102 | La Lettre du Cancérologue Vol. XX - n° 2 - février 2011
DOSSIER THÉMATIQUE
Cancérologie et ORL
Épidémiologie des cancers
des voies aéro-digestives
supérieures
Epidemiology of head and neck cancers
A. Auperin*, A. Melkane**, D. Luce***, S. Temam**
*Service de biostatistique et d’épidé-
miologie, institut Gustave-Roussy,
Villejuif.
**Département de cancérologie
cervico-faciale, institut Gustave-
Roussy, Villejuif.
***INSERM, U687, Villejuif.
L
es carcinomes des voies aéro-digestives
supérieures (VADS) étudiés ici incluent les
carcinomes de la cavité buccale, du pharynx
et du larynx. En France, il s’agit essentiellement de
carcinomes épidermoïdes.
Épidémiologie descriptive
des carcinomes des VADS
Fréquence des carcinomes des VADS
en France (1)
En 2005, le nombre de nouveaux cas de cancers des
VADS était estimé à 16 000 (12 770 chez les hommes,
3 230 chez les femmes). Le nombre de décès était
de 5 406 (4 515 chez les hommes, 891 chez les
femmes). Chez les hommes, ces cancers se classaient
au quatrième rang pour l’incidence et au cinquième
pour la mortalité. Chez les femmes, ils arrivaient
aux dixième et seizième rangs pour l’incidence et
la mortalité, respectivement. Ces cancers étaient
très peu fréquents avant l’âge de 35 ans. Leur taux
d’incidence était maximal entre 50 et 59 ans, mais
reste élevé jusqu’à 84 ans.
Variations temporelles en France (1)
Chez les hommes, les taux d’incidence standardisés
sur l’âge des cancers des VADS ont très fortement
diminué entre 1980 et 2005 à la suite de la baisse de
la consommation d’alcool et de tabac en France. Les
taux d’incidence ont été divisés par deux environ au
cours de cette période mais la diminution annuelle
a été plus forte entre 2000 et 2005 qu’entre 1980
et 2000. Les taux de mortalité ont également
diminué. Chez les femmes, au contraire, bien que
les taux standardisés d’incidence restent inférieurs
à ceux des hommes, ils sont en augmentation avec
presque un doublement entre 1980 et 2005, mais
sans augmentation des taux de mortalité. Cette
augmentation d’incidence est en partie liée à l’aug-
mentation de la consommation de tabac, plus récente
chez les femmes que chez les hommes (fi gure 1).
Variations géographiques (1, 2)
En France, il existe de fortes disparités entre les
régions pour ces cancers. La région qui a la plus forte
incidence, chez les hommes comme chez les femmes,
est le Nord-Pas-de-Calais. Viennent ensuite, pour
les hommes, la Bretagne, la Haute-Normandie, la
Picardie et la Champagne-Ardenne. Pour les femmes,
on observe de fortes incidences en Île-de-France,
en Picardie, en Haute-Normandie et en Provence-
Alpes-Côte d’Azur.
Chez les hommes, la France a le dix-huitième taux
d’incidence le plus élevé au monde et le treizième
en Europe. Celui des femmes s’élève au cinquième
rang en Europe et au vingt et unième rang mondial
(estimations GLOBOCAN 2008).
Inégalités sociales (3)
La mortalité par cancer laisse apparaître des inéga-
lités sociales, celles-ci étant le plus marquées en
France pour les cancers des VADS. Parmi les pays
européens, la France est le pays où ces inégalités
sont les plus marquées.
Figure 1. Évolution des taux d’incidence et de mortalité par cancer des VADS chez les hommes et les femmes en
France (1) : cancers de la cavité buccale et du pharynx (A) ; cancers du larynx (B).
50
10 10
5
Taux standardisés monde (échelle log)
Homme Femme
Année
1
1980 1985 1990 1995 2000 2005
5
Taux standardisés monde (échelle log)
Année
1
1980 1985 1990 1995 2000 2005
A
*
***************
*********
*
*
*******
*****
**********
***
*
Incidence estimée homme
Incidence estimée femme
Mortalité estimée
Mortalité observée
10,0
1,0
5,0
0,5
Taux standardisés monde (échelle log)
Homme
Année
0,1
1980 1985 1990 1995 2000 2005
1,0
0,5
Taux standardisés monde (échelle log)
Femme
Année
0,1
1980 1985 1990 1995 2000 2005
B
*
*************
**
*
***
*
*
*
**
*
*
*
*
*
**
***
*******
**
***
**
*
*
*
*
Incidence estimée homme
Incidence estimée femme
Mortalité estimée
Mortalité observée
La Lettre du Cancérologue Vol. XX - n° 2 - février 2011 | 103
Points forts
»
En France, les taux d’incidence des cancers des voies aéro-digestives diminuent nettement chez les
hommes, mais augmentent chez les femmes. La mortalité due à ces cancers diminue nettement chez les
hommes. Chez les femmes, elle est stable pour les cancers de la cavité buccale et du pharynx et diminue
pour les cancers du larynx.
»Le tabac et l’alcool restent les facteurs de risque principaux de ces cancers en France : leur prévention
est essentielle.
»Les papillomavirus humains (HPV) sont responsables de certains cancers de l’oropharynx, mais la part
de ces cancers attribuable aux HPV est mal connue en France.
Mots-clés
Carcinome
épidermoïde
Cancer des voies
aéro-digestives
supérieures
Épidémiologie
HPV
Pronostic
Highlights
»
In France, the incidence rate
of head and neck carcinomas
has markedly decreased in men
but has increased in women.
In men, the mortality rate has
also decreased. In women, the
mortality rate for oral cavity
and pharynx carcinomas has
been stable, and has decreased
for larynx carcinoma.
»
Tobacco and alcohol remain
the main risk factors of these
cancers in France and their
prevention is still fundamental.
»
HPV are recognised as a
cause of a subset of head and
neck squamous cell carcinomas,
mainly oropharyngeal cancers,
but the part of these cancers
attributable to HPV is unknown
in France.
Keywords
Squamous cell carcinoma
Head and neck carcinoma
Epidemiology
HPV
Prognosis
104 | La Lettre du Cancérologue Vol. XX - n° 2 - février 2011
Épidémiologie des cancers des voies aéro-digestives supérieures
DOSSIER THÉMATIQUE
Cancérologie et ORL
Épidémiologie analytique
des carcinomes des VADS
Les principaux facteurs de risque en France sont le
tabac et l’alcool. Le rôle causal des papillomavirus
humains (HPV) est maintenant bien connu, mais il
est encore mal quantifi é en France.
Tabac
La consommation de tabac est une cause reconnue
de cancer des VADS. Toutes les formes de tabac
fumé (cigarette, cigare, pipe) sont associées à une
augmentation du risque carcinogène. Ce risque
est le plus fort pour les cancers du larynx et de
l’hypopharynx − avec un risque relatif (RR) entre
fumeur et non-fumeur de plus de 7 −, puis pour
ceux de la cavité buccale et de l’oropharynx (RR de
l’ordre de 3 à 6) [4]. Le risque de cancer des VADS
augmente avec le nombre de cigarettes par jour et
la durée du tabagisme. Comme pour le cancer du
poumon, il semble que la durée soit plus impor-
tante que la quantité pour une même consom-
mation cumulée (5). Le risque diminue à l’arrêt du
tabagisme. La réduction du risque s’observe assez
rapidement après l’arrêt et se poursuit réguliè-
rement, le risque devenant similaire à celui des
personnes n’ayant jamais fumé environ 20 ans
après l’arrêt (6).
Le tabagisme passif semble aussi augmenter
le risque de cancers des VADS (RR de l’ordre
de 1,6) [7]. La consommation de tabac non fumé
(prisé ou chiqué) est associée à une augmentation
du risque de cancer de la cavité buccale et du
pharynx avec un RR de l’ordre de 1,4 (8).
L’usage de cannabis ne semble pas augmenter le
risque de cancer des VADS, mais les données dispo-
nibles n’ont pas permis d’étudier ce risque pour de
fortes consommations (9).
Alcool
Tous les types d’alcool (vin, bière, alcools forts, spiri-
tueux, etc.) entraînent une augmentation du risque
de cancer des VADS (10), ce qui semble confi rmer
l’hypothèse selon laquelle c’est l’éthanol qui
augmente ce risque plutôt que d’autres substances
présentes dans les boissons alcoolisées. Le risque
augmente avec la dose d’alcool contenue dans les
boissons alcoolisées. Il semble que l’intensité de la
consommation (nombre de grammes d’alcool par
jour) ait un effet plus important que la durée (5, 11).
Par rapport à un non-buveur, une consommation
de 5 verres par jour (soit 50 g d’alcool) multiplie le
risque de cancer de la cavité buccale et du pharynx
par 3 à 5, et le risque de cancer du larynx par 2
à 3 (11, 12).
L’arrêt de la consommation d’alcool diminue le
risque de cancer des VADS. Cependant, à la diffé-
rence de l’arrêt du tabac, cette réduction semble
ne survenir que tardivement, après 20 ans d’absti-
nence (6).
Interaction alcool-tabac
La consommation conjointe d’alcool et de tabac
augmente de manière synergique le risque de
cancer des VADS, avec un effet synergique au
moins multiplicatif pour toutes les localisations
(figure 2) [4, 13].
En France, 88 % des décès par cancer des VADS sont
attribuables au tabac et/ou à l’alcool (14).
Alimentation
Les études épidémiologiques portant sur le rôle
de l’alimentation montrent une relation entre une
consommation élevée de fruits et légumes et un
risque diminué de cancer de la cavité buccale et du
pharynx (15). Les liens entre les cancers des VADS
et le bêta-carotène, la vitamine A et la vitamine C
sont moins solides.
Indice de masse corporelle
Plusieurs études ont mis en évidence une
association inverse entre l’indice de masse corpo-
relle (IMC) et le risque de cancer des VADS. Par
rapport aux patients de poids normal, les personnes
maigres ont un risque deux fois plus élevé et celles
en surpoids ou obèses ont un risque diminué
de moitié (16). Cette relation est observée au
moment du diagnostic, mais aussi dans une période
antérieure (entre 2 et 5 ans avant le diagnostic),
rendant peu probable l’hypothèse selon laquelle
cette association serait due à une perte de poids
liée au cancer. Un IMC bas semble accentuer les
effets de l’alcool et du tabac pour les cancers de la
cavité buccale et du pharynx, mais pas pour ceux
du larynx (5). Les mécanismes de ces associations
restent à élucider.
Figure 2. Risque relatif de cancer du pharynx (A) et du larynx (B) en fonction de la consommation de tabac et d’alcool (4).
40
Plus de 30
0
Entre 0 et 30
35
30
25
20
15
Plus de 4
Entre 0 et 4
0
10
5
0
* 1 verre d’alcool = 10 g.
Risque relatif
Cigarettes/jour
Verres d’alcool par jour *
Risque de cancer du pharynx
12,6
16,7
35,6
4,8
2,8
2,3
1,7 1,3
1
A
40
Plus de 30
0
Entre 0 et 30
35
30
25
20
15
Plus de 4
Entre 0 et 4
0
10
5
0
Risque relatif
Cigarettes/jour
Verres d’alcool par jour
*
Risque de cancer du larynx
4,5
7,9
34,6
10,6
7,7
2,4
1,4 1,8
1
B
La Lettre du Cancérologue Vol. XX - n° 2 - février 2011 | 105
DOSSIER THÉMATIQUE
Papillomavirus humains
On observe, dans certains pays occidentaux,
une augmentation de l’incidence des cancers de
l’oropharynx attribuables à l’infection par les
HPV oncogènes. Ces données épidémiologiques
proviennent principalement des États-Unis, de la
Suède, des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne (17).
Cette augmentation nest pas observée chez les
hommes en France : la diminution importante de
l’incidence en raison de la diminution de la consom-
mation de tabac et d’alcool pourrait masquer une
augmentation plus modeste due aux HPV. Les
HPV sont des virus à ADN de tropisme épithélial,
à l’origine de diverses lésions cutanées et muqueuses
bénignes. Certains sous-types (16, 18 et 33), dits
oncogènes, sont à l’origine de cancers ano-génitaux,
notamment du col utérin. L’infection par HPV au
niveau de l’oropharynx est fréquente, et un portage
est observé chez 25 % des sujets sains (18). LADN
viral oncogène, principalement celui de type 16,
a été retrouvé dans les cellules cancéreuses des
carcinomes épidermoïdes des VADS dans près de
25 % des cas (19). La fréquence la plus forte est
retrouvée pour les cancers de l’oropharynx, en
particulier ceux développés au niveau des organes
lymphoïdes (amygdales, base de la langue)
[33 à 72 %]. Lépidémiologie en France est mal
connue. Une étude sur 150 patients porteurs de
carcinomes oropharyngés traités et suivis à l’institut
Gustave-Roussy (Villejuif) a montré une préva-
lence globale de l’infection par HPV de l’ordre de
61 %, avec un taux s’élevant à 73 % pour les lésions
localisées aux loges amygdaliennes. L’infection avait
été détectée chez 85 % des patients indemnes de
toute intoxication alcoolo-tabagique. Certaines
habitudes sexuelles (partenaires multiples, pratique
sexuelle orale) favoriseraient cette infection et la
survenue ultérieure du cancer, comme pour les
cancers du col de l’utérus (20). La carcinogenèse liée
à l’HPV est différente de celle liée à l’intoxication
alcoolo-tabagique. Les oncoprotéines virales E6
et E7 y jouent un rôle fondamental en inactivant les
produits des gènes suppresseurs de tumeurs p53 et
pRb respectivement, et en entraînant une inhibition
de l’apoptose ainsi qu’une accumulation intra-
nucléaire de la protéine p16
INK4A
avec dérégulation
du cycle cellulaire (21).
Autres facteurs de risque
Une relation, indépendante de l’alcool et du tabac,
entre maladie périodontale et cancers des VADS a
été suggérée (22). Elle pourrait passer par l’infl am-
mation chronique ou par l’infection bactérienne,
avec une augmentation secondaire de la concen-
tration d’acétaldéhyde dans la cavité buccale.
106 | La Lettre du Cancérologue Vol. XX - n° 2 - février 2011
Épidémiologie des cancers des voies aéro-digestives supérieures
DOSSIER THÉMATIQUE
Cancérologie et ORL
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France) : www.invs.sante.fr/surveillance/cancers.
2. Globocan 2008, Cancer Incidence and Mortality World-
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9. Berthiller J, Lee YC, Boffetta P et al. Marijuana smoking
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analysis within the INHANCE consortium. Am J Epidemiol
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Retrouvez la suite
des références bibliographiques
sur notre site www.edimark.fr
Références bibliographiques
Certaines expositions professionnelles sont associées
aux cancers des VADS. Les relations les plus établies
sont celles entre le cancer du larynx et l’exposition
à l’amiante, aux acides forts et aux hydrocarbures
polycycliques (23, 24).
Une histoire familiale de cancer des VADS chez les
apparentés du premier degré augmente le risque.
Cette augmentation nest pas retrouvée chez les
sujets non fumeurs (25).
Pronostic
Les principaux paramètres pronostiques des carci-
nomes épidermoïdes des VADS sont : la localisation,
le stade TNM, les comorbidités, la résécabilité, les
marges de sécurité après résection et la présence
d’une rupture capsulaire. L’infection par HPV semble
être plus fréquemment rencontrée chez les individus
jeunes, non alcoolo-tabagiques, sans comorbidités
associées ; ces facteurs infl uencent positivement le
pronostic, indépendamment du comportement biolo-
gique tumoral. Les cancers HPV+ ont un stade au
diagnostic souvent plus avancé que les cancers HPV−,
notamment du fait de l’envahissement ganglion-
naire. Néanmoins, de nombreuses études récentes
montrent que le statut tumoral HPV+ est un facteur
indépendant de bien meilleur pronostic en termes de
réponse au traitement, de survie globale ou spécifi que,
et de survie sans récidive. Les taux de survie globale et
de survie spécifi que à 3 ans des patients HPV+ sont
de 82,4 et 73,7 % respectivement, alors qu’ils sont
de 57,1 et 43,4 % chez les patients HPV− (26). En
effet, ces carcinomes seraient plus sensibles à la radio-
thérapie, exclusive ou concomitante à une chimio-
thérapie (27). D’autre part, il semble que les patients
présentant une première tumeur oropharyngée HPV+
auraient un moindre risque de développer un cancer
primitif synchrone ou métachrone, ce qui s’oppose
au principe de la cancérisation en champ, propre à
l’intoxication alcoolo-tabagique (28).
Implications thérapeutiques
et perspectives liées à l’HPV
Le bénéfi ce en termes de survie des tumeurs HPV+,
surtout chez les patients non fumeurs, semble
être indépendant de la modalité thérapeutique
adoptée, même si leur meilleure radiosensibilité
semble être le point le plus important. Il n’existe
pas encore d’arguments suffi sants permettant de
décider du traitement en fonction du statut HPV,
mais il apparaît clairement que les nouveaux essais
thérapeutiques doivent inclure ce paramètre dans
leurs stratifications et que les efforts d’intensi-
cation thérapeutique doivent d’abord porter sur
les patients de mauvais pronostic, HPV− et fumeurs.
Par ailleurs, de nouveaux traitements anticancéreux
ciblant spécifi quement les cellules HPV+ devraient
apparaître dans les années à venir.
Enfi n, les effets de la vaccination anti-HPV des jeunes
lles devraient peut-être modifi er l’épidémiologie
de ces cancers dans les 30 ans à venir. L’intérêt de la
vaccination des jeunes garçons devra être réévalué
en tenant compte des cancers des VADS.
Conclusion
En France, les facteurs de risque majeurs des cancers
des VADS restent le tabac et l’alcool. La prévention
de ces cancers nécessite de poursuivre les efforts
de réduction de leur consommation. La part de
l’infection par l’HPV dans la survenue de ces cancers
doit être mieux étudiée en France.
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