
Le débat philosophique à l’école primaire 
 
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Revue de Presse  
 
Ces écoliers qui philosophent  
Alexandre DUYCK Le Journal du dimanche 
 
Ils sont assis sur de petites  chaises,  sérieux,  concentrés.  Au  tableau,  le maître a inscrit la 
question du jour que l’un des enfants a posée: « Pourquoi sommes-nous nés ? » A tour de 
rôle, ils répondent, donnent leur version des choses, leur vision du monde. Ils n’ont que 5, 6 
ou 7 ans. Mais l’air de rien, une dizaine de minutes durant, ils philosophent dans la salle de 
classe d’une petite école maternelle et élémentaire des monts du Lyonnais.  
A l’étage, l’heure est également à l’« atelier philo » pour les grands, âgés de 8 à 11 ans.  
«  Peut-on  ressentir  la  souffrance  des  autres  ?  »  Par  la  fenêtre,  on  distingue  au  loin  des 
sommets alpins enneigés. Un chien aussi qui court, tout près, mais aucun enfant ne l’observe. 
La philo, c’est du sérieux, même à l’école maternelle ou élémentaire.  
Lancés en 1997 par un trio de chercheurs et d’enseignants, les ateliers philo connaissent un 
succès grandissant. Il reste certes des directeurs ou des inspecteurs d’académie réticents, pour 
qui philosopher rime avec paresser, mais de plus en plus d’écoles, de centre-ville comme de 
banlieue, s’intéressent à une expérience d’abord limitée aux régions lyonnaise et parisienne. A 
Saint-Didier-sous-Riverie (Rhône), tous les enfants de l’école sont concernés, sauf les moins 
de 4 ans, qui ne s’expriment pas encore assez bien. Dès que possible, au printemps sûrement, 
eux aussi se mettront à la philo.  
« Pourquoi sommes-nous nés ? Parce que Dieu nous a créés », répond Lise, la première petite 
fille interrogée dans la classe des moyens. Océane, Mélodie et Gilles poursuivent : « Nous 
sommes nés pour habiter la Terre, sinon la planète serait vide et elle ne servirait à rien ! » 
Camille répond à Lise que « c’est pas Dieu qui nous a créés mais notre maman ! », relançant 
un débat inévitable entre laïcs et religieux dans ce pays de montagnes surnommé la Vendée 
lyonnaise.  
Ce ne sont pas des surdoués, juste des enfants qui s’écoutent les uns les autres, qui expriment 
un point de vue, parfois changent d’avis, copient les propos des autres ou au contraire les 
critiquent. « Il faudrait peut-être lire des choses, ose Éliot. Moi, je sais ce qui s’est passé et 
pourquoi nous sommes nés. Dieu a fait une grosse boule, deux humains en sont sortis, ils ont 
fait deux enfants qui eux aussi en ont fait deux, et ainsi de suite... »  
Dans cette école rêvée où l’on a supprimé les notes, les maîtres n’interrompent jamais l’atelier 
philo, si ce n’est pour donner la parole à qui la demande. L’enseignant ne commente pas, ne 
juge pas, ne recadre pas non plus la discussion quand elle semble s’égarer. « Je ne suis pas là 
pour intervenir, insiste Rémi Castérès, le directeur. Le but n’est pas de leur inculquer des 
données  mais  de  les  voir  obtenir  un  permis  de  penser,  de  faire  d’eux  des  apprentis 
chercheurs.»  
 «  Peut-on  ressentir  la  souffrance  des  autres  ?  »,  se  demandent  ses  élèves.  Beaucoup 
répondent que oui, évoquent des souvenirs personnels, une chute à vélo, un décès, un animal 
perdu,  autant  d’événements  douloureux  qu’ils  ont  vécus  et  partagés  avec  d’autres.  Mais 
Florian tente, lui, de faire comprendre que « penser et ressentir, ce n’est pas pareil ». Lui 
parvient à franchir un cap, à conceptualiser sa réflexion. Il n’est pourtant pas le meilleur élève 
de sa classe. « Cet exercice bouleverse tous les clivages scolaires ou sociaux, explique son 
maître. Deux enfants n’ont pas dit un mot aujourd’hui. L’une est la fille d’un ouvrier agricole, 
l’autre celle d’un médecin-chercheur… »