Introduction Guerre et paix Pratiques, États, sociétés et cultures « Expériences de la guerre et pratiques de la paix », Guy Saupin et Éric Schnakenbourg (dir.) ISBN 978-2-7535-2251-0 Presses universitaires de Rennes, 2013, www.pur-editions.fr Guy Saupin L’influence profonde exercée par le professeur Jean-Pierre Bois sur la manière d’appréhender l’histoire militaire et des relations internationales, principalement en histoire moderne et contemporaine lors de ces dernières décennies, est une réalité qui s’impose à tout esprit curieux s’intéressant à ces domaines. Par ses nombreuses publications et toutes ses initiatives universitaires et académiques déployées dans des champs divers de la sociabilité intellectuelle citoyenne au sein de responsabilités d’importance majeure, notre collègue a ouvert de nombreuses voies de réflexion et de recherche, animé le débat entre les spécialistes, formé de nombreux étudiants à l’écriture historique depuis les mémoires de master jusqu’aux thèses de doctorat et offert à un public demandeur de belles synthèses intégrant tout le renouvellement historiographique dont il reste l’un des meilleurs acteurs. Les articles réunis dans ces hommages en sont le plus fidèle reflet. Dans leur diversité, ils témoignent de l’ampleur de son rayonnement. Pour la structuration de ce volume, il nous a semblé pertinent de classer les articles recueillis en deux grandes parties, en harmonie avec deux grandes orientations de l’œuvre du professeur Jean-Pierre Bois. La première, armature puissante assurant la cohérence de son travail de chercheur, se rapporte à la gestion complexe de la guerre et de la paix. Elle se divise classiquement en deux éléments : l’art de la guerre, de sa réalité tactique sur le terrain à la réflexion théorique alliant stratégie et comportements humains, tout spécialement des chefs, au sein des conflits, et l’art de la diplomatie en amont ou en aval des affrontements armés, dans la complexité de ses acteurs et de ses objectifs, dans une acception globalisante des relations internationales. La seconde renvoie à l’ouverture d’esprit avec laquelle notre collègue a toujours abordé le fait historique militaire, dans une alliance entre guerres, paix, sociétés et cultures. Elle permet de s’interroger sur les rapports entre la guerre et la mémoire sociale, sur les représentations cultu13 guy saupin relles des armes et des conflits et sur la place du couple guerre et paix dans la réflexion intellectuelle, que ce soit dans une dimension plus appliquée à travers la définition de la nature de l’État dans son rapport à la société ou dans une orientation plus philosophique renvoyant aux principes régulant les diverses civilisations. Gestion de la guerre et de la paix « Expériences de la guerre et pratiques de la paix », Guy Saupin et Éric Schnakenbourg (dir.) ISBN 978-2-7535-2251-0 Presses universitaires de Rennes, 2013, www.pur-editions.fr L’art de la guerre Tous les théoriciens militaires des xviie et xviiie siècles étaient fins connaisseurs de la littérature gréco-romaine se rapportant de près ou de loin à cette question. C’est pourquoi Jean Peyras interroge le traité d­ ’Osonander, premier traité militaire connu avant Polybe. L’ouvrage se présente sous la forme d’exercices rendant bien compte des pratiques en cours au premier siècle de notre ère. Il entend définir les conditions de réussite de toute entreprise militaire dans une alliance entre une justification rationnelle des buts de la guerre afin de prouver son approbation divine et les qualités physiques, psychologiques et morales du chef de guerre. L’analyse du contenu ne permet pas de lever l’anonymat de l’auteur, originaire du monde grec, mais de le situer nettement dans la mouvance du rationalisme platonicien et comme un bel exemple du succès de la philosophie stoïcienne. Jean-Nicolas Corvisier part à l’inverse des réflexions sur les origines possibles des défaites militaires à travers La vie des hommes illustres de Plutarque, en considérant l’œuvre comme un bon reflet des idées admises à la charnière des premier et second siècles. En insistant sur une vision partagée de la guerre entre les auteurs de cultures grecque ou romaine, il rassemble des observations dispersées dans une typologie à cinq entrées : les circonstances générales renvoyant à la géopolitique, les manœuvres assimilables à la stratégie, les innovations tactiques de terrain, les forces et faiblesses de l’organisation concrète des combattants et la fortune de guerre. Les défaites sont toujours associées à une pluralité de causes, dans une complexité qui finit par dépasser les capacités des chefs malheureux au combat. Les profondes transformations des conditions de guerre à l’époque moderne, désormais qualifiées de « révolution militaire », ont suscité une forte émulation dans la réflexion théorique sur la conduite des forces armées aux xviie et xviiie siècles, menant parfois à de vifs débats comme celui ayant opposé les partisans de l’ordre profond défendu par le chevalier de Folard à ceux de l’ordre mince formalisé par le comte de Guibert. Sandrine PicaudMonnerat attire notre attention sur l’importance des Maximes du comte de Beausobre, colonel de hussards, premier ouvrage parvenu jusqu’à nous qui soit entièrement consacré à la guerre des partis ou « petite guerre », en l’occurrence à la petite guerre de la cavalerie légère. Rédigé entre 1743 14 « Expériences de la guerre et pratiques de la paix », Guy Saupin et Éric Schnakenbourg (dir.) ISBN 978-2-7535-2251-0 Presses universitaires de Rennes, 2013, www.pur-editions.fr introduction et 1748, l’ouvrage correspond à un manuel pratique rédigé dans une perspective pédagogique de formation pour les officiers et même les sousofficiers de son régiment. Touffu et assez désordonné, il a le grand intérêt d’être le produit quasi direct d’une expérience de terrain. Frédéric Chauviré s’intéresse également à une nouvelle lecture de l’histoire-bataille, archétype des exemples ayant servi à condamner sans nuances une écriture de l’histoire jugée archaïsante et périmée. Fort de l’évidence que la bataille reste au cœur de toute histoire du militaire, il montre comment un enrichissement de la grille de lecture associant les caractères techniques et anthropologiques est capable d’en renouveler largement le sens et l’intérêt. En observant les variations des grands chefs de guerre quant à la définition tactique de la charge de cavalerie, il associe heureusement le caractère technique de la forme de frappe, avec ses conséquences sur le type d’armes utilisées, au conditionnement humain qui replace le combattant, avec son caractère et son émotivité, ses hésitations entre son instinct de survie et sa plongée fusionnelle dans la force collective, au cœur de la problématique. Denis Bouget retient un débat moins connu, mais pourtant hautement significatif, sur la nature de l’armement des officiers et bas-officiers de l’infanterie à travers les hésitations régulières des Mémoires et Règlements royaux. Faut-il préférer une arme d’hast (esponton pour l’officier et hallebarde ou pertuisane pour le sergent) ou le fusil à baïonnette ? De Vauban à Bonaparte les opinions ont varié, avec un maximum de flottement du pouvoir royal pendant la guerre de Sept Ans. Il s’agit de priorité entre la mission de maintien de la troupe dans la meilleure cohésion possible au sein de l’ensemble du dispositif et l’intérêt d’ajouter du qualitatif à la puissance de feu en faisant confiance à la réputation de bons tireurs des officiers. Pourtant, le caractère technique n’épuise pas la question puisque se mêlent des enjeux plus sociétaux comme l’affirmation de la supériorité sociale dans la possession d’armes plus modernes et plus coûteuses. Les questions proprement militaires, associant tactique, stratégie et structuration des armées, sont des points essentiels à maîtriser pour prétendre au succès militaire. Ce ne sont pourtant pas les seuls, tant l’efficacité d’une troupe exige une mobilisation beaucoup plus globale des ressources aussi bien économiques que financières, sous la conduite d’un État capable d’en assurer la fourniture effective. C’est ce que nous rappelle Jacques Weber dans son analyse du déroulement et des conséquences de la révolte des Cipayes dans l’Inde britannique du xixe siècle. La défaite de 1858 révèle d’abord les carences de l’armée coloniale. Bien au-delà de la sévérité de la répression, la restauration de l’ordre britannique s’est fondée sur une profonde reconstruction de l’armée impériale, garante de son futur loyalisme, cause parmi d’autres de l’orientation du nationalisme indien vers la non-violence. Ce rétablissement a largement profité de l’immensité des ressources humaines, économiques et financières de l’Empire. 15 guy saupin « Expériences de la guerre et pratiques de la paix », Guy Saupin et Éric Schnakenbourg (dir.) ISBN 978-2-7535-2251-0 Presses universitaires de Rennes, 2013, www.pur-editions.fr L’art de la diplomatie L’émergence progressive du royaume de France en tant que grande puissance maritime et coloniale a complexifié la politique extérieure en créant une tension entre deux perspectives dans la construction d’une ambition hégémonique, l’une, océanique, plus nouvelle et sans doute marginale dans les esprits, l’autre, continentale, plus traditionnelle et mieux partagée dans les élites et l’ensemble de la population. L’intérêt croissant pour l’Europe du Nord montre cependant que ces deux ambitions se croisent dans certains espaces stratégiques comme le monde baltique et ses ressources essentielles en céréales et matières premières, mais aussi sa demande croissante en produits coloniaux. Marie-Louise Pelus-Kaplan en donne une belle illustration avec la présence française à Dantzig où un consulat est érigé en 1610. Le développement des échanges commerciaux fait de ce port un haut lieu d’information tant la circulation des lettres entre marchands au sein des réseaux d’affaires tient lieu de principal moyen de communication. Petit foyer de culture française, Dantzig tient surtout le rôle de porte d’entrée vers la connaissance des civilisations de l’Europe du Nord. La part majeure prise par cet espace septentrional dans la fourniture des matériaux indispensables à la marine de guerre en fait nécessairement un lieu stratégique dans tous les conflits, d’où le soin pris par la diplomatie royale à y entretenir des alliances ou pour le moins des traités de neutralité au sein de la rivalité franco-anglaise. Eric Schnakenbourg éclaire les sinuosités du jeu diplomatique franco-anglais autour de la neutralité danoise dans la phase préparatoire de la guerre de Sept Ans, dans une réédition de l’union des Neutres de 1691. La difficile détermination d’un équilibre entre le neutre et le belligérant oblige à avancer dans la clarification des notions utilisées dans le droit des gens. La révolution diplomatique incarnée dans le retournement des alliances en 1756 au tout début de la guerre de Sept Ans, lorsque l’entente entre l’Angleterre et la Prusse détermine la France et l’Autriche à concrétiser un rapprochement en discussion délicate depuis plusieurs mois, intéresse Lucien Bély en ce qu’elle impose en même temps une diversité des canaux de discussion entre les puissances et une négociation interne à l’État royal afin de ne pas affecter l’image de la souveraineté royale. Dans un processus où le secrétariat d’État aux Affaires étrangères a été doublement contourné par deux « secrets du roi », la primauté a été donnée à la négociation secrète entre l’abbé de Bernis, désigné par Louis XV sur une demande de sa maîtresse la marquise de Pompadour, approchée pour ce faire par Marie-Thérèse d’Autriche, et le comte de Starhemberg, ambassadeur de cette dernière à Versailles. Toutefois, le renversement diplomatique étant si radical pour la tradition française, l’abbé de Bernis s’est vite inquiété d’avoir à porter seul les conséquences d’une question si importante, d’où sa 16 « Expériences de la guerre et pratiques de la paix », Guy Saupin et Éric Schnakenbourg (dir.) ISBN 978-2-7535-2251-0 Presses universitaires de Rennes, 2013, www.pur-editions.fr introduction demande rapide d’élargir la mission à quelques membres choisis du conseil du roi n’appartenant pas au lobby prussien. Il convient ensuite de consolider la nouvelle orientation en y faisant adhérer l’ensemble du Conseil. La tentation est forte de construire un modèle de négociation valorisant l’indépendance absolue des souverainetés monarchiques dans lequel le Roi Très Chrétien s’entendrait directement avec l’impératrice catholique contre une dangereuse alliance protestante. Cette inclination est hostile à la diplomatie de métier qui s’est progressivement développée en Europe depuis le xvie siècle, à ses règles et à ses acteurs rendus responsables de complications dans leur pur intérêt corporatif. Toutefois, face au sentiment d’inquiétude suscité par l’inconnu du retournement d’alliances, l’expérience de cette diplomatie étatique fait figure d’assurance dans la préservation de quelques grands fondements comme par exemple la référence à la logique des traités de Westphalie de 1648. Il ne saurait donc y avoir de jeu diplomatique sans personnalités intervenant à divers titres dans la définition des équilibres instables entre les grandes puissances. C. E de Reviczky en donne un exemple remarquable, reconstitué avec finesse par Ferenc Thót. Héritier d’une vieille famille de la noblesse slovaque, érudit bibliophile et soutien de l’orientalisme naissant, il agit comme représentant des Habsbourg d’Autriche dans les grandes capitales européennes dans le dernier tiers du xviiie siècle. Du partage de la Pologne aux ambassades à Berlin et à Londres, sa culture étendue et la richesse de sa bibliothèque lui permettent de recréer dans chaque lieu une sociabilité intellectuelle favorable à son activité diplomatique. Dans l’entredeux-guerres du xxe siècle, Anatole de Monzie, archétype du politicien de la IIIe République, permet de comprendre comment on peut peser sur la politique étrangère sans détenir le ministère directement concerné. Frédéric Dessberg met en lumière ce membre de l’aile droite du parti radical, maire de Cahors, de nombreuses fois député ou sénateur, un homme de réseaux qui a fortement poussé aux accords de Munich. Son pacifisme reposait sur une vision géostratégique hostile aux traités établis après la Première Guerre mondiale et aux principes des nationalités les ayant largement inspirés, mais aussi sur un catholicisme méfiant rejetant dans un anti-protestantisme défensif aussi bien l’esprit anglo-saxon que l’inutilité d’une Tchécoslovaquie « hussite ». Michel Catala évalue l’importance relative des officiers généraux des armées dans la définition et la conduite de la politique extérieure française à l’époque contemporaine. Il en conclut qu’elle ne prend de l’ampleur qu’à l’occasion des périodes de défaites ou de difficultés militaires entraînant une chute de régime (1799, 1870, 1940, 1958) pour les responsabilités éminentes, à peine élargie par quelques exceptions pour des hautes charges de mise en application comme par exemple la phase russe de 1869 à 1886 ou la décolonisation dans les protectorats, ou encore des missions dans un 17 guy saupin contexte très compliqué comme celles du maréchal Pétain dans l’Espagne franquiste en mars 1939 ou du général Catroux dans l’Union soviétique stalinienne au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Guerres, sociétés et cultures « Expériences de la guerre et pratiques de la paix », Guy Saupin et Éric Schnakenbourg (dir.) ISBN 978-2-7535-2251-0 Presses universitaires de Rennes, 2013, www.pur-editions.fr Mémoire sociale de la guerre L’expérience de la guerre comme épisode militaire s’inscrit transitoirement dans l’itinéraire de certains individus. Elle influe parfois sur le cours de leur existence, soit en les dotant de compétences facilitant leur réinsertion dans le monde civil, soit en se révélant suffisamment traumatisante pour conduire à un besoin plus ou moins fort de remise en cause individuelle et collective. Heureuse ou douloureuse, la phase de vie combattante impacte le positionnement ultérieur dans la société que ce soit dans l’échelle de la considération ou dans celle des valeurs morales et culturelles. La solidarité des anciens soldats dans des formes variées d’entraide mutuelle est souvent indispensable pour les aider à trouver leur place dans la société non militaire avant que l’État ne vienne reconnaître publiquement les services rendus par la création et l’octroi de décorations, les signalant pour leur mérite à l’attention de la nation. Les irrégularités de la documentation ne facilitent pas toujours la reconstitution des itinéraires de vie. Le travail de Stéphane Perréon sur un ancien soldat breton, originaire de Vitré, en plein cœur du xviiie siècle, en prend d’autant plus de valeur. Engagé à 21 ans dans une compagnie de cavalerie dans laquelle il côtoie beaucoup d’autres Bretons, Pierre Lévêque (17251769) fait l’expérience de la « petite guerre » dans les Flandres en 1747-1748. Congédié avec la paix, il revient s’établir à Cancale dans les fermes du roi, recyclage classique, sans négliger les ressources de la pluriactivité comme procureur. Son expérience et son patriotisme le placent au premier rang dans la défense du littoral lors de la descente anglaise de février 1758. Ce petit notable de bourg, qui prétend être dédommagé pour la destruction d’une bibliothèque d’une valeur de 4 000 livres, revient à Vitré en 1767 pour succéder à son père dans l’office de sergent royal au décès de ce dernier. La création de la médaille de Sainte-Hélène en 1857 par Napoléon III pour honorer les anciens soldats ayant combattu pour l’État français entre 1792 et 1815 vient satisfaire les associations de vétérans dont la plus célèbre porte le nom révélateur de « Société philanthropique des débris de l’armée impériale ». Les dossiers constitués pour l’attribution de la médaille « en chocolat » permettent à Alain Fougeray de nous introduire dans un microcosme social mal connu pour le xixe siècle, à l’échelle de la commune de Chalonnes-sur-Loire dans le Maine-et-Loire. En retraçant toutes les péripéties ayant précédé la création de la médaille commémorative de la 18 « Expériences de la guerre et pratiques de la paix », Guy Saupin et Éric Schnakenbourg (dir.) ISBN 978-2-7535-2251-0 Presses universitaires de Rennes, 2013, www.pur-editions.fr introduction guerre de 1870-1871 en 1911, Jean-François Caraës souligne lui aussi l’importance de l’étude historique des sociétés de vétérans, dans leur rôle traditionnel d’entraide sociale mais aussi dans leur poids nouveau dans la vie politique comme force d’expression. La montée et le retournement du nationalisme dans l’idéologie politique après la défaite, la crise boulangiste, l’affaire Dreyfus et la conjonction des tensions menant à la Première Guerre mondiale en marquent les étapes. Le rappel de deux classes pour renforcer l’armée française en Algérie en 1956 n’a pas épargné les prêtres et les séminaristes nantais. Cette expérience traumatisante a conduit au besoin collectif d’en parler et d’en rendre témoignage, non sans hésitation. Marcel Launay suit les étapes de cette progression irrégulière dans les médias, depuis une courte allusion dans le journal La Croix en juillet 1957 jusqu’à la constitution d’un dossier complet dans le même quotidien catholique en mars 2001, relançant l’intérêt pour le document nantais, justifiant une émission d’Arte en février 2002. Cette lente émergence publique de ces interrogations de clercs catholiques sur la guerre coloniale et la situation de l’Église en Algérie est à replacer au cœur même du blocage du travail mémoriel sur la crise algérienne qui a caractérisé pendant si longtemps la société française. Elle répond en écho au tardif changement des dirigeants politiques, depuis le dépôt du document nantais aux Archives nationales sous l’autorité de Jacques Floch, député de LoireAtlantique, secrétaire d’État aux anciens combattants du dernier gouvernement de François Mitterrand, à l’inauguration du mémorial aux victimes de la guerre d’Algérie par le président Jacques Chirac en décembre 2002. Au sein de l’entreprise coloniale, certains administrateurs, tout en conservant un loyalisme indiscutable, sont entrés en empathie avec la civilisation des colonisés dont ils percevaient en même temps la richesse patrimoniale et l’érosion inéluctable. Gilbert Vieillard, en poste dans la région du Fouta Djalon dans l’entre-deux-guerres, est de ceux-là. Bernard Salvaing dresse ici son portrait saisissant, celui d’un savant ethnologue qui a eu le mérite de constituer une collection exceptionnelle de manuscrits en arabe et en peul, source primordiale pour la connaissance de l’histoire des peuples de l’Ouest de l’Afrique noire. Après la rédaction de son coutumier peul en 1936, il eut le bonheur de côtoyer Théodore Monod à l’IFAN de Dakar. Si la guerre ne l’avait pas fauché en France au début de l’été 1940, il serait devenu un des grands maîtres des études africaines. La guerre en représentation Dans le genre peinture d’histoire, le fait militaire occupe une place primordiale, le plus souvent pour magnifier la victoire et ses acteurs. Les souffrances humaines occasionnées par les combats sont également une autre thématique souvent retenue. Comportement humain, social 19 « Expériences de la guerre et pratiques de la paix », Guy Saupin et Éric Schnakenbourg (dir.) ISBN 978-2-7535-2251-0 Presses universitaires de Rennes, 2013, www.pur-editions.fr guy saupin et politique très ancien, la guerre a touché les supports les plus variés de communication entre les êtres. La singularité de la représentation d’anges mousquetaires dans le baroque colonial andin de l’Empire espagnol intéresse François Lagrange et Olivier Renaudeau. Après avoir rappelé les deux grandes lignes interprétatives renvoyant soit vers la médiation jésuite dans la diffusion mondiale de l’art baroque, soit à la prégnance des traditions artistiques indiennes pré-espagnoles, en conférant à cette production une identité américaine profondément originale dans une synthèse inédite de rencontres variées, les auteurs proposent une lecture totalement nouvelle de ce type d’œuvres à partir d’une analyse très fine de la forme des armes. Ils en déduisent une orientation plus aristocratique que guerrière, renvoyant plutôt vers la mise en scène éminemment seigneuriale de la chasse. Somme toute une représentation de l’hidalgo d’Amérique latine sur son domaine, dans une création stylistique totalement américaine, donc innovante. Le fait que le thème militaire ait particulièrement inspiré l’art lyrique du xviie au milieu du xixe siècle paraît dans la nature des choses tant la dramaturgie musicale de l’opéra pouvait sembler propice à la mise en scène des monarques dans l’affirmation maximale de leur souveraineté ou ensuite, après le transfert à la nation concrétisé dans la Révolution française, à la mise en écho des revendications des droits des peuples dans les anciens empires multinationaux. À partir de l’étude des livrets d’opéra, Pedro-Octavio Diaz dresse un panorama des grandes étapes alliant la célébration du roi de guerre et de paix, la justification des systèmes d’alliances diplomatiques et la défense des résistances des peuples opprimés, ouvrant ainsi à l’histoire politique de la musique. La guerre, sujet de réflexion intellectuelle La caractérisation de la guerre comme comportement humain intéresse toutes les disciplines universitaires. La tendance générale a été de glisser de la philosophie de l’histoire du militaire à une interprétation plus sociologique et anthropologique. Isabelle Pimouguet-Pédarros, après avoir salué les apports essentiels de cette évolution, souhaite rappeler que la guerre demeure néanmoins un fait historique inscrit dans l’espace et dans le temps. Les conflits armés et leurs résolutions sont d’abord des faits culturels qui renvoient à l’émergence de l’État qui impose des règles de comportement aux populations qu’il entend contrôler. Il s’avère impossible d’étudier la guerre sans référence au politique qui se situe au croisement de l’imaginaire culturel des sociétés, de la régulation de l’équilibre entre leurs composantes et de la capacité de l’État à mobiliser à son service les ressources humaines, économiques et technologiques. 20 « Expériences de la guerre et pratiques de la paix », Guy Saupin et Éric Schnakenbourg (dir.) ISBN 978-2-7535-2251-0 Presses universitaires de Rennes, 2013, www.pur-editions.fr introduction De nombreuses études historiques ont insisté sur le rôle de la guerre et de la « révolution militaire » dans la construction de l’État moderne. La Prusse du xviiie siècle fait souvent office d’archétype dans cette démonstration, allant jusqu’à la thèse de la militarisation intégrale de la société au service du renforcement de l’État monarchique. Bernhard R. Kroener récuse ici ce type d’approche comme tout à fait anachronique, projetant un système de valeurs formé dans le second xixe siècle sur des réalités du siècle précédent, jetant ainsi un voile d’obscurcissement sur l’analyse historienne. Après avoir défini le contenu du concept de monarchie militaire par l’utilisation de l’armée comme symbole politique du pouvoir et la soumission totale de l’activité des sujets au service de l’expression militaire de l’autorité monarchique, il démontre comment une telle vision s’avère exagérée et inadéquate pour comprendre le fonctionnement et la montée en force du royaume de Prusse sous Frédéric II. Si l’armée joue un rôle essentiel dans le rassemblement autour du trône, il n’existe pas de suprématie absolue du monde militaire sur les autres secteurs d’activité, ni de militarisation de la société. Marc Belissa s’intéresse à l’apport intellectuel de la formalisation du droit des gens sur l’approche morale, religieuse et philosophique de la guerre du xviie au xviiie siècle. Partant du concept de guerre juste discuté dans le rationalisme thomiste depuis le xiiie siècle, il montre l’affirmation de la transcendance du droit des gens et la subordination du droit de guerre à une éthique supérieure dans la philosophie des Lumières. La guerre ne peut plus entrer en contradiction avec le droit naturel, ce qui se concrétise par la formalisation de la guerre réglée, dans une dimension surtout juridique, mais aussi politique et morale. 21