UNIVERSITE LILLE III – CHARLES DE GAULLE U.F.R. DES

UNIVERSITE LILLE III – CHARLES DE GAULLE
U.F.R. DES SCIENCES DE L’ANTIQUITE/LANGUES ANCIENNES
THESE « NOUVEAU REGIME »
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITE DE LILLE III
Discipline : langue et littérature latines
Présentée et soutenue publiquement
par
Florence Oliver-Coron,
LA PHILOSOPHIE DU QUOTIDIEN DANS LA CORRESPONDANCE DE
CICERON
directrice : Professeur Armelle Debru
2
Table des matières
Introduction................................................................................................................................3
Première partie : Tirer le meilleur parti du présent..................................................................15
Chapitre I : Etroitesse du présent. ........................................................................................18
1- L’urgence.....................................................................................................................20
2-Le juste rythme. ............................................................................................................31
3- Restriction de temps, restriction de choix....................................................................43
Chapitre II : Les circonstances.............................................................................................60
1-Poser la meilleure action...............................................................................................64
2-Adaptation aux circonstances. ......................................................................................92
3- Jusqu’où acquiescer aux circonstances ?...................................................................101
Chapitre III : Les contraintes du présent............................................................................109
1- Le hasard....................................................................................................................109
2- La norme....................................................................................................................126
Deuxième partie : Extensions du temps.................................................................................148
Chapitre I : Répétition et variation des activités................................................................149
1-De la répétition à l’habitude........................................................................................149
2- Un emploi du temps équilibré....................................................................................165
Chapitre II : Bénéficier de l’épaisseur du temps................................................................185
1-La durée. .....................................................................................................................187
2- La continuité. .............................................................................................................211
Troisième partie : Stabilité et changement.............................................................................237
Chapitre I : Stratégies de stabilisation................................................................................238
1-Le corps.......................................................................................................................239
2- Des repères matériels.................................................................................................276
Chapitre II : Intégrer le changement ?................................................................................311
1-Une lutte contre le changement...................................................................................312
2- Un consentement à certains changements..................................................................327
3- Maintenir l’identité en dépit des changements. .........................................................346
Quatrième partie : Futur et temporalités épistolaires............................................................. 367
Chapitre I : L’avenir...........................................................................................................368
1 -Anticipation à court terme. ........................................................................................370
2- Anticipation à long terme........................................................................................... 391
Chapitre II : Détours, créations et récréations épistolaires.................................................419
1-Dépasser décalages et détours.....................................................................................419
2- Pause et régénerescence philosophiques....................................................................439
Chapitre III : Liberté épistolaire et remodelage du temps..................................................467
1-Labilités du temps épistolaire. ....................................................................................467
2- Le virtuel (souhaits, irréel, potentiel).........................................................................491
3- La généralité...............................................................................................................517
Conclusion..............................................................................................................................554
Bibliographie..........................................................................................................................564
3
Introduction
La correspondance de Cicéron a reçu une attention minime, surtout en comparaison
des traités théoriques de cet auteur. Comme la bibliographie de cette thèse l’atteste, peu
nombreux sont les articles consacrés à ces lettres, et plus rares encore sont les livres qui
portent entièrement sur elles ou l’une d’elle. Globalement, les écrits modernes recouvrent cinq
champs de recherche : les problèmes de chronologie, de datation et de transmission de ce
corpus1, les questions historiques, où cette correspondance sert de support d’information2,
l’analyse du style littéraire3, l’étude des éléments extérieurs que sont les emprunts grecs et les
citations4, enfin, la focalisation sur une lettre précise et sa compréhension dans un contexte
historique et littéraire qui regroupe souvent les quatre champs précédemment cités5. Ce sont
essentiellement des historiens qui l’ont étudiée, y trouvant une source d’informations de
première main, parfois à des fins polémiques, comme l’acerbe ouvrage de J. Carcopino Les
Secrets de la Correspondance de Cicéron. Ce monument antique est longtemps demeuré dans
l’oubli, avant qu’Erasme ne le redécouvre, et a suscité de nombreux rejets dès sa réapparition
tant les lecteurs répugnaient à découvrir la face cachée d’un orateur auquel ils vouaient un
culte admiratif.
Parmi les ouvrages récents, celui de J. Boes en 1990 traite des rapports entre la
philosophie de Cicéron et les lettres de celui-ci. En écrivant La philosophie et l’action dans la
correspondance de Cicéron, cet auteur cherche à vérifier l’absence de fondement des
accusations, déjà largement réfutées, que J. Carcopino avait lancées contre l’orateur romain.
Suivant une progression chronologique6, J. Boes cherche à vérifier la « sincérité » de Cicéron
grâce à celle de ses lettres, convaincu que leur ensemble n’était pas voué à la publication7 et
que leur témoignage permet de connaître les obstacles qui ont fait avancer la pensée de
l’Arpinate8. L’ensemble conserve toutefois une optique historique, même s’il s’agit d’histoire
1 L. Ross-Taylor ( 1937, 1949, 1964 ), T. Murphey ( 1998 ), J. H. Nicholson ( 1992, 1994-1995, 1998 ), S. Pittia
( 2002 ), C. Weyssenhoff ( 1966 ), A. Setaioli ( 1976 ) et D. R. Shackleton-Bailey ( 1958-1959, 1960, 1994 ).
2 M. H. Dettenhofer ( 1990 ), E. Fallu ( 1970, 1973 ), J. Jacobs ( 1984 ) et T. Mitchell ( 1975 ).
3 D. et P. Cogny ( 1984 ), H. Cotton (1984, 1985 ), P. Cugusi ( 1998 ), R. Hariman ( 1989 ), G. O Hutchinson
( 1995, 1998 ) et R. Monsuez (1952, 1953, 1954 ).
4 B. Baldwin ( 1992 ) et R. B. Steele ( 1900 ).
5 R. G Boehm ( 1980, 1981, 1985 etc… ), L.-A. Constans ( 1931 ), J. L. Moles (1982 ) et W. S Watt ( 1980,
1981).
6 La philosophie et l’action dans la correspondance de Cicéron. Après une première partie intitulée « intérêt
philosophique et contexte philosophique d’une œuvre non philosophique », il s’attache à la « genèse de la
philosophie de Cicéron d’après le témoignage de la correspondance » puis à la « philosophie de Cicéron d’après
la Correspondance : quelques aspects d’un platonisme vécu ».
7 Ibid., p. 7.
8 Ibid., p. 33 et p. 173-175.
4
de la philosophie car il se préoccupe de sources, de genèse et de chronologie. De plus la
philosophie mise au jour par J. Boes demeure selon lui un idéal abstrait et intellectuel, à
quelques détails près, qui s’incarne essentiellement dans la recherche politique du bien de
l’Etat : Cicéron conserverait une exigence dépourvue de tout pragmatisme – cette notion étant
associée par l’auteur à un opportunisme – à tel point que la conclusion précise que « Cicéron
maintient donc clairement la distinction entre la philosophie et la vie9 », ce qui lui permet de
préserver ses idéaux. Si J. Boes effleure la notion de tempus comme contrainte10 ou
catalyseur, il nous semble négliger l’importance capitale de la temporalité dans la philosophie
de Cicéron. De plus, l’exclusion de toute l’œuvre rhétorique d’un tel orateur dans cette étude
nous paraît étonnante et préjudiciable. Démontrer une cohérence entre pensée et action chez
Cicéron nous paraît un point acquis et nous présupposerons celle-ci. Alors le vide laissé par
cet ouvrage et les études précédemment évoquées ouvre un horizon nouveau de recherche,
suivant l’idée que l’existence entière de notre auteur est imprégnée d’une « philosophie du
quotidien ».
L’association de ces deux notions peut sembler paradoxale, car la philosophie est en
général éloignée de la trivialité et la banalité qui sont associées au quotidien. Les deux
versants, l’un, abstrait et l’autre, concret, sont pourtant complémentaires et initient une
dynamique fructueuse. Nous ne souhaitons pas détailler une théorie philosophique – ou une
philosophie théorique – élaborée dans son ensemble, mais suivre cette piste dynamique, telle
qu’elle se déploie au long des jours dont la Correspondance rend compte. L’expression
« philosophie du quotidien », que nous avons retenue, recouvre en effet deux rapports
essentiels et sensiblement différents entre la philosophie et le quotidien : il s’agit tout d’abord
de la philosophie qui s’inscrit dans la vie quotidienne, Cicéron saisissant toutes les occasions
de philosopher. Ensuite, il s’agit de la philosophie qui émane des choix et des actes concrets,
où s’appliquent et où s’élaborent des principes philosophiques, dans les expériences du
quotidien.
Cette philosophie, que nous comprenons dans son sens étymologique, est un élan vers
la sagesse. Cela implique qu’il n’y ait pas de garantie de résultat, ni d’atteinte de la sagesse.
Notre approche ne consiste donc pas à évaluer le succès d’une stratégie, même si parfois nous
souhaitons en mesurer l’efficacité. La pensée philosophique de la Correspondance n’en
demeure pas moins pratique et s’intéresse à tous les domaines, à tout moment. Un texte de
Plutarque conforte cet aspect de façon décisive à nos yeux : « La plupart des gens s'imaginent
9 Ibid., p. 334.
10 Ibid., p. 331.
5
que la philosophie consiste à discuter du haut d'une chaire et à faire des cours sur des textes.
Mais ce qui échappe totalement à ces gens-là, c'est la philosophie ininterrompue que l'on voit
s'exercer chaque jour d'une manière parfaitement égale à elle même (...) Socrate ne faisait pas
disposer des gradins pour les auditeurs, il ne s'asseyait pas sur une chaise professorale ; il
n'avait pas d'horaire fixe pour discuter ou se promener avec ses disciples. Mais c'est en
plaisantant parfois avec ceux-ci ou en buvant ou en allant à la guerre ou à l'Agora avec eux, et
finalement en allant en prison et en buvant le poison, qu'il a philosophé. Il fut le premier à
montrer que, en tout temps et en tout endroit, dans tout ce qui nous arrive et dans tout ce que
nous faisons, la vie quotidienne donne la possibilité de philosopher11. » Ce propos vaut
d’autant plus pour notre auteur que l’influence de Platon, et donc de Socrate, fut grande dans
sa formation comme dans le développement de sa pensée.
La philosophie du quotidien est donc une orientation activement donnée en toute
occasion à toutes les activités et réflexions de la journée, en fonction de principes de fond.
L’étudier permet d’explorer en profondeur les véritables convictions de Cicéron. Dans les
traités cicéroniens, on assiste à une polyphonie des différentes écoles philosophiques, dans
laquelle la voix de l’auteur reste discrète. Sa philosophie du quotidien participe d’une
synthèse de tous les choix qu’il pose au terme de ses examens et dans les multiples
circonstances de son existence, qui sont autant de carrefours où platonisme, stoïcisme,
épicurisme et dans une moindre mesure aristotélisme proposent leur voie. A chaque fois, il
faut considérer les propositions de chaque école et négocier, trancher et trouver une solution
personnelle. Dans la Correspondance, l’épreuve de la temporalité, qui demande aux idées de
s’incarner de façon effective, oblige à poser des choix et à révéler ses vraies valeurs. Il nous
paraît nécessaire de suivre ce fil directeur, pour partir du terrain concret, qu’éclairent parfois
les traités théoriques, puis revenir vers ceux-ci avec un regard neuf.
Dans cette immersion dans la vie quotidienne et la confrontation à ses impératifs, le
temps est en effet, de façon à la fois large et spécifique, l’obstacle majeur à surmonter, tout en
demeurant le support et la trame de l’existence. Certes, Cicéron rencontre des remous
politiques, l’action inattendue d’autrui, la maladie, des limites à sa mobilité ou à sa liberté,
mais, vus de façon philosophique, tous ces éléments font intervenir le temps : circonstances,
étroitesse du présent, nécessité de diachronie… Ils peuvent être abordés par le point de vue
temporel, le plus large. Les personnes et l’espace sont dans le temps, mais le temps ne saurait
être dans l’espace ou les personnes. Puisque le quotidien est un aspect de la temporalité,
11 Si la politique est l'affaire des vieillards, 26, 796 d, cité par Pierre Hadot, Qu'est-ce que la philosophie antique,
p. 69.
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