L'évolution des méthodes de management Au fil des années, le capitalisme a évolué en passant par différents stades: capitalisme essentiellement familial d'abord, capitalisme managérial puis capitalisme financier... Ces évolutions ne sont pas forcément linéaires et on peut encore aujourd'hui trouver des entreprises familiales. Mais il nous faut comprendre les évolutions essentielles qui dominent dans chaque période. Le terme de management est employé depuis de nombreuses années mais s'est généralisé dans le discours des entreprises seulement depuis une vingtaine d'année. On parlait plutôt précédemment d'organisation du travail, de méthodes hiérarchiques.. Le terme management trouve son origine en français dans les mots manège… ménager… avec des définitions diverses: « Le management ou la gestion est l'ensemble des techniques d'organisation qui sont mises en œuvre pour l'administration d'une entité. » (définition de wikipedia » ou « Prendre en charge un groupe de travail en lui donnant les moyens individuels et collectifs de progresser vers un meilleur équilibre efficacité / confort au service de la stratégie de l’organisation »... Taylorisme, fordisme, un modèle dominant le 19ème siècle et l'essentiel du 20 éme siècle... Le taylorisme tire son nom d'une méthode proposées par l'ingénieur américain Frederick Taylor (1856-1915). Apparue en 1880 elle repose sur une organisation a priori définie par des scientifiques. L'Organisation Scientifique du Travail telle que la conçoit Taylor repose sur la parcellisation des tâches, avec des travailleurs qui doivent se comporter en simples exécutants dans d'immenses usines mécanisées. Taylor a introduit dans le monde du travail une division des tâches et une séparation radicale entre ceux qui conçoivent et ceux qui produisent. Pour Taylor, l’ouvrier n’est pas là pour penser, mais pour exécuter des gestes savamment calculés pour lui (techniques de production, gestes, rythmes, cadences) , il est stimulé par un système de primes au rendement. Tout travail intellectuel et de conception doit être enlevé de la production pour être concentré dans les bureaux de planification et d’organisation de l’entreprise. L’industrialisation a eu pour effet de vider le sens du travail en lui ôtant sa valeur d’accomplissement de soi dans une oeuvre comme c'était le cas pour l'artisan. Le mot "ouvrier" (celui qui fait une oeuvre) n'a alors plus beaucoup de sens. Taylor est tout à fait conscient du caractère abrutissant du travail ainsi proposé à l’ouvrier: " l’une des premières caractéristiques d’un homme qui est capable de faire le métier de manutentionnaire de gueuses de fonte est qu’il est si peu intelligent et si flegmatique qu’on peut le comparer, en ce qui concerne son attitude mentale, plutôt à un bœuf qu’à toute autre chose. L’homme qui a un esprit vif et intelligent est, pour cette raison même, inapte à exercer ce métier en raison de la terrible monotonie d’une tâche de ce genre." (Taylor, 1911). Le fordisme est un mode de développement de l'entreprise proposé et mis en oeuvre par Note pour Cahier Formation « Solidaires » version du 2 novembre 2009. Henry Ford (1863-1947) industriel américain qui produit les voitures du même nom. Il reprend et complète les principes du taylorisme. La division du travail est à la fois verticale (séparation entre conception et réalisation) et horizontale (parcellisation des tâches). Le travail à la chaîne apparaît avec une standardisation permettant de produire en grandes séries avec des pièces interchangeables. Ford augmente le pouvoir d'achat des ouvriers (5 dollars/jour contre 2 à 3 auparavant), pour stimuler et augmenter la consommation. Cette augmentation des salaires avait par ailleurs pour but principal de lutter contre le turn-over et a démission des ouvriers devenu de plus en plus élevé avec l'apparition du travail à la chaîne, qui rendait les conditions de vie des ouvriers très difficiles. Les conséquences de ces organisations se sont traduites par des hausse de productivité, une standardisation de la production pour favoriser la consommation de masse. Ces modes d'organisation permettaient la baisse des coûts de production avec des conséquences très néfastes sur les ouvriers: déqualification du travail ouvrier de plus en plus répétitif et monotone et contrôle du travail par la direction. Des grèves et conflits importants ont émaillés les années de développement de ces organisations dont les plus importantes ont eu lieu en France dans les années 70 avec des grèves d'OS (Ouvriers Spécialisés) notamment de l'automobile. Ces modes d'organisation et ces logiques restent encore très présente dans de nombreuses entreprises. Les méthodes de pilotage de la production par l'aval...du capitalisme familial au capitalisme managérial Le taylorisme et le fordisme se caractérisent notamment par un pilotage centralisé et « en amont » de la production. Il est mis en place dans une période avec un capitalisme familial (Ford, Berliet, Michelin, Peugeot, Citroen, Rothschild etc.) caractérisé par un petit nombre d'actionnaires qui sont aussi les propriétaires dirigeants. Ce système convient plutôt bien pour les productions standardisées. Mais les évolutions conduisent aujourd'hui les décideurs à partir des besoins des clients à qui on propose de multiples produits, options, marques... On parle maintenant de pilotage de la production et du management par l'aval... Les familles ont cédé progressivement la place aux « managers » à la direction des entreprises. Alors que les entreprises gardaient l’essentiel des bénédices pour autofinancer leur développement, on assiste à des changements en profondeur dans la gestion des Entreprises et dans les Conseils d'Administration. Les managers sont formés dans les écoles de commerce plutôt que dans les écoles d’ingénieurs. Les système d'interessement aux résultats de l’entreprise se développent. Ils n’ont plus la vision «patrimoniale» de l’entreprise : le résultat compte plus que le bilan... Plusieurs méthodes de management vont alors se développer à partir des années 1970, 1980... Pour partie importées des USA ou du Japon, elles font, dans les discours, appel à la mobilisation des « Ressources Humaines » à l'autonomie, à l'investissement personnel. Les cercles de qualité apparaissent ainsi aux USA dans les années 1970 et se développent en Europe fin des années 1970 et début des années 1980... Un responsable Note pour Cahier Formation « Solidaires » version du 2 novembre 2009. principal fixe les objectifs de travail pour un problème particulier. Un groupe de travail de 4 à 15 personnes (de niveau et de service différents dans l'entreprise), se rencontrent régulièrement pour définir, analyser, choisir, proposer et résoudre les problèmes concernant la qualité dans le travail. De tous les problèmes, le groupe se focalise sur le plus important et apporte sa réflexion (brainstorming). Le toyotisme est un mode d'organisation qui nous vient du Japon. Pensé dans les années 60 par l'entreprise Toyota, il sera médiatisé et ensuite importé dans les pays industrialisée comme système de gestion... Selon ses promoteurs, il s'agit d'une méthode consistant à réduire les coûts et les gaspillage, maintenir une qualité optimale des produits tout au long de la chaîne de production notamment par la réduction des stocks et l'adaptation de la production à la demande. C'est la production à flux tendu (ou production « juste à temps », ou « méthode kanban »)... Le rôle des transports devient essentiel avec des stocks qui sont sur les routes. Dans la théorie, ce système prend l'avis des travailleurs qui doivent contribuer en permanence à analyser les problèmes et contribuer à leur résolution. En complément de ces évolutions du management, les Entreprises se lançent dans de vastes mouvements de restructurations. Le développement de la sous traitance devient la règle. Il faut « externaliser ». Tout ce qui n'est pas le coeur du métier va être dégagé des entreprises. Les fournisseurs devront s'adapter, prendre en charge une partie de la conception, ils seront « associés aux risques ». On parle de « Downsizing » pour parler des dispositifs de réduction des effectifs, la flexibilité, la précarité, les délocalisations, les processus de « fusions/acquisitions/restructurations » se multiplient. Pendant cette période, le capitalisme a pû faire miroiter pour les travailleurs la possibilité de développer leur compétences et leur intelligence mais avec une réalité bien différente. Du capitalisme managérial au capitalisme financier... Le mouvement de libération du capital a conduit à une émancipation des logiques financières vis-à-vis des logiques sociales mais aussi des logiques productives.Et la libération du capital s'est accompagnée d'une attaque contre le travail. Les mesures mises en oeuvre par Ronald Reagan et Margaret Thatcher avaient été expérimentées au Chili, sous Pinochet qui avait servi de laboratoire aux « Chicago boys » menés par Friedman. Elles se sont accompagnées d'un affrontement délibéré avec le mouvement syndical (à l'occasion de la grève des contrôleurs aériens aux USA et de la grève des mineurs en Grande-Bretagne). La crise financière est donc un des volets d'un mouvement qui s'est traduit par une augmentation considérable de la pression sur le travail. Un profond déséquilibre s’est installé dans le rapport capital-travail. Les exigences financières à court terme dominent l'essentiel des rapports de travail. Les hiérarchies issues du métier ont été remplacées par des managers formés dans les écoles de commerce, les écoles de gestion.... La pression se développe partout au sein des entreprises et en direction des entreprises sous-traitante. Dans certaines grandes entreprises qui ne sont pas soumises à des menaces particulières, on assiste en outre à un phénomène étrange. La direction fonctionne comme un état-major militaire en temps de paix, qui simule des situations de guerre, qui effectue des manœuvres pour s’y préparer. Cela revient, Note pour Cahier Formation « Solidaires » version du 2 novembre 2009. en entreprise, à travailler la flexibilité. Les réformes de structure se succèdent. Les organisations se modifient brutalement. Du jour au lendemain, un centre d’appels performant est délocalisé à l’autre bout du pays alors qu’il embauchait encore une semaine plus tôt : personne ne savait qu’il allait disparaître. Il s’agit peut-être d’assouplir les salariés, pour qu’ils deviennent plus réactifs, plus hightech, plus adaptés au marché... [Et voilà le travail Chroniques de l’humain en entreprise. Interview de Philippe Davezies, enseignat chercheur à Lyon I (Le blog d'Elsa Fayner)] Les méthodes de management reposent désormais sur l'individualisation, le salaire au mérite, les dispositifs de participation et d'interessement. L'infantilisation, les challenges sont sensés mobiliser les salariés...Les évaluations du travail sont devenues de plus en plus extérieures au travail et reposent sur des grilles et des indicateurs de débit et de rentabilité qui traduisent la pression financière jusqu'au poste de travail. D'un côté, le discours reste celui de la qualité totale certifiée au client mais de l'autre l'exigence de produire sans s’embarrasser des détails conduit à une dégradation souvent importante de la qualité « réelle » telle qu'elle est vécue par les travailleurs. Dans cette situation, ceux qui ne sont pas dans le moule sont exclus. Des consultants se spécialisent dans le coaching, l'employabilité (voir encadré). Outre la multiplication des contrats précaires, une fraction du salariat est incité à travailler pour les entreprises en indépendant. Les conséquences des évolutions des organisations du travail font de nombreux dégats sur la vie et la santé des travailleurs. Les maladies professionnelles explosent, les accidents du travail restent à un niveau élevé. Le lien entre les suicides et les évolutions du travail est de plus en plus souvent démontré. Une étude de l'Institut de Recherches Economiques et Sociale sur la productivité du travail en France et aux USA, montre que les performances plus élevées en France sont en partie dues au fait que sont exclues de l'emploi les fractions de la population active les moins « employables » (jeunes en difficultés d'insertion, seniors...) La revue de l'IRES N°58 Pour les nouveaux théoriciens du management, l'employabilité est « la capacité à maintenir ou retrouver rapidement un emploi. C'est aussi capitaliser et transférer ses expériences, évoluer, enrichir son capital. » Compléments à rédiger par Solidaires sur l'action syndicale... Note pour Cahier Formation « Solidaires » version du 2 novembre 2009.