De l`essence de la vérité à la vérité de l`être chez Martin

1
DE L’ESSENCE DE LA VERITE A LA VERITE DE
L’ETRE CHEZ MARTIN HEIDEGGER. POUR UNE
ONTOLOGIE DE LA VERITE
Par Jules MAIDIKA ASANA
Professeur Associé à la Faculté
des Lettres et Sciences
Humaines
INTRODUCTION
Depuis sa naissance jusqu'à ce jour, la philosophie s’est toujours
présentée encore comme une quête inlassable de la vérité. De Thales de
Milet jusqu'à Heidegger en passant par Socrate, Platon, Saint Augustin, Saint
Thomas d’Aquin, Descartes et Kant, la question de la vérité passe pour la
question fondamentale.
De par son étymologie, la philosophie est l’amour de la sagesse. Chez
les Grecs, la sagesse signifiant un savoir-faire, mais aussi une recherche de
vérité. La philosophie est donc essentiellement la contemplation amoureuse
de la vérité. C’est pourquoi le philosophe allemand Karl Jaspers soutient que
l’essence de la philosophie est la recherche du savoir (vérité) et non sa
possession. (Cf. K. JASPERS, Introduction à la philosophie, Paris, Plon,
1982). La philosophie est une quête inlassable de la vérité.
En effet, tout homme en général et l’homme de culture en particulier,
est habité par la quête de la de la vérité. La vérité a été et est encore l’objet
de beaucoup de réflexions tant auprès de l’homme vulgaire que chez bon
nombre des philosophes. Nous avons des vérités, mais nous voulons toujours
la « vérité » réelle. Ainsi, a-t-on tout de même souci de vérité.(M.
HEIDEGGER, Question I, Paris, Gallimard, 1968, p.162) .
Cependant, lorsqu’on réclame la vérité réelle, on doit déjà savoir ce
que c’est la vérité en tant que telle. Ce mot si noble et pourtant vide de sens,
désigne ce qui constitue le vrai comme vrai. (M. HEIDEGGER, Question I,
Paris, Gallimard, 1968, p.163), un horizon vers lequel l’homme, grâce à ses
interrogations, doit toujours tendre.
La démarche la plus profonde de l’esprit philosophique est
ontologique. La démarche ontologique, dans cet article, est donc celle qui se
demande d’abord quelle est la nature profonde de la vérité. A partir de
Heidegger, nous voulons penser l’essence authentique de la vérité, la vérité
dernière et absolue. Cette démarche ontologique nous révélera que la vérité a
2
des rapports avec l’être en général. En d’autres termes, la vérité, c’est la
vérité de l’être. Pour bien saisir l’essence de la vérité, telle que nous la
retrouverons dans l’ontologie heideggérienne, nous partirons d’abord de la
différence entre vérité et réalité (réel), ensuite nous allons analyser les
différentes conceptions classiques de la vérité, leurs insuffisances ; enfin
nous présenterons la conception heideggérienne de la vérité, laquelle a le
mérite d’être ontologique, c’est-à-dire essentielle.
1. VERITE ET REALITE
Les termes vérité et réalité sont souvent utilisés dans le langage
vulgaire de manière qui prête à confusion. Alors qu’en réalité, ces deux
termes sont différents, de par leur sens, l’un de l’autre. La vérité est
différence de la réalité. Il convient de bien les distinguer. La vérité est de
l’ordre de jugement, elle est une valeur de la proposition. Alors que la réalité
ou le réel est de l’ordre de l’objet existant de la constatation de l’être auquel
se rapport un prédicat.
Appréhender le problème de la vérité suppose en premier lieu de
briser l’identification non philosophique entre vérité et réalité. Nous avons,
en effet, tendance à penser que ce qui est vrai est ce qui est réel. La
distinction de la vérité et la réalité se dévoile mieux dans cet exemple :
« cette lampe est réelle, autrement dit elle existe. Ce bureau, cette lampe sont
vrais (ou faux) (D. HUISMAN et A. VERGEZ, Métaphysique, Paris,
Fernand Nathan, 1962, p.52). Supposons que je regarde le soleil, je dirai sans
hésitation qu’il est réel ; mais quel sens y aurait-il à dire que le soleil est
vrai ? Lorsque j’affirme que quelque chose est réelle, je ne fais rien d’autre
que reconnaitre ou constater son existence. La vérité, quant à elle, semble
exiger autre chose qu’une telle reconnaissance ou constatation.
Dans notre exemple sur le soleil, ce n’est pas le soleil lui-même qui
peut être vrai ou faux, mais notre représentation ou notre jugement : si je dis
« cela est le soleil » en désignant la lune, alors mon affirmation sera fausse
tandis que si je désigne le soleil, elle sera vraie. Après avoir explici la
différence entre la vérité et la réalité, il convient de noter que nous ne
pouvons pas pour autant en déduire que ces deux concepts n’entretiennent
aucun rapport. C’est autour même de la question de ces rapports que
s’affrontent les différentes conceptions de la vérité. On prend parfois comme
critère de vérité d’un jugement sa conformité avec la réalité. C’est la thèse
de la vérité- correspondance ou copie.
3
2. VERITE COMME ADEQUATION DE L’ESPRIT A LA REALITE
Dans la conception classique, la vérité est définie comme adaequatio
rei et intellectus (adéquation entre l’esprit et la réalité). (P. IDE, Introduction
à la métaphysique. L’amour des sommets (1), Paris, Mane, 1994, p.113). Il
s’agit de la définition nominale (La définition nominale est un énoncé de
ce qui signifie un mot) de la vérité qui en fait l’accord de l’esprit avec son
objet (la réalité) et par conséquent, cette définition est extrinsèque.
Dès lors, la vérité consiste à ce que l’esprit humain ou l’intelligence
copie une réalité qui lui extérieure, mais modèle. La définition de la vérité-
copie est admise comme présupposé. L’esprit est appelé ici à se conformer
au réel, à voir le réel tel qu’il est et tel qu’il veut. « L’idée vraie est alors
celle qui est fidèle à la réalité. Une idée ne serait donc pas qualifiée de
« vraie » ou de « fausse » en elle-même, par ses caractéristiques intrinsèques,
mais seulement par sa conformité ou sa non-conformité à la réalité. Les
scolastiques disaient : « La vérité, c’est la conformité de notre pensée aux
choses ».(adaequatio rerum et intellectus) »(D. HUISMAN et A. VERGEZ,
Métaphysique, Paris, Fernand Nathan, 1962, p. 54). Il s’ensuit que ce que
nous nous représentons doit être conforme à la réalité qui est hors de l’esprit,
ce qui revient à dire que ce qui est dans l’esprit doit refléter ce qui est dans la
réalité.
Dans cette conception classique ou traditionnelle, la vérité est dans
l’intelligence, elle se dit d’abord de l’intellect parce que le terme de la
reconnaissance qu’est le vrai a son siège dans l’intelligence. (P. IDE,
Introduction à la métaphysique. L’amour des sommets (1), Paris, Mane,
1994, p.119) La conformité est comprise ici comme accord entre le jugement
et la chose « Le vrai semble alors devoir être dit de la chose même. Cette
vérité intrinsèque, adhérant à la chose, parait éliminer la dualité de
représentation et du représenté, impliqué toujours dans la notion de
conformité de celle-là à celle-ci. »(M. GUEROULT, « La définition-
Descartes et Spinoza », in la vérité, Actes du XIIème congrès des sociétés de
Philosophie de la langue française, Bruxelles-Louvain, Nauwelaertd du 22
au 24 Août 1964, p. 44).
En évidence, la définition de la vérité-copie ne vaut donc que pour les
sciences de la nature qui ont un objet extérieur. Elle ne vaut pas pour les
mathématiques ou la métaphysique qui n’ont pas proprement parler l’objet
sensible. C’est ainsi que cette conception de la vérité-copie ou vérité-
conformité souffre de certaines insuffisances. Une autre difficulté ou
insuffisance de cette définition réside dans le fait que si la vérité consiste à
4
copier une réalité extérieure prise pour modèle, quel est le critère qui peut
alors nous assurer de la fidélité de la copie ou modèle (réalité) ?
Si la copie doit être identique ou conforme au modèle, c’est que la
copie devient aussi modèle, indissociable au modèle. Nous assistons là soit à
un dédoublement du modèle soit à l’immanence de la vérité à l’esprit. On
rejoint ici Platon pour qui la vérité est quelque peu innée autrement on ne la
connaitrait jamais. Car, lorsque l’homme juge du vrai, pense Martial
Geuroult, il a déjà la notion même de vérité, il a une conscience immédiate
de sa signification (M. GUEROULT, « La définition-Descartes et Spinoza »,
in la rité, Actes du XIIème congrès des sociétés de Philosophie de la
langue française, Bruxelles-Louvain, Nauwelaertd du 22 au 24 Août 1964,
p. 44).
On ne peut donc prendre pour critère de la vérité la conformité de l’esprit
avec la réalité. Kant avait raison de dire qu’un critère universel est sûr de la
vérité, celui qu’on pourrait appliquer à toutes les connaissances sans
distinction de leurs objets, est tout à fait impossible et absurde. Si du point
de vue de la matière de la connaissance, il est impossible de déterminer le
critère universel de la vérité, il est possible de déterminer du point de vue de
la forme de la connaissance. La logique nous détermine les critères de la
vérité formelle. Mais la logique ne peut pas aller plus loin. Si la vérité peut
se définir par correspondance de l’esprit au réel, inversement, on peut penser
que la vérité se définit avant tout par la cohérence de la pensée avec elle-
même.
3. LA VERITE COMME COHERENCE INTERNE DE L’ESPRIT
AVEC LUI-MEME
Dans la conception précédente, la vérité résidait dans la conformité à
la réalité ; mais dans la vérité-cohérence, il s’agit de la conformité de
l’esprit, non pas à une réalité extérieure, mais à lui-même. Un esprit
conforme à lui-même, c’est celui qui se conforme aux lois qui lui sont
internes. La vérité, c’est alors la cohérence interne de la pensée.
Si la vérité-correspondance est intrinsèque, la vérité-cohérente est, par
contre, intrinsèque dans ce sens qu’elle est accord de la pensée avec elle-
même. La vérité-cohérence suppose l’existence au préalable des principes
rationnels, des cadres épistémologiques. En effet, tout raisonnement valable
s’appuie sur des principes qui, selon une célèbre formule de Leibniz, « sont
nécessaires comme les muscles » (Cf. LEIBNIZ, Nouveaux essais sur
l’entendement humain, I, Paris, Flammarion, 1990). Ces principes sous-
tendent tous les raisonnements. « A l’origine de la vérité, il y a donc ces
5
grandes lois du réel »(Leibniz cité par N. BARAQUIN et J. LAFFITTE,
Dictionnaire des philosophes, Paris, Armand Colin, 2002, p.183).
Ces principes rationnels, germes de la vérité, sont innés et ce sont
d’abord le principe d’identité (ce qui est, est) sans lequel aucune pensée ne
serait possible ; le principe de non contradiction énoncé par Aristote en ces
termes : « Il est impossible que le même attribut appartienne et n’appartienne
pas au même sujet sous le même rapport » (ARISTOTE, Métaphysique IV, 3,
115b) ; et le principe du tiers exclu qui élimine une troisième éventualité. Par
principe de non contradiction, on ne peut affirmer, comme vérité, par
exemple, que Dieu est et Dieu n’est pas. Par principe de tiers exclu, on dirait
« ou bien Maidika est homme ou bien il est non-homme ». Il n’y a pas une
troisième éventualité à envisager. Le principe de raison suffisante énoncé par
Leibniz postule que tout ce qui se passe ou existe, a sa raison d’être. Ce
principe de raison suffisante est le fondement logique et ontologique de la
vérité. On pourrait se demander, quelle est l’origine de ces principes de la
raison nous l’avons déjà dit, ces principes rationnels, universels et
nécessaires sont innés.
Comme dans les conceptions précédentes de la vérité, celle-ci souffre
aussi de quelques insuffisances, car la vérité d’une proposition semble se
fonder sur des lois abstraites. Ces principes rationnels n’offrent aucune
réalité particulière parce qu’ils sont universels et ne portent pas sur les
détails. Car une vérité cohérente à elle-même, mais sans l’expérience n’est
rien.
D’aucuns ont prétendu que le critère de la vérité, c’est le succès
pratique, la réussite. La vérité est définie donc comme ce qui est opératoire.
C’est le point de vue pragmatique de William James que nous allons
analyser dans le point suivant.
4. VERITE COMME SUCCES OU IDEE QUI REUSSIT
W. James, avec son pragmatisme, soutient l’idée que le critère de la
vérité, c’est le succès. Ainsi, l’idée vraie est celle qui est opératoire, celle qui
est efficace. On s’achemine ici vers l’utilitarisme, car le vrai devient l’utile.
L’inconvénient ici, c’est que la vérité cesse d’être une valeur de la
raison. Le vrai n’est vrai que s’il est rentable, opératoire, pragmatique et
avantageux. La vérité, c’est ce qui procure à l’homme le succès et
l’avantage. Dans cette conception, la vérité perd toute sa signification. Car
une idée peut être vraie, mais sans procurer un avantage matériel, un succès
alors que celle qui est erronée peut faire succès. La vérité ne se démontre
1 / 9 100%

De l`essence de la vérité à la vérité de l`être chez Martin

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !