les communistes et la Résistance (3)

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Le débarquement du 6 juin en Normandie a tout
chamboulé. Le bombardement du 15 juin fait pas
mal de victimes dont deux de mes amies.
Nous avons des filleuls à qui nous envoyons lettres
et colis…
Vacances de Noël, retour au pays pour 8 jours.
Autre atmosphère. Tout s’organise. Des cellules du
PC se constituent. Mes parents ont adhéré,
maman est trésorière. Quant à moi, j’ai ma carte
aussi, obtenue à Limoges ainsi que celle des
Jeunesses Communistes (JC) et des Jeunes Filles
de France (JFF). À Oradour, nous fêtons le retour
de Guy Brion qui a quitté le maquis de Corrèze
pour reprendre la vie civile, son poste d’instituteur
et naturellement, l’organisation du Parti Communiste. C’est à ce moment là que nous découvrons les
vides dans nos rangs : les fusillés de la Braconne,
de Châteaubriant, du Mont Valérien, du Fort du Hâ
et bien d’autres. Nous espérons pourtant revoir
ceux embarqués dans les camps, ignorant totalement le nombre de disparus.
Fin juin arrive. Je compte rejoindre Angoulême à
vélo. Le matin, au petit jour, ma valise sur le portebagages, je commence à parcourir les 35 kilomètres quand soudain un barrage Allemand bloque la
route. J’ai laissé ma carte d’identité à Ruelle, près
d’Angoulême.
« Nicht papiers, nicht passer ! »
Je retourne à Germeville. Mon père va à Aigre, se
procure une carte vierge et des timbres à la recette
buraliste et file à Chillé, chez le Maire, pour lui demander d’établir cette fameuse carte à mon nom.
Je réussis à rejoindre sans encombre, ma destination et je garde maintenant une de mes deux cartes d’identité dans la sacoche accrochée à la selle
de mon vélo !
Le jour de l’examen, je me fais arrêter deux fois : à
la gare ou du moins à ce qu’il en reste, et devant la
poste. Après l’examen, je retourne à Germeville
toujours à vélo.
Nous autres, les jeunes, sommes « gonflés » à
bloc : l’exemple, le courage, la discipline, le sacrifice de nos « martyrs » déclenchent chez nous une
immense vague d’espoir en l’avenir.
Nous apprenons la fin de la guerre au petit jour
dans le dortoir.
Instantanément l’Ecole Normale est transformée
en chantier patriotique : Des petits drapeaux
Français, Anglais, Américains et Russes que nous
avons confectionnés dans l’attente de cet événement sont accrochés partout. ; nous chantons,
nous rions, nous pleurons même. Nous faisons des
farandoles folles dans tout l’établissement. L’aprèsmidi, nous allons nous mêler à des milliers de
jeunes et moins jeunes dans les rues de Limoges.
Nous rentrons à la nuit, affamées, épuisées, mais
si heureuses ! Le cauchemar est fini !
Puis vient l’organisation de l’accueil des prisonniers
libérés en gare de Limoges. Nous préparons des
centaines de sandwichs avec de belles baguettes
de pain tartinées de pâté ou de sardines à l’huile.
Cela dure une dizaine de nuits. Le dernier convoi
nous bouleverse. Ce sont des déportés. Quelle
misère !
Fin avril, début mai, les femmes votent pour la
première fois à l’occasion des élections municipales.
Le 6 août 1945, nous apprenons le bombardement
d’Hiroshima par les Américains excédés par la résistance de la 3ème force de l’axe – Rome, Berlin,
Tokyo.
Nous étions loin d’évaluer les dramatiques conséquences de cette bombe atomique. ..Nous étions
soulagés …
C’était la fin de cette horrible guerre.
Drôles de vacances. Nous suivons grâce à RadioLondres, l’avancée des troupes du débarquement.
Les accrochages avec les maquisards deviennent
courants. Près de chez nous, à Saint Fraigne un
groupe se fait « accrocher » par une patrouille
allemande. Un mort des deux côtés. A l’enterrement du jeune maquisard, jamais Saint Fraigne n’a
vu autant de monde. Le même jour, un accrochage a lieu près de Marcillac-Lanville. Un autre jeune
maquisard se noie dans la Charente. Les
Allemands déguerpissent.
Angoulême est libérée. Le dimanche suivant, un
meeting est organisé au « Champ de Manœuvre »
Avec une amie, je décide d’y aller… à bicyclette,
bien sûr.
Nos villages sont en ébullition. Les maires
« collaborateurs » sont destitués et remplacés par
des « Comités de la Libération » en attendant
les élections. Mon père devient Président du
comité d’Oradour d’Aigre. Les jeunes du village
sont à peu près tous partis dans les maquis qui se
regroupent maintenant et poursuivent les
Allemands vers la côte.
Je repasse fin septembre le Bac que j’ai loupé en
juin. Celui-ci en poche, je rejoins l’Ecole Normale
de Limoges où mes camarades de pension
m’accueillent avec sympathie. Par l’unique poste
de radio, nous nous tenons au courant des dernières nouvelles : Les troupes alliées piétinent en
Alsace après la marche triomphale qui a suivi la
libération de Paris. Les Allemand résistent dans la
poche de Royan.
6
d’après le récit biographique
d’ARLETTE DESVAUX
Alain Bohère Octobre 2011
Numéro
SP2CIAL
OCTOBRE
2011
Numéro spécial :
les communistes et la Résistance (3)
Ce numéro spécial est le troisième d’une série qui recueille et dévoile des témoignages sur
la Résistance en Charente.
Inédits, ces textes nous racontent la part qu’y ont pris les communistes.
Eté 1936
EDITORIAL
De l’été 1936 à l’été 1945, de ses treize ans à
ses vingt-deux ans voici l’histoire d’une
adolescence vécue au cœur des événements
dramatiquement meurtriers de la seconde guerre mondiale.
Aujourd’hui, Arlette Desvaux a 88 ans.
Elle demeure un exemple formidable
de combativité et d’optimisme en
l’humanité. Liberté, Egalité et Fraternité sont des notions pleines de sens
qu’elle veut toujours faire vivre et partager au quotidien. Son combat pour
la Justice et la Paix, elle le poursuit
sans relâche avec passion et ténacité.
Le récit qui suit est constitué
d’extraits de son journal personnel.
Serge et Colette Brion m’emmènent à la fête du
Front Populaire à Bourgines sous un soleil de
plomb qui soudainement laisse la place à un
orage violent où nous sommes copieusement
arrosés. Présageait-il des jours sombres qui vont
bouleverser notre pays ?
Numéro XXX
déposé le XXXXXXXXXXXXX
Déjà, le front populaire espagnol est aux prises
avec les « nationalistes de Franco » ; les communistes de mon entourage parmi lesquels les Brion
et les Normand mènent campagne contre la « non
intervention » proclamée par Léon Blum et la
majorité de son gouvernement. Pauvre république
espagnole, sans défense, face à ces fascistes soutenus par Hitler et Mussolini. Des volontaires français partent au secours des frères espagnols et
forment les « Brigades Internationales » qui,
malgré leur courage, étaient peu de choses face
Il
explique
sans
aucun
doute
ses
engagements et son
espérance en une vie
simplement
plus
humaine.
Ceux-ci sont intacts.
Toutes celles et tous
ceux qui la côtoient
ou/et la croisent sur
sa bicyclette ou à
pied
peuvent
en
témoigner.
SOMMAIRE
Combattivité et optimismE
Arlette DESVAUX
à la fête de St Germain août 2011
Par Alain BOHERE page 1
Le témoignage d’Arlette DESVAUX
Alain Bohère
Recueilli par Alain BOHERE pages 1 à 6
aux ennemis bien armés et soutenus par une aviation puissante qui bombarde sans scrupule des
villes sans défense. Guernica en est le triste
symbole. Daniel Brion et Gilbert Banlier font partie
des volontaires charentais qui rejoignent ces
Brigades Internationales. Pendant ce temps, nous
menons campagne pour soutenir le peuple
espagnol. Madeleine Normand et Mariette Brion
collectent des fonds pour acheter du lait pour les
enfants espagnols puis pour venir en aide aux
réfugiés. Dans notre campagne charentaise, ce
n’est pas facile et elles doivent inlassablement et
sans se décourager donner les explications pour
faire comprendre le lien unissant le sort des Français et celui des Espagnols. C’est ainsi que se
constitue le « Secours Rouge » qui deviendra bien
plus tard, le « Secours Populaire ».
Octobre 1936 : J’ai 13 ans et je rentre au Cours
Complémentaire en 2ème année. L’année scolaire
1936-1937 se déroule sans histoire. Je m’intéresse
à la vie politique. On m’emmène à des fêtes
populaires à Angoulême, à Ruffec. Nous défilons
en chantant la Carmagnole, le Chant du Départ,
l’Internationale, la Jeune Garde… Je partage l’avis
de mon professeur de Français, Mademoiselle
Chapeaucoup qui au cours de ses leçons
d’Instruction Civique prône le vote des femmes.
Les acquis du front populaire commencent à
s’estomper, le problème espagnol inquiète
sérieusement. Franco et ses alliés écrasent la
République et les Communistes se démènent
comme ils le peuvent pour faire prendre conscience du danger. La montée du fascisme se précise
en France. Les « Croix de feu », les
« Cagoulards » s’agitent et s’arment. A l’école, les
esprits s’échauffent surtout à l’interclasse entre le
clan de la « Droite » et celui, majoritaire de la
« Gauche »
La rentrée 1938/1939 se déroule dans un climat
de haine et de suspicion. Où est passée l’euphorie
de 1936 ? Je passe le Brevet. Pour la première
fois, je vais au cinéma. J’ai bien déjà vu un film
muet à Aigre « Les Misérables » projeté sous les
halles par un cinéaste ambulant mais cette fois-ci,
je suis dans un vrai cinéma. J’ouvre tout grand
mes yeux et mes oreilles, émerveillée par cette immense salle aux fauteuils de velours rouge si
confortables. Le film est parlant et retrace l’épopée
d’un sous-marin naufragé !
Eté 1939 : Le 150ème anniversaire de la
révolution Française passe inaperçu pour les
français sauf à la fête du Parti Communiste le 14
juillet à Bourgines. Ambiance de joie tempérée par
la menace qui plane à l’horizon.
Bourgines 1939 : Fête du PC 14 juillet 1939
De gauche à droite :
Les adultes : Guy Brion, Grand-mère Brion, Mariette Brion,
Madeleine Normand, Thalie Moreau, Gustave Normand
Août : Nous préparons la fête où se rassemblent
Communistes et Républicains fidèles au Front
Populaire, depuis 1936 à Oradour. Elle doit avoir
lieu le 1er septembre.
1938 : Je suis en troisième année au Cours
Complémentaire. Je reste plus que jamais sensibilisée par les événements.
12 mars, c’est
Crac ! le jour prévu, ce dimanche 1er septembre
l’Anschluss. On mobilise quelques réservistes pour
1939, c’est la catastrophe : la guerre est
peu de temps. Hitler vient d’avaler l’Autriche et asdéclarée !
sassine ou déporte tous ceux qui s’y opposent.
A la maison, peu de changement mais au village
Bah ! L’Autriche est loin, elle parle Allemand…Ça
arrivent les réfugiés de l’est, des « Mosellans ».
ne nous concerne pas. Seuls les Communistes
On les installe dans des maisons vides, accueillis
s’agitent ! Calme relatif.
plutôt froidement par la majorité des villageois,
Septembre 1938 : c’est l’annexion par Hitler de la
méfiants face à des malheureux parlant mal le
région des Sudètes, population germanophone
français et communiquant entre eux dans leur
Tchécoslovaque. Et ce sont les accords de Munich
dialecte qui ressemble beaucoup à l’Allemand.
où Daladier et Chamberlain capitulent devant
Hitler. Les français dans leur majorité sont
Petit à petit, on s’habitue. On croyait au début à la
« soulagés » et acclament Daladier à sa descente
guerre « éclair » qui mettrait Hitler à genoux…mais
d’avion.
rien ne se passe. Malgré le pacte germano – soLà encore, seuls les Communistes protestent.
viétique et leur mise à l’index, les Communistes
2
Peine perdue !
continuent leur travail de fourmis.
Papa lui laisse sa marchandise et s’engouffre à
nouveau dans le train pour regagner sa Charente
natale sans aucun problème. Inutile d’imaginer les
angoisses de maman et le ouf de soulagement
quand il arrive à la maison. C’est décidé, Papa va
faire faire une carte d’identité !
Au collège, la vie continue. Notre « résistance » se
traduit par le commentaire des nouvelles et par
des actes puérils. N’avons-nous pas transformé le
chant à la gloire du maréchal, obligatoirement
déclamé tous les matins, dans la cour du collège,
par l’ensemble des élèves et des professeurs !
Bien sûr, nos paroles sont complètement diluées
dans le flot majoritaire mais cela nous soulage et
nous nous lançons des coups d’œil complices. Il
nous arrive aussi de déchirer discrètement les
affiches de propagande. Bien maigre action de
résistance mais qui est pleine de dangers si nous
sommes surprises par l’ennemi.
Le réseau démantelé, nous n’avons plus de tracts,
de journaux clandestins. Nos seules informations
parviennent de Radio-Londres. Il faut se méfier
des « collaborateurs ». Une dénonciation et c’est la
prison. Dans mon village, Germeville, tout est
calme. Nombreux sont ceux qui écoutent la radio
défendue. Un soir de novembre, la TSF est
allumée. ma petite sœur joue au coin de la
cheminée. Soudain, notre porte s’ouvre brutalement. Deux soldats allemands précèdent papa au
moment où résonne un « Ici, Londres… ».
Monique éteint le poste. Papa le plus naturellement du monde décroche la clef de la grange de
son clou. Ces messieurs viennent réquisitionner
des oignons. Nous sommes restés inquiets
pendant quelques jours mais manifestement les
boches ne s’étaient aperçus de rien !
Nous étions sans nouvelles de nos amis incarcérés jusqu’au jour où nous parvient une lettre de
Madeleine Normand. Celle-ci nous apprend qu’elle
trouve le moyen de se distraire en prison en jouant
des pièces de théâtre organisées par les lettrées :
Marie-Claude Vaillant-Couturier, Danielle Casanova…Madeleine qui n’a que son modeste certificat
d’études est fière de jouer un rôle dans une pièce
de Molière !
Les hommes sont moins bien lotis. Beaucoup sont
affreusement torturés dès leur emprisonnement à
Ruffec. L’un d’eux, Raoul Sabouraud ose narguer
ses gardiens. Doué d’une force peu commune, il
leur déclare : « Regardez ce que j’en fais de vos
menottes !» et d’un coup sec, il les brise.
Madeleine quitte la prison par le convoi du 24
janvier 1943.
(NDLR : 230 femmes de 17 à 69 ans sont
déportées à Auschwitz par le convoi du 24
janvier 1943. Parmi elles, 119 étaient Communistes ou proches du Parti Communiste, 12 appartenaient à des réseaux Gaullistes, 51 avaient
été arrêtées pour divers actes de résistance.
Seules 49 survivront)
Madeleine meurt, un mois plus tard, tuée par les
coups de bâton de la gardienne du « block ». Nous
l’apprendrons plus tard par Marie-Claude VaillantCouturier.
Quant à Gustave son mari, il échappe à la déportation que subissent ses camarades peu après le
départ des femmes. Il est fusillé au mont Valérien
le 2 octobre 1943.
Arlette 1944 : Au centre de la photo
1944 : On attend un débarquement. Je loge à
Angoulême. Les alertes aériennes sont de plus en
plus fréquentes. Les avions anglais bombardent la
poudrerie à deux reprises. Nous entendons le bruit
sourd des explosions et voyons le lointain tout
illuminé.
Les événements se précipitent. Beaucoup de jeunes refusent de partir au STO (Service du Travail
Obligatoire) en Allemagne. Les occupants essayent
le chantage de la « relève » en proposant d’échanger un prisonnier avec un volontaire. Beaucoup de
jeunes disparaissent dans le « maquis ».
Nous cachons mon cousin Jean, réfractaire au
STO. En mai 1944, dans l’insouciance de notre
jeunesse, nous allons cueillir du muguet dans la
forêt de la Braconne « bourrée » d’Allemands. Les
rafles de jeunes se précisent. Jean n’est plus en
sureté. Une dénonciation est si vite arrivée. Il
trouve une filière qui lui permet de rejoindre un
Gustave Normand, amoindri par les gaz respirés
maquis proche.
en 1916 devient aveugle à la suite des coups
En juin, je dois passer le bac. Je vais réviser à
reçus.
5 Germeville mais le cœur n’y est pas.
Les seules informations qui nous parviennent par
la T.S.F (Radio à transmission sans fil) nous
renseignent fort peu.
On nous rationne la lumière. Il faut respecter la
« défense passive », éteindre toute radio qui
diffuse les nouvelles du front : Rien à signaler, et
« nous vaincrons car nous sommes les plus
forts ».
A la chambre des députés, les quelques rares élus
communistes qui ont osé assister à la réunion sont
molestés, arrachés de leurs bancs à coups de
pied, à coups de poings. La « chasse » se fait ou
se cacher, sûrs de leur bon droit, sont arrêtés et
emprisonnés. C’est la « Drôle de guerre » où
l’ennemi n’est pas Hitler mais des Français !
Chez nous, Guy Brion, bien connu des autorités,
n’échappe à l’arrestation que parce qu’il est
absent, aux armées. On perquisitionne à l’école
d’Oradour d’Aigre, menaçant femme et enfants.
On n’emporte que des livres, le drapeau rouge et
la banderole de la fête « Prolétaires de tous les
pays, unissez-vous pour le Pain, la Paix et la
Liberté ». Comme je la trouvais belle, cette banderole !
Démobilisé, Guy Brion est envoyé en Corrèze
dans une école perdue, loin de tous ses amis et
camarades charentais. C’est bien mal le connaître
car là-bas, il organise la résistance…
Alors que tout semblait perdu, les fils se tissent
lentement et discrètement. Des militants reprennent le flambeau. La famille Normand fait partie de
ceux-là.
Mai 1940. : C’est la défaite et « l’exode ».
Des milliers de personnes fuient vers le sud. Nous
accueillons des familles Belges, des Chtimis, des
Parisiens…Il faut caser tout le monde ! Arrive
même Mélanie, une tante inconnue pour moi,
aventurière de la famille qui a quitté le village et
n’a plus donné de nouvelles depuis plus de trente
ans et qui débarque avec ses huit enfants :
« - Ah, ma petite Madeleine, je suis Mélanie, la
sœur de ton pauvre père, Alfred.
- Et moi, je ne suis pas Madeleine mais sa
fille Arlette ! »
Je ne vais plus à l’école depuis début juin, ce jour
où collées à la grille de l’école qui ouvre sur la
route d’Angoulême, nous avons regardé passer,
muettes de peur et d’appréhension, les troupes
allemandes. Nos examens sont supprimés. Nous
nous terrons chez nous. L’école est occupée. Le
drapeau nazi flotte à la mairie devenue
« kommandantur ». Les « Boches » sont à Aigre,
mais se baladent dans nos villages apparemment
débonnaires. « Turco » notre chien ne les aime
guère et nous devons surveiller ses réactions !
Pendant ce temps, les époux Normands ont
renoué des contacts, reçoivent des visites mysté-
rieuses, discutant ferme pour nous convaincre de
« lutter » malgré tout, malgré le peu d’information,
malgré les rumeurs accusant les Communistes de
traitrise et seuls responsables de notre désastre.
En cette période compliquée, bon nombre de
français
sont soulagés par la signature de
l’armistice. Il faut dire aussi que la confiance reste
grande en Pétain, le « héros de Verdun »
Mes parents écoutent et se laissent convaincre
par Madeleine Normand, mais restent prudents.
N’étant pas membre du Parti Communiste, ils sont
insoupçonnables. C’est ainsi que notre maison va
devenir une « planque » pour des inconnus
agissant dans l’illégalité. Pas la peine de me dire
de garder le silence. Nous entrons dans la
clandestinité. Les époux Normands multiplient les
rendez-vous mystérieux, apportent des tracts, des
Humanités clandestines, mal imprimés, pliés et repliés que l’on va faire circuler avec mille précautions.
Nous avons des nouvelles de Brion par cartes inter
-zones. Il dit qu’il commence à faire pousser des
fleurs rouges parmi les légumes de son jardin.
L’allusion est claire.
Le temps s’écoule. Je ne sais pas comment va se
décider mon avenir.
Brusquement, je reçois une convocation pour me
présenter au concours d’entrée à l’école normale
le 16 septembre à la Roche-sur-Yon. Je n’ai pas
ouvert un livre depuis 3 mois !
Nous prenons un taxi à gazogène pour nous
rendre à Chef-Boutonne. Cette voiture
de
tourisme, équipée par le garagiste qui nous emmène, est flanquée d’un grand cylindre vertical où le
chauffeur entasse bois et sciure. La combustion
au ralenti fournit un gaz pauvre (oxyde de
carbone) qui alimente la chambre de combustion
du moteur. La voiture ainsi équipée roule mais
aucun risque de faire des excès de vitesse !
Nous faisons le reste du parcours en autocar. Tout
se passe pour le mieux le jour du concours et je
suis classée 17ème sur 120 candidates. 16 sont
admises directement et je suis donc 1ère sur la
liste complémentaire. Je rentre dans l’attente d’une
défaillance parmi les admises et retourne au Cours
Complémentaire d’Aigre pour recommencer la
préparation au concours. Notre classe et la cour
de récréation à disposition des occupants nous
sont interdites.
Les cours reprennent dans le hall de l’école.
Au mois de juin suivant, je repasse le concours à
Angoulême.
J’en profite pour passer voir François et Simone
installés depuis quelques mois dans une petite
3 maison dans la banlieue d’Angoulême.
Papa l’a louée sous prétexte de me loger si je suis
admise à l’EN. Il est vrai que l’internat ayant été
supprimé, ce prétexte tient debout. Mais en réalité
il s’agit de ménager une « planque » à Angoulême
dans un coin tranquille. Depuis leur installation, je
vais une fois par semaine les ravitailler et échanger des documents avec la famille Normand. Je
suis au courant des risques que j’encoure en cas
d’arrestation avec ces papiers compromettants…
mais rien ne m’arrive. Je ne sais rien de Simone et
de François, tous deux « activistes clandestins »,
sinon que ce dernier est particulièrement cultivé.
Je vais apprendre par la suite que « François » de
son vrai nom Georges Beyer est ingénieur et
« Simone » de son vrai nom Marie-Claire Beyer
sont délégués du Comité Central du PCF pour la
région Poitou – Charente-Bordelais et sont
beau-frère et belle-sœur de Charles Tillon.
rend compte que les Normand sont là ! La confrontation permet de démontrer que l’argent transporté
correspond à la vente des biens de la famille
Normand. Mon père, relâché, revient émerveillé par
l’attitude et les paroles de Madeleine face aux
forces de l’ordre : « Vous n’avez pas honte de faire
un tel boulot, vous français, de vous mettre au
service de l’occupant ! ». Ces derniers, sans
acolytes devenez les maîtres, nous nous mettrons
à votre service : c’est notre métier. »
(NDLR : Georges Beyer est responsable du
service de renseignements des FTP (Francs
Tireurs Partisans) mouvement de résistance
armée créé en 1941 par le PCF clandestin sous la
responsabilité de Charles Tillon.)
Je suis reçu 7ème au concours. Les douze
premières sont admises. Ce n’est qu’au milieu du
mois d’août que j’apprends mon admission définitive.
1942 est une année plutôt sombre pour notre coin
de Charente. Mes parents sont toujours un point
de chute pour les clandestins. Ils hébergent entre
autres René Michel et Jean Barrière qui seront
arrêtés en novembre et fusillés dans une
clairière près du camp de la Braconne le 5 mai
1943.
Le couple Normand qui a quitté le village fin 1941,
continue à avoir des relations toujours très secrètes. Ils vendent leurs bêtes, louent leurs terres car
il leur faut bien de l’argent pour vivre !
Arrêtés à Saintes avec cet argent en poche
(40 000 francs), ils sont soupçonnés par les
policiers français de transporter de l’argent du PC
et ceux-ci veulent remonter la filière jusqu’au
grand chef. Bien entendu, Gustave et Madeleine
Normand s’obstinent à déclarer que cet argent
leur appartient et les policiers décident d’une
confrontation. Le couple est alors transféré à la
gendarmerie d’Aigre. C’est alors que deux
gendarmes se présentent à la maison :
« - Mon mari est à la vigne.
- Bon, dites-lui de venir à la gendarmerie dès
son retour. »
Mon père prévenu, pense qu’ils veulent connaître
le nouveau lieu de résidence des époux Normand.
Bien décidé à ne rien dire, il arrive au poste et se 4
Congrès des Femmes Françaises en mai 1947 : parmi
les quinze participantes charentaises : Croix : Alberte
Vignaud Croix entourée : Arlette Desvaux Autre signe
entouré : Mariette Brion
Cette arrestation, complétée par la rafle dans le
Ruffecois démantèle tout le réseau de résistance.
C’est une faille dans la transmission du « passe »
qui en est la cause. Un faux « illégal » mais vrai
policier s’est présenté chez un couple de
« contacts » avec en main la partie d’une feuille de
magazine complétant parfaitement celle manquante
du dit magazine que le couple avait reçu par la
poste. Mis en confiance par la gentillesse du faux
résistant, ces derniers lui « donnèrent » tous les
noms des membres du réseau.
Mon père, lui aussi, a vécu une aventure peu
banale qui aurait pu tourner à la catastrophe. Ayant
reçu un « passe » il devait apporter deux valises de
ravitaillement (dont deux jambons) à Paris, gare
d’Austerlitz. Un paysan qui monte à Paris pour
ravitailler ‘les cousins », c’est chose courante
à l’époque ; mais ce qui l’est moins c’est que le
paysan en question ne possède aucun papier. Pas
besoin de carte d’identité pour aller travailler dans
les champs. Pas de contrôle à la gare d’Angoulême
ni dans le train, ce qui est exceptionnel ! À l’arrivée
à Paris , une alerte, bloque les voyageurs dans le
train et dans le noir. C’est seulement au petit matin,
à la fin de l’alerte que tout le monde descend du
train. Un homme attend mon père et présente son
« passe ».
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