Interactions médicamenteuses liées à une inhibition de la P

Interactions médicamenteuses liées à une inhibition
de la P-glycoprotéine
Drug-drug interactions linked to a P-glycoprotein inhibition
D. Balayssac*, N. Authier*, F. Coudoré*
RÉSUMÉ.
La P-glycoprotéine (Pgp) est un transporteur membranaire impliqué dans la cinétique de nombreux xénobiotiques. Cette protéine
p e rmettant l’efflux des xénobiotiques est présente au sein des diff é r ents organes re s p o n s ables de l’ab s o rption et de l’excrétion des médicaments.
La Pgp est nécessaire à l’intégrité des barrières hémato-tissulaires limitant la distribution des xénobiotiques dans l’organisme et, notamment,
dans des “sanctuaires” pharmacologiques tels que le cerveau, les testicules et le fœtus. Cependant, son activité peut être inhibée par certains
principes actifs, ce qui va perturber la cinétique des médicaments coadministrés et sera à l’origine d’interactions médicamenteuses.
Mots-clés :
P-glycoprotéine - Interactions médicamenteuses - Absorption - Excrétion - Biodisponibilité - Distribution.
ABSTRACT.
The P-glycoprotein (Pgp) is a membrane transporter involved in the kinetic of numerous xenobiotics. On one hand,this efflux
protein is present in various organs responsible of drug absorption and excretion. On the other hand,the Pgp is necessary to the integrity of
blood-tissue barriers limiting the distribution of xenobiotics within the organism, and notably in pharmacological “sanctuary” as brain,
testis and foetus. However, some products are able to inhibit Pgp activity,being able to disturb the various steps of the kinetic of drugs
administered simultaneously and at the origin of true drug-drug interactions.
Keywords:
P-glycoprotein - Drug-drug interactions - Absorption - Excretion - Bioavailability - Distribution.
* Laboratoire de toxicologie, faculté de pharmacie, 28, place Henri-Dunant, 63000 Clermont-Ferrand.
Plus un patient prend de médicaments, plus la pro-
babilité qu’une réaction indésirable se produise est
gra n d e ” ( 1 ). En effe t , la pro b abilité d’intera c t i o n s
médicamenteuses varie de 0 à 0,50 en fonction du patient (état
de santé, âge...), des médicaments (cinétique et dynamique) et
du lieu où ils sont prescrits (milieu hospitalier ou non). Ces inter-
actions médicamenteuses sont d’ord re pharmacocinétique ou
pharmacodynamique. Elles impliquent essentiellement des prin-
cipes actifs ayant une fenêtre thérapeutique étroite et des médi-
caments modulant l’activité des enzymes du métabolisme ( 1 ). Les
p r otéines membra n a i res de la M u l t i D r ug Resistance ( M D R ) ,
comme la P-gly c o p ro t é i n e,t ra n s p o rtent hors des cellules de nom-
breux xénobiotiques, et la localisation cellulaire et tissulaire de
ces protéines d’efflux leur confère un rôle de détox i fi c ation. L’ i m -
p o rtance des tra n s p o r t e u rs de la MDR dans la pharm a c o c i n é t i q u e
de nombreuses molécules semble de plus en plus évidente en cli-
nique, ainsi que leur potentiel à générer des interactions médi-
camenteuses (2). En effet, des études in vitro ont montré que,
parmi 66 principes actifs représentant huit classes pharmacolo-
giques, 18 présents à des taux thérapeutiques et 10 à des taux
légèrement supérieurs ont pu modifier l’accumulation cellulaire
de la daunorubicine par une inhibition de la P-gly c o p ro t é i n e
( Pe rm e ab i l i t y - g l y c o p ro t e i n ) (Pgp) ( 3 , 4 ). La propension de
n o m b r eux dicaments à interagir avec les tra n s p o r t e u r s
m e m b ra n a i res permet aujourd’hui d’expliquer et de préve n i r
certaines interactions médicamenteuses.
Dans cet article,nous évaluons l’impact d’une inhibition de la
Pgp en termes d’interactions médicamenteuses. Après une
description de cette protéine d’efflux, la discussion est centrée
sur deux grandes étapes de la cinétique des xénobiotiques dépen-
dantes de la Pgp ave c, d’une part , l ’ ab s o rption et l’ex c r é t i o n
régissant la biodisponibilité des médicaments, et d’autre part,
la distribution des principes actifs dans l’organisme.
DESCRIPTION DE LA Pgp
La Pgp ap p a rtient à la superfamille des tra n s p o rt e u r s A B C
( ATP Binding Cassette) et corre s p o n d , chez l’homme, a u
p r oduit du gène ABCB1 ou MDR1. La Pgp est une gly c o p ro t é i n e
transmembranaire de 170 kDa constituée de deux polypeptides
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s e m bl ables fonctionnant comme une pompe AT P - d é p e n d a n t e. La
l o c a l i s ation cellulaire de la Pgp est ap i c a l e, ce qui lui perm e t , d a n s
le cas de cellules polari s é e s , d ’ e ffluer directement dans la lumière
des vaisseaux sanguins ou de divers canalicules. Principalement
d é c rite en cancéro l o gie comme facteur de résistance aux ch i-
miothérapies, la Pgp confère aux cellules une chimiorésistance
vis-à-vis de nombreux substrats
( t a bleau I)
en re foulant active m e n t
ces molécules, d i m i nua nt par conséquent les concentrations intra-
c e l l u l a i res. Cette capacité d’ex t raction des xénobiotiques confère
à la Pgp un le phy s i o l o gique de protection des cellules.
Par exemple, des souris knock out (KO) mdr1a (-/-) déficientes
en Pgp deviennent plus sensibles à un antiparasitaire, l’ivermec-
tine, et développent alors une plus forte neurotoxicité que les
s o u ches sauvages. La Pgp est présente dans de nombreux orga n e s
tels que les reins, le foie,le côlon, l’intestin grêle,le cerveau,
les testicules et le placenta ( 5 , 6 ). Les re ch e rches effectuées sur la
réversion de la résistance des tumeurs surexprimant la Pgp ont
permis de découvrir un certain nombre d’inhibiteurs de la Pgp
p a r mi des molécules pharm a c o l ogiques d’utilisation coura n t e
(tableau II)
. L’inhibition du transport des substrats de la Pgp est
complexe et correspond à cinq mécanismes distincts
(figure 1)
:
inhibition compétitive ou non pour les sites de fixation des sub-
s t rat s ou de l’AT P, inhibition de l’hy d ro lyse de l’ATP ( 6 ). La cap a-
cité de certaines molécules à diminuer l’activité de la Pgp au
niveau de différents tissus pourra donc être à l’origine d’interac-
tions médicamenteuses modifiant l’absorption, l’excrétion et la
distribution des substrats de la Pgp.
INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES LIÉES
À L’INFLUENCE DE LA PGP
Effets sur la biodisponibilité des médicaments
La Pgp est présente dans différentes structures de l’organisme.
Au niveau du tractus digestif,elle est exprimée à la surface des
entérocytes d’où elle diminue l’absorption des médicaments pris
par voie orale, et elle excrète dans la lumière intestinale des prin-
cipes actifs présents dans la circulation générale. Ainsi, il a été
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Tableau I. Substrats de la P-glycoprotéine.
Analgésiques
Bêtabloquants
– asimadoline talinolol
– morphine
A n t a gonistes calciques
Antibiotiques vérapamil
– érythromycine diltiazem
– gramicidine D félodipine
– valinomycine nicardipine
Anticancéreux
Glycoside cardiotrope
Alcaloïdes de la pervenche digoxine
v i n bl a s t i n e ,v i n c r i s t i n e,v i n d é s i n e,v i n o re l b i n e
Hormones stéroïdes
Taxanes dexaméthasone
paclitaxel, docétaxel hydrocortisone
Anthracyclines corticostérone
doxorubicine, daunorubicine, triamcinolone
épirubicine, idarubicine testostérone
Anthracenes progestérone
bisanthrène, mitoxanthrone estradiol
Épipodophyllotoxines
Curares
étoposide, téniposide vécuronium
Autres
Antiprotéases
actinomycine D saquinavir
méthotrexate ritonavir
trimétrexate nelfinavir
topotécan indinavir
tamoxifène lopinavir
mitomycine C amprénavir
Antidépresseurs
Antihistaminiques H1
venlafaxine terfénadine
paroxétine
Antihistaminiques H2
Antidiarrhéiques cimétidine
lopéramide
Immunosuppresseurs
Antiémétiques ciclosporine A
dompéridone tacrolimus
ondansétron
Inhibiteurs
Antiépileptiques de la pompe à proton
carbamazépine oméprazole
phénobarbital lansoprazole
phénytoïne pantoprazole
lamotrigine
Antiparasitaires
felbamate ivermectine
gabapentine abamectine
topiramate émétine
Antifongiques
Statines
itraconazole lovastatine
kétoconazole atorvastatine
Antigoutteux
colchicine
Tableau II. Inhibiteurs de la P-glycoprotéine.
Antiarythmiques
Inhibiteurs de la pompe
amiodarone à proton
quinidine esoméprazole, lansoprazole
vérapamil oméprazole, pantoprazole
Anticancéreux
Divers
actinomycine D ciclosporine A
doxorubicine colchicine
vinblastine fénofibrate
Antibiotiques propafénone
clarithromycine, érythromycine réserpine
Antidépresseurs trifluopérazine
paroxétine, sertraline, progestérone
desméthylsertraline
Figure 1. Inhibition du fonctionnement de la Pgp : blocage du site
de fixation du xénobiotique,blocage du site de fixation de l’ATP et
inhibition de l’hydrolyse de l’ATP.
montré que, chez des souris KO délétées en Pgp, la biodisponi-
bilité orale du paclitaxel est plus élevée et sa concentration intes-
tinale après administration intraveineuse inférieure à celle des
souris sauvages
(5, 6)
.
La Pgp est aussi impliquée dans le fonctionnement des organes
émonctoires, comme le foie et les reins. À la surface des hépato-
cytes qui bordent les canalicules biliaires, elle participe à l’ex-
crétion des xénobiotiques dans la bile. En effe t , l ’ e xcrétion biliaire
de la digoxine, de la vinblastine et de la doxorubicine est signi-
ficativement diminuée chez les animaux KO par rapport aux ani-
maux sauvages. Au niveau rénal, la Pgp est présente à la surface
des cellules endothéliales des tubules rénaux, ce qui lui permet
d’avoir un rôle dans l’excrétion urinaire des médicaments. Bien
que l’excrétion nale de la digoxine soit inféri e u re chez les
animaux KO par rap p o rt aux animaux sauvage s , des résultat s
contradictoires sont cependant relevés avec d’autres molécules.
Il est pro b able que, chez ces animaux KO, des tra n s p o rt e u rs mem-
b ra n a i r es diff é rents de la Pgp ou encore certaines enzymes
du tabolisme soient induits, e n t r nant des modifi c ations
p h a r macocinétiques supplémentaires ( 5 , 6 ). Cliniquement, l a
p h a r macocinétique du pacl i t a xel est modifiée par l’action de
r é ve rs e u rs de MDR, dicaments développés pour re s e n s i -
biliser les tumeurs de phénotype MDR. Le VX-710 ou le PSC 8 3 3
utilisés comme adjuvants de chimiothérapie diminuent la clai-
rance et prolongent la demi-vie du paclitaxel chez les patients,
par une inhibition de la Pgp, mais aussi avec un risque d’inter-
action avec les CYP450
(7, 8)
.
La Pgp est un terminant majeur de la biodisponibilité d’un
grand nombre de dicaments
( 5 , 6 )
. On peut supposer qu’un
médicament cap able de diminuer l’activité de la Pgp puisse aug-
menter la biodisponibilité d’autres substrats de cette pro t é i n e
l o rsqu’ils sont administrés simultanément
( f i g u re2 ) .
A i n s i , l ’ i n -
t e rac tion médicamenteuse la plus connue à ce jour, i m p l i q u a n t
une inhibition de la Pgp, est celle rencontrée entre la digox i n e
et le rapamil ou la quinidine. En effe t , ces deux antiary t h-
miques entraînent une augmentation dose-dépendante de la bio-
disponibilité de la digoxine et, comme cette dern i è re est peu
m é t ab o l i s é e,cet accroissement est le résultat d’une inhibition de
l ’ a c t i vité de la Pgp, induisant principalement une augmentat i o n
de l’ab s o rption et une diminution de l’excrétion intestinale de la
d i gox ine
( 6 , 9 )
. Au t re exe m p l e,le talinolol, qui est très peu méta-
b o l i s é , comme la digox i n e,est éliminé par voie biliaire et rénale.
Sa biodisponibilité peut être augmentée par l’administrat i o n
concomitante d’inhibiteurs de la Pgp comme le vérapamil
( 6 )
.
Les inhibiteurs de la pompe à protons sont aussi connus pour
i n t e ragir avec les enzymes du métabolisme des dicaments.
Une étude in vitro récente a cl a i remen t démontré que ces médi-
caments sont également des inhibiteurs de la Pgp cap ables de
d i m i n uer l’efflux de la digoxine
( 1 0 )
. A i n s i , un cas de rhab d o-
myo lyse a été rap p o rchez une patiente sous at o rva s t a t i n e,é s o -
m é p r a zole et cl a ri t h ro my c i n e. Bien que la cl a ri t h ro myc ine soit
un puissant inhibiteur du CYP3A4 métabolisant l’at o rva s t at i n e ,
l’antibiotique n’a été introduit que sur une courte période ap r è s
l ’ ap p a rition des pre m i e rs symptômes. Les auteurs ont donc sus-
pecté une diminution de la cl a i rance de l’at o rva s t atine due à une
inhibition de la Pgp par l’ésomépra zole
( 1 1 )
.
Effets sur la distribution des médicaments
Des études d’immunohistochimie ont montré la présence de la
Pgp dans de nombreux tissus et, notamment, au sein des diffé-
rentes barrières hémato-tissulaires comme les barrières hémato-
e n c é p h a l i q u e,h é m at o - t e s t i c u l a i r e ou fœto-placentaire. A i n s i , u n e
modulation de l’activité de la Pgp dans ces structures contribue-
rait à modifier la distri bution tissulaire des dicaments
(figure 3)
. Cette nouvelle répartition conduirait à une exposition
accrue des organes protégés par ces barrières pouvant induire des
réactions indésirables avec une spécificité tissulaire.
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Figure 2. Biodisponibilité des xénobiotiques et inhibition de la Pgp.
Figure 3. Distribution tissulaire des xénobiotiques et inhibition de
la Pgp.
Barrière hémato-encéphalique.La Pgp est présente en quan-
tité importante dans les cellules endothéliales des cap i l l a i res céré-
b r aux fo rmant la barri è re hémato-encéphalique (BHE). Cette
BHE limite la pénétration cérébrale des composés provenant du
compartiment sanguin. La Pgp capte les xénobiotiques présents
dans le tissu cérébral et les “ e f fl u e ” d i r ectement dans les cap i l l a i re s
sanguins. Par exemple, la résorption cérébrale des substrats de la
Pgp est augmentée d’un facteur 10 à 100 chez les animaux KO
déficients en Pgp comparés aux animaux sauvages
(5)
. Ainsi, il
est clair que la Pgp possède un rôle majeur dans l’intégrité de la
B H E , limitant la distri bution cérébrale de certains principes actifs.
Au vu des travaux réalisés sur les souris KO, il semble que le cer-
veau soit la structure la plus sensible aux variations de fonction-
nement de la Pgp
(5)
. Par conséquent, la modulation de l’activité
de la Pgp au niveau du système nerveux central pourrait aisément
être responsable d’effets indésirables neurologiques
(12)
. Il est
intéressant de noter que certains médicaments tels que les anti-
histaminiques H1 de deuxième génération sont dépourvus d’ef-
fets indésirables neurologiques, car ce sont des substrats de la
P g p , et cette dern i è re limite leur résorption cérébra l e, ce qui
n’était pas le cas des antihistaminiques H1 de première généra-
tion
(13)
. La dompéridone n’entraîne normalement pas d’effet
indésirable neurologique,car elle est aussi un substrat de la Pgp,
mais l’administration concomitante de vérapamil est re s p o n s abl e
d’une augmentation de la distribution cérébrale de la dompéri-
done chez le rat
(14)
.
Plusieurs études ont mis en évidence les capacités d’interactions
de différentes molécules avec la Pgp. La création de modèles cel-
lulaires de BHE a permis d’évaluer l’inhibition de la Pgp par dif-
férents principes actifs. Ainsi, il a été découvert que des antidé-
p re s s e u rs , comme la sert ra l i n e , la desméthy l s e rt raline et la
paroxétine peuvent exercer une inhibition de l’activité de la Pgp
semblable à celle de la quinidine
(15)
. Au même titre, la ciclo-
sporine A, la quinidine,la vinblastine et le vérapamil ont montré
leur potentiel à inhiber efficacement le fonctionnement de la
Pgp sur des cap i l l a i res cérébraux de rat. L’ a c t i n o mycine D, la col-
chicine, la réserpine,la doxorubicine et la progestérone peuvent
é g alement moduler l’activité de la Pgp, mais avec un effet moindre
(16)
. In vitro, le kétoconazole est un inhibiteur du fonctionne-
ment de la Pgp. Les effets du kétoconazole sur le franchissement
de la BHE par le ritonavir et le saquinavir ont été étudiés chez
des patients infectés par le VIH. La coadministration de kétoco-
nazole à la dose de 200 mg par voie orale a entraîné une aug-
mentation des concentrations de ritonavir et de saquinavir dans
le liquide céphalora ch i d i e n , a l o r s que le kétoconazole n’avait que
peu d’effets sur les concentrations plasmatiques des antipro t é a s e s .
Ces résultats démontrent cl a i rement que le kétoconazole aug-
mente la pénétration cérébrale du ritonavir et du saquinavir chez
les patients séropositifs en inhibant le transport par la Pgp.
La Pgp est aussi impliquée dans le passage cérébral de la majo-
ri des antiépileptiques. La surex p ression de ces pro t é i n e s
d ’ e fflux au niveau de la barri è re hémat o - e n c é p h a l i q u e , due à
un polymorphisme du gène ABCB1 codant pour la Pgp, explique
en partie la résistance aux traitements antiépileptiques de cert a i n s
patients
(17)
. D’autre part, la coadministration de vérapamil per-
met d’augmenter la pénétration cérébrale de la phénytoïne et de
la carbamazépine chez le rat
(18)
.
Ce type d’interaction médicamenteuse au niveau du système ner-
veux central peut conduire à l’ap p a rition d’effets indésirables. En
effet, une étude clinique a mis en évidence une interaction poten-
tielle entre le lopéramide (16 mg, p.o.) et la quinidine (600 mg,
p.o.), qui est un inhibiteur de la Pgp. Cette association a été à
l ’ o ri gine d’une légère dépression re s p i rat o i re, tandis que la même
dose de lopéramide seul n’a eu aucune conséquence sur la
fonction re s p i rat o i re. Cet effet indésirable correspond à un
a c c r oissement de la distri bution cérébrale du lopéra m i d e,c a r
cette pert u r b ation n’a pas été expliquée par une augmentation des
concentrations plasmatiques
(19)
.
Barrière hémato-testiculaire. La fonction de la Pgp au
niveau de la barrière hémato-testiculaire est analogue à celle de
la BHE, grâce à la présence de grandes quantités de protéines
dans les cellules endothéliales des capillaires sanguins. Les
études expérimentales avec des souris KOmdr1a (-/-), confir-
ment que la Pgp abaisse les concentrations en xénobiotiques
dans les testicules. En effet, les concentrations testiculaires des
substrats de la Pgp tels que la ciclosporine A ou la digoxine sont
plus élevées chez les animaux KO que chez les animaux sau-
vages (5). La ciclosporine A augmente d’une manière dose-
dépendante la concentration testiculaire en doxorubicine chez
le rat, par un blocage direct de l’activité de la Pgp (20). Au
contraire, la trifluopérazine,la ciclosporine A, l’amiodarone, la
quinidine, le K8644 (analogue de la nifédipine) et le vérapamil
administrés en intrapéritonéal avant une injection intraveineuse
de vinblastine n’ont pas pu augmenter la concentration testi-
culaire de l’anticancéreux. Les auteurs ont supposé que les
doses utilisées n’étaient pas suffisantes pour bloquer l’activité
de la Pgp au niveau testiculaire(21). Les études concernant les
rôles de la Pgp dans les testicules sont encore ra r e s , mais elles pour-
raient, comme dans le cerveau, révéler des mécanismes respon-
sables d’une toxicité spécifique.
Barrière fœtoplacentaire. La Pgp est présente à l’apex des
syncytiotrophoblastes du placenta. Son orientation lui permet
d’“ e f fl u e r ” les xénobiotiques du sangtal dans le sang mat e rn e l .
L’absence de la Pgp chez les souris KO entraîne une augmenta-
tion de la résorption fœtale de xénobiotiques tels que la digoxi-
ne, le saquinavir et le paclitaxel. L’exposition d’animaux trans-
géniques à un antihelminthique dérivant de l’avermectine a aug-
menté l’incidence des fentes palatines chez les fœtus déficients
en Pgp, alors qu’il n’y a aucune malformation chez les fœtus de
type sauvage et qu’il existe un taux intermédiaire de malform a-
tions chez les fœtus hétéro z y gotes ( 5 ). L’emploi d’un modèle de
barrière fœtoplacentaire développé à partir de cellules épithé-
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liales de choriocarcinome placentaire humain a permis de
mettre en évidence une inhibition pharmacologique du transport
de substrats tels que la vinblastine,la vincristine ou la digoxine
par des inhibiteurs de Pgp comme la ciclosporine A, le véra-
pamil et la progestérone (22). Ces résultats soulèvent le délicat
problème de la médication pendant la grossesse. L’emploi de
médicaments pendant cette période doit se faire après une éva-
luation du ratio bénéfice/risque pour le fœtus et la mère. Mais la
notion d’interactions médicamenteuses au niveau de la barrière
placentaire modifie la notion de sécurité du médicament. En
effet, l’inhibition de la Pgp pourrait contribuer à diminuer la
marge de sécurité d’un médicament donné par augmentation de
ses taux fœtaux.
CONCLUSION
La prévention du risque iatrogène médicamenteux est actuelle-
ment un point clé dans l’optimisation de la thérapie avec, en ligne
de mire, les interactions médicamenteuses et les effets indési-
rables.
L’effort réalisé à ce jour pour évaluer l’impact pharmacologique
et toxicologique des transporteursABC permet de mieux com-
prendre les mécanismes sous-jacents de ces interactions médica-
menteuses. Celles impliquant la Pgp sont principalement dues à
une inhibition de son activité d’efflux ayant pour conséquence
une augmentation de la biodisponibilité et de la distribution des
médicaments dans l’orga n i s m e. Cep e n d a n t , la Pgp peut aussi être
induite par certains substrats tels que la rifampicine, ayant pour
conséquence de perturber la cinétique des principes actifs
(6)
. Il
est important de noter que,parmi la superfamille des transpor-
teurs ABC, la BCRP
(Breast Cancer Resistance Protein)
ou la
famille des MRP
( M u l t i d rug Resistance Pro t e i n s )
sont aussi
capables de transporter des xénobiotiques hors des cellules avec
certaines homologies de substrats et une relative spécificité tis-
sulaire. Cela montre globalement la complexité des interactions
médicamenteuses impliquant les protéines de transport.
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