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Les seules informations qui nous parviennent par
la T.S.F (Radio à transmission sans fil) nous
renseignent fort peu.
On nous rationne la lumière. Il faut respecter la
« défense passive », éteindre toute radio qui
diffuse les nouvelles du front : Rien à signaler, et
« nous vaincrons car nous sommes les plus
forts ».
A la chambre des députés, les quelques rares élus
communistes qui ont osé assister à la réunion sont
molestés, arrachés de leurs bancs à coups de
pied, à coups de poings. La « chasse » se fait ou
se cacher, sûrs de leur bon droit, sont arrêtés et
emprisonnés. C’est la « Drôle de guerre » où
l’ennemi n’est pas Hitler mais des Français !
Chez nous, Guy Brion, bien connu des autorités,
n’échappe à l’arrestation que parce qu’il est
absent, aux armées. On perquisitionne à l’école
d’Oradour d’Aigre, menaçant femme et enfants.
On n’emporte que des livres, le drapeau rouge et
la banderole de la fête « Prolétaires de tous les
pays, unissez-vous pour le Pain, la Paix et la
Liberté ». Comme je la trouvais belle, cette bande-
role !
Démobilisé, Guy Brion est envoyé en Corrèze
dans une école perdue, loin de tous ses amis et
camarades charentais. C’est bien mal le connaître
car là-bas, il organise la résistance…
Alors que tout semblait perdu, les fils se tissent
lentement et discrètement. Des militants repren-
nent le flambeau. La famille Normand fait partie de
ceux-là.
Mai 1940. : C’est la défaite et « l’exode ».
Des milliers de personnes fuient vers le sud. Nous
accueillons des familles Belges, des Chtimis, des
Parisiens…Il faut caser tout le monde ! Arrive
même Mélanie, une tante inconnue pour moi,
aventurière de la famille qui a quitté le village et
n’a plus donné de nouvelles depuis plus de trente
ans et qui débarque avec ses huit enfants :
« - Ah, ma petite Madeleine, je suis Mélanie, la
sœur de ton pauvre père, Alfred.
- Et moi, je ne suis pas Madeleine mais sa
fille Arlette ! »
Je ne vais plus à l’école depuis début juin, ce jour
où collées à la grille de l’école qui ouvre sur la
route d’Angoulême, nous avons regardé passer,
muettes de peur et d’appréhension, les troupes
allemandes. Nos examens sont supprimés. Nous
nous terrons chez nous. L’école est occupée. Le
drapeau nazi flotte à la mairie devenue
« kommandantur ». Les « Boches » sont à Aigre,
mais se baladent dans nos villages apparemment
débonnaires. « Turco » notre chien ne les aime
guère et nous devons surveiller ses réactions !
Pendant ce temps, les époux Normands ont
renoué des contacts, reçoivent des visites mysté-
rieuses, discutant ferme pour nous convaincre de
« lutter » malgré tout, malgré le peu d’information,
malgré les rumeurs accusant les Communistes de
traitrise et seuls responsables de notre désastre.
En cette période compliquée, bon nombre de
français sont soulagés par la signature de
l’armistice. Il faut dire aussi que la confiance reste
grande en Pétain, le « héros de Verdun »
Mes parents écoutent et se laissent convaincre
par Madeleine Normand, mais restent prudents.
N’étant pas membre du Parti Communiste, ils sont
insoupçonnables. C’est ainsi que notre maison va
devenir une « planque » pour des inconnus
agissant dans l’illégalité. Pas la peine de me dire
de garder le silence. Nous entrons dans la
clandestinité. Les époux Normands multiplient les
rendez-vous mystérieux, apportent des tracts, des
Humanités clandestines, mal imprimés, pliés et re-
pliés que l’on va faire circuler avec mille précau-
tions.
Nous avons des nouvelles de Brion par cartes inter
-zones. Il dit qu’il commence à faire pousser des
fleurs rouges parmi les légumes de son jardin.
L’allusion est claire.
Le temps s’écoule. Je ne sais pas comment va se
décider mon avenir.
Brusquement, je reçois une convocation pour me
présenter au concours d’entrée à l’école normale
le 16 septembre à la Roche-sur-Yon. Je n’ai pas
ouvert un livre depuis 3 mois !
Nous prenons un taxi à gazogène pour nous
rendre à Chef-Boutonne. Cette voiture de
tourisme, équipée par le garagiste qui nous emmè-
ne, est flanquée d’un grand cylindre vertical où le
chauffeur entasse bois et sciure. La combustion
au ralenti fournit un gaz pauvre (oxyde de
carbone) qui alimente la chambre de combustion
du moteur. La voiture ainsi équipée roule mais
aucun risque de faire des excès de vitesse !
Nous faisons le reste du parcours en autocar. Tout
se passe pour le mieux le jour du concours et je
suis classée 17ème sur 120 candidates. 16 sont
admises directement et je suis donc 1ère sur la
liste complémentaire. Je rentre dans l’attente d’une
défaillance parmi les admises et retourne au Cours
Complémentaire d’Aigre pour recommencer la
préparation au concours. Notre classe et la cour
de récréation à disposition des occupants nous
sont interdites.
Les cours reprennent dans le hall de l’école.
Au mois de juin suivant, je repasse le concours à
Angoulême.
J’en profite pour passer voir François et Simone
installés depuis quelques mois dans une petite
maison dans la banlieue d’Angoulême.
Papa l’a louée sous prétexte de me loger si je suis
admise à l’EN. Il est vrai que l’internat ayant été
supprimé, ce prétexte tient debout. Mais en réalité
il s’agit de ménager une « planque » à Angoulême
dans un coin tranquille. Depuis leur installation, je
vais une fois par semaine les ravitailler et échan-
ger des documents avec la famille Normand. Je
suis au courant des risques que j’encoure en cas
d’arrestation avec ces papiers compromettants…
mais rien ne m’arrive. Je ne sais rien de Simone et
de François, tous deux « activistes clandestins »,
sinon que ce dernier est particulièrement cultivé.
Je vais apprendre par la suite que « François » de
son vrai nom Georges Beyer est ingénieur et
« Simone » de son vrai nom Marie-Claire Beyer
sont délégués du Comité Central du PCF pour la
région Poitou – Charente-Bordelais et sont
beau-frère et belle-sœur de Charles Tillon.
(NDLR : Georges Beyer est responsable du
service de renseignements des FTP (Francs
Tireurs Partisans) mouvement de résistance
armée créé en 1941 par le PCF clandestin sous la
responsabilité de Charles Tillon.)
Je suis reçu 7ème au concours. Les douze
premières sont admises. Ce n’est qu’au milieu du
mois d’août que j’apprends mon admission définiti-
ve.
1942 est une année plutôt sombre pour notre coin
de Charente. Mes parents sont toujours un point
de chute pour les clandestins. Ils hébergent entre
autres René Michel et Jean Barrière qui seront
arrêtés en novembre et fusillés dans une
clairière près du camp de la Braconne le 5 mai
1943.
Le couple Normand qui a quitté le village fin 1941,
continue à avoir des relations toujours très secrè-
tes. Ils vendent leurs bêtes, louent leurs terres car
il leur faut bien de l’argent pour vivre !
Arrêtés à Saintes avec cet argent en poche
(40 000 francs), ils sont soupçonnés par les
policiers français de transporter de l’argent du PC
et ceux-ci veulent remonter la filière jusqu’au
grand chef. Bien entendu, Gustave et Madeleine
Normand s’obstinent à déclarer que cet argent
leur appartient et les policiers décident d’une
confrontation. Le couple est alors transféré à la
gendarmerie d’Aigre. C’est alors que deux
gendarmes se présentent à la maison :
« - Mon mari est à la vigne.
- Bon, dites-lui de venir à la gendarmerie dès
son retour. »
Mon père prévenu, pense qu’ils veulent connaître
le nouveau lieu de résidence des époux Normand.
Bien décidé à ne rien dire, il arrive au poste et se
rend compte que les Normand sont là ! La confron-
tation permet de démontrer que l’argent transporté
correspond à la vente des biens de la famille
Normand. Mon père, relâché, revient émerveillé par
l’attitude et les paroles de Madeleine face aux
forces de l’ordre : « Vous n’avez pas honte de faire
un tel boulot, vous français, de vous mettre au
service de l’occupant ! ». Ces derniers, sans
acolytes devenez les maîtres, nous nous mettrons
à votre service : c’est notre métier. »
Cette arrestation, complétée par la rafle dans le
Ruffecois démantèle tout le réseau de résistance.
C’est une faille dans la transmission du « passe »
qui en est la cause. Un faux « illégal » mais vrai
policier s’est présenté chez un couple de
« contacts » avec en main la partie d’une feuille de
magazine complétant parfaitement celle manquante
du dit magazine que le couple avait reçu par la
poste. Mis en confiance par la gentillesse du faux
résistant, ces derniers lui « donnèrent » tous les
noms des membres du réseau.
Mon père, lui aussi, a vécu une aventure peu
banale qui aurait pu tourner à la catastrophe. Ayant
reçu un « passe » il devait apporter deux valises de
ravitaillement (dont deux jambons) à Paris, gare
d’Austerlitz. Un paysan qui monte à Paris pour
ravitailler ‘les cousins », c’est chose courante
à l’époque ; mais ce qui l’est moins c’est que le
paysan en question ne possède aucun papier. Pas
besoin de carte d’identité pour aller travailler dans
les champs. Pas de contrôle à la gare d’Angoulême
ni dans le train, ce qui est exceptionnel ! À l’arrivée
à Paris , une alerte, bloque les voyageurs dans le
train et dans le noir. C’est seulement au petit matin,
à la fin de l’alerte que tout le monde descend du
train. Un homme attend mon père et présente son
« passe ».
Congrès des Femmes Françaises en mai 1947 : parmi
les quinze participantes charentaises : Croix : Alberte
Vignaud Croix entourée : Arlette Desvaux Autre signe
entouré : Mariette Brion