“ P Délais entre les premiers symptômes et le diagnostic d’un cancer des VADS

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ÉDITORIAL
Délais entre les premiers symptômes
et le diagnostic d’un cancer des VADS
Diagnosis delays in head and neck cancers
“
P
lus de 70 % des carcinomes des voies aérodigestives supérieures (VADS) sont pris
en charge à un stade tardif (III-IV) où les ­traitements, s’ils peuvent être entrepris
à visée curative, sont plus difficilement efficaces et très souvent mutilants. Malgré
les progrès thérapeutiques réalisés, les chiffres de survie sont demeurés relativement
identiques ces 15 dernières années. L’impact du délai sur le contrôle locorégional a été
nettement démontré pour ces tumeurs de croissance relativement rapide.
Quels sont donc les déterminants de ce délai et quelles sont les possibilités de le
raccourcir ?
Dr Morbize
Julieron
Département de cancérologie
cervico-faciale au Centre Oscar
Lambret (centre régional de lutte
contre le cancer), Lille.
Le délai entre les premiers symptômes et le recours aux soins d’un patient est
nettement influencé par son contexte socio-économique. Il est avéré que les patients
en situation de précarité consultent avec retard, un retard attribué à une moindre
attention vis-à-vis de l’état de leur santé par rapport à “d’autres priorités”, résidant
essentiellement dans la survie économique de leur famille, et laissant au deuxième
plan le soin individuel. Chacun peut également constater que les patients ­présentant
une importante intoxication mixte ont tardivement recours au système de soins
(fatalisme, culpabilité, dépression sous-jacente ?) et sont finalement poussés à
consulter par leur entourage quand la situation est déjà très avancée. Que dire des
patients de catégorie sociale défavorisée, doublement intoxiqués et isolés ? Nous
les voyons généralement au moment où aucun traitement à visée curative n’est plus
envisageable. Des études en cours tentent de préciser l’ensemble de ces déterminants,
mais il est probable que les marges de progression dans ce domaine restent faibles en
l’absence d’amélioration globale de ces situations socio-économiques. Les campagnes
d’information auprès des odontologistes visant à dépister les cancers de la cavité
buccale, menées par l’Institut national du cancer (INCa), se heurtent à la même
problématique (moins de 5 % des cancers des VADS sont dépistés par un examen
systématique) car ces mêmes patients ne vont bien évidemment pas régulièrement
chez le dentiste.
L’offre de soins, c’est-à-dire l’accessibilité au corps médical, est variable
­géographiquement. Le premier interlocuteur du parcours de soin est le médecin
traitant. Si les médecins généralistes sont, pour la majorité, bien alertés du
risque accru de cancer des VADS chez les patients ayant une double intoxication
­alcoolo-tabagique, ils ne sont pas toujours formés à la réalisation d’un examen
complet ­oro-buccopharyngé, et bien entendu ne sont pas techniquement en
capacité de réaliser un examen pharyngolaryngé. Par ailleurs, les ­informations
concernant les modifications de l’épidémiologie des cancers des VADS n’ont pas
été ­largement ­diffusées, et rares sont les médecins traitants qui examinent ou
adressent aux ­spécialistes des patients sans intoxication mais présentant une angine
“traînante”, des douleurs de la cavité buccale, voire des adénopathies cervicales.
4 | La Lettre d'Oto-Rhino-Laryngologie • N° 344-345 - janvier-juin 2016
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08/04/2016 16:34:17
ÉDITORIAL
­ ’augmentation de l’incidence des cancers oropharyngées induits par le papillomavirus
L
(HPV), des cancers de la langue chez les jeunes patients ou des cancers des VADS de la
femme âgée n’a pas fait l’objet d’une ­diffusion d’information suffisante et il arrive encore
trop souvent que ces patients, même s’ils consultent rapidement, soient l’objet d’un retard
diagnostic ­préjudiciable.
Enfin, l’accès aux spécialistes, qu’ils soient ORL ou maxillo-faciaux, pose problème
sur l’ensemble du territoire, avec des délais d’obtention des rendez-vous qui s’allongent
sensiblement d’année en année, que ce soit dans le secteur privé ou à l’hôpital public :
36 jours pour un ORL dans l’étude IFOP-JALMA de 2014 (allongement de 7 jours par
rapport à 2011). Ces délais sont 2 fois plus longs en province qu’en région parisienne,
voire d
­ avantage dans certaines régions particulièrement défavorisées (plus de 57 jours
pour le Nord-Pas-de-Calais, la Normandie, le Centre), ces difficultés n’étant, par ailleurs,
pas directement corrélées à la démographie médicale.
Dans un contexte global d’aggravation des conditions économiques dans les milieux
les plus défavorisés et d’allongement des délais d’accès aux spécialistes, qu’ils soient
­hospitaliers ou du secteur privé, il est à craindre que les délais de diagnostic ne ­s’aggravent
encore dans les années qui viennent.
Dans ce contexte causal multifactoriel, quels sont les leviers d’action possibles ?
Pour en savoir plus
• Rode A. Le “non-recours”
aux soins des populations
précaires. Constructions et
réceptions des normes. Thèse
pour le Doctorat de Science
politique. Université Pierre
Mendes-France - Grenoble II,
2010. HAL Id: tel-00488403
https://tel.archives-ouvertes.
fr/tel-00488403
• Observatoire JALMA
de l’accès aux soins.
Edition 2014 http://www.
jalma.com/wp-content/
uploads/2014/01/Observatoire-de-lacces-aux-soins_
Edition-2014.pdf
➤➤Faciliter le recours au système de soins des populations les plus défavorisées en informant
les patients sur les procédures, souvent complexes, d’accès à la CMU, en informant les
personnels d’établissement sanitaires et sociaux (centres d’examen de santé, CHRS, EPAD,
MDPH) et les travailleurs sociaux du terrain sur les symptômes initiaux.
➤➤Favoriser la communication et l’information bilatérales entre spécialistes d’organe
et médecin généraliste. Le médecin traitant est sans conteste l’un des rouages majeurs de
­l’entrée et du parcours dans le système de soin. Il est celui qui peut dépister et/ou suspecter
une lésion cancéreuse chez un patient à risque, et qui a un accès direct aux patients
en ­situation de précarité afin d’accélérer le processus de prise en charge.
➤➤Développer l’information grand public, notamment lors de la campagne Makesense
“Prendre le cancer à la gorge” et auprès des médias régionaux et nationaux.
➤➤Enfin, diffuser l’information concernant les patients “sans facteur de risque”
et l’augmentation alarmante d’incidence des tumeurs induites par les infections à HPV .
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”
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La Lettre d'Oto-Rhino-Laryngologie • N° 344-345 - janvier-juin 2016 | 5
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