peut dire que la contribution d'Austin à la philosophie du langage est d'avoir donné
consistance à une sémantique philosophique parallèle à celle des linguistes, mais
indépendante d'elle. Cette œuvre est importante à un second titre : autant elle paraît limitée à
force d'être minutieuse et, si l'on peut dire, extrême dans le détail, autant elle marque un
élargissement par rapport aux amplifications imposées par le positivisme logique à la théorie
de la signification ; son souci des mots et des phrases la porte à rendre justice à
l'extraordinaire variété et complexité des usages qui les rendent signifiants. C'est bien cette
honnêteté à l'égard du langage qui le porte à desserrer l'étau qui le réduit à la fonction
constative et descriptive. C'est pourquoi l'art de la distinction doit tempérer celui de la
réduction et de la simplification. Là où le positiviste logique biffe une proposition, comme
une pseudo-assertion, et la jette à l'enfer des significations émotives, Austin suggère qu'il y a
entre les énoncés linguistiques et le monde d'autres relations que celle de la description.
Austin ajoute encore une nouvelle contribution à la philosophie du langage lorsque,
soumettant au doute la distinction trop massive encore du constatif et du performatif, il
élabore une théorie plus générale du speech-act ; l'aspect locutionnaire (ce que la phrase veut
dire, son sens et sa référence), l'aspect illocutionnaire (affirmation, ordre, conseil, prière) qui
engage le locuteur et l'aspect perlocutionnaire (ce que nous produisons en effet par ce que
nous disons) appartiennent à une description générale de parole qui doit être mise en parallèle
avec les fonctions de la communication de Jakobson. On trouve ainsi chez Austin un préjugé
inverse de celui des positivistes logiques : si une expression a survécu, c'est qu'elle a reçu de
l'usage des générations antérieures une efficacité à produire des distinctions et à désigner des
rapports qui la rend bien digne d'être écoutée avant d'être corrigée. Cette sorte de «
phénoménologie linguistique », selon l'expression même d'Austin, rompt avec l'attitude
soupçonneuse et réductrice des positivistes logiques.
De l'œuvre d'Austin on peut rapprocher les théories de la signification qui tendent à
réintroduire la considération de l'intention du sujet parlant. Alors que des auteurs comme J. J.
Katz et J. A. Fodor, dont on parlera plus loin, et comme D. Davidson (« Truth and Meaning »,
in Synthèse, vol. XVII, 1967) définissent la signification par des caractères formels de la
proposition, d'autres auteurs estiment qu'on ne saurait rendre compte de la propriété de
certains énoncés d'avoir une signification et du fait que l'on veut dire (autrement dit : qu'on
signifie) quelque chose en énonçant certains sons ou marques, sans recourir à la notion
d'intention. Ainsi, pour Paul Grice, dans un article intitulé « Meaning » (Philosophical
Review, vol. LXVI, 1957) puis dans « Utterer's Meaning and Intentions » (ibid., vol.
LXXVIII, 1969), dire qu'un locuteur signifie quelque chose par telle ou telle énonciation, c'est
dire qu'il a l'intention que l'énonciation produise chez l'auditeur un certain effet au moyen de
la reconnaissance de cette intention. Ainsi est rétablie la connexion entre signification et
intention, et restitué un trait essentiel de la communication linguistique. Dans Speech-Acts.
An Essay in the Philosophy of Language (1969), J. R. Searle tente de porter plus loin
qu'Austin la théorie du speech-act et de lui intégrer les analyses de Wittgenstein, de Grice et
de Strawson. Parler une langue, dit-il, c'est « s'engager dans une forme de conduite gouvernée
par des règles ». La maîtrise de cette conduite est comprise réflexivement par le locuteur
avant toute élaboration de « critères » susceptibles de vérifier les caractérisations proposées
des éléments du langage. Cette sorte d'action qu'est l'acte de parler n'est un acte complet que
dans l'illocution (constater, questionner, commander, promettre) et enveloppe, à titre
subordonné, l'« acte propositionnel », lequel à son tour s'analyse en « prédication » (ce qui est
dit du sujet) et « référence » (expressions servant à identifier un particulier, par exemple les
noms propres ou les locutions nominales précédés de l'article défini, les pronoms). Ainsi,
l'acte de parler inclut une hiérarchie d'actes, en conformité avec des règles qui les constituent
véritablement comme formes de conduite.