MUCCHIELLI Laurent (2004) Mythes et histoire des sciences

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Notes de lecture
Conférences « Au fil du travail des sciences sociales » 2004-2005
Responsable : Pierre Mercklé
MUCCHIELLI Laurent (2004)
Mythes et histoire des sciences humaines
Note de lecture réalisée par Laure Flandrin et Muriel Mille (ENS-LSH)
MUCCHIELLI Laurent (2004), Mythes et histoire des sciences humaines, Paris, La
Découverte, 352 pages
Cette note de lecture porte particulièrement sur le chapitre 1 : « Heurs et malheurs du durkheimisme », et sur le
chapitre 3 : « La guerre n’a pas eu lieu : les sociologues français et l’Allemagne (1870-1940) »
INTRODUCTION
Dans Mythes et histoire des sciences humaines Laurent Mucchielli interroge les idées convenues et les
problématiques obligées de l’historiographie des sciences sociales en faisant voir que, loin de pouvoir être tenues
pour scientifiquement fondées, elles relèvent tout au contraire de la raison mythique. Le « retour aux classiques »,
initié il y a une vingtaine d’années, à la faveur, sans doute, d’une « crise intellectuelle »1 que traversait alors la
discipline, n’a pas systématiquement conduit à un exercice fécond et salutaire de « réflexivité critique »2 : en se
focalisant sur quelques textes consacrés, l’histoire des sciences humaines néglige le plus souvent les contextes
sociaux, culturels, et politiques dans lesquels ils ont été produits. De telle sorte qu’elle n’apporte alors parfois que «
les profits bien assurés d’une défense sans risque des bonnes causes disparues »3, procédant bien souvent à la
canonisation des « grands auteurs » sans aucune considération préalable des réseaux scientifiques qui les ont soutenus
tout en s’autorisant, par ailleurs, une certaine forme de « fétichisme épistémologique »4 qui fige arbitrairement les
courants de pensées dans des oppositions plus ou moins stériles. Ainsi Laurent Mucchielli déplore-t-il par exemple
que nous puissions, à la limite, réengendrer toutes les séries d’oppositions qui structurent la présentation dite
« pédagogique » des principaux courants de la sociologie (holisme/individualisme, explication/compréhension,
1 CHAMBOREDON J-C., « Emile Durkheim : le social objet de science. Du moral au politique ? », Critique, 1984, n°445446.
BOURDIEU P., « La cause de la science. Comment l’histoire sociale des sciences sociales peut servir le progrès de ces
sciences », Actes de la recherche en sciences sociales, 1995.
2
3
BOURDIEU P., Ibid., p. 3.
4 MUCCHIELLI L., La découverte du social, Naissance de la sociologie en France, Paris, Editions La découverte,
« Textes à l’appui », 1998 (il s’agit là de la thèse d’Etat de Laurent Mucchielli).
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société/individu, quantitatif/qualitatif, etc.) à partir de la seule opposition entre Durkheim et Weber, eux-mêmes
assignés, dans le pire des cas, à la seule défense plus ou moins acharnée de traditions intellectuelles nationales
irréconciliables. Contre cette « présentation », l’auteur plaide au contraire pour une lecture des textes qui ne ferait pas
l’économie d’une enquête sur leurs contextes historiques de production et rappelle que l’histoire des sciences sociales
doit aussi se donner comme objectif de mettre au jour la genèse sociale de tels « mythes historiographiques »
Laurent Mucchielli nous fait donc part ici, dans ce recueil d’articles, de son indignation intellectuelle devant ce que
nous pourrions appeler le « manque de sens historique et sociologique » de ceux qui en font pourtant profession,
appelant de ses vœux la mise en œuvre d’un programme de recherche réellement « historiciste »5 en histoire des
sciences sociales qui ne serait rien d’autre, au fond, que l’application de la méthode historique et sociologique à leur
propre histoire. Nous rendrons compte ici de la déconstruction par l’auteur de deux mythes structurant de l’histoire de
la sociologie : 1) « Durkheim Père fondateur » de cette discipline ; 2) l’antagonisme Durkheim/Weber, et, partant,
« sociologie française »/« sociologie allemande ». Et nous verrons dans une troisième partie comment, contre le
présentisme, Laurent Mucchielli trace la voie d’une lecture plus juste et moins biaisée par des débats théoriques qui
n’étaient pas les leurs des auteurs « classiques » de la sociologie.
I / DURKHEIM, « PERE FONDATEUR » DE LA SOCIOLOGIE ?
La remise en cause de cette idée comme « mythe historiographique » a quelque chose de provocateur tant elle semble
évidente, les manuels de sociologie les plus divers n’ayant cessé de la proclamer et de l’ancrer dans les esprits
sociologiques. En réalité, Laurent Mucchielli s’en prend ici à une dérive bien réelle de l’histoire des sciences
sociales : celle qui consiste, comme on peut l’observer – et, selon lui, le déplorer – pour des disciplines telles que la
psychanalyse avec la figure de Freud ou encore la philosophie, à « personnaliser » l’histoire des sciences, dont on
s’imagine alors volontiers qu’elles doivent leur avancée à quelques grands génies héroïques, « créateurs incréés » en
possession de vérités révélées6. Pour ce qui concerne la figure centrale d’Emile Durkheim, Laurent Mucchielli,
depuis sa thèse en 1998 sur La découverte du social, s’est efforcé de montrer comment le « succès » qu’il rencontre
dans l’institutionnalisation de la sociologie est en réalité lié à sa capacité à créer un « espace de communication » où
de brillants chercheurs, tels que Célestin Bouglé, Simiand ou encore Halbwachs, « concourent à la production d’un
savoir collectif », notamment autour de l’Année sociologique, d’abord conçue comme une véritable Ecole défendant
un programme de recherche scientifique, puis comme une revue scientifique où sont commentés les travaux
sociologiques les plus divers. On ne pourrait cependant pas s’en tenir à une thèse du type de celle que défend Victor
Karady7, pour qui Durkheim aurait été un « fin stratège » ayant su s’emparer de l’appareil universitaire pour se faire
reconnaître, dans la mesure où il faut aussi prendre en compte la réalité d’une innovation qui est parvenue à
convaincre ceux que l’on appellera plus tard « les durkheimiens ». Mais là encore l’argument de Mucchielli, en
apportant un éclairage sur le champ de forces intellectuelles de l’époque, contribue à affaiblir le mythe d’un Emile
5 Laurent Mucchielli se réclame d’ailleurs de G.W.Stocking et de sa critique du « présentisme », démarche
idéologique qui s’approprie le passé de façon déformée pour servir les intérêts du présent. Cf. G.W.STOCKING,
« On the Limits of « Presentism » and « Historicism » in the Historiography of the Behavioral Sciences, repris in
Race, Culture and Evolution. Essays in the History of Anthropology, Free Press-Macmilliam Limited, New YorkLondres, 1968, p. 1-12.
6 Cf. BOURDIEU P., « Si le monde social m’est supportable, c’est parce que je peux m’indigner », Entretien avec
Antoine Spire (1989-1990), Paris, Editions de l’Aube, Poche essai, 2004, p. 28 : « […] l’idéologie par excellence,
c’est l’idéologie de Mannheim, « l’intellectuel sans attaches ni racines »… ».
7 Cf. KARADY V., « Durkheim, les sciences sociales et l’université : bilan d’un semi-échec », Revue française de
sociologie, 1976, n°XVII.
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Durkheim « inventeur » d’une conception « holiste » de la société8 : « […] si Durkheim a pu si aisément mettre sur
pied une équipe de recherche, il fallait bien que ces propositions soient entendues, c’est-à-dire, quelque part,
attendues »9. Et elles ne sont attendues que parce que le recours aux explications de type « holiste » fait déjà parti du
« raisonnement » d’un certains nombres d’intellectuels connus et reconnus : Espinas, Worms (auquel Durkheim voue
une grande admiration depuis son voyage en Allemagne de 1885), Gustave Le Bon et même Simmel, au moment où
il collabore à l’Année sociologique (1898). Par ailleurs, à l’appui, toujours, d’une « démythification » de la figure de
Durkheim, Mucchielli insiste aussi sur les insuffisances qui parcourent l’œuvre de Durkheim, telles, par exemple,
l’évocation, à la fin du Suicide de « courants suicidogènes » (explicatifs du suicide) qui traverseraient la société, sorte
de deus ex machina mal expliqué qui prétend le sauver de l’explication psychologique.
Enfin, si Durkheim est encore considéré aujourd’hui comme le « Père fondateur » de la sociologie française, ce n’est
pas seulement parce qu’il est le premier à formuler l’injonction à considérer les faits sociaux comme des choses ou à
postuler un déterminisme social : c’est aussi parce qu’il a été le fondateur d’une véritable école de pensée et que son
œuvre de fondation de la sociologie en tant que science s’est fait dans le cadre d’un véritable travail collectif. C’est ce
que rappelle Philippe Besnard : « ce qui distingue Emile Durkheim des autres « pères fondateurs » de la sociologie
c’est qu’il faut à proprement parler d’un chef d’école. Son projet impliquait, en effet, que la fondation de cette
nouvelle science fut le fruit d’un travail collectif où chacun des membres de l’équipe se spécialiserait dans une
branche du savoir à constituer »10. Partant Mucchielli insiste sur le fait que Durkheim n’a pas fondé seul la
sociologie, revendiquant même la nécessité d’un travail en équipe pour assurer la scientificité de cette nouvelle
discipline : « il ne faut pas oublier que la sociologie, comme les autre sciences ne peut progresser que par un travail
commun et un effort collectif.11 » Durkheim a su rassembler autour de lui un ensemble de jeunes chercheurs tels que
Bouglé, Simiand, Mauss ou plus tard Halbwachs, dont le travail collectif a donné toute son ampleur à sa volonté de
fondation d’une nouvelle science du social.
II / SOCIOLOGIE FRANCAISE VERSUS SOCIOLOGIE ALLEMANDE
L’opposition – plus « pédagogique » que scientifique – entre Durkheim et Weber, et par la suite, entre les sociologies
française et allemande dont ils seraient respectivement les figures mythiques et fondatrices, est un des « mythes
historiographiques » les plus structurant de la présentation de l’histoire de la sociologie (et notamment dans les
manuels scolaires). En découlent, d’ailleurs, tous les couples d’oppositions de la sociologie, à commencer par celui
qui dissocie sans les réconcilier l’« explication » et la « compréhension ». Certes, une attention plus précise aux
« faits » historiques et à la réalité des échanges entre intellectuels français et allemands suffirait à démentir le mythe
d’une « guerre déclarée » entre ces deux traditions sociologiques. Et Laurent Mucchielli en reconstitue la trame dans
le chapitre 3 de son ouvrage12, en montrant, par exemple, que l’Année sociologique est le lieu d’un intense et
fructueux dialogue entre Simmel et Durkheim13, au moins jusqu’en 1900, date à laquelle le premier accentuera des
8
Rappelons que l’approche holiste – qui n’est pas l’apanage de la sociologie puisqu’on la trouve aussi bien en
médecine par exemple – postule que l’ordre social ne peut s’obtenir par simple sommation mécanique des ordres
individuels.
9
MUCCHIELLI L., Ibid., p. 20.
10
BESNARD P., « Les durkheimiens », Encyclopedia Universalis, 1989, vol.7, p755, cité par MUCCHIELLI,
Op.Cit, p21
11
DURKHEIM E., « Les études de science sociale » in La revue philosophique, 1886, repris in La science sociale et
l’action, Paris, PUF, 1970, p.214, cité par MUCCHIELLI, Op.Cit, p23
12
Il se réfère en particulier au travail de Ph. Steiner, « l’Année sociologique et la réception de l’œuvre deMax
Weber », Archives européennes de sociologie, 1992, vol.XXXIII, p.329-349
13 Deux auteurs que l’on a là aussi coutume d’opposer de façon radicale… Cf. par exemple BOUDON –
BOURRICAUD, « Georg Simmel », Dictionnaire de sociologie, Paris, PUF, Coll. « Quadrige », 2002 (1982 pour la
Notes de lectures ENS-LSH
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aspects de sa sociologie qui ne pouvaient que contrarier le Durkheim des Règles de la méthode sociologique (sa
sociologie « se fera ainsi » de plus en plus philosophique et métaphysique - elle-même étant conçue par Simmel
comme une variation sur les thèmes les plus divers - mais aussi de plus en plus « psychologique », se rapprochant
ainsi du courant dit de « la philosophie de la vie » et des idées de Bergson14). Mais les « faits bruts » (collaboration
scientifique, introduction en France d’auteurs allemands tels que Simmel et Weber par les « durkheimiens » Célestin
Bouglé et Maurice Halbwachs, etc.) ne sont pas les seuls éléments qui permettent à Muchielli de questionner le
« mythe » d’une guerre sociologique franco-allemande. Des éléments plus fondamentaux, qui engagent la façon
même de faire de la sociologie, peuvent aussi contribuer à rapprocher ces deux auteurs si souvent institués comme
ennemis (alors qu’ils ne se sont jamais commentés ni critiqués l’un l’autre puisqu’ils ne soupçonnaient pas leur
existence respective !). Raymond Boudon lui-même, alors qu’il a largement contribué, du temps où il voulait se
donnait une position de « dissident » par rapport au structuralisme dominant, à forger un tel mythe, écrit ceci en
1991 : « […] je crois que Durkheim a pratiqué une épistémologie et une méthodologie toutes différentes de celles
qu’il défendait […]. Durkheim proclame une épistémologie empiriste, mais pratique une épistémologie non empiriste
proche de celle de Weber »15. Pour le montrer, Boudon développe l’exemple de la théorie de la magie chez
Durkheim, en faisant voir qu’elle suppose et présuppose des principes épistémologiques et méthodologiques proches
de ceux de Weber. Quant à lui, Laurent Mucchielli fait par ailleurs remarquer, de façon plus générale, que pour
déconstruire le mythe d’un antagonisme irréductible entre Weber et Durkheim il faudrait non pas comparer leurs
« déclarations de principes » respectives mais bien plutôt les travaux empiriques de chacun. On y verrait par exemple
que le concept durkheimien de « psychologie collective », forgé dans un texte de 189816, n’est pas si éloigné des
analyses produites par Weber dans son Ethique protestante et l’esprit du capitalisme ; de même que la question du
rapport aux croyances et aux valeurs n’a jamais cessé d’intéresser ces deux auteurs. Et sans faudra-t-il aussi
souligner, pour conclure, qu’ils ont tous deux eu la volonté ferme de fonder la sociologie comme science, ce qui
conduit Durkheim à vouloir construire l’objectivité du fait social en excluant les « prénotions » et Weber à parler de
« neutralité axiologique », ce qui n’est pas si éloigné.
III / CONTRE LE PRESENTISME,
POUR UN RENOUVELLEMENT DE L’HISTOIRE DE LA DISCIPLINE
Laurent Mucchielli titre un des paragraphes du premier chapitre « comment les acteurs du présent manipulent la
mémoire de la discipline », cela définit tout à fait l’attitude intellectuelle qu’il qualifie de présentisme, et qui est selon
lui une des sources majeures de création et perpétuation routinisée des ces mythes qui traverse l’histoire de la
sociologie.
Ainsi en va-t-il de l’opposition entre Durkheim et Weber, représentation faisant désormais partie de « l’outillage
mental » de l’apprenti sociologue selon l’expression de Lucien Fevbre. La mémoire disciplinaire devient ainsi l’enjeu
d’une recherche de légitimité symbolique au sein du champ de la sociologie. L’auteur nous montre ainsi comment
Raymond Aron a pu s’instituer comme l’introducteur de Weber en France alors que l’œuvre de celui-ci était déjà
première édition), pp. 522-527 ou BOUDON R., « Introduction » in SIMMEL G., Les problèmes de la philosophie de
l’histoire, Paris, PUF, 1984 (texte cité par Mucchielli).
14 Sur cette progressive « séparation » entre Durkheim et Simmel on pourra lire avec profit SAGNOL M., « Le statut
de la sociologie chez Simmel et Durkheim », Revue française de sociologie, 1987, n°XXVIII, p. 99-125.
15
BOUDON R., Etudes sur les sociologues classiques, Paris, PUF, Coll. « Quadrige », 1998, p. 100-101.
16 « Représentations individuelles et représentations collectives », texte repris dans DURKHEIM E., Sociologie et
philosophie, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1974.
Notes de lectures ENS-LSH
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connue et avait été longuement commentée par Halbwachs, notamment dans la revue des Annales17. Celui-ci utilise la
référence au sociologue allemand dans le contexte de sa rupture avec la domination des pensées sartrienne et
communiste dominant le champ intellectuel de l’époque. De même c’est dans le cadre de la domination du courant
structuraliste que Raymond Boudon pour appuyer sa position va établir cette opposition entre holisme et
individualisme : il se sert ainsi de Weber et dans une moindre mesure de Tarde ou de Simmel contre Durkheim pour
fonder sa théorie de l’individualisme méthodologique. Mucchielli écrit à ce propos : « On voit bien dans ce type de
polémique, la fonction que remplissent les références à l’histoire de la sociologie : elles servent d’arguments
symboliques et d’autorité, elles légitiment un combat.18 ». Il fustige ainsi « cette attitude qui consiste à se couvrir des
de l’autorité des ancêtres en leur faisant dire ce qu’ils n’ont pas dit mais que l’on a envie d’entendre aujourd’hui19 ».
« Comment lire aujourd’hui les sociologues du passé ? » : c’est la question centrale que pose Mucchielli à travers la
réfutation de l’attitude présentiste. Il plaide pour un enseignement des auteurs qui replacerait leur thèse et leur
élaboration dans leur contexte historique. Il s’agirait pour lui de montrer que « Durkheim a fondé davantage la
possibilité de l’existence de la sociologie comme science, que la science sociologique elle-même dans toutes ses
conclusions théoriques et pratiques »20 , qu’il a fondé la discipline comme champ intellectuel. Par son travail,
Mucchielli veut insister sur « la nécessité et la possibilité de construire une mémoire qui sache sereinement interpréter
et utiliser le passé »21
Lire les auteurs du passé à l’aune du présent sans resituer leur pensée dans le champ intellectuel de l’époque, c'est-àdire en la liant avec le contexte de son élaboration, est pour lui une erreur. Il cite ainsi Judith Schlanger « c’est bien le
propre de la réussite institutionnelle que de s’emparer du dispositif de la mémoire, et de configurer le mémorable
pour tenter de s’emparer de l’avenir »22. C’est en ce sens qu’une histoire des sciences est féconde, en retraçant les
conditions d’apparition et de succès des théories dominantes, en débusquant les mythes qui jalonnent toute tradition
scientifique, elle pose les bases d’une interrogation épistémologique plus honnête, d’une utilisation de la mémoire
consciente de ses limites.
Dans son ouvrage, c’est à ce travail d’historicisation de théories souvent pensées indépendamment de leur contexte
d’origine que se livre Laurent Mucchielli. Il déconstruit ainsi deux des principaux mythes de la sociologie devenus
lieux communs de la discipline tels que la vision héroïque de Durkheim comme fondateur solitaire de la sociologie ou
encore l’opposition artificielle entre Durkheim et Weber présentés comme deux rivaux irréconciliables. Il montre
d’une part l’approximation historique qui est commise en reprenant ces deux thèses pourtant bien ancrées dans
l’esprit de tous, et d’autre part l’utilisation à des fins personnelles d’auteurs devenus des références incontestables qui
servent à soutenir de leur autorité l’édifice branlant d’une argumentation. Mucchielli plaide ainsi pour un renouveau
de l’enseignement de la discipline utilisant pleinement une histoire des sciences sociales bien menées pour ne pas
négliger les conditions d’apparition des théories sociologiques.
17
HALBWACHS. M, « Max Weber. Un homme, une œuvre », Annales d’histoire économique et sociale, 1929, n°1,
ou encore « Les courants de la pensée sociologique en Allemagne », Annales d’histoire économique et sociale,
1937,vol.9
18
MUCCHIELLI .L., Op.Cit, p.90
19
Ibid, p.35
20
MUCCHIELLI .L., Op.Cit, p.40
21
Ibid, p.43
22
SCHLANGER J., « Fondation, nouveauté, limites, mémoire », Communications, 1992, n°54, p.297-298, cité in
Ibid, p.43.
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