SPEECH/04/147
Philippe Busquin
Commissaire européen chargé de la Recherche
Progrès génétique et accès aux soins
de santé
Conférence « New genetic applications and access to
healthcare »
Bruxelles, le 24 mars 2004
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Mesdames et Messieurs,
Je suis très content de vous retrouver ici pour discuter d’une question qui m’a
interpellé dès que je suis devenu Commissaire à la Recherche.
En 2000, le grand progrès scientifique de l’année était le séquençage du génome
humain, qui a été achevé en juin 2001.
En dépit du travail important de décodage qui reste à accomplir, le séquençage est
sans doute une nouvelle frontière scientifique qui a été franchie.
Pour la première fois de l’histoire, les humains ont entre leurs mains le « livre de la
vie ».
Sur le plan scientifique, on ne peut que s’en réjouir.
Mais comme toujours avec le progrès scientifique, de nouvelles questions émergent
sur la façon dont cette nouvelle connaissance sera utilisée.
Les promesses
La technique basée sur la connaissance du génome humain tient beaucoup de
promesses sur le plan de la prévention de maladies, par voie de diagnostics
performants, et sur le plan du traitement de maladies par la pharmacogénétique, par
exemple.
La technique génétique peut aider à prévenir le déclenchement d’une maladie au
travers d’actions prises par l’individu lui-même ou par une thérapie anticipative. Par
exemple, dans le cas de maladies monogéniques, une thérapie génétique pourra
corriger le gène défectueux.
La technique génétique peut assurer une détection et un traitement précoces. Je
citerai, à titre d’exemple, les gènes BRCA1 et BRCA2 qui révèlent une tendance
plus forte à développer un cancer du sein chez la femme.
La technique génétique peut aider à faire des choix reproductifs, ce qui peut être
surtout utile dans le cas de maladies héréditaires.
Des exemples concrets de telles applications sont déjà évidents aujourd’hui. Et
c’est un domaine de recherche qui est encouragé, entre autres, par les programmes
européens de recherche.
Les défis et les incertitudes
Mais la technique génétique soulève aussi des questions quant à l’impact qu’elle
aura pour chacun entre nous et pour notre société.
L’application de la connaissance du génome humain mènera à une personnalisation
de la médecine.
Non seulement le profile de risque de santé de chaque individu deviendra plus
apparent, mais le traitement pourra être plus efficace puisque sur mesure des
gènes d’un individu.
Cela implique probablement aussi des soins de santé plus coûteux pour l’individu
en tant que tel – même s’il peut y avoir des économies pour la société au sens
large.
La personnalisation de la médecine et son coût soulèvent la question de l’effet sur
les mécanismes de solidarité entre individus et dans le cadre de la société.
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Je ne me réfère pas uniquement à la prise en charge ou non des tests génétiques
par les différentes catégories d’assurances maladies (obligatoires, complémentaires
ou privées). Est-ce qu’il y aura une prise en charge sélective ou générale pour tout
le monde ?
Je pense aussi à l’utilisation qui pourra être faite, ou non, de l’information génétique
obtenue.
Si les risques de santé de chaque individu sont mieux connus, est-ce qu’on gardera
un mécanisme de solidarité générale ?
Ou est-ce qu’on verra une différenciation de la couverture en fonction des risques ?
L’information génétique de l’individu sera-t-elle utilisée par les assureurs pour
calculer la prime d’assurance?
Si oui, cela pourrait fortement déterminer l’accès à l’assurance et par conséquent
aux soins de santé. Courrons-nous le risque de voir se développer une médecine à
deux vitesses ?
Des questions qui appellent au débat
Il y a déjà une large réflexion sur l’impact de la génétique et en particulier des tests
génétiques.
Compte tenu de leur importance cruciale pour l’avenir, les nouvelles techniques
génétiques doivent faire l’objet d’une information et d’un grand débat public.
Il en va de la confiance de nos concitoyens dans le progrès scientifique et
technologique.
Récemment, le Groupe européen d’Ethique a remis un avis sur l’utilisation de tests
génétiques dans le cadre de l’emploi.
Mes services organisent le 6 et 7 mai une conférence sur les aspects éthiques,
sociaux et juridiques des tests génétiques.
Et un effort est en cours entre différents services de la Commission pour explorer
d’éventuels besoins d’intervention au niveau européen, par exemple en ce qui
concerne le manque d’assurance de qualité des tests génétiques à travers l’Europe.
Aujourd’hui, nous allons aborder un autre aspect : dans quelle mesure la génétique
modifiera-t-elle le système de soins de santé et les mécanismes de solidarité que
nous connaissons aujourd’hui par le biais des mutuelles ?
Est-ce que les soins de santé deviendront plus ou moins chers ?
Est-ce que les tests génétiques seront utilisés pour différencier les primes et les
couvertures d’assurance ?
Comment garantir la liberté de l’individu d’accepter ou non des tests génétiques ?
Comment protéger les personnes qui présentent un profil génétique à haut risque
dans les domaines des soins de santé et de l’assurance maladie ?
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L’importance du débat et l’action
Le débat m’interpelle, comme je suis sûr qu’il interpelle un grand nombre de
citoyens.
Ce débat n’est pas sans importance pour les autorités publiques, y compris – et
peut-être en premier lieu – à l’échelle européenne.
Dans le domaine de la santé publique, de la politique sociale et du marché intérieur,
serait-il nécessaire de développer des mesures de protection contre la
discrimination des personnes ayant un profil génétique à haut risque ?
Dans le domaine de la politique de recherche, qui me concerne plus directement,
devons-nous prendre en compte les questions d’acceptabilité sociale au moment de
la définition des programmes de recherche ?
Conclusion
Je me réjouis fortement de vous voir réunis aujourd’hui pour réfléchir à cette
problématique.
Ce qui me pousse, comme nous tous j’imagine, c’est de veiller à ce que la science
puisse progresser sans entrave et que la technologie développé soit utilisée dans
les meilleures conditions au profit de tous les citoyens.
Si j’affirme volontiers que la science repose sur l’excellence par la compétition,
j’affirme en même temps que le progrès technologique ne devrait pas mener à une
érosion de cette valeur essentielle de notre société moderne, la solidarité.
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