La découverte du roˆle de l`immunité cellulaire dans l`athérosclérose

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Histoire d’une découverte
Sang Thrombose Vaisseaux 2010 ;
22, n° 3 : 166-8
La découverte du rôle de l’immunité cellulaire
dans l’athérosclérose
D’après « The discovery of cellular immunity in the atherosclerotic plaque ».
Goran K. Hansson et Lena Jonasson. Arterioscler Thromb Vasc Biol 2009 ; 29 : 1714-7
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Clément Cochain
PARCC Inserm U790.
I
166
STV, vol. 22, n° 3, mars 2010
doi: 10.1684/stv.2010.0465
Tirés à part :
C. Cochain
l est aujourd’hui bien démontré que le développement de la plaque d’athérosclérose,
menant finalement à sa rupture et aux complications athérothrombotiques associées, est
intimement lié à la réaction immunitaire et inflammatoire. Le rôle de nombreuses cellules immunitaires,
ainsi que les mécanismes par lesquels elles sont
recrutées dans la plaque, puis participent à sa progression et à sa déstabilisation font toujours l’objet
d’intenses recherches.
Il y a trente ans, la compréhension de la pathogenèse
de la plaque d’athérosclérose était très limitée. Bien
que la responsabilité majeure de l’accumulation de
cholestérol dans les lésions d’athérosclérose fût
alors bien établie, le rôle des composantes cellulaires
dans le développement de l’athérosclérose restait
vague. La théorie prévalant alors était relativement
simple : des facteurs de croissance sécrétés par les
Figure 1. Göran K. Hansson, Professeur
plaquettes induiraient la prolifération et la migration
de Recherche cardiovasculaire au Karolinska Institute Stockolm, Suède.
des cellules musculaires lisses (CML) de la média
vers l’intima, puis l’accumulation de lipides et de
collagène dans la média pour former la chape fibreuse et le noyau de la plaque d’athérome
stable. Les travaux menés par Goran K. Hansson et son équipe (figure 1), suivis très rapidement
par d’autres groupes de recherche, ont considérablement changé notre vision du développement de l’athérosclérose, et ont conduit à la reconnaissance par le monde scientifique et médical de sa nature de maladie inflammatoire.
On connaissait bien, au début des années 1980, les cellules spumeuses riches en lipides, que
l’on croyait issues des CML aussi bien dans les plaques humaines que dans des modèles expérimentaux d’athérosclérose. C’est à la fin des années 1980 qu’il est devenu évident que ces
cellules présentent des traits morphologiques et histochimiques caractéristiques des macrophages, suggérant leur origine monocytaire. L’implication des cellules immunitaires dans la
pathogenèse de l’athérosclérose était pourtant loin d’être un concept nouveau : en 1856,
Virchow avait en effet déjà proposé cette idée. Malgré cela, les descriptions d’infiltrats lymphocytaires dans les plaques d’athérosclérose restaient rares et la plupart du temps ignorées
dans la littérature, jusqu’à la fin des années 1980.
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Premières identifications de lymphocytes T
dans les plaques d’athérosclérose
L’une des raisons majeure de cette ignorance résidait dans
la difficulté technique à identifier les cellules immunocompétentes : aucun des sous-types lymphocytaires ne possède
une morphologie spécifique après sa différenciation ou son
activation. Le développement d’anticorps monoclonaux
spécifiques de molécules sélectivement exprimées sur les
sous-populations lymphocytaires et celui des « Clusters of
Differenciation » (CD), ont ouvert la voie à une identification précise des leucocytes et à une meilleure connaissance
de leur distribution dans la plaque d’athérome.
Au début des années 1980, Goran Hansson et Jan Holm ont
utilisé ces nouveaux marqueurs dans un travail publié dans
le Journal of Clinical Investigation, qui visait à identifier et
à positionner les différentes populations leucocytaires dans
la plaque d’athérosclérose. Sans grande surprise pour ceux
qui connaissaient la littérature classique de Virchow, la
plupart des cellules spumeuses ont alors été identifiées
comme des macrophages. Une proportion conséquente de
ces cellules exprimait une protéine du CMH de classe II,
HLA-DR, indiquant leur capacité à présenter des antigènes
aux cellules T CD4+, et suggérant fortement que la réponse
immunitaire et un processus inflammatoire actifs étaient des
acteurs potentiels de l’athérogenèse. Cet article fut le premier à proposer et démontrer clairement un rôle de l’immunité cellulaire dans l’athérosclérose.
Des cellules T CD4+ ont été trouvées, en quantité importante, dans l’épaulement et la chape fibreuse de la plaque
d’athérosclérose, où elles représentent environ 20 % du
total des cellules présentes. Les cellules T CD8+ sont presque aussi abondantes que les cellules CD4+ dans les parties
périphériques de la plaque. Quasiment aucun neutrophile
n’a été détecté dans la plaque, indiquant que l’inflammation
à ce niveau évolue dans un contexte chronique et stable.
De plus, la rareté des cellules B dans la plaque d’athérome
oriente plus vers une réponse cellulaire que vers la piste
d’une immunité humorale. La dominance des cellules T
dans les plaques a été confirmée sur des critères fonctionnels. Des méthodes indirectes de détection des cellules B et
T ont été ensuite utilisées, toujours par l’équipe de Goran
Hanson : affinité spécifique des cellules B pour les antiimmmunoglobulines, « rosetting » avec des érythrocytes
de mouton. Aucune cellule B n’a été détectée dans la plaque
alors que 5 % des cellules isolées étaient des cellules T.
Ces découvertes ont été publiées en 1986 par l’équipe de
G. Hansson, et ont été appuyées à la fin de cette même
année par un travail de Gown identifiant des cellules positives pour le LCA (leucocyte common antigen) de type lymphocytaire dans les plaques d’athérome.
Une réaction immune active
Les deux tiers des cellules T isolées des plaques d’athérosclérose sont HLA-DR positives, indiquant un processus
immun actif au sein de la plaque. Bien que la plupart des
cellules exprimant HLA-DR dans les plaques d’athérosclérose soient d’origine leucocytaire, une proportion non
négligeable de CML HLA-DR positive a été trouvée dans la
plaque alors que les CML de la media ou d’intima saine
étaient toutes négatives pour ce marqueur. Thorsby et son
équipe avaient déjà démontré, en 1980, que les cellules
endothéliales vasculaires pouvaient activer les cellules
T via HLA-DR, identifiant ainsi un lien entre la paroi
vasculaire et le système immunitaire. Il devint alors évident
que les cellules T étaient impliquées dans l’expression
aberrante de HLA-DR ; en 1983, Pober démontra que
l’interferon-γ (IFN-γ), sécrété par les cellules T, induit
l’expression de molécules du CMH de classe II par des cellules endothéliales en culture. Quelques années plus tard, le
groupe de Hansson démontrait que l’IFN-γ induit l’expression d’HLA-DR par les CML et que l’expression des molécules du CMH de classe II est induite, in vivo, dans un
modèle animal d’athérosclérose.
La découverte de l’expression de molécules du CMH suite à
une atteinte vasculaire poussa Hansson et son équipe à tester l’hypothèse selon laquelle une immunomodulation
pourrait inhiber la resténose vasculaire. Un inhibiteur sélectif des cellules T, la cyclosporine A, a d’abord été utilisé
dans un modèle d’atteinte endothéliale chez le rat.
La cyclosporine A a, dans ces conditions, entraîné une
réduction de l’expression des molécules du CMH et de la
prolifération des CML, ainsi qu’une réduction de la resténose artérielle. Bien que cette découverte fut alors ignorée
par l’industrie pharmaceutique, la génération suivante de
modulateurs des cellules T, représentée par la rapamycine
(sirolimus), eut plus de succès. L’utilisation de stents libérant cet immunomodulateur pour éviter la resténose après
angioplastie, est aujourd’hui de pratique clinique courante
et directement issue des travaux fondamentaux que nous
rapportons ici.
De façon surprenante et paradoxale, l’IFN-γ inhibe fortement la différenciation et la prolifération des CML vasculaires in vitro et in vivo. Libby et Amento démontrèrent en
1991 que l’IFN-γ diminue également la capacité des CML à
produire des fibres de collagène, suggérant un rôle potentiel
des cellules T dans l’amincissement de la chape fibreuse,
facteur de déstabilisation de la plaque d’athérosclérose [1].
Dans leurs premières études sur les plaques humaines,
Hansson et al. avaient détecté l’IFN-γ dans et autour des
cellules T, suggérant un effet paracrine intra-plaques qui
fut confirmé ultérieurement par des méthodes plus moder-
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nes, renforçant l’hypothèse d’une réponse immune de type
Th1 à l’intérieur des plaques. Libby démontra que les CML
pouvaient être immunologiquement actives, et participer à
une « cascade cytokinique ». La découverte par le groupe
de Hansson de l’expression d’HLA-DR et HLA-DQ par
certaines CML renforçait le concept de leur rôle actif dans
l’immunité cellulaire.
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La quête d’un antigène spécifique
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Les caractéristiques communes à l’athérosclérose et aux
maladies auto-immunes amenèrent alors à se poser une question inévitable : un antigène spécifique à la plaque d’athérome peut-il être identifié ? En 1989, Witztum et al.
démontrèrent que les LDL oxydées (oxLDL), présentes
dans les plaques, déclenchent la formation d’anticorps.
Stemme, dans le laboratoire de G. Hansson, isola et clona
des cellules T à partir de plaques d’athérosclérose, et observa
que certains clones étaient activés par les LDL oxydées et
sécrétaient de l’IFN-γ. Dans un intense effort de recherche
d’antigènes liés à l’athérosclérose, d’autres auto-antigènes
ainsi que quelques agents microbiens ont été identifiés ;
cependant, les antigènes dérivés des LDL se sont imposés
au cours des années comme les candidats majeurs dans
l’induction d’une réponse auto-immune au cours de l’athérosclérose.
Des preuves plus directes ont été obtenues, au cours des
années 1990, notamment grâce à l’étude de souris génétiquement modifiées pour développer des plaques d’athérome, en
particulier les lignées apoE-/- (n’exprimant pas l’apoprotéine
E) et ldlr-/- (n’exprimant pas le récepteur des LDL). Xinghua
Zhou, toujours dans le laboratoire de Hansson, a démontré que
les lésions athéromateuses des souris apoe-/- présentent un
profil inflammatoire Th1 semblable à celui observé dans
les plaques humaines. Des souris hypercholestérolémiques et
immunodéficientes, obtenues par croisement et déficientes en
cellules T et B, ont présenté une réduction drastique (de l’ordre
de 70 %) du développement des plaques en comparaison avec
les souris immunocompétentes témoins. Le transfert de cellules T CD4+, isolées à partir de souris immunisées par des LDL
oxydées, à des souris immunodéficientes a conduit à une forte
augmentation de la taille de leurs lésions athéromateuses.
Ces observations apportent une preuve directe du rôle crucial
de la réaction immunitaire cellulaire en réponse aux LDL oxydées dans le processus d’athérosclérose.
Impact et perspectives
Au cours de ces dix dernières années, le rôle de sous-types de
cellules T aux caractéristiques fonctionnelles spécifiques,
comme les cellules NKT, a été mis en évidence. On a rapporté,
en particulier, un rôle athéroprotecteur des cellules T régulatrices : ces cellules agissent notamment via deux cytokines
anti-inflammatoires et anti-athérogènes, l’IL-10 et le TGF-β.
L’immunité athéroprotectrice opère également par le versant
humoral : de hautes concentrations d’IgG, dépendantes des
cellules T dirigées contre les LDL oxydées, et d’IgM naturelles anti-phosphocholine sont associés à l’athéroprotection.
Malgré tout, certaines questions ne sont pas élucidées, en particulier le recrutement et le rôle dans l’athérosclérose des cellules T CD8+, une population hétérogène réagissant souvent
aux antigènes viraux, et possédant à la fois des fonctions cytotoxiques et immunomodulatrices. Un autre aspect fascinant
concerne les effets immunomodulateurs exercés par les facteurs génétiques, métaboliques et environnementaux.
La découverte des cellules T dans la plaque d’athérosclérose a considérablement modifié notre vision de cette
pathologie, et il est maintenant établi que la composante
inflammatoire joue un rôle critique dans cette maladie.
Le développement de l’athérosclérose semble être fortement
dépendant du profil inflammatoire lié aux cellules T à l’intérieur de la paroi artérielle. Une activité Th1 augmentée, et
insuffisamment contrôlée par les mécanismes régulateurs,
est associée à l’instabilité de la plaque et à la survenue d’événements athérothrombotiques. Les cellules T activées ainsi
que leurs produits de sécrétions représentent des cibles
potentielles pour la prévention et le traitement des syndromes coronariens aigus. L’immunisation antigène-spécifique
dans le but d’augmenter la réponse T régulatrice est également envisageable, et des stratégies de vaccination sont en
cours de développement pour prévenir ou même faire
régresser des lésions athéromateuses. ■
Conflit d’intérêt : aucun
Référence
1. Amento EP, Ehsani N, Palmer H, Libby P. Cytokines and growth factors positively and negatively regulate interstitial collagen gene expression in human vascular smooth muscle cells. Arterioscler Thromb
1991 ; 11 : 1223-30.
STV, vol. 22, n° 3, mars 2010
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