REVUE
D’ETHNOBIOLOGIE
..
.
NUMÉRO
“ETHNOZOOLOGIE”
Journal d’Agriculture Traditionnelle
-
et
de
Botanique Appliquée
1
Laboratoire d’Ethnobiologie-Biogéographie
Muséum
National
d’Histoire
Naturelle
57,
rue Cuvier,
75005
Paris
--
L!
010014939
i
--
i
I-
-
ISSN
:
0183-5173
Les difficultes de Edition scientifique avaient conduit
h
une suspension de la
parution de notre joumal. L'inErCt manifeste
h
l'egard de
ce
demier,
a
heureusement
permis une reprise de sa parution depuis 1994.
Fondee en 1921 par le Professeur Auguste CHEVALIER (1876-1956),
Professeur au Museum National d'Histoire Naturelle et membre de l'Institut,
sous
le
nom
de
Revue de Botanique Appliquie et d'Agriculture tropicale,
cette publication,
dans
sa
forme premiere, avait pour but de presenter les travaux de botanique des
plantes
utiles
tropicales et des etudes agronomiques inEressant les tropiques.
A l'initiative de Jean-François LEROY et de Roland PORTkRES (1906-1974),
Professeurs au Museum National d'Histoire Naturelle, Le
Journal d'Agriculture
Tropicale et de Botanique Appliquée
a succede en 1954
ii
la R.B.A. En 1977, compte
tenu de l'elargissement du champ des sujets traites dans
ce
Joumal, il
a
pris le
titre
:
Journal d'Agriculture Traditionnelle et de Botanique Appliquée
:
Travaux
d'Ethnobotanique
et
d'Ethnozoologie.
Tout
en restant fidele'
2
sa premiere orientation, le JATBA est devenu, au
carrefour des sciences de la nature et des sciences de l'homme, un organe &&hange, de
reflexion et d'information interdisciplinaires sur les relations reciproques entre
les
societt5s humaines et leur environnement naturel vegetal et animal.
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
:
Y.
MONNIER, Professeur au Museum National
d'Histoire Naturelle, Directeur
du
Laboratoire d'Ethnobiologie-B iogeographie.
-
COMITÉ
SCIENTIFIQUE
:
F.
AUBAILE,
s.
BAHUCHET,
J.
BARRAU,
L.
BÉRARD,
cl.
FRIEDBERG,
F.
GREN
AND,
P. GRENAND, J.-L. GUILLAUMET, J. P. LESCURE,
Ph. MARCHENAY,
G.
MÉTAILIÉ, C. MORETTI,
H.
PUIG, R. PUJOL, C. SASTRE,
c.
SEIGNOBOS,
J.
WEBER.
COMITG
DE
RÉDACTION
:
A.-M. BRISEBARRE,
L.
EMPERAIRE,
A.
EPELBOIN,
RÉDACTION
:
cil. GAULIN-SCHELLENBERG,
'M.
FLEURY,
A.
PEETERS,
B. LIZET,
A.
LUXEREAU, M. ROUÉ.
'
B.
ROUSSEL
COMPTABILITG
:
M.-P.
DUTOT
Ce numero a 6te realise et mis en page
par
Chantal GAULIN-SCHELLENBERG et Alice
PEETERS,
avec
l'aide precieuse de
C.
BOGNON
et
L. EMPERAIRE.
Couverture
Les Mofu et leurs insectes
:
illustration realisee
par
Fabien SEIGNOBOS, 1997.
*
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Joum.
dHgric. Trad.
et
de
Bota.
Appl.,
19%
Vol.
XXXVIII
(2)
:
125-187
LES MOFU ET LEURS INSECTES
11
TI
Christian
SEIGNOBOS*,
Jean-Philippe
DEGUINE**
v
et Henri-Pierre
ABERLENC**
4c‘
U
RBsmB.-
Les
Mofu du Nord-Cameroun vivenf
ou
plutôt vivaient, avec les insectes. Ces
derniers sont impliqués dans tous les aspects de leur vie
:
ils entrent dans l’alimentation
et la pharmacopée, viennent en appui agronomique, servent d’augures et même d’insectes
de compagnie. Les Mofu, céréaliculteurs de montagne, ont valorisé le mil au point d’en
faire l’objet d’une véritable religion. Ils opposent un registre d’insectes bénéfiques
pour
le
mil
à
ceux qui sont maléfiques et aux ravageurs.
Les
premiers aident
le
mil, des
semailles au battage et jusque dans les silos. La lutte contre les seconds passe plus par des
pratiques rituelles que par l’application de recettes phytosanitaires traditionnelles.
L’assainissement des habitations
à
l’aide d’un
Dorylus
dénote une connaissance précise
de l’éthologie des insectes. Ce même
Dorylus
livre, sinon la clé d’une grille
classificatoire anthropisée du monde des insectes, du moins illustre-t-il une volonté d’y
projeter la sructure et les comportements de la société mofu. Aujourd’hui, les Mofu
descendent
sur
les piémonts et vont travailler dans les villes, ainsi perdent-ils
progressivement l’intimité qu’ils entretenaient avec leurs insectes.
MOTS-CLBS.- Cameroun
-
monts Mandara
-
Mofu
-
ethnoentomologie
-
Termitidae,
Formicidae.
ABSTRACT.
-
The Mofu of Northern Cameroon used to share almost every aspect
of
their
daily lives with insects. Insects were used in foods and folk medicines. They played an
important agronomic role, were perceived as omens, and were even treated as pets. The
Mofu are cereal growing moutain dwellers and they value millet to the point of treating it
as a veritable religion. As a result, beneficial insects are classified separately from
damaging insects and pests. The first encourage millet production, from sowing through
threshing and storage in grain silos. The second group is combated using ritual practices
rather than trough the use of traditional phytosanitary formulas. The use of the Dorylus
and to decontaminate houses suggests a certain knowledge of insect ethology. The
Dorylus can be seen as the key to an anthropized reference chart of the insect world or at
least as a deliberate attempt to project the structure and behavioural patterns
of
Mofu
society. Today, the Mofu have descendes from the foothills and can even be seen working
in
the citionship with inies. As a result, they are gradually losing their intimate
relationship with insects.
KEYWORDS.- Cameroon
-
Mount Mandara
-
Mofu
-
ethnoentomology
-
Termitidae,
Formicidae.
Les Mofu peuplent les monts Mandara,
A
l’ouest et
au
nord-ouest de
Maroua (voir carte de situation). Ils sont schkmatiquement divises en Mofu sud (ou
Mofu Gudur) de Zidim
A
Mas& et en Mofu nord, de Massakal
A
Mbokou. On leur
*
Géographe ORSTOM
**
Entomologistes CIRAD-CA
126
rattache les populations des massifs-îles de Dougour,
MkkCri,
TchCr6 et parfois
Molkwo
l.
Cette Ctude s'ineresse seulement aux Mofu nord
(55
O00
personnes) et
plus particuligrement
A
ceux du massip
de
Douvangar. Leur situation de populations
assiCgCes, qui prit fin
dans
les annCes
1930,
remonterait
Zi
I'hCgCmonie
du
Bomou-
Wandala,
bien antknew
&
l'arrivk
des
Peuls ConquCmts du dCbut du
XIXe
sikle.
O
5
i0
km
(MAFAI
Emnle
sousgroupe
Quartier
Situation
du
pays
mofu
Figure
1
1
Le
terme de Mofu fut donné par les Fulbe
ou
Peuls
à
tous les montagnards de l'ouest de
Maroua. L'administration coloniale reprit ce terme et divisa les Mofu Gudur en deux
cantons dits Mofu Sud (Zidim) et Mofu Nord (Mokong). Quant aux Mofu de la chaîne
de Wazang
à
Méri, ils sont parfois appelés Mofu Diamaré (Vincent, 1991).
"Massif" a ici le sens
d'une
entité socio-politique recouvrant des reliefs plus
ou
moins
individualisés.
2
127
Sur ces hautes terres, qui s’&agent entre
750
et
1
O00
m, le climat est de
type soudano-sahelien modifie par l’altitude. La pluviosite (de l’ordre
de
900
mm)
y
est plus importante et plus regulibre que
dans
la
plaine. La saison des pluies (de mai
&
septembre) et
la
saison &he (d‘octobre
ZI
avril) sont bien marquees.
Les Mofu sont des montagnards “de bordure” car leurs massifs disposent
tous d‘un piemont. Les pentes sont am6nagck.s en reseaux de terrasses. Si certaines
parties de
ces
pentes ne sont que
des
chaos
de blocs, le sol a veritablement kt6
%XI%“
sur d’autres parties. Les monts Mandara sont densement peuples (plus de
150
habitants
au
km2)
et l’anthropisme de la veg6tation est important. La plupart des
arbres sont domestiques pour
la
construction, l’energie,
la
pharmacopk, l’entretien
de la fertilite des sols, l’alimentation ou pour leur ombrage. L’economie de la
societe mofu repose
sur
la
production et la conservation du mil3.
Depuis
tres
longtemps, ces montagnards vivent sur leurs massifs des
relations etroites, presque intimes, avec les insectes et d’autres arthropodes,
principaux reprksentants d‘une faune indigente en vertebres. Selon les circonstances,
les Mofu les respectent, les aiment, les craignent, les consomment, jouent avec et
les &outent.
Nous ne developperons ici que quelques-unes des relations entre ces
hommes et “leurs” insectes. Celles-ci seront presentees selon la vision mofu du
monde des arthropodes et non selon la classification zoologique (ainsi, aux yeux des
Mofu, arachnides, myriapodes et escargots sont considkr6s “me des insectes).
%
%,
4
’\
LES INSECTES-ROIS
Les Mofu projettent sur les insectes4 vivant en socied, notamment les
fourmis et les termites, leurs propres comportements sociaux et politiques. Dun
massif& l’autre, le vocabulaire et les conceptions peuvent sensiblement varier autour
d‘un fond commun. Les Mofu ne parlent de certains insectes qu’avec d‘infinies
precautions, car ils touchent au sacre et peuvent se reveler dangereux, en utilisant
alors des termes convenus
:
par exemple, l’insecte ne “vole” pas le mil, il le
“transporte”, il le “suce”, il “remplit ses greniers”
...
Si l’insecte pique, on ne
l’insulte pas,
mais
on
dit
:
“Le
chef m’a frapp6”.
Le Prince des insectes
Y
3)
La fourmi
jaglavak
(figure
9)
est consideree comme le Prince des insectes
3
On emploie dans le Nord-Cameroun le mot “mil”
pour
désigner les mils pénicilláires
et les sorghos.
I1
s’agit chez les Mofu d’une gamme de sorghos de lithosols
(Sorghum
4
Il
n’existe pas de mot spécifique signifiant “insecte” en Mofu.
A
Douvangar, on peut
dire
matel gwadeng
qui, dans son sens premier, signifie le grouillement comme
celui des “lames de moustiques” puis, par glissement de sens, désigne ce qui est petit
et grouillant, donc les insectes. Ce mot apparaît surtout par besoin d’un équivalent en
Français. En Mofu Gudur, il semble que ce soit
ayakw,
la sauterelle (Barreteau,
1988)
qui, représentant la catégorie d’insectes la plus diversifiée dans la langue, désigne par
extension tous les arthropodes.
CaUdatum).
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