introduction Expériences de la guerre et pratiques de la paix

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Introduction
Guerre et paix
Pratiques, États, sociétés et cultures
Guy S
L’influence profonde exercée par le professeur Jean-Pierre Bois sur la
manière d’appréhender l’histoire militaire et des relations internationales,
principalement en histoire moderne et contemporaine lors de ces dernières
décennies, est une réalité qui s’impose à tout esprit curieux s’intéressant à ces
domaines. Par ses nombreuses publications et toutes ses initiatives univer-
sitaires et académiques déployées dans des champs divers de la sociabilité
intellectuelle citoyenne au sein de responsabilités d’importance majeure,
notre collègue a ouvert de nombreuses voies de réflexion et de recherche,
animé le débat entre les spécialistes, formé de nombreux étudiants à l’écri-
ture historique depuis les mémoires de master jusqu’aux thèses de docto-
rat et offert à un public demandeur de belles synthèses intégrant tout le
renouvellement historiographique dont il reste l’un des meilleurs acteurs.
Les articles réunis dans ces hommages en sont le plus fidèle reflet. Dans leur
diversité, ils témoignent de l’ampleur de son rayonnement.
Pour la structuration de ce volume, il nous a semblé pertinent de classer
les articles recueillis en deux grandes parties, en harmonie avec deux grandes
orientations de l’œuvre du professeur Jean-Pierre Bois. La première,
armature puissante assurant la cohérence de son travail de chercheur, se
rapporte à la gestion complexe de la guerre et de la paix. Elle se divise classi-
quement en deux éléments : l’art de la guerre, de sa réalité tactique sur le
terrain à la réflexion théorique alliant stratégie et comportements humains,
tout spécialement des chefs, au sein des conflits, et l’art de la diplomatie
en amont ou en aval des affrontements armés, dans la complexité de ses
acteurs et de ses objectifs, dans une acception globalisante des relations
internationales. La seconde renvoie à l’ouverture d’esprit avec laquelle notre
collègue a toujours abordé le fait historique militaire, dans une alliance
entre guerres, paix, sociétés et cultures. Elle permet de s’interroger sur les
rapports entre la guerre et la mémoire sociale, sur les représentations cultu-
« Expériences de la guerre et pratiques de la paix », Guy Saupin et Éric Schnakenbourg (dir.)
ISBN 978-2-7535-2251-0 Presses universitaires de Rennes, 2013, www.pur-editions.fr
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relles des armes et des conflits et sur la place du couple guerre et paix dans
la réflexion intellectuelle, que ce soit dans une dimension plus appliquée à
travers la définition de la nature de l’État dans son rapport à la société ou
dans une orientation plus philosophique renvoyant aux principes régulant
les diverses civilisations.
Gestion de la guerre et de la paix
L’art de la guerre
Tous les théoriciens militaires des e et e siècles étaient fins
connaisseurs de la littérature gréco-romaine se rapportant de près ou de loin
à cette question. C’est pourquoi Jean Peyras interroge le traité d’Osonander,
premier traité militaire connu avant Polybe. L’ouvrage se présente sous la
forme d’exercices rendant bien compte des pratiques en cours au premier
siècle de notre ère. Il entend définir les conditions de réussite de toute entre-
prise militaire dans une alliance entre une justification rationnelle des buts
de la guerre afin de prouver son approbation divine et les qualités physiques,
psychologiques et morales du chef de guerre. L’analyse du contenu ne
permet pas de lever l’anonymat de l’auteur, originaire du monde grec, mais
de le situer nettement dans la mouvance du rationalisme platonicien et
comme un bel exemple du succès de la philosophie stoïcienne. Jean-Nicolas
Corvisier part à l’inverse des réflexions sur les origines possibles des défaites
militaires à travers La vie des hommes illustres de Plutarque, en considérant
l’œuvre comme un bon reflet des idées admises à la charnière des premier
et second siècles. En insistant sur une vision partagée de la guerre entre
les auteurs de cultures grecque ou romaine, il rassemble des observations
dispersées dans une typologie à cinq entrées : les circonstances générales
renvoyant à la géopolitique, les manœuvres assimilables à la stratégie, les
innovations tactiques de terrain, les forces et faiblesses de l’organisation
concrète des combattants et la fortune de guerre. Les défaites sont toujours
associées à une pluralité de causes, dans une complexité qui finit par dépas-
ser les capacités des chefs malheureux au combat.
Les profondes transformations des conditions de guerre à l’époque
moderne, désormais qualifiées de « révolution militaire », ont suscité une
forte émulation dans la réflexion théorique sur la conduite des forces armées
aux e et e siècles, menant parfois à de vifs débats comme celui ayant
opposé les partisans de l’ordre profond défendu par le chevalier de Folard à
ceux de l’ordre mince formalisé par le comte de Guibert. Sandrine Picaud-
Monnerat attire notre attention sur l’importance des Maximes du comte
de Beausobre, colonel de hussards, premier ouvrage parvenu jusqu’à nous
qui soit entièrement consacré à la guerre des partis ou « petite guerre », en
l’occurrence à la petite guerre de la cavalerie légère. Rédigé entre 1743
« Expériences de la guerre et pratiques de la paix », Guy Saupin et Éric Schnakenbourg (dir.)
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et 1748, l’ouvrage correspond à un manuel pratique rédigé dans une
perspective pédagogique de formation pour les officiers et même les sous-
officiers de son régiment. Touffu et assez désordonné, il a le grand intérêt
d’être le produit quasi direct d’une expérience de terrain. Frédéric Chauviré
s’intéresse également à une nouvelle lecture de l’histoire-bataille, archétype
des exemples ayant servi à condamner sans nuances une écriture de l’histoire
jugée archaïsante et périmée. Fort de l’évidence que la bataille reste au cœur
de toute histoire du militaire, il montre comment un enrichissement de la
grille de lecture associant les caractères techniques et anthropologiques est
capable d’en renouveler largement le sens et l’intérêt. En observant les varia-
tions des grands chefs de guerre quant à la définition tactique de la charge
de cavalerie, il associe heureusement le caractère technique de la forme de
frappe, avec ses conséquences sur le type d’armes utilisées, au conditionne-
ment humain qui replace le combattant, avec son caractère et son émotivité,
ses hésitations entre son instinct de survie et sa plongée fusionnelle dans
la force collective, au cœur de la problématique. Denis Bouget retient un
débat moins connu, mais pourtant hautement significatif, sur la nature de
l’armement des officiers et bas-officiers de l’infanterie à travers les hésita-
tions régulières des Mémoires et Règlements royaux. Faut-il préférer une
arme d’hast (esponton pour l’officier et hallebarde ou pertuisane pour le
sergent) ou le fusil à baïonnette ? De Vauban à Bonaparte les opinions
ont varié, avec un maximum de flottement du pouvoir royal pendant la
guerre de Sept Ans. Il s’agit de priorité entre la mission de maintien de
la troupe dans la meilleure cohésion possible au sein de l’ensemble du
dispositif et l’intérêt d’ajouter du qualitatif à la puissance de feu en faisant
confiance à la réputation de bons tireurs des officiers. Pourtant, le carac-
tère technique n’épuise pas la question puisque se mêlent des enjeux plus
sociétaux comme l’affirmation de la supériorité sociale dans la possession
d’armes plus modernes et plus coûteuses.
Les questions proprement militaires, associant tactique, stratégie
et structuration des armées, sont des points essentiels à maîtriser pour
prétendre au succès militaire. Ce ne sont pourtant pas les seuls, tant l’effi-
cacité d’une troupe exige une mobilisation beaucoup plus globale des
ressources aussi bien économiques que financières, sous la conduite d’un
État capable d’en assurer la fourniture effective. C’est ce que nous rappelle
Jacques Weber dans son analyse du déroulement et des conséquences de
la révolte des Cipayes dans l’Inde britannique du e siècle. La défaite de
1858 révèle d’abord les carences de l’armée coloniale. Bien au-delà de la
sévérité de la répression, la restauration de l’ordre britannique s’est fondée
sur une profonde reconstruction de l’armée impériale, garante de son futur
loyalisme, cause parmi d’autres de l’orientation du nationalisme indien vers
la non-violence. Ce rétablissement a largement profité de l’immensité des
ressources humaines, économiques et financières de l’Empire.
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L’art de la diplomatie
L’émergence progressive du royaume de France en tant que grande
puissance maritime et coloniale a complexifié la politique extérieure en
créant une tension entre deux perspectives dans la construction d’une
ambition hégémonique, l’une, océanique, plus nouvelle et sans doute
marginale dans les esprits, l’autre, continentale, plus traditionnelle et mieux
partagée dans les élites et l’ensemble de la population. L’intérêt croissant
pour l’Europe du Nord montre cependant que ces deux ambitions se
croisent dans certains espaces stratégiques comme le monde baltique et
ses ressources essentielles en céréales et matières premières, mais aussi sa
demande croissante en produits coloniaux. Marie-Louise Pelus-Kaplan en
donne une belle illustration avec la présence française à Dantzig où un
consulat est érigé en 1610. Le développement des échanges commerciaux
fait de ce port un haut lieu d’information tant la circulation des lettres entre
marchands au sein des réseaux d’affaires tient lieu de principal moyen de
communication. Petit foyer de culture française, Dantzig tient surtout le
rôle de porte d’entrée vers la connaissance des civilisations de l’Europe du
Nord. La part majeure prise par cet espace septentrional dans la fourniture
des matériaux indispensables à la marine de guerre en fait nécessairement
un lieu stratégique dans tous les conflits, d’où le soin pris par la diplomatie
royale à y entretenir des alliances ou pour le moins des traités de neutralité
au sein de la rivalité franco-anglaise. Eric Schnakenbourg éclaire les sinuo-
sités du jeu diplomatique franco-anglais autour de la neutralité danoise
dans la phase préparatoire de la guerre de Sept Ans, dans une réédition de
l’union des Neutres de 1691. La difficile détermination d’un équilibre entre
le neutre et le belligérant oblige à avancer dans la clarification des notions
utilisées dans le droit des gens.
La révolution diplomatique incarnée dans le retournement des alliances
en 1756 au tout début de la guerre de Sept Ans, lorsque l’entente entre
l’Angleterre et la Prusse détermine la France et l’Autriche à concrétiser
un rapprochement en discussion délicate depuis plusieurs mois, intéresse
Lucien Bély en ce qu’elle impose en même temps une diversité des canaux
de discussion entre les puissances et une négociation interne à l’État royal
afin de ne pas affecter l’image de la souveraineté royale. Dans un processus
où le secrétariat d’État aux Affaires étrangères a été doublement contourné
par deux « secrets du roi », la primauté a été donnée à la négociation
secrète entre l’abbé de Bernis, désigné par Louis XV sur une demande
de sa maîtresse la marquise de Pompadour, approchée pour ce faire par
Marie-érèse d’Autriche, et le comte de Starhemberg, ambassadeur de
cette dernière à Versailles. Toutefois, le renversement diplomatique étant
si radical pour la tradition française, l’abbé de Bernis s’est vite inquiété
d’avoir à porter seul les conséquences d’une question si importante, d’où sa
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demande rapide d’élargir la mission à quelques membres choisis du conseil
du roi n’appartenant pas au lobby prussien. Il convient ensuite de conso-
lider la nouvelle orientation en y faisant adhérer l’ensemble du Conseil.
La tentation est forte de construire un modèle de négociation valorisant
l’indépendance absolue des souverainetés monarchiques dans lequel le Roi
Très Chrétien s’entendrait directement avec l’impératrice catholique contre
une dangereuse alliance protestante. Cette inclination est hostile à la diplo-
matie de métier qui s’est progressivement développée en Europe depuis le
e siècle, à ses règles et à ses acteurs rendus responsables de complications
dans leur pur intérêt corporatif. Toutefois, face au sentiment d’inquiétude
suscité par l’inconnu du retournement d’alliances, l’expérience de cette
diplomatie étatique fait figure d’assurance dans la préservation de quelques
grands fondements comme par exemple la référence à la logique des traités
de Westphalie de 1648.
Il ne saurait donc y avoir de jeu diplomatique sans personnalités inter-
venant à divers titres dans la définition des équilibres instables entre les
grandes puissances. C. E de Reviczky en donne un exemple remarquable,
reconstitué avec finesse par Ferenc ót. Héritier d’une vieille famille de la
noblesse slovaque, érudit bibliophile et soutien de l’orientalisme naissant,
il agit comme représentant des Habsbourg d’Autriche dans les grandes
capitales européennes dans le dernier tiers du e siècle. Du partage de
la Pologne aux ambassades à Berlin et à Londres, sa culture étendue et la
richesse de sa bibliothèque lui permettent de recréer dans chaque lieu une
sociabilité intellectuelle favorable à son activité diplomatique. Dans l’entre-
deux-guerres du e siècle, Anatole de Monzie, archétype du politicien de
la IIIe République, permet de comprendre comment on peut peser sur la
politique étrangère sans détenir le ministère directement concerné. Frédéric
Dessberg met en lumière ce membre de l’aile droite du parti radical, maire
de Cahors, de nombreuses fois député ou sénateur, un homme de réseaux
qui a fortement poussé aux accords de Munich. Son pacifisme reposait sur
une vision géostratégique hostile aux traités établis après la Première Guerre
mondiale et aux principes des nationalités les ayant largement inspirés,
mais aussi sur un catholicisme méfiant rejetant dans un anti-protestantisme
défensif aussi bien l’esprit anglo-saxon que l’inutilité d’une Tchécoslovaquie
« hussite ».
Michel Catala évalue l’importance relative des officiers généraux des
armées dans la définition et la conduite de la politique extérieure française
à l’époque contemporaine. Il en conclut qu’elle ne prend de l’ampleur qu’à
l’occasion des périodes de défaites ou de difficultés militaires entraînant
une chute de régime (1799, 1870, 1940, 1958) pour les responsabilités
éminentes, à peine élargie par quelques exceptions pour des hautes charges
de mise en application comme par exemple la phase russe de 1869 à 1886
ou la décolonisation dans les protectorats, ou encore des missions dans un
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