TOPIC
Janvier 2012
www.hec.fr/eurasia
L’ASIE EN 2012, ANNEE DU DRAGON DEAU
La Chine super-puissance, mais…
L’Asie, malgré son dynamisme propre toujours impressionnant, n’est pas découplée
d’une conjoncture mondiale incertaine pour 2012. L’Asie émergente continuera à être la
locomotive principale de l’économie globale, mais à un rythme qui va se contracter de plus
d’un point en moyenne. La Chine reste la principale dynamo de tous les pays de la région, du
nord au sud. Elle parviendra à produire une croissance supérieure à 8% en 2012. Mais la
montée de problèmes structurels lourds assortie d’un bouillonnement social croissant créent
un climat d’incertitudes à moyen terme, sur fond de succession politique. L’Inde et
l’Indonésie continueront leur remarquable progression, sans pourtant pouvoir s’affranchir de
systèmes de décisions peu en phase avec leurs besoins de développement. Globalement,
l’année du Dragon se présente sous d’assez bons augures.
Les prévisions de croissance pour 2012
+5,6%
+6%
+3%
Comparaisons :
USA : +3%
Europe : +1,7%
HK+3,6%
+4%
+2,5%
+3,7%
+5,4%
+7,5%
+8,5%
1
Bien que robuste,
la croissance
chinoise est à la
recherche d’un
second souffle.
Le tassement de
l’économie est
l’enjeu majeur des
prochaines
années.
Les
investissements
fixes restent le
moteur principal
de la croissance
chinoise.
Il en résulte un
endettement
effarant des
collectivités
locales.
L’endettement
public serait
supérieur à 70%
du PIB.
CHINE
Pour nos entreprises européennes, la Chine restera encore en 2012
l’horizon indépassable de la croissance, mais… Bien que robuste, la
croissance chinoise est à la recherche d’un second souffle, à la mesure des
mutations de fond du pays. Un tassement durable de deux points est un virage
important pour toute économie : c’est ce qui est en train de se passer en Chine,
par delà des incertitudes de la conjoncture internationale. En 2010, la
croissance du PIB était de +10,4%, proche des résultats « historiques » ; en
2011 de +9,2%. Les prévisions pour 2012 indiquent pour l’instant des chiffres
de l’ordre de +8,5%. Et l’on s’attend à +7/8%, pas davantage, dans les années
qui viennent. Les « trente glorieuses » de la Chine sont donc sans doute
derrière nous, marquées par une réussite fulgurante au plan macro-
économique : une puissance économique qui est passée en trente ans de 300 à
plus de 7 000 milliards de dollars (courants) ; un PIB par habitant moyen qui a
bondi de 280 dollars à plus de 5 000 ! Mais les paradigmes fondateurs de cette
croissance, à commencer par les « réformes » (Gaige) lancées par Deng
Xiaoping, doivent subir des révisions déchirantes. C’est tout l’enjeu de la
période qui s’ouvre et qui, symboliquement, sera conduite pour les dix ans qui
viennent par une nouvelle équipe politique, dite de la « cinquième
génération », qui sera intronisée à l’automne 2012.
Les moteurs de la croissance chinoise sont extrêmement déséquilibrés.
L’investissement fixe reste – et de loin – la composante principale. On aurait
pu penser que l’impulsion du plan de relance de 2008 était nécessaire pour
conjurer une baisse possible d’activité à cause de la crise financière mondiale,
laquelle ne s’est pas produite. Mais au-delà des échéances de 2009 et 2010, la
part des investissements fixes aurait dû baisser. Il n’en est rien. Par rapport au
PIB, lesdits investissements ont encore augmenté, passant du chiffre colossal
de 71% en 2010 à 75% en 2011. Et sous ce chiffre général se cache une
gigantesque fièvre du béton, très souvent spéculative, dont l’immobilier
occupe une large place, entre les constructions d’immeubles d’habitation ou de
bureaux, les centres commerciaux et pas moins de 8 000 « projets de
développement » sans réelle valeur économique. Ces investissements ont été
financés à crédit, grâce aux banques (d’Etat) complaisantes et dépendantes des
pressions des caciques locaux.
Il en résulte un endettement effarant des collectivités locales. Le bureau
officiel de l’audit admet que ces dettes représentent 27% du PIB. Mais des
estimations un peu sérieuses de sources différentes indiquent le double. Au
passage, le mythe de l’endettement chinois explose. L’Etat central, si l’on en
croit les déclarations des dirigeants, ne serait endetté que de 20% environ du
PIB. Mais si l’on intègre la réalité des données locales, l’endettement public
serait supérieur à 70% du PIB, score comparable à ceux des économies
européennes. Et si l’on ajoute les prêts qui ne seront jamais remboursés –
rapidement escamotés de la catégorie des « prêts non performants – la réalité
des finances chinoises est beaucoup moins rose que la propagande ne l’affiche.
Et ce ne sont pas les réserves de change superlatives (3 185 milliards de
dollars) qui peuvent sérieusement faire l’objet de vases communicants entre
les différentes composantes, pour quantités de raisons, techniques et
politiques.
2
Les conséquences
d’un tel modèle
sont connues :
spéculation,
corruption...
Le modèle d’
«usine du monde»
montre également
ses limites…
…L’inflation
rogne la
compétitivité, et
les salaires
continuent de
grimper.
Pour autant, la
consommation
intérieure
n’augmente pas
comme elle le
devrait, et les
problèmes se
multiplient.
La saga du TGV
en juillet 2011
reflète la
recherche d’une
croissance à tout
prix, où la quantité
néglige la qualité.
Cette économie de casino, où la spéculation effrénée s’appuie sur des
protections politiques locales – sans même parler de corruption – se conforte
de circuits parallèles non officiels. Les masses financières de la tontine (Hui)
ou le shadow banking (formé de placements de particuliers) représentent sans
doute le double des dépôts bancaires. Que des difficultés interviennent, et le
système peut être atteint de thrombose, comme l’illustrent en 2011 les milliers
de faillites d’entreprises dans la région de Wenzhou, lesquelles avaient
emprunté aux shadow banks à des taux jusqu’à 70% l’an ! Ce modèle de
soutien de la croissance par l’investissement massif était similaire au Brésil
dans les années 70 ou au Japon dans les années 80. On connait la suite.
Deuxième moteur : l’exportation. Le modèle d’« usine du monde »
montre ses limites actuellement, à la fois parce que les marchés occidentaux
sont moroses et parce que les coûts de main d’œuvre augmentent
inéluctablement. Certes, les exportations chinoises ont encore caracolé cette
année, passant de 1 577 milliards de dollars en 2010 à 1 898 en 2011. Certes,
les investissements directs étrangers continuent leur progression, passant de
106 milliards de dollars en 2010 à 115 en 2011. Mais l’inflation très
importante rogne la compétitivité. Le chiffre moyen admis est de +5,5% en
2011, mais ceci masque des hausses de +60% pour les légumes et la viande de
porc, du même ordre pour les logements, le tout à l’avenant. Alors on
augmente les salaires de l’ordre de +20% par an. Et – fait nouveau depuis
l’année dernière – on le fait maintenant de plus en plus sous la pression de
grèves à répétition, de plus en plus ouvertes et commentées.
Le troisième moteur, celui de la consommation intérieure, devrait donc
servir de relai. C’est même devenu la doxa officielle. Mais la part de la
consommation dans le PIB n’augmente pas. Elle a mêmegèrement régressé
de 40% du PIB en 2010 (total des ventes de détail) à 39% (même en période
de récession, la consommation américaine représente 70% du PIB). La
nouvelle classe moyenne chinoise est plus riche que les statistiques ne le
disent. L’argent caché des Chinois (cf. TOPIC février 2011) représente
vraisemblablement près du double des revenus totaux recensés. Mais ils vont
se placer dans des biens durables. Un garçon en ville ne peut tout simplement
pas se marier aujourd’hui s’il ne possède pas un appartement. Le reste des
revenus, déclarés ou non, est stocké sous forme d’épargne, parce que le
financement public de la santé, de l’école, des retraites est encore à un stade
peu avancé et que seul un matelas personnel de liquidités peut y parer. Les
autorités, qui mettent en place des systèmes variés de protection sociale, le
savent bien. Elles savent aussi que la fenêtre de tir pour le faire se refermera
en 2015, lorsque la courbe de dépendance démographique (actifs par rapport
aux jeunes et aux vieux), exceptionnellement favorable actuellement, va
s’inverser. Mais tout cela va moins vite que la musique ou que l’inflation.
La recherche permanente et brouillonne de la croissance à tout prix a
privilégié la quantité au détriment de la qualité, comme l’illustre, parmi bien
d’autres, la saga du TGV. Dans sa hâte à se doter du plus vaste système
ferroviaire au monde (13 000 km de voies initialement prévues fin 2012,
50 000 d'ici 2020), la Chine a mis la charrue avant les bœufs. La destitution en
février 2011 du ministre des Chemins de fer, Liu Zhijun, pour corruption avait
levé un coin du voile. On savait que le ministère du Rail était devenu un Etat
dans l’Etat et qu’il dépensait au-delà de toute raison. Les projets de
développement, financés par la dette, ne représentaient pas moins de
3
Un accident sur la
nouvelle ligne
Pékin-Shanghai a
causé la mort de
quarante
personnes environ.
On aperçoit
aujourd’hui
l’envers du décor,
où le gâchis
financier n’a pas
de limites.
Les inégalités
sociales se
creusent, et la
frustration des
classes urbaines se
fait de plus en plus
évidente.
Les problèmes de
sécurité
alimentaire se sont
succédés en 2011.
330 milliards de dollars ! Fin juillet 2011, un accident sur la ligne à grande
vitesse entre Pékin et Shanghai a provoqué la mort de quarante personnes, un
mois à peine après son inauguration. On découvre aujourd’hui que la fuite en
avant s’était accompagnée de pratiques opaques et dangereuses : recours à des
prestataires non-certifiés, utilisation de ciment et d’acier de qualité douteuse.
L’inspection de 6 000 kilomètres de nouvelles voies a révélé que les
entreprises sous-traitantes avaient souvent mis du sable et des cailloux au lieu
de béton, le tout à l’avenant. Plutôt que de développer un système complexe
par une patiente acquisition d’expérience, des défauts béants de signalisation
et de management ont conduit à l’accident de juillet. On retrouve les mêmes
carences lors d’un accident du métro de Shanghai un mois plus tard.
On aperçoit l’envers du décor de cette politique de croissance à tout
prix, de cette croyance aveugle dans le « Dieu PIB », dans nombre d’autres
secteurs stratégiques où la quantité néglige la qualité. La recherche louable de
sources alternatives d’énergie a provoqué une ruée des entreprises chinoises
dans l’éolien. Déjà dotée d’une capacité théorique de 20 000 MgW installés
actuellement, souvent dans les steppes du grand ouest, la Chine en prévoit
100 000 en 2020… mais les deux tiers de ces modernes moulins à vent ne sont
toujours pas raccordés à un quelconque réseau. L’enthousiasme à anticiper un
développement fulgurant a conduit chaque province à se doter d’aciéries ou de
cimenteries dernier cri, au point que la capacité installée pour l’acier excède
d’un tiers la production (déjà considérable à 650 millions de tonnes) et de plus
du double pour le ciment. La grande province centrale du Hubei annonce sans
rire un plan d’investissements sur cinq ans égal à douze fois son PIB annuel !
Le coût de la croissance incontrôlée n’est pas seulement financier. Il
est aussi social. Et parce que les frustrations des nouvelles classes urbaines
n’ont d’égales que leur capacité à communiquer grâce aux quelques
500 millions d’internautes – en majorité des jeunes – et au milliard de
téléphones portables, il est devenu politique. L’accident du TGV en juillet a
provoqué une bronca inouïe sur les réseaux sociaux chinois (weibo entre
autres, cf. TOPIC mars 2011). L’opacité des autorités, leur hâte à enterrer les
wagons accidentés sans pousser plus loin l’enquête, a ulcéré une bonne partie
de la classe moyenne chinoise. Le mépris d’entreprises sans foi ni loi avait
déjà soulevé une vive émotion des citoyens il y a deux ans lors du scandale du
lait pour enfants « dopé » à la mélamine.
Comme si de rien n’était, l’histoire se répète. En septembre 2011, la
police arrête 32 personnes dans un vaste trafic d’huile fabriquée à partir de
restes prélevés dans le caniveau. Ce scandale survient quelques mois
seulement après la découverte de porcs contaminés au clenbutérol, un
anabolisant qui vise à réduire les graisses, ainsi que de la vente de petits pains
à la vapeur colorés avec des produits chimiques toxiques. Des pastèques qui
explosent, du lait frelaté… la longue litanie de cas d’empoisonnements
collectifs ou d’incidents liés à la sécurité alimentaire provoque le désarroi des
consommateurs, qui n’arrivent plus à distinguer les aliments sains, de ceux
contaminés. On trouve désormais sur tous les marchés populaires des légumes,
de la viande etc… étiquetés en trois catégories : les produits censément sains
(les plus chers), ceux qui sont un peu moins « garantis », et les moins chers,
pour lesquels chacun prend sa responsabilité.
4
Les atteintes
massives à
l’environnement
ne se font
désormais plus
impunément, et
ceci est très
nouveau.
Mais entre
contamination et
pollution, on en
vient à se
demander s’il
n’est pas trop
tard.
L’expulsion des
paysans de leurs
terres est
également de plus
en plus
contestée…
…La société
s’interroge
ouvertement sur
ses valeurs, qui
ont sombré dans la
marche forcée de
l’urbanisation et
de l’égoïsme.
Les atteintes massives à l’environnement ne se font désormais plus
impunément, et ceci est très nouveau. A Dalian, dans le nord-est du pays,
12 000 personnes sont descendues dans les rues en août 2011 pour réclamer la
fermeture d’un nouveau complexe pétrochimique. Ce dernier, qui fabriquait du
paraxylène – ingrédient clé du polyester dont les vapeurs peuvent provoquer
des irritations au nez et aux yeux, et en concentration trop élevée, la mort – a
échappé de peu à une inondation après qu’une tempête tropicale ait dévasté la
ville. Les craintes d’une fuite de paraxylène ont poussé les résidents à se
mobiliser dans ce qui a été décrit comme une des plus grandes manifestations
urbaines en Chine depuis longtemps. Inquiets de l’ampleur du mouvement, les
dirigeants municipaux se sont rapidement pliés aux demandes des riverains. Le
complexe, d’une valeur d’1,5 milliards de dollars, a été fermé et il devrait être
relocalisé – une première en Chine pour des raisons d’intérêt public.
Malgré la lutte proclamée des autorités pour améliorer
l’environnement, on en vient à se demander s’il n’est pas trop tard : un épais
nuage de particules fines et noires a littéralement paralysé Pékin début
décembre 2011. L’aéroport a fermé pendant trois jours, avec des centaines de
vols annulés, des milliers de passagers bloqués… du jamais vu pour une
histoire de pollution. Mais avec des usines qui tournent à plein et 1 000
voitures de plus par jour dans les rues de la capitale, il faudrait une révolution
pour sérieusement améliorer les choses.
Une autre bronca publique, l’automne dernier, a amené les autorités
provinciales du Guangdong à annuler un projet d’expulsion de paysans de
leurs terres dans la petite ville de Wukan pour un improbable projet de
développement. Les exactions sur les terres sont récurrentes. Elles provoquent
plusieurs dizaines de milliers de révoltes chaque année. Les caciques locaux
du parti s’en sortaient généralement en toute impunité, au prix d’une
répression féroce. Mais Internet amène une nouvelle donne. Pour la première
fois, Wukan a montré que l’on ne pouvait plus faire n’importe quoi.
La société chinoise est désenchantée. La fracture sociale est béante.
Les riches sont toujours plus riches. La répartition des fruits de la croissance
est de plus en plus inégalitaire, comme le mesure très sérieusement le
« coefficient de Gini », qui est passé pour la Chine de 0,25 il y a vingt-cinq ans
à 0,51 aujourd’hui (France : 0,33 ; Etats-Unis : 0,41). La Chine est-elle encore
« communiste » ? La société s’interroge de plus en plus ouvertement sur ses
valeurs, qui ont sombré dans la marche forcée de l’urbanisation et de
l’égoïsme ? La mort d’une petite fille écrasée par un chauffard à Canton cet
automne est bien plus qu’un fait divers. Une vidéo d’une caméra de
surveillance montre un camion écraser un enfant, s’arrêter, puis poursuivre son
chemin pour l’écraser à nouveau avec les roues arrières du véhicule. Pendant
pas moins de sept minutes, près de vingt piétons passent devant la fillette qui
gît par terre sans s’en préoccuper. L’accident a créé une polémique d’ampleur
nationale parmi les commentateurs : pour nombreux d’entre eux, il souligne
l’inhumanité de la population chinoise dans sa course effrénée à la richesse et
au développement. Même les médias d’Etat s’interrogent sur l’état actuel de la
société, dont les valeurs semblent aujourd’hui complètement déformées.
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