Les porteurs hétérozygotes d’une mutation du gène
ATM
sont prédisposés au cancer et à la coronaropathie
La plupart des gènes de prédisposition au cancer (comme RB,
BRCA1, ou P53) ont une transmission autosomique dominante
et les individus porteurs hétérozygotes d’une telle mutation ont
un risque élevé de développer un cancer au cours de leur vie.
Le statut du porteur hétérozygote pour un gène à transmission
récessive est en revanche sujet à controverses.
L’ataxie-télangiectasie est une maladie autosomique récessive
se manifestant dès l’enfance par une ataxie cérébelleuse pro-
gressive, des télangiectasies oculo-cutanées, un déficit immu-
nitaire, ainsi qu’une hypersensibilité aux radiations ionisantes.
Les patients homozygotes (avec deux allèles atteints) ont un
risque multiplié par 100 de développer un cancer, des leucé-
mies aiguës et des lymphomes dans plus de 85 % des cas, et
leur décès survient à un âge moyen de 20 ans. Après l’âge de
20 ans, le développement de tumeurs solides devient prépon-
dérant.
Le gène ATM localisé en 11q23.1 code pour une protéine ayant
une forte homologie avec la phosphatidylinositol 3’ kinase.
Elle est impliquée dans la transduction du signal provoqué par
un stress génotoxique comme les radiations ionisantes et inter-
agit par des complexes protéiques avec les voies de signalisa-
tion impliquant P53 et BRCA1 notamment (1).
Les hétérozygotes porteurs d’une mutation du gène ATM sont
nombreux, puisqu’elle atteint 1,4 % à 2 % de la population
générale, mais la conséquence biologique (le phénotype) de
cette atteinte restait jusqu’à présent mal définie. Une étude de
cohorte américaine et canadienne a porté sur 405 grands-
parents d’enfants atteints d’ataxie-télangiectasie (2). Le géno-
type des grands-parents a été déterminé par détection directe
de la mutation ou par détermination d’un haplotype (trois
microsatellites sur le chromosome 11q). Les 204 grands-
parents porteurs hétérozygotes ont été comparés aux 201 non-
porteurs d’une mutation du gène ATM.
Le décès survenait 8 ans plus tôt chez les hétérozygotes que
chez les apparentés non atteints (74 ans contre 82 ans pour les
hommes ; 86 ans contre 94 ans pour les femmes). Le risque
relatif de décès par cancer était de 2,6, et par coronaropathie de
deux. On a dénombré 35 décès par cancer pour les hétérozy-
gotes, contre 16 pour les grands-parents sans mutation du gène
ATM. On a noté en particulier 8 décès par cancer du sein chez
les 111 femmes porteuses d’une mutation du gène ATM, alors
qu’aucun décès par cancer du sein n’est survenu parmi les
96 femmes qui n’en étaient pas porteuses.
Cette étude renforce l’hypothèse qu’une mutation du gène
ATM prédispose au cancer du sein, avec une augmentation du
risque estimée de 3 à 13 fois (3). Plusieurs séries ont montré
que 8 à 10 % des femmes atteintes d’un cancer du sein sont
hétérozygotes pour une mutation du gène ATM (4).
Une surveillance plus étroite des apparentés hétérozygotes
pour une mutation du gène ATM doit viser à prévenir la coro-
naropathie et à détecter précocement un cancer, en particulier
du sein. Cependant, la très grande taille du gène ATM et la
diversité des mutations s’étendant sur toute la longueur de ce
gène de 150 kb, ne permettent pas pour l’instant d’envisager
un screening de la population à la recherche de l’hétérozygotie
ATM.
P16
: gène de prédisposition au mélanome familial, au can-
cer du pancréas… et au cancer du sein
Les gènes de prédisposition au cancer sont souvent pléio-
tropes, c’est-à-dire qu’une mutation d’un gène de prédisposi-
tion ne confère pas seulement un risque plus élevé d’un type
de cancer, mais que des cancers de plusieurs organes différents
peuvent survenir au sein d’une même famille porteuse d’une
mutation. Ce phénomène était déjà connu pour les gènes
BRCA1, BRCA2 ou encore P53, il se vérifie maintenant pour le
gène P16.
Environ 10 % des cas de mélanome malin surviennent dans un
contexte familial. Les mutations du gène suppresseur de
tumeur CDKN2A situé en 9p21, qui code pour la protéine
P16INK4a, sont retrouvées jusque dans 44 % des cas de méla-
nome familial (5). La protéine P16 est un inhibiteur des
kinases dépendantes de la cycline D1 (CDK4 et CDK6) et
fonctionne comme un frein dans la régulation du cycle cellu-
laire. En l’absence de P16, les kinases CDK4 et 6se lient à la
cycline D et entraînent la phosphorylation de la protéine RB
qui contrôle le passage G1/S du cycle cellulaire. Les individus
porteurs d’une mutation de CDKN2A (la nomenclature offi-
cielle pour P16) ont un risque élevé de développer un méla-
nome ou un cancer du pancréas. Une étude suédoise portant
sur 52 familles avec au moins deux cas de mélanome a identi-
fié 10 familles avec une mutation du gène CDKN2A, dont
9 mutations identiques évocatrices d’un effet fondateur, la
mutation 113insArg (6). Dans ces familles, on a dénombré
huit cas de cancer du sein, conférant aux porteurs de cette
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La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 2 - mars/avril 2001
Les gènes du mois
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E. Raymond*
* IGR, 39, rue Camille-Desmoulins, 94805 Villejuif Cedex.
LE GÈNE DU MOIS