Bruscon dénit ce qu’est un faiseur de théâtre :
« Homme de théâtre né vous savez / faiseur de théâtre / poseur de pièges très tôt déjà » p. 23
Bruscon est faiseur de théâtre à tous les niveaux, il est l’auteur de la pièce, directeur de la troupe familiale
qu’il tyrannise, il est metteur en scène et comédien :
« Le plus grand comédien / de tous les temps » p. 70
Notons que le terme faiseur a en français une connotation péjorative. « C’est un faiseur » renvoie à quelqu’un
de poseur et d’habile qui sait tirer les celles… Et l’idée d’échec aeure peut-être déjà dans ce titre.
3 La liste des personnages, le découpage de la pièce et sa forme
- La page liminaire de la pièce annonce sept personnages, quatre personnages constituent la famille
Bruscon, trois personnages celle de l’hôtelier mais c’est principalement Bruscon qui parle, fulmine et
ratiocine dans un long soliloque tyrannique, mégalomaniaque et désespéré.
- La pièce est découpée en quatre scènes dont la longueur ira en s’amenuisant jusqu’à la « catastrophe » nale.
La première scène occupe 57 pages : c’est la découverte de la salle de spectacle.
La deuxième, 32 pages : c’est la préparation de la salle, l’installation des rideaux…
La troisième scène, 18 pages : c’est la préparation des costumes, la répétition de certains passages du texte...
La quatrième scène, 12 pages : c’est l’attente, en costume , du public.
- Le texte est composé de vers libres, cours, rageurs, sans ponctuation ; les ruptures et les redites de la
pensée sont marquées par des majuscules. Des didascalies, très précises complètent le texte des paroles.
4 La fable de pièce et le théâtre dans le théâtre
La pièce semble se moquer férocement du théâtre, elle le célèbre pourtant avec jubilation.
Le théâtre (et son impossibilité) est le propos de la pièce Le Faiseur de théâtre.
Bruscon est le faiseur de théâtre. En eet il est l’auteur, le metteur en scène, et le comédien principal
de sa pièce maîtresse La Roue de l’Histoire qui déroule sur scène une fresque épique et théâtrale de sa
vision de l’Histoire avec un grand H dans laquelle se rencontrent César, Churchill, Napoléon et Marie
Curie… C’est l’œuvre de la vie de ce grand comédien d’Etat autrichien qui fait une tournée « décentralisée » avec
sa troupe familiale ambulante. Il se heurte à la réalité du lieu de la représentation : la salle de bal vétuste d’une
auberge dans un village autrichien. L’endroit est sale, poussiéreux, bruyant. Les conditions d’éclairage
ne vont pas avec son cahier des charges (il exige le noir total). L’hôtelier et le personnel de l’auberge
sont peu disponibles car c’est le jour de la confection du boudin. Les cochons grognent, l’odeur est pestilentielle,
le temps est lourd et l’orage gronde. On assiste donc pendant toute la pièce à l’installation d’une troupe
de théâtre, à la préparation de l’espace scénique, à la pose des rideaux, à la préparation des costumes,
aux ultimes répétitions de certains passages, à l’attente des spectateurs et surtout aux fulminations de
Bruscon qui conchie les mauvaises conditions de représentation pour son théâtre, qui critique sa famille
sans talent, celle de l’hôtelier, son public de province inculte et qui dégoise sur la situation théâtrale de
l’Art en Autriche : lamentable, abjecte et catastrophique.
A la n de la pièce de Thomas Bernhard, Le Faiseur de théâtre, lorsque la pièce de Bruscon, La Roue de
l’Histoire doit commencer, le public d’Utzbach, à peine installé dans la salle de bal du Cerf Noir, se précipite
hors de la salle : un incendie s’est déclaré au presbytère ! Fin du théâtre de Bruscon ! Fin de la pièce de
Thomas Bernhard !
5 L’espace et le temps
- Le lieu du Faiseur de théâtre est indiqué dans la didascalie liminaire : « Au Cerf Noir à Utzbach. Salle de
bal ». Dès les premières lignes du texte, Bruscon vitupère contre cet espace abject qui lui a été dévolu
pour sa représentation théâtrale de sa Roue de l’Histoire : « Quoi ici / dans cette atmosphère connée
/ […] Mon Dieu / pas même pour uriner / je ne suis entré dans cette sorte d’auberge […] Au Cerf Noir /
désolant il regarde autour de lui Néant culturel absolu / désolant » (p. 9). Dans cette auberge s’inscrit son
espace scénique, dérisoire et vermoulu : « il tâte encore une fois le plancher de l’estrade mais c’est tout
moisi et pourri » (p. 16), impropre à sa représentation qui nécessite un noir total dicile a obtenir ici qui
inquiète Bruscon : il revient sur ses problèmes de lumière de manière obsessionnelle (p. 12, 13, 19, 20,
24, 61, 71, 77, 95, 96, 115) car, en fait,Thomas Bernhard insère dans sa pièce la violente polémique qu’il
eut en 1972 lors de la création de L’ignorant et le fou au festival de Salzbourg dont il avait interdit toute
représentation additionnelle parce que l’extinction complète des lumières y compris celles du signale-
ment des sorties de secours lui avait été refusée.
Cet espace visible du plateau est constamment contaminé par un espace hors scène qui ousque
Bruscon. C’est celui des cochons et de la fabrication du boudin par la population locale qui se manifeste
par une odeur pestilentielle et les grognements récurrents des cochons (p. 14, 37, 41, 44, 103, 104, 108…)