Les infections nosocomiales - Conseil National de l`Ordre des

Rapport adopté lors de la session du Conseil national
de l’Ordre des médecins du 30 juin 2000
Pr. Jean LANGLOIS
LES INFECTIONS NOSOCOMIALES ET LES INFECTIONS
A L’OCCASION DES SOINS HORS DE L’HOPITAL
Les infections nosocomiales (I.N.C.) sont à la mode. Chacun s’en mêle : le malade, à juste titre, puisqu’il en est
la victime ; les consommateurs, les hommes politiques, les journalistes, les juristes, la sécurité sociale, les
assurances, les agences de l’Etat…
Les médecins par contre se taisent… médusés qu’ils sont, alors qu’ils avaient été les premiers à ressentir ces
complications infectieuses comme injustes pour leurs patients et qu’ils en avaient organisé la prévention,
souvent malgré l’inertie et l’incompréhension des administrations hospitalières !
§
Les infections hospitalières seraient beaucoup plus fréquentes que celles qui surviennent à l’occasion des soins
en pratique libérale, en ville. Cela est sans doute vrai, parce que l’environnement et les pathologies traitées sont
souvent différentes. Mais ce n’est pas démontré, faute de disposer de statistiques, en dehors des actions en
justice. Ces infections de ville peuvent être tout aussi graves. Les textes réglementaires les plus récents y font
référence. Elles doivent donc être étudiées comme les infections hospitalières.
§
Le BUT de ce rapport est PEDAGOGIQUE : rappeler les connaissances scientifiques en ce domaine et tenter de
faire comprendre que l’infection qui survient à l’occasion des soins n’est pas toujours synonyme de faute, ni
d’insuffisance dans la qualité des soins. Trop de sottises sont actuellement exprimées, témoignant ainsi de
l’ignorance profonde de ceux qui s’y intéressent.
§
Il est vrai que les I.N.C. sont GRAVES. Elles peuvent TUER. Elles génèrent l’INCONFORT. Elles peuvent
laisser derrière elles des SEQUELLES importantes. Certaines nécessitent des interventions chirurgicales ou des
réinterventions. Elles ALOURDISSENT les SOINS et elles COÛTENT CHER.
On comprend aisément alors que le malade qui en est la victime ne l’accepte pas et qu’informé (ou
désinformé) par ce qui est dit ou écrit, il considère qu’il y a eu faute et demande de ce fait réparation à
l’institution de soins et/ou aux médecins. Il les rend ainsi responsables de ses malheurs !
Définitions
Pour cerner le domaine des infections liées aux soins, quelques définitions méritent d’être rappelées.
L’INFECTION NOSOCOMIALE ou HOSPITALIERE (du latin nosocomium : hôpital ; du grec nosos : maladie,
komein : soigner), est définie selon les recommandations du Comité du Conseil de l’Europe, en 1984,
comme :
Toute maladie contractée à l’hôpital, due à des micro-organismes, cliniquement et/ou bactériologiquement
reconnaissables, qui affecte soit le MALADE du fait de son admission à l’hôpital ou des soins qu’il y a reçus, en
tant que patient hospitalisé ou en traitement ambulatoire, soit le PERSONNEL HOSPITALIER du fait de son
activité, que les symptômes de la maladie apparaissent ou non, pendant que l’intéressé se trouve à l’hôpital ”.
Les INFECTIONS IATROGENES, sont selon leur étymologie, celles qui sont provoquées par le médecin.
Leur cadre est ainsi, à la fois plus étroit et plus large.
- plus large, puisqu’il déborde l’hôpital et englobe tous les accidents infectieux déterminés par la
pratique médicale,
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- plus étroit, parce que ne sont pas incluses les infections acquises à l’hôpital et non imputables aux
médecins et aux soignants, et les contaminations interhumaines ou liées au milieu, comme le sont les
épidémies de légionellose en relation avec un climatisation défectueuse, ou une eau insuffisamment
désinfectée ou stérilisée.
Les INFECTIONS COMMUNAUTAIRES sont des infections qui atteignent une population extra hospitalière
mais qui peuvent ne se révéler qu’à l’hôpital.
Sans qu’ils puissent être considérés comme formels, des DELAIS sont retenus pour situer l’infection
nosocomiale par rapport à l’hospitalisation :
L’infection nosocomiale est celle qui n’est présente, ni en période d’INCUBATION lors de l’entrée à
l’hôpital, ni qui survient dans les 48 premières heures qui succèdent à l’admission.
En cas de plaie opératoire (même ponctiforme après piqûre), une infection sera reconnue comme
nosocomiale si elle survient dans les 30 jours qui suivent cette intervention. Ce délai peut être porté
jusqu’à un an en cas d’insertion d’une prothèse ou d’un implant.
Une infection constatée à l’entrée à l’hôpital et qui peut même être le motif de l’hospitalisation n’est donc pas
nosocomiale pour ce qui concerne cet établissement. Mais cela n’exclut pas qu’elle le soit pour le centre
de soins d’où vient le patient.
§
En 1993, l’ACADEMIE NATIONALE DE MEDECINE a effectué un important travail sur ce sujet. Le rapport de
Jean-Claude PECHERE (généticien et microbiologiste à Genève), précise ce que peut être une infection
nosocomiale. Il rappelle ainsi le classement suivant :
- L’INFECTION NOSOCOMIALE EXOGENE, causée par les microbes de l’environnement, introduits chez le
malade, au moyen d’un vecteur animé ou inanimé, venant le plus souvent d’autres malades.
- L’INFECTION NOSOCOMIALE ENDOGENE, provenant du malade lui-même, chez lequel la voie digestive
(de la bouche à l’anus), la peau et le vagin, sont les réservoirs humains les plus importants et à partir
desquels l’infection se produit. Toutefois, selon l’origine des germes, deux types d’infections nosocomiales
peuvent être distingués :
Les infections primaires, cas où les germes sont présents chez les malades, au moment de leur
admission (même s’ils sont des “ porteurs sains ”).
Les infections secondaires, qui résultent d’une colonisation par les germes véritablement hospitaliers
(contamination principale au niveau de la peau et du tube digestif) et qui peuvent aboutir à une infection
DECLAREE après un acte de soins, le plus souvent INVASIF, et/ou parce qu’il y a déficit immunitaire
du sujet.
Dans la préface au livre d’Isabelle LUCAS-BALOUP (Infections nosocomiales -
40 questions sur les responsabilités encourues), le Professeur Claude CARLET, Président du Comité
Technique National des infections nosocomiales, a écrit :
…/… certaines infections nosocomiales sont directement liées à un acte réalisé pendant
l’hospitalisation (intervention chirurgicale, ponction, mise en place d’un cathéter veineux…), d’autres
surviennent simplement pendant l’hospitalisation chez des malades atteints d’affections graves (séjour en
réanimation) et/ou dont les défenses contre l’infection sont très affaiblies (SIDA, maladies cancéreuses
prolongées, chimiothérapies, corticothérapie au long cours…). Les secondes, de loin les plus fréquentes, sont
malheureusement infiniment plus difficiles à prévenir que les premières, car elles sont plus liées à la gravité de la
maladie qui amène le malade à l’hôpital qu’à des fautes d’hygiène ou des défauts d’organisation. Elles sont
souvent dites “ endogènes ”, car liées à la propre flore bactérienne du patient ”.
L’infection nosocomiale est différente du simple PORTAGE bactérien qui peut intéresser tout être humain.
Ce fait est mal connu et encore moins révélé ! Il faut comprendre ce qu’est l’ECOLOGIE entre les êtres humains
et les êtres microscopiques (bactéries, virus, champignons, parasites) et la place que prennent ainsi les
infections nosocomiales dans le milieu de vie des hommes.
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Le portage bactérien est fait de micro organismes qui sont les uns saprophytes (nous en sommes tous atteints)
et inoffensifs, les autres véritablement pathogènes, cause éventuelle d’une infection, et même parfois
résistants ou multirésistants aux antibiotiques…
Cela permet de comprendre que nombre de sujets en bonne santé ou atteints d’une autre pathologie sont
dits “ PORTEURS SAINS ” parce que leur PEAU ou leurs MUQUEUSES (rhino-pharynx, tube digestif, sphère
génitale) sont le siège d’une COLONISATION BACTERIENNE, laquelle n’est nullement cause, chez eux, d’une
INFECTION en EVOLUTION. Ces porteurs sains sont dangereux pour autrui et pour eux-mêmes
éventuellement.
La POPULATION HUMAINE d’un ETABLISSEMENT de santé est faite de trois composantes :
Les MALADES,
Les SOIGNANTS,
Les VISITEURS.
En matière d’infection nosocomiale, chacun en ce qui le concerne peut être la VICTIME d’une contamination,
comme un DANGER en ce domaine pour autrui. Il peut être lui-même porteur d’une INFECTION DECLAREE. Il
peut être aussi un PORTEUR SAIN qui s’ignore.
Ainsi, la simple poignée de main, geste de courtoisie, le baiser, geste d’affection, la parole même, possible
facteur d’aéro-contamination, deviennent aussi dangereux dans l’hôpital que dans le métro parisien ou dans
une salle de spectacle ! Rappelons nous que la première grande épidémie de maladie dite “ des
légionnaires ”, est survenue dans un grand hôtel des Etats-Unis, à l’occasion d’un congrès de “ L’American
Legion ”.
Le TITRE, INFECTIONS NOSOCOMIALES, constitue un TITRE GENERAL qui ne fait pas la discrimination
entre MALADES, SOIGNANTS et même VISITEURS. Ceux-ci sont bien sûr les moins menacés : les soins ne
les concernent pas directement, mais l’environnement hospitalier peut les toucher (maladie du légionnaire,
maladies dites contagieuses). Ils peuvent aussi être le vecteur contaminant.
Le grand public et nombre de médecins sous entendent dans le titre I.N.C., les infections dont peuvent être
victimes les MALADES HOSPITALISES.
Les SOIGNANTS sont aussi concernés. Ils peuvent contracter une infection alors qu’ils sont à l’hôpital. Tout
ce qui est dit concernant les malades peut aussi leur être attrib. Malheureusement encore, ces infections
ne sont pas toutes reconnues comme maladie professionnelle ou comme accident de travail.
Il faut pour cela se référer aux soignants victimes, dans le passé, par la tuberculose contractée à l’occasion
des soins aux phtisiques, par exemple ou, dans le présent, par le V.I.H.
Le chapitre du VIH est édifiant sur ce point : on pense aussitôt à l’infection nosocomiale qu’a été, en 1984-1985,
la contamination des transfusés ou des hémophiles et l’on oublie les infirmières * (23 séroconversions, dont
12 documentées et 11 présumées) ainsi contaminées ou déjà mortes du SIDA, lui-même contracté à l’occasion
des soins (accident d’exposition au sang), ainsi qu’au moins un chirurgien… Certaines hépatites virales sont
aussi à retenir !
Une clarification est donc nécessaire quand on parle d’I.N.C. et de la victime d’une telle complication.
Sans méconnaître les soignants, il convient de préciser que l’on se limite à celles qui concernent les
PATIENTS et de rechercher quelle est la nature de la transmission de l’agent infectieux, non seulement directe
ou indirecte, mais aussi à partir de quel vecteur. Il est du reste très inquiétant que, dans 3 arrêts récents, la Cour
de Cassation ait jugé que le médecin doit apporter “ la preuve que l’infection est de cause étrangère ! ”.
§
La PREVALENCE
En mai-juin 1996, une enquête de prévalence des infections nosocomiales a été effectuée “ un jour donné
par le Ministère de la Santé.
Elle avait concerné :
- Etablissements : 830
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- Services hospitaliers concernés 10.000
- Patients 236.000
Elle avait fait apparaître que :
- 6,7 % des sujets avaient acquis une infection nosocomiale
- le taux de prévalence était de : 7,6 %
- le ratio infections/infectés : 7,6
6,7 était ainsi de 1,14
- 1/3 des patients avaient contracté leur infection nosocomiale dans un AUTRE ETABLISSEMENT.
Par extrapolation, on calcule que 800.000 personnes environ contracteraient ainsi une ou plusieurs infections
nosocomiales par an.
Les enfants ne représenteraient que 5 % des hospitalisés (les nouveau-nés surtout) et la moitié des sujets
infectés étaient âgés de PLUS de 65 ans. (on ne connaît pas le nombre des malades de plus de 65 ans
hospitalisés).
(* BEH Mai 1999)
Le rapport de la Commission de la Sécurité des Consommateurs se référant à l’enquête du Ministère de la
Santé et saisie par le Sénateur Guy PENNE (Requête n° 97.062) précise que :
Les infections nosocomiales seraient cause de 10.000 décès de personnes environ chaque année, sur
600.000 qui contractent ce type d’infection (plus que le nombre des tués par accident de la route : 8.029 en
1999),
Qu’elles entraînent une durée de 5 à 7 jours en moyenne, en supplément à l’hospitalisation,
Qu’elles génèrent un surcoût de 10.000 à 20.000 francs par malade infecté, soit au total 2,2 à 2,5 milliards de
francs par an, à la collectivité nationale,
Qu’elles représentent le 1/3 du budget de consommation des antibiotiques.
§
LES SITUATIONS A RISQUES
En fonction de la PATHOLOGIE qui MOTIVE SON HOSPITALISATION, le patient est soumis à un risque
d’I.N.C. variable (rapport du Ministère de la Santé) :
- Les opérés sont plus menacés (11,8 %) que les non opérés (5,6 %),
- Les porteurs d’une sonde urinaire (17,2 %) ,
bien plus que les non porteurs ( 1,2 %),
- Les spécialités médicales à manœuvres invasives, et tout spécialement la REANIMATION sont plus
menaçantes que celles qui en sont dépourvues.
Néanmoins, l’hépatite virale C est sous estimée… et notamment la contamination par les endoscopes
digestifs est un risque important à prendre en compte actuellement, parce que la stérilisation des appareils
ne peut être parfaite et que les contrôles sont impossibles parce qu’inexistants.
Il faut aussi rappeler que l’état pathologique du patient, et son éventuelle insuffisance immunitaire
peuvent l’exposer au risque d’I.N.C.. Ce sont par exemple le diabète, l’insuffisance rénale évoluée, le
traitement immuno suppresseur d’un transplanté d’organes, la corticothérapie, les cancers et surtout ceux
soumis à la chimiothérapie, et dans une certaine mesure la sénescence et la fin de vie… de même que les
grands prématurés.
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§
CLINIQUE
Les pathologies développées dans le cadre des I.N.C. sont diverses. Elles ont toutes un potentiel de gravité
important.
1. Les plus fréquentes sont les INFECTIONS URINAIRES, bactériennes ou fongiques. Elles sont liées à la
SONDE URETRALE (même mise en place pour une courte durée) et aux EXAMENS ENDOSCOPIQUES.
Elles peuvent toucher tout l’arbre urinaire, par voie ascendante ; elles trouvent souvent leur origine sur le
patient lui-même (obstacle des voies urinaires, urétrite, prostatite), et sur une insuffisance de protection
dans les soins d’hygiène. La sonde laissée à demeure est le facteur le plus dangereux. Mais peut-on
toujours l’éviter ?
2. Les PNEUMOPATHIES BACTERIENNES sont la cause majeure de mortalité des I.N.C. Elles sont très
rarement d’origine hématogène. Elles sont le plus souvent liées à l’aspiration, à l’inhalation des sécrétions
oto-pharyngées.
Les facteurs prédisposants sont les troubles de la conscience, l’anesthésie générale, la présence de
troubles de la toux et de la déglutition, l’insuffisance respiratoire (aiguë ou chronique), l’insuffisance
cardiaque, le tabagisme, les traitements antibiotiques antérieurs à large spectre qui sélectionnent les
souches résistantes… mais certaines sont la conséquence d’une trachéotomie, d’une assistance
ventilatoire, d’inhalation d’aérosols, d’explorations bronchiques (on ne peut pas bien désinfecter les voies
oto-pharyngées).
La légionellose pulmonaire est une pathologie de l’environnement (climatisation, eau chaude plus que
froide du robinet source d’aérosol contaminant). Elle peut être mortelle chez le vieillard et
l’immunodéprimé.
3. L’INFECTION des SITES OPERATOIRES
L’infection des sites opératoires représenterait 4 % des interventions pratiquées. Elle peut avoir pour origine
les germes cutanés du patient. Elle concerne surtout les sites déjà contaminés, ce qui est le cas :
de la chirurgie digestive (chirurgie du colon)
des voies urinaires,
des voies respiratoires,
d’une région préalablement infectée ou nécrosée.
Les facteurs favorisants sont nombreux :
L’existence d’un corps étranger,
L’hématome post-opératoire
L’état de nutrition médiocre,
L’insuffisance rénale,
Le diabète,
Toute pathologie grave diminuant le pouvoir immunitaire,
La corticothérapie préalable,
L’existence d’un foyer infectieux à distance.
Certaines infections sont gravissimes, telles la médiastinite en chirurgie cardiaque, la surinfection d’une
prothèse orthopédique, valvulaire ou vasculaire. Elles peuvent être mortelles et nécessitent souvent une
réintervention.
4. Les PLAIES NON CHIRURGICALES : BRULURES, ESCARRES, ULCERES cutanés, LESIONS DE
GRATTAGE sont toutes et souvent INFECTEES. Elles menacent le sujet qui en est la victime. Elles sont
des SITES OUVERTS, DANGEREUX pour LES AUTRES HOSPITALISES.
5. Les SEPTICEMIES se développent soit à partir d’une infection focale, soit d’un cathéter intra vasculaire,
le plus souvent laissé en place de façon prolongée, mais aussi parfois, après un acte invasif de médecine
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