3.3.3 Le signalement de patients pouvant causer préjudice à autrui

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3.3.3 Le signalement de patients pouvant causer préjudice à autrui
(sécurité publique)
Andrew McRae, MD, PhD, FRCPC
Mis à jour le 23 décembre 2013
Cas
Un jeune homme de 19 ans est amené au service d'urgence par ses amis. Il a reçu une balle dans l’extrémité
proximale du bras. La balle est entrée par la face antérieure du bras, à côté de l'humérus, et est ressortie par la
face postérieure. Outre la blessure par balle, les évaluations primaire et secondaire du traumatisme ne révèlent
rien de particulier. L'équipe de traumatologie détermine qu'il n'y a aucune atteinte musculo-squelettique ou neurovasculaire importante. Les plaies sont nettoyées, irriguées, explorées et suturées. On explique au patient comment
prendre soin de ses plaies et on lui conseille de faire un suivi auprès de son médecin de famille.
Le patient refuse de discuter des circonstances qui ont entraîné le coup de feu et exige que la police ne soit pas
informée. La responsabilité des médecins de signaler les crimes violents l'emporte-t-elle sur leur obligation de
protéger la vie privée du patient? Y a-t-il des circonstances dans lesquelles les menaces à la sécurité d'autrui
exigent le signalement de patients aux autorités?
Discussion
L'obligation du médecin de préserver la confidentialité des renseignements personnels sur la santé du patient est
l'une des obligations fondamentales qui sous-tendent la pratique de la médecine. Cette obligation repose sur le
respect de l'autonomie du patient, ainsi que sur l'importance d'instaurer une relation médecin-patient fondée sur la
confiance.
Le respect de la vie privée se rapporte principalement au droit de la personne d'être laissée tranquille. Le fait pour
un médecin de maintenir des données médicales confidentielles permet au patient de protéger sa vie privée1-4.
Violer la confidentialité d’un patient autonome va à l’encontre du droit du patient à contrôler l’accès à ses
renseignements personnels. La confidentialité de cette relation permet au patient de discuter en toute confiance de
données personnelles avec son médecin. La confiance du patient dans la discrétion du médecin est donc essentielle
au processus diagnostique2-5. Le respect de la vie privée et de la confidentialité du patient est une attente
raisonnable de la relation médecin-patient4.
L’obligation de maintenir la confidentialité des renseignements médicaux peut parfois entrer en conflit avec les
devoirs perçus du médecin de protéger autrui. Ces obligations ne découlent pas d'une relation particulière entre le
médecin et un patient, mais du rôle professionnel du médecin et de sa qualité de citoyen au sein d'une
collectivité6.
Les exégètes ne parviennent pas à s'accorder sur le devoir moral des médecins de protéger la sécurité du public6.
Les gouvernements, qui ont la responsabilité de protéger le public, ont adopté des lois qui exigent des médecins
qu'ils enfreignent, dans des circonstances précises, la confidentialité du patient pour assurer la protection d'autrui.
Il existe ainsi des lois provinciales qui obligent le signalement d'enfants ou d'aînés que l'on croit victimes de
sévices, de même que la déclaration de maladies transmissibles et des affections susceptibles de nuire à la
capacité d'une personne de conduire un véhicule en toute sécurité. Pour plus de renseignements sur les exigences
réglementaires relatives à la déclaration obligatoire par les médecins, y compris des références à des lois fédérales
et des lois de l'Ontario, veuillez consulter la référence 7 rédigée par le Collège des médecins et chirurgiens de
l'Ontario.
Aucune disposition du Code criminel du Canada n'oblige un médecin à déclarer les activités criminelles de ses
patients, sauf s'il s'agit de haute trahison8. De nombreuses provinces ont adopté des lois exigeant que les
fournisseurs de soins de santé déclarent à la police les cas de blessures par balle ou par arme blanche. L'adoption
de telles lois étant justifiée du fait qu'une blessure par balle résulte soit d'un acte criminel, soit de l'usage ou de
l'entreposage inadéquat d'une arme à feu. Or ces situations peuvent constituer une menace continue envers autrui
et nécessitent une enquête policière pour déterminer et éliminer cette menace. D’aucuns pensent que la
déclaration obligatoire amène les médecins à jouer un rôle d'agent de police, ce qui nuit à leurs relations avec les
patients10. Les défenseurs de telles lois estiment, au contraire, que l’utilisation illégale ou inappropriée d’armes à
feu représente une menace pour la sécurité du public et que la déclaration obligatoire a pour effet de transférer le
rôle d'enquête du médecin au policier, lequel est en meilleure position pour mener une enquête11.
L’obligation du médecin d’informer le patient de la soumission d’un rapport aux autorités varie en fonction des lois.
Néanmoins, la plupart des lois sur la déclaration obligatoire exigent que le patient soit informé de tout signalement
obligatoire fait par un médecin à son égard, à moins que le fait d'en informer le patient risque de porter préjudice
au patient ou au médecin. Le médecin devrait également conseiller au patient de s'abstenir de toute activité
susceptible de mettre en danger la sécurité publique (p. ex., conduire après un diagnostic récent de troubles
convulsifs).
L'opposition entre l'obligation du médecin de protéger la vie privée du patient et celle de protéger autrui est encore
plus grande lorsqu'une personne clairement identifiable est menacée. Cette question a notamment été soulevée
dans l'affaire Tarasoff c. the Regents of the University of California12, une action en justice intentée contre un
psychologue clinicien par les parents d'une femme assassinée par un patient qui avait confié au psychologue son
intention d'assassiner sa petite amie. Le psychologue en avait informé le service de police du campus de
l'Université de Californie qui avait procédé à l'arrestation du patient, puis l'avait relâché. Deux semaines plus tard,
le patient assassinait son amie. Les parents de la jeune femme ont eu gain de cause, alléguant que le psychologue
avait l'obligation de mettre en garde la jeune femme.
La décision Tarasoff a établi, en jurisprudence, l'obligation du médecin de violer la confidentialité d'un patient pour
mettre en garde et protéger un tiers clairement identifiable à qui le patient pourrait vraisemblablement porter
préjudice. L’affaire Tarasoff a établi que le médecin peut être libéré de ses obligations en prévenant directement la
tierce personne ou en informant la police d’une menace possible (bien que dans le cas en question le fait de
prévenir la police du campus n'était pas suffisant). La notification aux autorités policières d’une menace imminente
est probablement l’action la plus appropriée dans ce type de situation, étant donné que celles-ci sont les mieux
placées pour évaluer plus amplement la menace et protéger la cible du patient.
Il est en revanche plus difficile d'établir ce que doivent faire les médecins dans les cas où les patients font preuve
d'un comportement violent, mais qu'il n'y a pas de cible clairement identifiée. Cela arrive souvent dans le cas des
maladies mentales, où le comportement menaçant peut constituer une indication en faveur de la détention du
patient pour une évaluation psychiatrique plus approfondie.
La propagation intentionnelle de maladies transmissibles a mené à des condamnations au criminel. De nombreuses
maladies transmissibles doivent être déclarées aux autorités de santé publique provinciales. Les laboratoires de
santé publique procèdent à un traçage des contacts pour s'assurer que les partenaires antérieurs puissent faire des
analyses, mais ils n’ont pas le pouvoir de prévenir la propagation d'une maladie transmissible.
Résolution
Dans de nombreuses provinces, le médecin de ce scénario clinique serait tenu par la loi d'informer la police qu'une
victime d'arme à feu était traitée au service d'urgence. La police se chargerait alors de poursuivre l'enquête. Dans
d’autres cas, la déclaration obligatoire entraînerait une réponse appropriée des autorités provinciales ou fédérales
compétentes.
Dans les cas où il n’existe pas de loi précise, les médecins doivent évaluer la probabilité et l'ampleur du préjudice
pouvant être porté à autrui et qui résulterait de l’affection ou du comportement d’un patient. Le cas Tarasoff établit
clairement le devoir de prévenir les individus qui risquent fortement d’être victime d’un préjudice d’une ampleur
considérable. Malheureusement, il existe peu de lignes directrices pour guider les médecins dans les cas où le
comportement ou l'état du patient ne pose qu'un risque faible ou modéré pour autrui ou qu'il n'existe pas de
personne menacée clairement identifiable. Il arrive souvent que la seule option du médecin soit d'encourager le
patient à prendre les mesures nécessaires afin de réduire le risque pour les autres.
Références
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