
PROPOSITION PAR UN SOIGNANT DE LA VISITE
D’UN PSYCHOLOGUE
La rencontre avec le psychologue est le plus souvent dédrama-
tisée dès la première visite, surtout lorsque celle-ci est “banali-
sée”, acceptée et comprise par toute l’équipe.
On observe parfois la proposition de certains soignants qui
invitent le patient, comme en cachette, et manifestement gênés,
à rencontrer le psychologue : comme s’il n’était pas à part
entière l’un des membres de l’équipe. À quoi s’ajoute l’appré-
hension de se faire interpeller par le patient : “Vous pensez que
je suis fou !” Toutes sortes de résistances et de réticences sont
associées à la place du psychologue. La méconnaissance des
autres soignants de son rôle précis et de sa fonction dans un
service hospitalier s’exprime parfois à travers la maladresse de
la proposition faite au patient de le rencontrer.
Après cette première rencontre, qui aura permis de dédramati-
ser la situation et aussi d’“humaniser” le psychologue, les ren-
contres à venir s’en voient facilitées. Si des résistances persis-
tent, elles seront liées à des mécanismes de défense personnels
du patient plus qu’à l’incidence de représentations incons-
cientes collectives véhiculées par le “signifiant psychologue”.
LIBRE ASSOCIATION
On pourrait penser que le patient atteint de cancer ne parle que
du cancer avec le psychologue. Ce serait méconnaître le psy-
chisme humain que de limiter un entretien psychologique à ce
seul objet. La libre association structure l’entretien psycholo-
gique. En quoi cela consiste-t-il ? Très vite, le thème de la
maladie va mener à d’autres thèmes, à d’autres difficultés.
Très vite, le patient va associer sur autre chose que la maladie.
Le travail du psychologue consiste à ce point de l’entretien à
permettre au patient d’orienter son discours sur autre chose
que la maladie quand effectivement autre chose est évoqué,
ou à favoriser le développement d’autres thèmes qui peuvent
lui tenir à cœur. Très vite le cadre de la maladie sera débordé
et renverra à des difficultés antérieures à la découverte de la
maladie.
Seront abordées des difficultés personnelles, familiales, pro-
fessionnelles qui ont fait irruption dans la vie du patient et qui
permettent, en sens inverse, d’être réabordées par le patient au
cours d’un entretien psychologique. Ceci favorisera une réor-
ganisation de l’économie psychique.
PENSER ET PARTAGER L’INDICIBLE
Tous les nœuds relationnels avec la famille, les parents, les
amis, l’entourage émergent au cours de ce type d’entretien. Au-
delà du “travail du deuil” de la bonne santé “perdue”, nombre
d’autres thèmes s’articulent ou non dans le discours du patient
dans son rapport à la maladie. Certains projets qui ne pourront
se réaliser du fait des contraintes thérapeutiques du cancer ou
certains autres projets contrariés feront l’objet d’une “rêverie à
voix haute”. Le psychologue encourage dans ces moments-là le
patient à parcourir ses propres circuits imaginaires, à dire à voix
haute les projets envisagés et encore ce qu’il y a au-delà, ce
qu’il avait jusque-là imaginé, la joie associée à telle ou telle
autre activité prévue, dans le déroulement du voyage tant
attendu par exemple – et qui ne pourra se réaliser.
Même si cette option de permettre de “réaliser en pensée et en
parole” le projet contrarié, si ce choix semble cruel a priori,
l’expérience clinique prouve au contraire qu’a posteriori, le
patient se sentira serein : on peut reconnaître un travail du
deuil, une élaboration psychique parallèle au développement
verbal très souvent accompagnée d’une libération d’affects
(pleurs, rires, émotions perceptibles) qui s’apparentent à des
processus de deuil. Cette libération permet au patient d’abor-
der une situation présente radicalement différente et qui remet
en question son avenir à proche ou moyen terme.
ANGOISSE DE MORT ET DÉSIR DE VIE
Ainsi, comme on le voit, l’entretien psychologique avec un
patient qui a un cancer, voire un patient qui est en fin de vie,
est souvent du côté de la vie. Ce type d’entretien est souvent
rempli de regret, de tristesse, d’inquiétude, mais aussi de beau-
coup de vie, d’espoir et de désirs enfin exprimés. On com-
prend que, paradoxalement, le travail du psychologue n’est pas
centré sur les processus rituels qui tendent à aliéner le patient
aux représentations de mort.
Par ce biais, le patient prend conscience que ce qui l’angoisse
n’a pas à voir forcément avec la mort, mais renvoie à com-
ment vivre la vie. Ce sont des angoisses liées à la vie à venir :
“comment vivre les choses, y aura-t-il souffrance et douleur
physique, des examens supplémentaires à subir, des traite-
ments difficiles, fatigants, épuisants. Quelles seront mes rela-
tions avec mes proches, comment faire pour mon travail, le
reprendre ou pas, à plein temps ou pas. Comment faire pour
continuer à faire vivre ma famille, comment réorganiser, en
fait, toute ma vie ?”
RUPTURE D’UN CONTINUUM
La clinique nous enseigne que la mort n’occupe qu’un espace
relativement restreint de cette écoute que le psychologue pro-
pose. Une rupture se produit entre la maladie et la mort. Le
patient vivait dans une continuité familière avant de connaître
sa maladie : comme on le voit dans l’annonce d’un cancer ou,
avec encore plus de violence, lors de l’annonce par le médecin
de la séropositivité au VIH, l’information découverte par le
patient vient bouleverser sa vie. L’effet traumatique de
l’annonce de la “mauvaise nouvelle” tient dans la rupture du
continuum, dans l’effraction produite. C’est une “catastrophe
subjective”.
Le travail que le patient peut effectuer pour obtenir un bien-
être relatif consiste à rompre les liens délétères établis entre
maladie et mort. Sinon il reste pris dans un filet, paralysé,
comme fasciné par la mort alors omniprésente et qui occupe
toute la scène de sa vie quotidienne. Il lui faudra retrouver un
certain équilibre et envisager sa vie à nouveau – autorisant une
nouvelle continuité.
On le voit, une autre fonction de ce travail au cours des diffé-
rents entretiens avec un patient atteint d’un cancer est de per-
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La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 1 - janvier/février 2001