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Anthropologie d'un nouvel espace habité : enjeux
fonciers et spatialités des classes moyennes à Oran
et sa banlieue (Alrie)
Introduction
En cette fin du XXe siècle, le territoire d'Oran et de ses communes
de banlieue proche connaît une fragmentation du ti que
l'observateur averti peut distinguer sans aucune difficulté ; en effet,
celui-ci peut identifier d'un côté une urbanisationgale et de l'autre,
une urbanisation illégale appelée à être, il est vrai, régularie.
A l'intérieur de la ville gale s'individualisent parmi les nouveaux
sites urbanisés, l'espace des coopératives immobilres dont les
caracres sont bien marqs par la quali de ses constructions
individuelles, son contenu social dominé par des classes moyennes
et aies et par un niveau d'équipement acceptable.
La municipalisation des terres urbanisables en 1974, à travers la
constitution desserves Foncres Communales, a é bien vite
perçue comme un énorme enjeu foncier avant d'être d'ailleurs, un
enjeu immobilier. C'est toute la question du mode d'appropriation
des terres publiques qui a é ainsi mise au centre d'un conflit entre
la vision de l'Etat centralisateur et planificateur d'un côté, et les
pratiques des acteurs locaux de l'autre.
En dépit d'un urbanisme réglementaire patiemment remode
après l'indépendance, la course aux lots cooratifs a é menée
tambour battant. Comment a é détour, malgré les injonctions
de l'administration centrale, l'esprit coopératif au profit de l'espace
individuel ? Peut-être plus que la ographie sociale, l'approche
anthropologique nous aide à mieux comprendre les manières avec
lesquelles les classes moyennes et aisées ont tenté de concilier
au sein de la production du nouvel espace habi individuel,
la rationalité moderne des procédures administratives
et architecturales et « l'autre rationalité » qui elle, semble répondre à
une culture identitaire plutôt marquée par les coutumes et les
traditions locales.
Abed BENDJELID
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Les coopératives immobilières : un enjeu foncier pour les
classes moyennes et aisées
a. L'enjeu foncier constitué par les Réserves Foncières Communales
L'année 1976 a marqué une étape importante dans la mise en
forme des textes de l'urbanisme réglementaire de l'Algérie
inpendante et bien plus, le gouvernement avait exposé clairement
la politique de l'habitat à mener. En effet pour la première fois, le
pouvoir central a reconnu explicitement qu'il ne pouvait plus
désormais, prendre en charge le financement et la construction des
logements et, il a appe « tous les citoyens, tous les travailleurs, tous
les chefs de famille, individuellement ou groupés au sein de
coopératives » à « participer à l'entreprise d'édification du nouvel
habitat… » relève la note de psentation gouvernementale relative à
l'habitat.
Amplifs par le discours politique, les textes glementaires ont
trouvé au sein des groupes d'intérêts locaux un terrain extrêmement
favorable pour une concrétisation rapide de la décision centrale.
Logiquement reliée à la municipalisation des serves foncières,
cette application appart à la fois comme une manière de mettre à
contribution les citoyens en vue de financer leur habitation, de
redistribuer indirectement une partie de ressources pétrolières
nationales et d'asseoir les classes moyennes salares travaillant au
sein des institutions publiques et administratives. C'est là que se
situent les véritables enjeux de l'amorce d'un marché foncier,
désormais entrouvert, capable de compenser les gestionnaires
d'une façon nérale et les élus locaux en particulier. Ceux-ci avaient
commencé à ébaucher les listes initiales constituant les premières
coopératives immobilières en s'octroyant, dans les trois communes
de la proche banlieue oranaise étudiées ici, des lots de terrain situés
à l'intérieur des tissus urbains et pouvant couvrir jusqu 800 m2
chacun !
1
. Les attributions d'assiettes foncières, géographiquement
bien localies, expliquent en grande partie l'origine de tous les
conflits et toutes les tractations possibles et imaginables au moment
de dresser les listes des participants à la constitution de toute
coopérative immobilière. A travers ces enjeux fonciers et par
économiques, ont é occultées volontairement toutes les pratiques
1
Bouzada, F. et Mouslim, S. (1991), Analyse de l'espace urbain et péri-urbain de la ville
d'Oran ; le cas des coopératives immobilières, mémoire, ingénieur, géographie, Université
d'Oran, 103 p.
Anthropologie d'un nouvel espace habi : enjeux fonciers
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de népotisme et de corruption qui ont été lées, quelques anes
plus tard, par une série d'incarcérations d'élus et d'emplos de
l'administration locale.
b. La voie de l'accession à la propriété foncière privée par la filière
coopérative : le rôle des corporations professionnelles locales
Rumeur chez les uns et alisme chez les autres ont joué lors
de la confection de listes composées d'une vingtaine de personnes
par coopérative immobilière. Regroupement professionnel
et corporatisme ont, au départ, permis de dresser ces fameuses
listes au sein même des institutions publiques administratives
(assurances, finances, gendarmerie, douanes, hydraulique,
enseignement, agriculture, université, entreprises du bâtiment,
emplos communaux, san…), voire d'associations professionnelles
pries (commeants, industriels, professions lirales entrepreneurs…).
Peu après, lanomination initiale des cooratives immobilières
faite selon la base professionnelle a finalement donné lieu à une
substitution nominale qui a puisé ses qualificatifs dans l'histoire
cente du pays, les textes idéologiques, les actions marquantes du
veloppement économique, la symbolique…
Mieux infors car proches de la ressource d'information, les
gestionnaires du secteur public et ceux qui gravitent autour du
pouvoir ont su mettre à profit le discours politique qui invoquait
« les nouveaux besoins de la population et les exigences du progrès
social » pour se « placer » et ajouter sur les listes établies, quelques
membres de la famille élargie et quelques connaissances occues
dans un secteur économique privé mal vu, à lpoque par le pouvoir
central. Pour beaucoup, l'accès du marché foncier par le biais de la
coorative immobilre était une premre étape vers l'appropriation
privée du sol urbain bien plus intéressante que les avantages qui
accompagnent cette oration. En ce sens, ce n'est pas tant la
construction individuelle qui importait, mais l'acte juridique qui
permettait de s'approprier à moyen terme une partie de l'assiette
foncière, même si à l'échelon central, on voulait des maisons
individuelles construites par des classes moyennes et non pour des
classes moyennes du secteur public et même d'un secteur privé
(acteurs de la vie économique, culturelle…) de plus en plus to.
Toutefois, « le caractère professionnel du collectif des bénéficiaires,
au départ remarquable, atteste d'une cohérence sociale recherce
par les classes moyennes, voire aies, en vue d'obtenir le lot de
Abed BENDJELID
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terrain tant convoité et de profiter ainsi, des multiples avantages
permis par l'organisation coopérative »
2
.
c. Les avantages consentis par l'Etat au profit des coopérateurs
Secondaires en apparence, les avantages cons par l'Etat aux
acteurs directs de cette filière de production du bâti sont,
économiquement parlant, considérables.
En s'engageant dans la construction d'une maison individuelle
dans un cadre coopératif, les membres de toute coopérative
immobilre ont eu un accès prioritaire à l'achat de matériaux de
construction et à des prix très avantageux auprès des agences locales
des sociétés nationales de distribution. Dans un marché soumis
riodiquement à des pénuries, le coopérateur détenteur d'une carte
de client néficiait d'un quota prévu en matériaux de construction
(ciment, briques, fer à béton, bois, carrelage, articles sanitaires…)
et à des prix largement subventionnés par le budget de l'Etat !
Par ailleurs, la caisse d'Epargne a accor des prêts avec des
inrêts bonifs très avantageux (4 %) aux épargnants solvables,
mais là, le crédit est individuel ; consenti sur une vingtaine d'années,
le prêt concédé a connu une progression constante : 240.000 dinars
en 1978, 320.000 en 1982, et 450.000 en 1986. Quant au montage
financier de l'opération, il demeure strictement personnel ; selon les
dires de certains coopérateurs-fonctionnaires, au début des anes
1980, le prêt pouvait couvrir 40 à 50 % du coût global de la villa !
Dans cet ordre d'idée, nous pouvons dire sans aucune exagération
que les coopératives de la première nération (1977-1985) avait
largement néfic des retomes de la rente trolière
redistribuée (coût de cession du terrain, prix des matériaux de
construction, subvention partielle des V.R.D., crédit bancaire
bonifié…) par le pouvoir central. C'est ainsi que l'Etat-providence
avait permis à un nombre appciable de cadres supérieurs, de
cadres moyens et d'employés occupés dans le secteur public de
construire leur maison individuelle ; une enquête menée en 1990
atteste que 40,2 % des constructions coopératives avait néfic
d'un prêt de la Caisse Nationale d'Epargne et de Prévoyance.
2
Bendjelid, A., Implantations de coopératives immobilières sur les terres agricoles péri-
urbaines et logiques d'acteurs dans la commune d'Es-Sénia (wilaya d'Oran), 12 p.
Anthropologie d'un nouvel espace habi : enjeux fonciers
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d. Au brassage social demandé par l'Etat, les groupes des acteurs
locaux pondent par une action de difrenciation spatiale
me en définissant « le cadre juridique des structures
coopératives immobilières de alisation au sein desquelles la
construction prie prendra pleinement son essor » à l'intérieur de
la note de présentation gouvernementale relative à l'habitat, l'Etat a
recentré sa vision de l'opération en tentant d'éviter de ce fait,
l'accaparement du foncier par les populations les plus aisées et les
plus solvables. Ainsi, est recherce une forme plus équitable de
l'allocation foncière qui donne à des candidats ayant des revenus
modestes la possibilité d'accéder aux coopératives immobilières. Des
injonctions, à peine voilées, ont été destinées aux collectivités locales
par le Centre ; le but logique était d'obtenir un brassage socio-
professionnel des néficiaires, évitant ainsi toute forme de
grégation sociale et de différenciation ographique. C'est,
ensemble-t-il, une des conditions de l'aide multiforme que devait
apporter l'Etat aux collectivités locales dans le domaine du transfert
de terrains urbanisables, du coût de la viabilisation, de l'aide
technique…
Les injonctions de l'Etat ont été appliquées même si l'exécution a
donné lieu, çà et , à des dépassements. En général, la refonte des
listes a rendu celles-ci professionnellement et socialement plus
diversifiées. Cette nouvelle donne fait ressortir un éventail de
catégories socio-professionnelles assez large (tableau 1).
Tableau : Place des cagories professionnelles dans les coopératives
immobilières d’Oran et de sa banlieue proche
(en valeur relative entre 1977-1993)
Cago-
ries
Comm-
industr
Pro. Libé-
rales
Cadres sup.
et moyens.
Emplo-
yés
Ou-
vriers
Taux
Oran
34,2
3,3
29,5
23,7
9,3
100
Es-Sénia
15,5
4,1
33,3
42,9
4,1
100
Bir-el-Djir
32,6
5,9
40,2
19,3
2,0
100
Sources : Communes, Bouzada, F. et Mousslim, M., Benchehida, D.
et Bendjelid, A.
Cette classification en cinq groupes sociaux des bénéficiaires d'un
lot cooratif montre clairement que toutes les catégories ont pu
acder, à différent degré bien entendu, à la proprté foncière grâce
à la bienveillance de l'Etat. anmoins, on ne peut s'empêcher de
relever que la politique du régime de H. Boumediene a été, durant
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