Le temps de l’Histoire, avec La Roue de l’Histoire de Bruscon, vient se télescoper de manière risible et
pathétique avec le temps « réel » de Bruscon et du village. Ce temps de l’histoire va de l’Antiquité avec
César à la seconde guerre mondiale avec Churchill, mais il est également inscrit dans le décor de l’auberge
avec le portrait d’Hitler qui orne le mur et fait fulminer Bruscon : « Il représente Hitler / Ici tous les portraits
d’hommes représentent Hitler / ici tous les hommes sont Hitler / je trouve / que nous devrions laisser le
tableau au mur / en quelque sorte comme un objet de démonstration / me comprends-tu / tous ici sont
Hitler » (p. 88-89).
6 Bruscon, un personnage tyrannique, tragique et burlesque
- Bruscon est, à première lecture, un personnage odieux (au sens étymologique, in odio esse, être dans
la haine), il se comporte de manière abominable avec sa famille et celle de l’hôtelier. Son comportement
est proprement tyrannique avec ses enfants et sa femme. Son ls est un « Bon à rien / Anti-talent » (p. 70).
Il dit à sa lle « tu es la partie la plus faible / dans ma comédie / Allez disparais / il la chasse dehors avec
sa canne » (p. 84) « tu es restée bête / mais je t’aime » (p. 58). A sa femme : « Si seulement je pouvais /
t’insuer de la vie / hélas tu es restée aussi raide / que lorsque je t’ai connue » (p.124). L’hôtelier quant à
lui est « un misérable, un ennemi de l’art, une détestation, une impudence, une monstruosité » (p. 58),
de surcroît il « sent très mauvais de la bouche ». (p.87)
Bruscon, contempteur et imprécateur tonitruant, vitupère contre sa famille, les gens du village, « cette
racaille de campagne » (p.97) , la société dans son ensemble, « des gens profondément stupides », et
l’Autriche, « une fosse d’aisance / la poche purulente de l’Europe » (p.49).
Bruscon, tyran grotesque à la Jarry, ne porte-t-il pas dans son nom même la brutalité dont il fait preuve ?
- Bruscon est également un personnage beckettien, enfermé dans sa ratiocination et sa désespérance.
Ses maîtres mots qu’il ressasse à l’envi avec une jubilation féroce et désespérée sont « catastrophe »,
« échec », « mort », « piège », « anéantissement », « mensonge » et « absurdité ». Certaines de ses
déclarations résonnent comme des aphorismes beckettiens :
« En fait nous sommes assujettis la vie durant / à l’absurdité / d’être nés » (p.113)
Bruscon vieil homme solitaire pourrait dire, à l’instar de Hamm de Fin de partie : « J’entame mon dernier
soliloque ». Il est au centre du monde et de l’art et constate la désertication, l’immobilité et le déclin
du monde qui l’entoure, il est un penseur du déclin « le monde est sur son déclin » (p.73), il est le maître
du soliloque, du discours obsessionnel et fait courber l’échine aux autres protagonistes dans un jeu du
maître et de l’esclave beckettien là aussi.
(Il dit à sa lle : « Tu ne m’as pas ciré mes chaussures / fais les briller / vite » p.119)
Comme les personnages de Beckett, il passe de la souveraineté mégalomaniaque au dénuement
puisqu’il va être dépossédé de son public et de son théâtre. Son théâtre du monde va aboutir à une
scène vide. Le faiseur de théâtre assiste à l’orage qui anéantit toute perspective de représentation de
sa Roue de l’Histoire qui s’enlise dans le néant culturel de ce monde ni.
Un autre indice qui renvoie à lunivers beckettien est celui du bonnet dont Bruscon est aublé (p.19, p. 90 et 91). Le
faiseur de théâtre possède un bonnet de coton sans lequel il est incapable de penser et l’on sait comme
le chapeau est un objet récurrent dans le théâtre et les romans de Beckett.
Dans l’art de destruction qu’opère Bruscon dans ses anathèmes, il y a comme une jubilation de l’échec
et de manière paradoxale comme un dynamisme de l’échec qui le fait vivre et le pousse à produire son
théâtre de l’imprécation. Bruscon pourrait faire sienne cette citation de Beckett : « Echouer, échouer
encore, échouer mieux ».
Bruscon est un personnage tragique, un vieil homme usé et malade (les références à la maladie et à la
mort sont un des motifs currents dans son discours et rappellent l’état de santé de Thomas Bernhard)
- obsédé par la dégradation de l’être et de l’art - qui porte sur le théâtre, avec lucidité et désespoir, son
rêve d’un théâtre ambitieux. La Roue de l’Histoire est l’œuvre de sa vie ; il en a fait l’ébauche à 14 ans,
dit-il (p.22), il a mis 9 anes à l’écrire (p.19), « assoié d’ esprit de création » (p.88) et il n’a pas é entendu,
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