Philosophie du langage, Ricoeur/Sebestik (E.U. 2009) Que la philosophie du langage déborde l'épistémologie de la linguistique, l'œuvre de penseurs aussi différents que Frege, Husserl, Russell, Wittgenstein, Carnap, Ryle, Austin, Quine l'atteste amplement. Aucun d'eux ne tient l'étude empirique du langage par la linguistique pour l'unique approche du langage : on pourrait même s'étonner plutôt du peu d'intérêt que plusieurs ont pour la linguistique des linguistes. Cette dualité de l'analyse linguistique des philosophes et de la linguistique empirique s'explique : si le langage est pour le linguiste un objet spécifique, voire un système autonome de dépendances purement internes, selon l'expression de Hjelmslev, tout un ensemble de questions fondamentales sur le langage se trouvent exclues de la linguistique. D'abord le rapport du langage aux opérations logiques non réductibles à telle structure de langue ou, plus généralement, le rapport de la communication linguistique avec les autres faits de communication sociale, avec la culture en général ; ensuite et surtout le rapport du langage avec la réalité : que le langage se réfère à quelque chose d'autre que lui-même, voilà sa fonction fondamentale ; ce problème immense est celui qui peut être placé sous le titre de la référence. Or ce problème suscite un paradoxe : plus la linguistique s'épure et se réduit à la science, plus elle expulse de son champ ce qui concerne le rapport du langage avec l'autre que lui-même ; le paradoxe est visible chez Saussure ; à la relation triadique signifiant-signifié-occurrence, il substitue la relation dyadique signifiantsignifié qui tombe à l'intérieur de l'enceinte linguistique. Or, cette réduction marque l'élimination de la fonction symbolique elle-même. Benveniste le rappelle : « Le langage représente la forme la plus haute d'une faculté qui est inhérente à la condition humaine, la faculté de symboliser. Entendons par là, très largement, la faculté de représenter le réel par un « signe » et de comprendre le « signe » comme représentant le réel, donc d'établir un rapport de « signification » entre quelque chose et quelque chose d'autre » (Problèmes de linguistique générale). La science qui prend le langage pour objet n'épuise donc pas la question posée par le langage, à savoir qu'il est la grande médiation entre l'homme et le monde, entre l'homme et l'homme : « Qu'un pareil système de symboles existe nous dévoile une des données essentielles, la plus profonde peut-être de la condition humaine : c'est qu'il n'y a pas de relation naturelle, immédiate et directe entre l'homme et le monde, ni entre l'homme et l'homme ; il y faut un intermédiaire, cet appareil symbolique, qui a rendu possible la pensée. Hors de la sphère biologique, la capacité symbolique est la capacité la plus spécifique de l'être humain. » On conçoit alors qu'une philosophie du langage puisse se proposer d'étudier les prétentions du langage à représenter la réalité. Ryle L'Anglais Gilbert Ryle (1900-1976), ici en 1952. Critique de la conception cartésienne de la pensée, son ouvrage Concept of Mind marque une date dans l'histoire de la pensée analytique. Nous commencerons par le mouvement de pensée communément appelé philosophie « analytique ». Le postulat commun aux philosophies du langage qu'on vient de considérer est que la philosophie consiste à expliquer et clarifier les systèmes conceptuels élaborés dans la sphère de la science, de l'art, de l'éthique, de la religion, etc., sur la base du langage lui-même dans lequel s'exprime la connaissance conceptuelle. C'est ainsi que la clarification du langage devient la tâche préalable et finalement exclusive de la philosophie. Toutes les questions philosophiques importantes tendent à se réduire à une explication et à une clarification de la grammaire et de la syntaxe du langage naturel. Toutes les autres philosophies du langage sont, à des titres divers, des tentatives pour dépasser le stade de la clarification. Cela peut être tenté dans deux directions très différentes. Ou bien 1 on met en question le primat du langage et on réintègre la fonction des signes dans une réalité ou une activité plus vaste où la question du langage perd son privilège et son exclusivité : c'est à cette subordination et à cette réinsertion que procèdent, de façon différente, d'une part la phénoménologie, d'autre part le marxisme. Ou bien, prenant acte de ce privilège du langage, on tente de redéfinir la réalité elle-même en fonction du langage : l'être lui-même offre le caractère du langage ; la philosophie pour qui l'être est langage est alors, au sens fort du mot, philosophie du langage. C'est cette seconde direction que prennent deux courants de pensée, fort opposés entre eux, le structuralisme philosophique et l'herméneutique. La conception « analytique » La conception « analytique » de la philosophie du langage est particulièrement riche en œuvres ; l'empirisme logique et la philosophie du langage ordinaire ont continué de se partager l'influence, du moins dans l'aire anglo-saxonne, tandis que de nouvelles tendances se font jour. L'un et l'autre mouvements assignent à la tâche de clarification une fonction nettement thérapeutique et préventive à l'égard de la spéculation métaphysique, pour autant que celle-ci résulte d'un mésusage des langages naturels, à la faveur d'une liberté linguistique non critiquée et non dominée. Mais l'écart entre ces deux mouvements reste considérable. L'empirisme logique procède à cette tâche réductrice en construisant des langages artificiels qui éliminent ces mésusages ; à cet effet, il élabore des conventions pour la formation des phrases et l'interprétation sémantique qui excluent les énoncés métaphysiques. Les philosophies du langage ordinaire, au contraire, se tiennent à l'intérieur des langues naturelles pour expliciter les modèles qui président au comportement linguistique dans la sphère restreinte de l'usage sans abus. Le positivisme logique L'œuvre de Rudolf Carnap est le principal témoin du courant néo-positiviste ; le fameux essai « Le Dépassement de la métaphysique par l'analyse logique du langage » a paru en 1931 dans la revue Erkenntnis. Son argument est remarquable par rapport à l'usage de la linguistique en philosophie. Il consiste à dire que c'est l'absence de certaines conventions dans le langage naturel qui explique son impuissance à éliminer les énoncés métaphysiques. C'est donc le « point de vue logique » qui permet de critiquer le langage et qui fournit la norme de l'adéquat et de l'inadéquat en matière de syntaxe ; la philosophie du langage consiste à mesurer l'écart entre la syntaxe logique et la syntaxe grammaticale. Dans un langage qui satisferait à l'exigence de la syntaxe logique, les pseudo-énoncés ne pourraient pas être énoncés. Le présupposé le plus général est ici que toute formulation précise d'un problème philosophique débouche sur l'analyse logique du langage, que l'enjeu des problèmes philosophiques concerne le langage et non le monde, par conséquent que ceux-ci devraient être formulés non en langage objet, mais en métalangage. La thèse que les problèmes philosophiques sont purement linguistiques donne à l'expression de philosophie du langage un sens spécial ; elle signifie que les énoncés métaphysiques sur la réalité sont des phrases pseudo-objectives qui masquent sous l'apparence de phrases objets leur structure réelle de phrases syntaxiques telle que la collocation de propriétés syntaxiques à des mots ou à des expressions. La tâche du philosophe est alors de retraduire les phrases portant sur des pseudo-objets du langage naturel en phrases syntaxiques d'un langage idéal. De quel droit cependant distinguer des phrases authentiquement « objets » des phrases pseudo-objets ? N'est-ce pas le préjugé antimétaphysique qui parle ? Car la possibilité demeure qu'elles aient une référence en un autre sens que la perception d'objet. Il faut alors une théorie sémantique qui ne soit pas elle-même une simple syntaxe ; dans son second grand livre, Introduction to Semantics, Carnap avait déjà abandonné la prétention de réduire à des 2 termes purement syntaxiques la construction linguistique. Il avait ajouté une sémantique et une pragmatique ; la sémantique ajoute aux règles syntactiques des règles de désignation qui spécifient les choses auxquelles se réfèrent les expressions du langage et des règles de vérité qui apparient les phrases et les conditions de vérité. C'est cette structure sémantique du langage qui est au premier plan de Meaning and Necessity, dont la deuxième édition est de 1956. Il apparaît que les relations qui existent dans un langage quelconque entre les symboles descriptifs et les expressions dérivées reposent sur des postulats de signification et des règles sémantiques analogues aux axiomes et aux règles d'inférence d'un système axiomatique. La question de principe que pose la philosophie du langage de l'école de Carnap est celle de savoir au nom de quoi on exige d'un langage artificiel de fournir les conventions linguistiques qui font défaut dans les langages naturels. Est-ce la conviction préalable que les énoncés métaphysiques sont dénués de sens ? mais si cette conviction n'est pas elle-même d'origine linguistique, d'où vient-elle ? Est-ce la structure même du langage artificiel qui requiert ces conventions limitatives ? mais cette structure a-t-elle une base de nécessité ? Ces questions renvoient à un examen des langages naturels dont le positivisme logique considère surtout les lacunes plutôt que la structure sémantique profonde. Le recours au langage ordinaire La philosophie du langage ordinaire a en commun avec le positivisme logique la conviction que les énoncés métaphysiques sont dénués de sens. Mais elle poursuit le même but thérapeutique par un travail de clarification appliqué au langage naturel ; il résulterait de ce travail que celui-ci fonctionne correctement aussi longtemps qu'il reste contenu dans les bornes de son usage propre. Les fondations de ce mouvement de pensée ont été posées par Ludwig Wittgenstein (18891951). Les Investigations philosophiques ont paru en 1953 ; mais la connaissance, l'interprétation et la discussion de l'œuvre de Wittgenstein n'ont cessé de progresser depuis quinze ans ; une intense activité de publication a revélé les écrits de Wittgenstein qui permettent de jalonner son développement et de combler de grandes lacunes de silence dans son œuvre majeure ; d'autre part, des introductions et commentaires extrêmement précieux ont vu le jour ; les plus importants d'entre eux sont consacrés au Tractatus logico-philosophicus et à sa conception des rapports du langage et du monde condensée dans la picture theory ; ils prolongent ainsi l'influence du Tractatus au-delà de la publication des Investigations ; la mentalité « logique » du Tractatus est ainsi loin d'être éclipsée par la théorie des jeux du langage et de la signification comme emploi issue des Investigations philosophiques. Wittgenstein D'origine autrichienne, le philosophe britannique Ludwig Wittgenstein (18891951) a enseigné à Cambridge. C'est la tradition de Investigations philosophiques plutôt que celle du Tractatus qui domine les travaux de l'école d'Oxford dans la période ici considérée. On peut rattacher à cette tradition les textes de J. L. Austin († 1960) consacrés aux « excuses » (in Philosophical Papers) et aux « performatifs » (in Quand dire, c'est faire), c'est-à-dire à des expressions par lesquelles le locuteur, sans ajouter à la description du monde, fait quelque chose. Ces expressions ne sont ni vraies ni fausses ; elles peuvent réussir ou échouer, aboutir ou mal tourner ; quand je dis : « Je prends Un tel ou Une telle pour époux ou épouse », je fais effectivement ce que je dis expressément ; quand je promets, je m'engage. Il est remarquable qu'Austin ait été rompu aux disciplines classiques et mieux formé en grec et en latin qu'en mathématiques et en sciences naturelles ; il en retire une exigence d'exactitude et de probité toute philologique. À ce titre on 3 peut dire que la contribution d'Austin à la philosophie du langage est d'avoir donné consistance à une sémantique philosophique parallèle à celle des linguistes, mais indépendante d'elle. Cette œuvre est importante à un second titre : autant elle paraît limitée à force d'être minutieuse et, si l'on peut dire, extrême dans le détail, autant elle marque un élargissement par rapport aux amplifications imposées par le positivisme logique à la théorie de la signification ; son souci des mots et des phrases la porte à rendre justice à l'extraordinaire variété et complexité des usages qui les rendent signifiants. C'est bien cette honnêteté à l'égard du langage qui le porte à desserrer l'étau qui le réduit à la fonction constative et descriptive. C'est pourquoi l'art de la distinction doit tempérer celui de la réduction et de la simplification. Là où le positiviste logique biffe une proposition, comme une pseudo-assertion, et la jette à l'enfer des significations émotives, Austin suggère qu'il y a entre les énoncés linguistiques et le monde d'autres relations que celle de la description. Austin ajoute encore une nouvelle contribution à la philosophie du langage lorsque, soumettant au doute la distinction trop massive encore du constatif et du performatif, il élabore une théorie plus générale du speech-act ; l'aspect locutionnaire (ce que la phrase veut dire, son sens et sa référence), l'aspect illocutionnaire (affirmation, ordre, conseil, prière) qui engage le locuteur et l'aspect perlocutionnaire (ce que nous produisons en effet par ce que nous disons) appartiennent à une description générale de parole qui doit être mise en parallèle avec les fonctions de la communication de Jakobson. On trouve ainsi chez Austin un préjugé inverse de celui des positivistes logiques : si une expression a survécu, c'est qu'elle a reçu de l'usage des générations antérieures une efficacité à produire des distinctions et à désigner des rapports qui la rend bien digne d'être écoutée avant d'être corrigée. Cette sorte de « phénoménologie linguistique », selon l'expression même d'Austin, rompt avec l'attitude soupçonneuse et réductrice des positivistes logiques. De l'œuvre d'Austin on peut rapprocher les théories de la signification qui tendent à réintroduire la considération de l'intention du sujet parlant. Alors que des auteurs comme J. J. Katz et J. A. Fodor, dont on parlera plus loin, et comme D. Davidson (« Truth and Meaning », in Synthèse, vol. XVII, 1967) définissent la signification par des caractères formels de la proposition, d'autres auteurs estiment qu'on ne saurait rendre compte de la propriété de certains énoncés d'avoir une signification et du fait que l'on veut dire (autrement dit : qu'on signifie) quelque chose en énonçant certains sons ou marques, sans recourir à la notion d'intention. Ainsi, pour Paul Grice, dans un article intitulé « Meaning » (Philosophical Review, vol. LXVI, 1957) puis dans « Utterer's Meaning and Intentions » (ibid., vol. LXXVIII, 1969), dire qu'un locuteur signifie quelque chose par telle ou telle énonciation, c'est dire qu'il a l'intention que l'énonciation produise chez l'auditeur un certain effet au moyen de la reconnaissance de cette intention. Ainsi est rétablie la connexion entre signification et intention, et restitué un trait essentiel de la communication linguistique. Dans Speech-Acts. An Essay in the Philosophy of Language (1969), J. R. Searle tente de porter plus loin qu'Austin la théorie du speech-act et de lui intégrer les analyses de Wittgenstein, de Grice et de Strawson. Parler une langue, dit-il, c'est « s'engager dans une forme de conduite gouvernée par des règles ». La maîtrise de cette conduite est comprise réflexivement par le locuteur avant toute élaboration de « critères » susceptibles de vérifier les caractérisations proposées des éléments du langage. Cette sorte d'action qu'est l'acte de parler n'est un acte complet que dans l'illocution (constater, questionner, commander, promettre) et enveloppe, à titre subordonné, l'« acte propositionnel », lequel à son tour s'analyse en « prédication » (ce qui est dit du sujet) et « référence » (expressions servant à identifier un particulier, par exemple les noms propres ou les locutions nominales précédés de l'article défini, les pronoms). Ainsi, l'acte de parler inclut une hiérarchie d'actes, en conformité avec des règles qui les constituent véritablement comme formes de conduite. 4 Le recours au langage ordinaire, commun à la plupart des philosophes d'Oxford après 1945, a donné lieu, au sein même de la tradition de langue anglaise, à un double reproche de trivialité intellectuelle et de complaisance par E. G. Gellner (Words and Things, Londres, 1959) ; d'autres critiques vont beaucoup plus loin et mettent en cause les présuppositions mêmes de cette philosophie concernant la notion de signification (cf. le volume d'articles de H. H. Price et d'autres auteurs édité par H. D. Lewis sous le titre Clarity Is not Enough, Londres, 1963) ; dans le cadre d'une discussion générale appliquée au concept de signification, L. J. Cohen tente d'établir, dans The Diversity of Meaning (Londres, 1962), que Ryle et les autres ont fourni de meilleurs arguments en faveur de leurs théories que ceux qu'ils croient être tirés de l'analyse du langage ordinaire. Que ce soit un résultat de ces critiques ou un effet d'épuisement de l'élan d'un mouvement plus critique et antimétaphysique que constructif, le recours au langage ordinaire tend à s'effacer, en tant que critère de validité philosophique. Ainsi P. F. Strawson (Individuals, 1959) plaide pour une ontologie des corps matériels et des personnes, considérés comme les « particuliers » de base qui rendent possible l'acte de référence identifiante dans le discours. Il est remarquable que Strawson présente sa doctrine comme « métaphysique descriptive » et non comme philosophie du langage ; en effet, ce qui est en jeu, c'est moins une structure des langues naturelles, même si on la suppose commune à toutes les langues, qu'un « schème conceptuel », à savoir le schème qui est commun à tous les humains, selon lequel les corps matériels et les personnes constituent les deux « particuliers » de base, les autres types de particuliers se révélant être secondaires par rapport à ces deux « catégories ». Certes, les particuliers sont le référent d'une opération de langage : l'« identification des particuliers » ; cette opération consiste pour l'essentiel dans la réponse à une question du type : Qui ? Quoi ? Lequel ? Mais si l'identification est affaire de langage, ce n'est plus un caractère linguistique que la classe des particuliers de base sur lesquels porte notre langage comprenne seulement des corps et des personnes. C'est parce que les particuliers fondamentaux sont tels qu'ils sont par excellence les porteurs de noms propres ; et non l'inverse. Mais on ne peut prouver qu'un monde différent est impossible, ni que le « schème conceptuel » avec lequel nous opérons est le seul possible. Plus tard, dans The Bounds of Sense (1966), Strawson s'est encore éloigné du style des philosophies du langage ordinaire. Il tente dans cet ouvrage de discerner les traits analytiques et critiques de la Critique de la raison pure de Kant qu'il tient pour valable, ce qui le conduit à une sérieuse réinterprétation de la déduction transcendantale des catégories. Mais, tandis que la philosophie du langage ordinaire tendait à s'évanouir en Grande-Bretagne, elle commençait à renaître sous une forme nouvelle aux États-Unis. Un certain nombre de philosophes, impressionnés par la grammaire générative transformationnelle de Noam Chomsky, ont prétendu pouvoir résoudre, dans le cadre de la linguistique générale suscitée par les idées de Chomsky, certains problèmes philosophiques restés en suspens. Cette conjonction entre « analyse linguistique », au sens philosophique du mot, et science linguistique ne s'était pas produite dans le cadre de la philosophie du langage ordinaire. On voit poindre, au-delà du déclin de cette école, le moment où se rejoindront les exigences logiques de l'empirisme logique, l'attitude descriptive des philosophies du langage ordinaire et l'épistémologie de la linguistique. Il est encore trop tôt pour dire si la théorie du langage issue de la grammaire générative sera la plus propice à la réalisation de cette vaste ambition. On peut toutefois recueillir quelques signes en ce sens : dans leur article « The Structure of A Semantic Theory » (The Structure of Language, 1964), Katz et Fodor ont élaboré une théorie du facteur sémantique qui correspondrait à une grammaire du type Chomsky ; dans The Philosophy of Language (1966), Katz prétend que cette théorie offre une base adéquate pour 5 résoudre divers problèmes philosophiques, y compris ceux concernant l'analycité. Mais on peut se demander si cette prétention est valable ; sa théorie, en effet, ne permet pas de déterminer si les propositions mathématiques sont ou non analytiques. Z. Vendler (Linguistics in Philosophy, 1967) tente de montrer que les méthodes de la grammaire générative transformationnelle permettent de résoudre des problèmes jusque-là insolubles concernant la nature de termes singuliers, la généralisation universelle, les causes et les effets, etc. Mais l'argumentation, aux points critiques, tend à s'en remettre à l'intuition du locuteur concernant la déviance linguistique (ou la non-déviance) de certaines chaînes de mots, alors que les adversaires de la théorie pourraient se réclamer d'une intuition contraire. Ce recours à l'intuition du locuteur constitue-t-il une grave objection ? Un philosophe du langage ordinaire ne tomberait-il pas plutôt d'accord avec un disciple de Chomsky pour dire que nul critère d'un caractère linguistique ne peut être jugé adéquat, sinon en vertu de la compréhension que nous avons, en tant que locuteurs, de notre propre compétence, c'est-à-dire de notre maîtrise de cette remarquable habileté, gouvernée par des règles, qui s'appelle le langage ? Tous les auteurs cités ci-dessus s'attachent au langage au sens étroit du mot. Nelson Goodman, dans Languages of Art (1969), a élaboré une théorie générale de la représentation linguistique qui couvre, en outre, cartes de géographie, partitions musicales, peintures, etc. Ce livre est peut-être le premier de cette importance et de cette originalité qui traite d'esthétique dans un style rigoureusement analytique. 6