Symptôme en psychiatrie et neuro-imagerie

publicité
LE SYMPTÔME
Symptôme en psychiatrie
et neuro-imagerie
A. Kaladjian*
L
* Pôle de psychiatrie des adultes,
hôpital Robert-Debré, Reims.
e développement des méthodes d’imagerie
a probablement représenté une des évolutions majeures des neurosciences de la fin
du siècle dernier. Dans le champ de la psychiatrie,
l’utilisation de ces méthodes, en offrant la possibilité d’observer directement la structure et le
fonctionnement cérébral du sujet humain, s’est
accompagnée d’un changement en profondeur
de la vision des maladies mentales. En effet, la
mise en évidence d’anomalies cérébrales, plus
particulièrement fonctionnelles, chez les patients
souffrant de maladies psychiatriques, a contribué
à réintégrer ces maladies dans l’ensemble de
celles qui sont dites organiques, accessibles
aux formes d’investigations expérimentales
inspirées du classique modèle biomédical (1).
Une telle ouverture du champ de la psychiatrie aux neuro­sciences suscite actuellement un
enthousiasme important au sein des équipes
de recherche impliquées dans la compréhension des processus neurobiologiques à l’œuvre
dans les maladies mentales. Néanmoins, cet
engouement est largement plus nuancé chez
les cliniciens de terrain qui, tout en ayant généralement de l’intérêt pour de telles évolutions
techniques, restent au fond assez perplexes sur
les changements que ces dernières sont susceptibles d’entraîner dans leur pratique quotidienne.
Ce scepticisme se justifie par l’évidence qu’une
rupture avec les approches cliniques reposant
sur les nosographies actuelles ne peut être envisagée comme imminente. Force est de constater
que les quelques tentatives de rapprochement
entre clinique et neuro-imagerie, visant l’élaboration de nouveaux concepts ou un redécoupage nosographique des maladies mentales, sont
restées peu fructueuses. D’ailleurs, les groupes
de travail engagés dans l’élaboration de la future
version du Manuel diagnostique et statistique
62 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VII - n° 2 - mars-avril 2011
des troubles mentaux (DSM-5) ont renoncé à y
intégrer des données de neuro-imagerie, celles-ci
étant encore considérées comme insuffisamment
informatives pour contribuer à distinguer des
catégories diagnostiques.
Dans ce contexte, quelle relation est-il possible
d’établir entre clinique des troubles mentaux et
neuro-imagerie ? Plus précisément, quel est l’apport de la neuro-imagerie à la compréhension du
symptôme en psychiatrie ? Il n’existe vraisemblablement pas de réponse unique à cette question.
Comment pourrait-il en être autrement, puisque
les termes mêmes dans lesquels cette question
est formulée sont équivoques ?
Le mot symptôme (“ce qui survient avec”, en
grec ancien) désigne plus particulièrement en
médecine ce qui coïncide avec la maladie. Par
exemple, le délire ou les hallucinations sont des
symptômes qui surviennent à l’occasion de maladies comme la schizophrénie. Si l’on se réfère
aux classifications nosographiques actuelles,
c’est l’existence d’un ensemble de symptômes
regroupés selon des critères précis qui définit la
maladie. Il s’avère néanmoins que le symptôme
en psychiatrie n’a pas d’existence propre. Il se
constitue à partir du matériel exprimé par le
sujet (comportement ou discours), en réponse
à des tentatives de caractérisation de l’observateur à travers un prisme théorique, qui n’est pas
lui-même dénué de subjectivité. Le symptôme
est donc un phénomène donné à voir à l’observateur, interprété par celui-ci, et qui lui permet
d’amorcer une représentation de la maladie en
accord avec ses références théoriques.
Quant au mot neuro-imagerie, contraction
du grec neûron (nerf, fibre) et du latin imago
(portrait, représentation), il désigne l’ensemble
des approches qui utilisent des moyens techniques aboutissant à représenter la structure
LE SYMPTÔME
parenchymateuse ou le fonctionnement du
cerveau sous forme d’images. Or, il existe
une très grande hétérogénéité au sein de ces
approches, due à l’emploi de différents appareillages, au recours à des procédés très variés
dans l’acquisition des données et à la mise en
œuvre d’une multitude de méthodes pour les
traiter. Il est ainsi possible d’appréhender et
de montrer, par des images, des aspects très
différents du cerveau, comme son volume, sa
conformation, des densités ou des volumes
régionaux, les faisceaux principaux, le fonctionnement de certaines régions cérébrales, voire les
interactions fonctionnelles entre ces régions.
À partir de données recueillies chez plusieurs
individus, il est également possible de faire des
statistiques qui renseignent sur les variables
cérébrales étudiées. Il est par exemple intéressant de constater qu’une figure sur laquelle on
observe une différence localisée de fonctionnement cérébral entre un groupe de patients et
des sujets contrôles correspond en réalité à une
projection de tests statistiques sur une image
de cerveau standard. L’image n’est alors qu’une
représentation particulière de données numériques, réduites et agglomérées sous formes
de pixels pour être accessibles, via la modalité
visuelle, à notre entendement.
Au terme de ces considérations, il devient nécessaire de s’interroger sur la possibilité d’envisager
que des images du cerveau nous renseignent sur
le symptôme psychiatrique.
En réponse à cette question, soulignons qu’un
des premiers intérêts de la neuro-imagerie est
probablement qu’elle pose sur le symptôme un
regard autre que celui de la clinique mais qui lui
est complémentaire. En effet, un des objectifs
fondamentaux des investigateurs engagés dans
les études utilisant la neuro-imagerie consiste
à rattacher un type de phénomène clinique à
un processus neurobiologique. Cette démarche
nécessite de s’interroger sur le symptôme luimême, sans se satisfaire d’une rapide corrélation entre un score clinique arbitraire et une
quelconque variable cérébrale. La recherche de
dysfonctions cérébrales associées à la maladie
mentale passe en effet par une réflexion sur le
phénomène clinique à étudier, ce qui oblige à le
retranscrire, au moyen des outils de la psychologie expérimentale, en processus élémentaires
tels que ceux-ci puissent éventuellement être
reliés au fonctionnement neural. Ce travail
d’interprétation offre une première lecture
clinico-neurofonctionnelle, sur laquelle repose
la construction du dessin expérimental, visant
à identifier les corrélats anatomo-fonctionnels
d’un symptôme donné. Il est d’autant plus difficile que la dimension symptomatique étudiée
est en rapport avec un fonctionnement cognitif
ou un schéma comportemental élaboré.
Dans les situations les plus simples, le symptôme
est pris au plus près de ce qu’il est, c’est-à-dire
qu’il ne subit guère de transformation pour
pouvoir être accessible à l’expérimentation. C’est
le cas, par exemple, des symptômes relevant
d’une phobie spécifique, qui sont généralement
abordés au moyen de paradigmes expérimentaux consistant simplement à provoquer des
symptômes. Dans cette perspective, les symptômes sont assimilés aux phénomènes associés
à l’émotion induite par un stimulus phobogène. Des patients arachnophobes se prêtant
volontairement à une expérience se sont ainsi
vus confrontés à des images représentant des
araignées, pendant que leur activité cérébrale
était examinée par IRMf. Il a été constaté que
ce schéma d’exposition entraîne une activation excessive de certaines régions cérébrales
impliquées dans le traitement émotionnel des
informations. Cette hyperactivation concerne
plus précisément des régions comme le noyau
amygdalien et l’insula, connues pour appartenir
au circuit de la peur (2). De tels résultats ne font
a priori rien d’autre qu’authentifier le lien entre
le symptôme phobique et l’émotion spécifique
dénommée peur. Ils contribuent néanmoins à
replacer ce symptôme, avec sa composante
subjective, dans un référentiel neurobiologique
qui se veut objectif. Les effets de cette forme
d’objectivation sont encore très hypothétiques,
mais on ne peut exclure qu’elle aboutisse à une
utilisation opératoire. Par exemple, on peut
imaginer que l’arachnophobie sera susceptible
de ne plus être définie à terme comme la peur
des araignées, en tant que phénomène ressenti
par le sujet et exprimé dans son discours, mais
comme un profil neurofonctionnel particulier
induit par les représentations d’araignées.
En ce qui concerne d’autres types de symptômes, dont la construction est plus complexe,
leur abord par la neuro-imagerie nourrit une
réflexion plus importante encore sur leur nature
Mots-clés
Symptôme
Neuro-imagerie
Psychiatrie
IRMf
Keywords
Symptom
Neuroimaging
Psychiatry
fMRI
La Lettre du Psychiatre • Vol. VII - n° 2 - mars-avril 2011 | 63
LE SYMPTÔME
même, en tant qu’expérience vécue par les sujets
qui en souffrent. C’est typiquement le cas des
hallucinations, qu’il n’est pas aisé de considérer
comme dysfonction d’un processus cognitif ou
émotionnel parmi ceux identifiés dans le registre
de la psychologie expérimentale. Qu’est-ce donc
qu’une hallucination ? Les définitions classiques
qui la pensent comme “une perception sans
objet à percevoir” ne rendent en réalité pas
vraiment compte de sa nature propre, et ne
lèvent pas le voile du mystère qui se rapporte à
sa formation. Or, les études de neuro-imagerie
portant sur les hallucinations, en particulier
sur celles de modalité acoustico-verbale, ont
permis l’émergence de nouvelles hypothèses à la
faveur d’un questionnement sur les mécanismes
cognitifs qu’elles ont examinés. Selon qu’elles
ont été considérées par exemple comme une
activité aberrante du système auditif primaire
(3) ou une mauvaise attribution du discours
interne (4), les hallucinations ont été associées
à divers types de dysfonctionnements cérébraux.
Différents modèles explicatifs portant sur la
physiopathologie des hallucinations ont été
proposés, soulignant en particulier le rôle de
dysfonctions spécifiques dans les relations entre
régions préfrontales, temporales et pariétales
(5). Offrant une perspective nouvelle, ces
modèles permettent d’interpréter et de théoriser l’hallucination en tant que symptôme, tout
en se pliant à la démarche expérimentale.
La psychiatrie est néanmoins riche de manifestations symptomatiques difficiles à aborder au
moyen de l’imagerie. Il en est ainsi de nombreux
types de délires, de dimensions comme la désorganisation, l’agitation ou l’impulsivité ou de celles
rencontrées dans les troubles de l’humeur. Du
fait de l’hétérogénéité de leur expression ou de
leur définition quelquefois floue ou ambivalente,
ces symptômes trouvent rarement un paradigme
cognitif susceptible d’explorer une fonction cérébrale dont la défaillance serait à leur origine. Et
que dire de perturbations affectant l’inconscient,
terme encore plus ambigu et dont l’interprétation
est source de confusion et de malentendus entre
cliniciens et chercheurs ? En témoigne l’inconscient examiné expérimentalement par ceux qui,
parmi ces derniers, cherchent à créer des ponts
entre psychanalyse et neurosciences, inconscient qui relève, en réalité, d’une approche plus
cognitive que psychodynamique (6).
Dans ce contexte, il faut se rendre à l’évidence : si l’imagerie est un outil qui permet de
se représenter le symptôme avec des ancrages
neurobiologiques, elle se heurte aux limites de
ce qui est ainsi représentable. La dynamique
mentale ne saurait être réduite, dans un mouvement néo­phrénologique ou dans la lignée des
approches anatomolésionnelles, à une simple
projection sur l’organe cérébral. Comme la
mécanique quantique, que les physiciens
décrivent avec d’autres outils qu’un imaginaire
fondé sur la perception immédiate de l’univers physique qui nous entoure, la mécanique
cérébrale, pour être appréhendée, nécessite
probablement des sauts conceptuels qui ne
relèveraient pas uniquement des évolutions
technologiques en neurosciences. En l’absence
de nouveaux concepts susceptibles d’éclairer
la complexité du fonctionnement cérébral et
de permettre d’aborder la neurodynamique
défaillante qui sous-tend les maladies mentales,
une image de cerveau ne peut véritablement se
rapporter au symptôme en psychiatrie.
■
Références bibliographiques
1. Malhi GS, Lagopoulos J. Making sense of neuroimaging
in psychiatry. Acta Psychiatr Scand 2008;117(2):100-17.
2. Etkin A, Wager TD. Functional neuroimaging of anxiety:
a meta-analysis of emotional processing in PTSD, social
anxiety disorder, and specific phobia. Am J Psychiatry
2007;164:1476-88.
3. Lennox BR, Park SB, Medley I, Morris PG, Jones PB. The
functional anatomy of auditory hallucinations in schizo­
phrenia. Psychiatry Res 2000;100(1):13-20.
4. Simons CJ, Tracy DK, Sanghera KK et al. Functional
magnetic resonance imaging of inner speech in schizo­
phrenia. Biol Psychiatry 2010;67(3):232-7.
64 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VII - n° 2 - mars-avril 2011
5. Hugdahl K. “Hearing voices”: auditory hallucinations
as failure of top-down control of bottom-up perceptual
processes. Scand J Psychol 2009;50(6):553-60.
6. Les mille visages de l’inconscient. Le journal du CNRS
2006;194.
Téléchargement