Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 3, mai-juin 2002
L
a découverte des récepteurs des hormones
thyroïdiennes (TR) sous la forme de sites
de liaison spécifiques des hormones thyroï-
diennes (HT) dans le foie et le rein date de
1972 (1). Leurs gènes ont été identifiés en
1986 (2, 3). Depuis, les TR ont été impliqués
comme des acteurs essentiels de la voie
d’action des HT, médiateurs obligatoires du
contrôle qu’elles exercent sur la transcrip-
tion de leurs gènes cibles. En 1989, la carac-
térisation d’anomalies dans la séquence de
l’un des gènes codant les TR dans le syndrome
de résistance aux HT (4) a encore renforcé
l’intérêt que l’on pouvait leur porter. Les
avancées techniques permises par la mise au
point de modèles murins d’inactivation
(knock-out) ou de surexpression génique
(transgenèse) ont rendu ensuite possible
l’identification des spécificités fonctionnelles
des différentes isoformes de TR (5). Les
études actuelles affinent l’ensemble de ces
données et explorent un nouveau champ
d’application des TR en pathologie : la car-
cinogenèse humaine. Le but de cette revue
est d’exposer les notions actualisées sur le
rôle des TR en physiologie et pathologie thy-
roïdiennes.
Les récepteurs des hormones
thyroïdiennes : des facteurs
transcriptionnels inductibles
par la triiodothyronine (T3)
Les gènes des récepteurs
des hormones thyroïdiennes
Il existe deux types de récepteurs des hor-
mones thyroïdiennes codés par des gènes
distincts mais de grande homologie : les
gènes TR
α
(ou c-erbA
α
) et TR
β
(c-erbA
β
).
Localisés respectivement sur les chromo-
somes 17 et 3, ils produisent plusieurs
variants par épissage alternatif et/ou utilisa-
tion alternative de promoteurs (figure 1).
Au moins trois d’entre eux, TR
α
1,TR
β
1et
TR
β
2, sont des récepteurs fonctionnels de la
T3. Différent du TR
α
1par son extrémité C-
terminale (impliquée dans la liaison de la
T3), TR
α
2est incapable de fixer l’hormone
(6), mais conserve la capacité d’occuper les
101
Dossier : réceptologie
✎L’action des hormones thyroïdiennes est véhi-
culée par des récepteurs nucléaires spécifiques,
les récepteurs thyroïdiens (TR). Deux gènes
codent plusieurs isoformes de TR, dont certaines
ne sont pas des récepteurs fonctionnels et sont
considérées comme des agents modulateurs de
l’action des véritables TR.
✎Les TR se comportent comme des facteurs
transcriptionnels inductibles par le ligand : ils
contrôlent, positivement ou négativement, l’ex-
pression de leurs gènes cibles en présence ou
en l’absence de la triiodothyronine (T3). Pour
exercer cette activité transcriptionnelle, comme
les autres récepteurs nucléaires, les TR inter-
agissent avec de multiples cofacteurs nucléaires :
les corépresseurs, qui inhibent leur action en
l’absence de T3, et les coactivateurs, qui la
stimulent en sa présence.
✎Les hormones thyroïdiennes exercent des
actions en dehors du noyau. La T3 influence la
biologie mitochondriale en partie par l’inter-
médiaire d’un récepteur spécifique, la protéine
p43, présente dans la matrice mitochondriale
et correspondant à une forme tronquée codée
par le gène TRα. La protéine p43 se comporte
comme un facteur transcriptionnel inductible
par la T3 et contrôle ainsi l’expression de gènes
du génome mitochondrial. La T4 influence cer-
taines voies de transduction intracellulaire des
signaux en favorisant la phosphorylation
d’une kinase. Cette action serait relayée spéci-
fiquement par un récepteur membranaire qui
pourrait appartenir à la famille des récepteurs
couplés aux protéines G.
✎Les modèles murins d’inactivation génique
suggèrent que le rétrocontrôle exercé par les
hormones thyroïdiennes sur le complexe hypo-
thalamo-hypophysaire et leur action positive sur la
maturation auditive et rétinienne sont principa-
lement véhiculés par les produits du gène TRβ.
Les isoformes TRαsont plutôt impliquées dans le
maintien de la température corporelle, la matu-
ration intestinale, la maturation osseuse et le fonc-
tionnement musculaire (muscle strié et myocarde).
✎La résistance aux hormones thyroïdiennes
(RHT) est une affection héréditaire autosomique
dominante, spécifiquement liée à une anomalie
du gène TRβ. Elle est caractérisée par la présence
d’un goitre, de stigmates plus ou moins intenses
d’hypo- et d’hyperthyroïdie et par l’association
d’une hyperhormonémie thyroïdienne et de
taux normaux ou élevés de TSH.
✎Le métabolite actif de l’amiodarone, la
deséthylamiodarone, lie les TR et antagonise
l’action nucléaire de la T3 en inhibant la forma-
tion du complexe T3/TR ainsi que l’interaction
entre les TR et certains coactivateurs.
✎Plusieurs études ont impliqué des anomalies
d’expression ou de séquence des TR dans certains
cancers (sein, estomac, foie, thyroïde). On ne sait
pas, pour l’instant, si ces anomalies en constituent
une cause ou une conséquence et si elles s’ac-
compagnent d’une signification pronostique.
Plus déterminante semble la description de muta-
tions des récepteurs thyroïdiens, en particulier
de l’isoforme TRβ2, dans les adénomes hypo-
physaires thyréotropes, rendus de ce fait
insensibles à l’hyperhormonémie thyroïdienne.
* Clinique Marc-Linquette, service de médecine
interne et d’endocrinologie, CHRU de Lille.
Les récepteurs des hormones
thyroïdiennes : implications
en physiologie et pathologie
V. Vlaeminck-Guillem*, J.L. Wémeau*