Chapitre 1 : Le miracle grec
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Il y a de ces petites phrases qui font rêver et en lesquelles se résume pour
beaucoup ce qu’il reste d’une instruction dite obligatoire : « l’Égypte est un
don du Nil », « le miracle grec ». Il y eut d’autres « miracles » sans doute, mais
pour l’Occident que nous sommes, et que le monde rencontre, envie et
repousse, c’est bien là le début d’une longue histoire. Celle de la pensée à se
dégager de l’emprise des mythes et des dieux, à poser tous les problèmes sur
le plan rationnel, à inventer une philosophie éthique et une science politique.
Comment le monde a-t-il été créé, comment se poursuit-il ?
Qu’en est-il de la justice et de l’ordre dans la cité ?
Et tout se passe comme si, déjà, dès le début, un même scénario se mettait
en place qui reprendrait, mutatis mutandis, tout au cours de l’histoire.
Dans le premier temps un bouillonnement de mythes, d’images, de repré-
sentations, comme une sorte de coup de force dogmatique qui, à défaut de
prouver, affirme. Et ce sont les pprrééssooccrraattiiqquueessavec leurs cosmogonies et leur
obéissance aux décrets arbitraires des dieux dont tout est signe.
Dans un deuxième temps, le refus de ces grandes envolées qui affirment plus
qu’elles ne prouvent, et un repli sur soi, sur l’homme, qui devient « la mesure
de toute chose ». La certitude est impossible, tout est relatif, la nature n’est
pas connaissable, il n’y a de loi que de convention, le caprice et la volonté de
puissance y ont part. Et ce sont les ssoopphhiisstteessavec leur scepticisme intellectuel
et leur subjectivisme moral.
Puis, dans un troisième temps, vient celui qui dépasse à la fois le dogmatis-
me des uns et le nihilisme des autres pour, dialectiquement, fonder une
connaissance par la science et surtout s’efforcer de donner une base solide à
l’éthique, tant il est vrai que les discussions stériles sur la morale sont plus
dommageables à l’homme que les discussions spéculatives sur la nature. Et
c’est SSooccrraatteequi, fils de la sage-femme, « accouche » les esprits en les condui-
sant à trouver eux-mêmes les vérités qu’ils portent en eux (
maïeutique
est le
nom de cette méthode), dans le même temps qu’il « ironise », disant le faux
pour qu’on devine le vrai.
Aux alentours du Vesiècle avant Jésus-Christ, au moment où en Inde naît
avec Siddharta Gautama (surnommé Bouddha, ce qui veut dire l’Éveillé) le
bouddhisme, et en Chine avec Kong Tzeu (Maître Kong, latinisé en Confucius)
le confucianisme, et où en Babylonie et dans le royaume de Juda la loi de
Moïse et les appels des Prophètes fortifient la vocation propre d’un petit
© Eyrolles Pratique
La philosophie 7/04/03 16:05 Page 10