Le débarquement du 6 juin en Normandie a tout chamboulé. Le bombardement du 15 juin fait pas mal de victimes dont deux de mes amies. Nous avons des filleuls à qui nous envoyons lettres et colis… Vacances de Noël, retour au pays pour 8 jours. Autre atmosphère. Tout s’organise. Des cellules du PC se constituent. Mes parents ont adhéré, maman est trésorière. Quant à moi, j’ai ma carte aussi, obtenue à Limoges ainsi que celle des Jeunesses Communistes (JC) et des Jeunes Filles de France (JFF). À Oradour, nous fêtons le retour de Guy Brion qui a quitté le maquis de Corrèze pour reprendre la vie civile, son poste d’instituteur et naturellement, l’organisation du Parti Communiste. C’est à ce moment là que nous découvrons les vides dans nos rangs : les fusillés de la Braconne, de Châteaubriant, du Mont Valérien, du Fort du Hâ et bien d’autres. Nous espérons pourtant revoir ceux embarqués dans les camps, ignorant totalement le nombre de disparus. Fin juin arrive. Je compte rejoindre Angoulême à vélo. Le matin, au petit jour, ma valise sur le portebagages, je commence à parcourir les 35 kilomètres quand soudain un barrage Allemand bloque la route. J’ai laissé ma carte d’identité à Ruelle, près d’Angoulême. « Nicht papiers, nicht passer ! » Je retourne à Germeville. Mon père va à Aigre, se procure une carte vierge et des timbres à la recette buraliste et file à Chillé, chez le Maire, pour lui demander d’établir cette fameuse carte à mon nom. Je réussis à rejoindre sans encombre, ma destination et je garde maintenant une de mes deux cartes d’identité dans la sacoche accrochée à la selle de mon vélo ! Le jour de l’examen, je me fais arrêter deux fois : à la gare ou du moins à ce qu’il en reste, et devant la poste. Après l’examen, je retourne à Germeville toujours à vélo. Nous autres, les jeunes, sommes « gonflés » à bloc : l’exemple, le courage, la discipline, le sacrifice de nos « martyrs » déclenchent chez nous une immense vague d’espoir en l’avenir. Nous apprenons la fin de la guerre au petit jour dans le dortoir. Instantanément l’Ecole Normale est transformée en chantier patriotique : Des petits drapeaux Français, Anglais, Américains et Russes que nous avons confectionnés dans l’attente de cet événement sont accrochés partout. ; nous chantons, nous rions, nous pleurons même. Nous faisons des farandoles folles dans tout l’établissement. L’aprèsmidi, nous allons nous mêler à des milliers de jeunes et moins jeunes dans les rues de Limoges. Nous rentrons à la nuit, affamées, épuisées, mais si heureuses ! Le cauchemar est fini ! Puis vient l’organisation de l’accueil des prisonniers libérés en gare de Limoges. Nous préparons des centaines de sandwichs avec de belles baguettes de pain tartinées de pâté ou de sardines à l’huile. Cela dure une dizaine de nuits. Le dernier convoi nous bouleverse. Ce sont des déportés. Quelle misère ! Fin avril, début mai, les femmes votent pour la première fois à l’occasion des élections municipales. Le 6 août 1945, nous apprenons le bombardement d’Hiroshima par les Américains excédés par la résistance de la 3ème force de l’axe – Rome, Berlin, Tokyo. Nous étions loin d’évaluer les dramatiques conséquences de cette bombe atomique. ..Nous étions soulagés … C’était la fin de cette horrible guerre. Drôles de vacances. Nous suivons grâce à RadioLondres, l’avancée des troupes du débarquement. Les accrochages avec les maquisards deviennent courants. Près de chez nous, à Saint Fraigne un groupe se fait « accrocher » par une patrouille allemande. Un mort des deux côtés. A l’enterrement du jeune maquisard, jamais Saint Fraigne n’a vu autant de monde. Le même jour, un accrochage a lieu près de Marcillac-Lanville. Un autre jeune maquisard se noie dans la Charente. Les Allemands déguerpissent. Angoulême est libérée. Le dimanche suivant, un meeting est organisé au « Champ de Manœuvre » Avec une amie, je décide d’y aller… à bicyclette, bien sûr. Nos villages sont en ébullition. Les maires « collaborateurs » sont destitués et remplacés par des « Comités de la Libération » en attendant les élections. Mon père devient Président du comité d’Oradour d’Aigre. Les jeunes du village sont à peu près tous partis dans les maquis qui se regroupent maintenant et poursuivent les Allemands vers la côte. Je repasse fin septembre le Bac que j’ai loupé en juin. Celui-ci en poche, je rejoins l’Ecole Normale de Limoges où mes camarades de pension m’accueillent avec sympathie. Par l’unique poste de radio, nous nous tenons au courant des dernières nouvelles : Les troupes alliées piétinent en Alsace après la marche triomphale qui a suivi la libération de Paris. Les Allemand résistent dans la poche de Royan. 6 d’après le récit biographique d’ARLETTE DESVAUX Alain Bohère Octobre 2011 Numéro SP2CIAL OCTOBRE 2011 Numéro spécial : les communistes et la Résistance (3) Ce numéro spécial est le troisième d’une série qui recueille et dévoile des témoignages sur la Résistance en Charente. Inédits, ces textes nous racontent la part qu’y ont pris les communistes. Eté 1936 EDITORIAL De l’été 1936 à l’été 1945, de ses treize ans à ses vingt-deux ans voici l’histoire d’une adolescence vécue au cœur des événements dramatiquement meurtriers de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, Arlette Desvaux a 88 ans. Elle demeure un exemple formidable de combativité et d’optimisme en l’humanité. Liberté, Egalité et Fraternité sont des notions pleines de sens qu’elle veut toujours faire vivre et partager au quotidien. Son combat pour la Justice et la Paix, elle le poursuit sans relâche avec passion et ténacité. Le récit qui suit est constitué d’extraits de son journal personnel. Serge et Colette Brion m’emmènent à la fête du Front Populaire à Bourgines sous un soleil de plomb qui soudainement laisse la place à un orage violent où nous sommes copieusement arrosés. Présageait-il des jours sombres qui vont bouleverser notre pays ? Numéro XXX déposé le XXXXXXXXXXXXX Déjà, le front populaire espagnol est aux prises avec les « nationalistes de Franco » ; les communistes de mon entourage parmi lesquels les Brion et les Normand mènent campagne contre la « non intervention » proclamée par Léon Blum et la majorité de son gouvernement. Pauvre république espagnole, sans défense, face à ces fascistes soutenus par Hitler et Mussolini. Des volontaires français partent au secours des frères espagnols et forment les « Brigades Internationales » qui, malgré leur courage, étaient peu de choses face Il explique sans aucun doute ses engagements et son espérance en une vie simplement plus humaine. Ceux-ci sont intacts. Toutes celles et tous ceux qui la côtoient ou/et la croisent sur sa bicyclette ou à pied peuvent en témoigner. SOMMAIRE Combattivité et optimismE Arlette DESVAUX à la fête de St Germain août 2011 Par Alain BOHERE page 1 Le témoignage d’Arlette DESVAUX Alain Bohère Recueilli par Alain BOHERE pages 1 à 6 aux ennemis bien armés et soutenus par une aviation puissante qui bombarde sans scrupule des villes sans défense. Guernica en est le triste symbole. Daniel Brion et Gilbert Banlier font partie des volontaires charentais qui rejoignent ces Brigades Internationales. Pendant ce temps, nous menons campagne pour soutenir le peuple espagnol. Madeleine Normand et Mariette Brion collectent des fonds pour acheter du lait pour les enfants espagnols puis pour venir en aide aux réfugiés. Dans notre campagne charentaise, ce n’est pas facile et elles doivent inlassablement et sans se décourager donner les explications pour faire comprendre le lien unissant le sort des Français et celui des Espagnols. C’est ainsi que se constitue le « Secours Rouge » qui deviendra bien plus tard, le « Secours Populaire ». Octobre 1936 : J’ai 13 ans et je rentre au Cours Complémentaire en 2ème année. L’année scolaire 1936-1937 se déroule sans histoire. Je m’intéresse à la vie politique. On m’emmène à des fêtes populaires à Angoulême, à Ruffec. Nous défilons en chantant la Carmagnole, le Chant du Départ, l’Internationale, la Jeune Garde… Je partage l’avis de mon professeur de Français, Mademoiselle Chapeaucoup qui au cours de ses leçons d’Instruction Civique prône le vote des femmes. Les acquis du front populaire commencent à s’estomper, le problème espagnol inquiète sérieusement. Franco et ses alliés écrasent la République et les Communistes se démènent comme ils le peuvent pour faire prendre conscience du danger. La montée du fascisme se précise en France. Les « Croix de feu », les « Cagoulards » s’agitent et s’arment. A l’école, les esprits s’échauffent surtout à l’interclasse entre le clan de la « Droite » et celui, majoritaire de la « Gauche » La rentrée 1938/1939 se déroule dans un climat de haine et de suspicion. Où est passée l’euphorie de 1936 ? Je passe le Brevet. Pour la première fois, je vais au cinéma. J’ai bien déjà vu un film muet à Aigre « Les Misérables » projeté sous les halles par un cinéaste ambulant mais cette fois-ci, je suis dans un vrai cinéma. J’ouvre tout grand mes yeux et mes oreilles, émerveillée par cette immense salle aux fauteuils de velours rouge si confortables. Le film est parlant et retrace l’épopée d’un sous-marin naufragé ! Eté 1939 : Le 150ème anniversaire de la révolution Française passe inaperçu pour les français sauf à la fête du Parti Communiste le 14 juillet à Bourgines. Ambiance de joie tempérée par la menace qui plane à l’horizon. Bourgines 1939 : Fête du PC 14 juillet 1939 De gauche à droite : Les adultes : Guy Brion, Grand-mère Brion, Mariette Brion, Madeleine Normand, Thalie Moreau, Gustave Normand Août : Nous préparons la fête où se rassemblent Communistes et Républicains fidèles au Front Populaire, depuis 1936 à Oradour. Elle doit avoir lieu le 1er septembre. 1938 : Je suis en troisième année au Cours Complémentaire. Je reste plus que jamais sensibilisée par les événements. 12 mars, c’est Crac ! le jour prévu, ce dimanche 1er septembre l’Anschluss. On mobilise quelques réservistes pour 1939, c’est la catastrophe : la guerre est peu de temps. Hitler vient d’avaler l’Autriche et asdéclarée ! sassine ou déporte tous ceux qui s’y opposent. A la maison, peu de changement mais au village Bah ! L’Autriche est loin, elle parle Allemand…Ça arrivent les réfugiés de l’est, des « Mosellans ». ne nous concerne pas. Seuls les Communistes On les installe dans des maisons vides, accueillis s’agitent ! Calme relatif. plutôt froidement par la majorité des villageois, Septembre 1938 : c’est l’annexion par Hitler de la méfiants face à des malheureux parlant mal le région des Sudètes, population germanophone français et communiquant entre eux dans leur Tchécoslovaque. Et ce sont les accords de Munich dialecte qui ressemble beaucoup à l’Allemand. où Daladier et Chamberlain capitulent devant Hitler. Les français dans leur majorité sont Petit à petit, on s’habitue. On croyait au début à la « soulagés » et acclament Daladier à sa descente guerre « éclair » qui mettrait Hitler à genoux…mais d’avion. rien ne se passe. Malgré le pacte germano – soLà encore, seuls les Communistes protestent. viétique et leur mise à l’index, les Communistes 2 Peine perdue ! continuent leur travail de fourmis. Papa lui laisse sa marchandise et s’engouffre à nouveau dans le train pour regagner sa Charente natale sans aucun problème. Inutile d’imaginer les angoisses de maman et le ouf de soulagement quand il arrive à la maison. C’est décidé, Papa va faire faire une carte d’identité ! Au collège, la vie continue. Notre « résistance » se traduit par le commentaire des nouvelles et par des actes puérils. N’avons-nous pas transformé le chant à la gloire du maréchal, obligatoirement déclamé tous les matins, dans la cour du collège, par l’ensemble des élèves et des professeurs ! Bien sûr, nos paroles sont complètement diluées dans le flot majoritaire mais cela nous soulage et nous nous lançons des coups d’œil complices. Il nous arrive aussi de déchirer discrètement les affiches de propagande. Bien maigre action de résistance mais qui est pleine de dangers si nous sommes surprises par l’ennemi. Le réseau démantelé, nous n’avons plus de tracts, de journaux clandestins. Nos seules informations parviennent de Radio-Londres. Il faut se méfier des « collaborateurs ». Une dénonciation et c’est la prison. Dans mon village, Germeville, tout est calme. Nombreux sont ceux qui écoutent la radio défendue. Un soir de novembre, la TSF est allumée. ma petite sœur joue au coin de la cheminée. Soudain, notre porte s’ouvre brutalement. Deux soldats allemands précèdent papa au moment où résonne un « Ici, Londres… ». Monique éteint le poste. Papa le plus naturellement du monde décroche la clef de la grange de son clou. Ces messieurs viennent réquisitionner des oignons. Nous sommes restés inquiets pendant quelques jours mais manifestement les boches ne s’étaient aperçus de rien ! Nous étions sans nouvelles de nos amis incarcérés jusqu’au jour où nous parvient une lettre de Madeleine Normand. Celle-ci nous apprend qu’elle trouve le moyen de se distraire en prison en jouant des pièces de théâtre organisées par les lettrées : Marie-Claude Vaillant-Couturier, Danielle Casanova…Madeleine qui n’a que son modeste certificat d’études est fière de jouer un rôle dans une pièce de Molière ! Les hommes sont moins bien lotis. Beaucoup sont affreusement torturés dès leur emprisonnement à Ruffec. L’un d’eux, Raoul Sabouraud ose narguer ses gardiens. Doué d’une force peu commune, il leur déclare : « Regardez ce que j’en fais de vos menottes !» et d’un coup sec, il les brise. Madeleine quitte la prison par le convoi du 24 janvier 1943. (NDLR : 230 femmes de 17 à 69 ans sont déportées à Auschwitz par le convoi du 24 janvier 1943. Parmi elles, 119 étaient Communistes ou proches du Parti Communiste, 12 appartenaient à des réseaux Gaullistes, 51 avaient été arrêtées pour divers actes de résistance. Seules 49 survivront) Madeleine meurt, un mois plus tard, tuée par les coups de bâton de la gardienne du « block ». Nous l’apprendrons plus tard par Marie-Claude VaillantCouturier. Quant à Gustave son mari, il échappe à la déportation que subissent ses camarades peu après le départ des femmes. Il est fusillé au mont Valérien le 2 octobre 1943. Arlette 1944 : Au centre de la photo 1944 : On attend un débarquement. Je loge à Angoulême. Les alertes aériennes sont de plus en plus fréquentes. Les avions anglais bombardent la poudrerie à deux reprises. Nous entendons le bruit sourd des explosions et voyons le lointain tout illuminé. Les événements se précipitent. Beaucoup de jeunes refusent de partir au STO (Service du Travail Obligatoire) en Allemagne. Les occupants essayent le chantage de la « relève » en proposant d’échanger un prisonnier avec un volontaire. Beaucoup de jeunes disparaissent dans le « maquis ». Nous cachons mon cousin Jean, réfractaire au STO. En mai 1944, dans l’insouciance de notre jeunesse, nous allons cueillir du muguet dans la forêt de la Braconne « bourrée » d’Allemands. Les rafles de jeunes se précisent. Jean n’est plus en sureté. Une dénonciation est si vite arrivée. Il trouve une filière qui lui permet de rejoindre un Gustave Normand, amoindri par les gaz respirés maquis proche. en 1916 devient aveugle à la suite des coups En juin, je dois passer le bac. Je vais réviser à reçus. 5 Germeville mais le cœur n’y est pas. Les seules informations qui nous parviennent par la T.S.F (Radio à transmission sans fil) nous renseignent fort peu. On nous rationne la lumière. Il faut respecter la « défense passive », éteindre toute radio qui diffuse les nouvelles du front : Rien à signaler, et « nous vaincrons car nous sommes les plus forts ». A la chambre des députés, les quelques rares élus communistes qui ont osé assister à la réunion sont molestés, arrachés de leurs bancs à coups de pied, à coups de poings. La « chasse » se fait ou se cacher, sûrs de leur bon droit, sont arrêtés et emprisonnés. C’est la « Drôle de guerre » où l’ennemi n’est pas Hitler mais des Français ! Chez nous, Guy Brion, bien connu des autorités, n’échappe à l’arrestation que parce qu’il est absent, aux armées. On perquisitionne à l’école d’Oradour d’Aigre, menaçant femme et enfants. On n’emporte que des livres, le drapeau rouge et la banderole de la fête « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous pour le Pain, la Paix et la Liberté ». Comme je la trouvais belle, cette banderole ! Démobilisé, Guy Brion est envoyé en Corrèze dans une école perdue, loin de tous ses amis et camarades charentais. C’est bien mal le connaître car là-bas, il organise la résistance… Alors que tout semblait perdu, les fils se tissent lentement et discrètement. Des militants reprennent le flambeau. La famille Normand fait partie de ceux-là. Mai 1940. : C’est la défaite et « l’exode ». Des milliers de personnes fuient vers le sud. Nous accueillons des familles Belges, des Chtimis, des Parisiens…Il faut caser tout le monde ! Arrive même Mélanie, une tante inconnue pour moi, aventurière de la famille qui a quitté le village et n’a plus donné de nouvelles depuis plus de trente ans et qui débarque avec ses huit enfants : « - Ah, ma petite Madeleine, je suis Mélanie, la sœur de ton pauvre père, Alfred. - Et moi, je ne suis pas Madeleine mais sa fille Arlette ! » Je ne vais plus à l’école depuis début juin, ce jour où collées à la grille de l’école qui ouvre sur la route d’Angoulême, nous avons regardé passer, muettes de peur et d’appréhension, les troupes allemandes. Nos examens sont supprimés. Nous nous terrons chez nous. L’école est occupée. Le drapeau nazi flotte à la mairie devenue « kommandantur ». Les « Boches » sont à Aigre, mais se baladent dans nos villages apparemment débonnaires. « Turco » notre chien ne les aime guère et nous devons surveiller ses réactions ! Pendant ce temps, les époux Normands ont renoué des contacts, reçoivent des visites mysté- rieuses, discutant ferme pour nous convaincre de « lutter » malgré tout, malgré le peu d’information, malgré les rumeurs accusant les Communistes de traitrise et seuls responsables de notre désastre. En cette période compliquée, bon nombre de français sont soulagés par la signature de l’armistice. Il faut dire aussi que la confiance reste grande en Pétain, le « héros de Verdun » Mes parents écoutent et se laissent convaincre par Madeleine Normand, mais restent prudents. N’étant pas membre du Parti Communiste, ils sont insoupçonnables. C’est ainsi que notre maison va devenir une « planque » pour des inconnus agissant dans l’illégalité. Pas la peine de me dire de garder le silence. Nous entrons dans la clandestinité. Les époux Normands multiplient les rendez-vous mystérieux, apportent des tracts, des Humanités clandestines, mal imprimés, pliés et repliés que l’on va faire circuler avec mille précautions. Nous avons des nouvelles de Brion par cartes inter -zones. Il dit qu’il commence à faire pousser des fleurs rouges parmi les légumes de son jardin. L’allusion est claire. Le temps s’écoule. Je ne sais pas comment va se décider mon avenir. Brusquement, je reçois une convocation pour me présenter au concours d’entrée à l’école normale le 16 septembre à la Roche-sur-Yon. Je n’ai pas ouvert un livre depuis 3 mois ! Nous prenons un taxi à gazogène pour nous rendre à Chef-Boutonne. Cette voiture de tourisme, équipée par le garagiste qui nous emmène, est flanquée d’un grand cylindre vertical où le chauffeur entasse bois et sciure. La combustion au ralenti fournit un gaz pauvre (oxyde de carbone) qui alimente la chambre de combustion du moteur. La voiture ainsi équipée roule mais aucun risque de faire des excès de vitesse ! Nous faisons le reste du parcours en autocar. Tout se passe pour le mieux le jour du concours et je suis classée 17ème sur 120 candidates. 16 sont admises directement et je suis donc 1ère sur la liste complémentaire. Je rentre dans l’attente d’une défaillance parmi les admises et retourne au Cours Complémentaire d’Aigre pour recommencer la préparation au concours. Notre classe et la cour de récréation à disposition des occupants nous sont interdites. Les cours reprennent dans le hall de l’école. Au mois de juin suivant, je repasse le concours à Angoulême. J’en profite pour passer voir François et Simone installés depuis quelques mois dans une petite 3 maison dans la banlieue d’Angoulême. Papa l’a louée sous prétexte de me loger si je suis admise à l’EN. Il est vrai que l’internat ayant été supprimé, ce prétexte tient debout. Mais en réalité il s’agit de ménager une « planque » à Angoulême dans un coin tranquille. Depuis leur installation, je vais une fois par semaine les ravitailler et échanger des documents avec la famille Normand. Je suis au courant des risques que j’encoure en cas d’arrestation avec ces papiers compromettants… mais rien ne m’arrive. Je ne sais rien de Simone et de François, tous deux « activistes clandestins », sinon que ce dernier est particulièrement cultivé. Je vais apprendre par la suite que « François » de son vrai nom Georges Beyer est ingénieur et « Simone » de son vrai nom Marie-Claire Beyer sont délégués du Comité Central du PCF pour la région Poitou – Charente-Bordelais et sont beau-frère et belle-sœur de Charles Tillon. rend compte que les Normand sont là ! La confrontation permet de démontrer que l’argent transporté correspond à la vente des biens de la famille Normand. Mon père, relâché, revient émerveillé par l’attitude et les paroles de Madeleine face aux forces de l’ordre : « Vous n’avez pas honte de faire un tel boulot, vous français, de vous mettre au service de l’occupant ! ». Ces derniers, sans acolytes devenez les maîtres, nous nous mettrons à votre service : c’est notre métier. » (NDLR : Georges Beyer est responsable du service de renseignements des FTP (Francs Tireurs Partisans) mouvement de résistance armée créé en 1941 par le PCF clandestin sous la responsabilité de Charles Tillon.) Je suis reçu 7ème au concours. Les douze premières sont admises. Ce n’est qu’au milieu du mois d’août que j’apprends mon admission définitive. 1942 est une année plutôt sombre pour notre coin de Charente. Mes parents sont toujours un point de chute pour les clandestins. Ils hébergent entre autres René Michel et Jean Barrière qui seront arrêtés en novembre et fusillés dans une clairière près du camp de la Braconne le 5 mai 1943. Le couple Normand qui a quitté le village fin 1941, continue à avoir des relations toujours très secrètes. Ils vendent leurs bêtes, louent leurs terres car il leur faut bien de l’argent pour vivre ! Arrêtés à Saintes avec cet argent en poche (40 000 francs), ils sont soupçonnés par les policiers français de transporter de l’argent du PC et ceux-ci veulent remonter la filière jusqu’au grand chef. Bien entendu, Gustave et Madeleine Normand s’obstinent à déclarer que cet argent leur appartient et les policiers décident d’une confrontation. Le couple est alors transféré à la gendarmerie d’Aigre. C’est alors que deux gendarmes se présentent à la maison : « - Mon mari est à la vigne. - Bon, dites-lui de venir à la gendarmerie dès son retour. » Mon père prévenu, pense qu’ils veulent connaître le nouveau lieu de résidence des époux Normand. Bien décidé à ne rien dire, il arrive au poste et se 4 Congrès des Femmes Françaises en mai 1947 : parmi les quinze participantes charentaises : Croix : Alberte Vignaud Croix entourée : Arlette Desvaux Autre signe entouré : Mariette Brion Cette arrestation, complétée par la rafle dans le Ruffecois démantèle tout le réseau de résistance. C’est une faille dans la transmission du « passe » qui en est la cause. Un faux « illégal » mais vrai policier s’est présenté chez un couple de « contacts » avec en main la partie d’une feuille de magazine complétant parfaitement celle manquante du dit magazine que le couple avait reçu par la poste. Mis en confiance par la gentillesse du faux résistant, ces derniers lui « donnèrent » tous les noms des membres du réseau. Mon père, lui aussi, a vécu une aventure peu banale qui aurait pu tourner à la catastrophe. Ayant reçu un « passe » il devait apporter deux valises de ravitaillement (dont deux jambons) à Paris, gare d’Austerlitz. Un paysan qui monte à Paris pour ravitailler ‘les cousins », c’est chose courante à l’époque ; mais ce qui l’est moins c’est que le paysan en question ne possède aucun papier. Pas besoin de carte d’identité pour aller travailler dans les champs. Pas de contrôle à la gare d’Angoulême ni dans le train, ce qui est exceptionnel ! À l’arrivée à Paris , une alerte, bloque les voyageurs dans le train et dans le noir. C’est seulement au petit matin, à la fin de l’alerte que tout le monde descend du train. Un homme attend mon père et présente son « passe ».