introduction
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et 1748, l’ouvrage correspond à un manuel pratique rédigé dans une
perspective pédagogique de formation pour les officiers et même les sous-
officiers de son régiment. Touffu et assez désordonné, il a le grand intérêt
d’être le produit quasi direct d’une expérience de terrain. Frédéric Chauviré
s’intéresse également à une nouvelle lecture de l’histoire-bataille, archétype
des exemples ayant servi à condamner sans nuances une écriture de l’histoire
jugée archaïsante et périmée. Fort de l’évidence que la bataille reste au cœur
de toute histoire du militaire, il montre comment un enrichissement de la
grille de lecture associant les caractères techniques et anthropologiques est
capable d’en renouveler largement le sens et l’intérêt. En observant les varia-
tions des grands chefs de guerre quant à la définition tactique de la charge
de cavalerie, il associe heureusement le caractère technique de la forme de
frappe, avec ses conséquences sur le type d’armes utilisées, au conditionne-
ment humain qui replace le combattant, avec son caractère et son émotivité,
ses hésitations entre son instinct de survie et sa plongée fusionnelle dans
la force collective, au cœur de la problématique. Denis Bouget retient un
débat moins connu, mais pourtant hautement significatif, sur la nature de
l’armement des officiers et bas-officiers de l’infanterie à travers les hésita-
tions régulières des Mémoires et Règlements royaux. Faut-il préférer une
arme d’hast (esponton pour l’officier et hallebarde ou pertuisane pour le
sergent) ou le fusil à baïonnette ? De Vauban à Bonaparte les opinions
ont varié, avec un maximum de flottement du pouvoir royal pendant la
guerre de Sept Ans. Il s’agit de priorité entre la mission de maintien de
la troupe dans la meilleure cohésion possible au sein de l’ensemble du
dispositif et l’intérêt d’ajouter du qualitatif à la puissance de feu en faisant
confiance à la réputation de bons tireurs des officiers. Pourtant, le carac-
tère technique n’épuise pas la question puisque se mêlent des enjeux plus
sociétaux comme l’affirmation de la supériorité sociale dans la possession
d’armes plus modernes et plus coûteuses.
Les questions proprement militaires, associant tactique, stratégie
et structuration des armées, sont des points essentiels à maîtriser pour
prétendre au succès militaire. Ce ne sont pourtant pas les seuls, tant l’effi-
cacité d’une troupe exige une mobilisation beaucoup plus globale des
ressources aussi bien économiques que financières, sous la conduite d’un
État capable d’en assurer la fourniture effective. C’est ce que nous rappelle
Jacques Weber dans son analyse du déroulement et des conséquences de
la révolte des Cipayes dans l’Inde britannique du e siècle. La défaite de
1858 révèle d’abord les carences de l’armée coloniale. Bien au-delà de la
sévérité de la répression, la restauration de l’ordre britannique s’est fondée
sur une profonde reconstruction de l’armée impériale, garante de son futur
loyalisme, cause parmi d’autres de l’orientation du nationalisme indien vers
la non-violence. Ce rétablissement a largement profité de l’immensité des
ressources humaines, économiques et financières de l’Empire.
« Expériences de la guerre et pratiques de la paix », Guy Saupin et Éric Schnakenbourg (dir.)
ISBN 978-2-7535-2251-0 Presses universitaires de Rennes, 2013, www.pur-editions.fr