6 La seconde question – qu’est-ce qu’être un sociologue ? – parcourt l’ensemble du cours,
jusqu’à faire même l’objet d’une séance complète, le 23 janvier 1982 (pp. 415-449), au
cours de laquelle le sociologue se livre à une sociologie de la sociologie, « la moins
littéraire des disciplines littéraires et la moins scientifique des disciplines scientifiques »
(pp. 433).
7 Être sociologue, c’est tout d’abord, étudier avec une même théorie, à la fois élaborée au
fur et à mesure, mise à l’épreuve et confirmée, une grande variété de domaines, allant de
la haute couture à l’Église catholique, en passant par l’enseignement, l’art ou le droit.
Ensuite, P. Bourdieu interroge constamment la sociologie en s’appuyant sur d’autres
disciplines, au premier rang desquelles la philosophie, ainsi que la linguistique, l’histoire
et dans une moindre mesure, l’économie. Les dix auteurs les plus cités par p. Bourdieu
pendant son cours sont tous européens, dont seulement quatre français (Durkheim,
Sartre, Flaubert, Lévi-Strauss), et ne comporte que trois sociologues (Weber, Marx,
Durkheim), et un anthropologue (Lévi-Strauss, donc)6, mais cinq philosophes : Hegel,
Husserl, Sartre, Heidegger et Leibniz.
8 C’est dire que P. Bourdieu donne, dans sa pratique de la sociologie, une grande
importance à la philosophie, principalement celle de langue allemande (Hegel, Husserl,
Heidegger et Leibniz), et dans une moindre mesure aux philosophes du langage
(Wittgenstein et Austin), la philosophie française, à travers la figure de Jean-Paul Sartre,
étant d’ailleurs moquée (notamment à propos de son analyse du garçon de café dans L’Être
et le Néant7 : « Sartre est tout à fait exemplaire, et admirable en même temps, parce qu’il a
une sorte de puissance logique qui fait qu’il pousse, à mes yeux, des erreurs jusqu’au bout
de leur logique », p. 267).
9 On a pu considérer qu’il existait trois sortes de rapports entre la philosophie et la
sociologie, soit que les disciplines étaient distinctes et sans relation, soit qu’elles auraient
des objets communs et des discours unifiés, soit que la sociologie devrait être conçue
comme un dépassement de la philosophie. Toutefois, une telle conception apparaît
simpliste au regard des rapports complexes que P. Bourdieu propose de nouer entre les
deux disciplines. Tout d’abord, il considère qu’il faut reprendre le mode de
questionnement philosophique pour en faire un questionnement sociologique : « pour
penser adéquatement le monde social, il faut lui appliquer ces modes de pensée que l’on
réserve aux plus hauts objets de pensée, ceux de la métaphysique. […] En termes simples,
il faudrait […] penser le monde social avec Heidegger, poser à propos du monde social des
questions du type : qu’est-ce que penser ? Qu’est-ce qu’exister pour une chose sociale ? »
(p. 217). Cependant, met en garde P. Bourdieu, il ne faut pas reprendre ce mode de
questionnement philosophique en l’appliquant à la sociologie comme discipline, ce qui ne
peut qu’être stérile (p. 264)8. Il faut donc utiliser la philosophie comme une aide, afin
d’assister la sociologie (« dans le travail de réflexion qu’il faut faire pour essayer de
comprendre la logique de la connaissance pratique, la principale assistance théorique est
fournie évidemment par la phénoménologie, par la tradition de Husserl, de Merleau-
Ponty et d’Alfred Schütz […] », p. 286). Toutefois, ce faisant, le sociologue ne doit pas
tomber non plus dans les erreurs que commet la philosophie, et en particulier l’erreur
intellectualiste, qui constitue le rapport entre le philosophe et le monde social comme
vérité du « rapport pratique entre les agents sociaux et le monde social » (p. 267), comme
s’y livre J.-P. Sartre à propos de son analyse, déjà mentionnée, du garçon de café. Si un
sociologue doit éviter ce genre d’erreur, c’est parce qu’« une propriété d’une position est
qu’on ne peut pas être où l’on est et être ailleurs […]. Je ne peux pas “me mettre à la
Pierre Bourdieu, Sociologie générale. Volume 1. Cours au Collège de France 19...
Sociologie , Comptes rendus | 2010
4