L
insoutenable
légèreté
du
savoir
Pascal
Engel
On
dit
que
nous
sommes
dans
la
«société
de
la
connaissance»
bien
que
manifestement
tout
le
monde
n
y ait
pas
accès
On
parle
aussi
de
droit
au
savoir
bien
que
tout
le
monde
ne
puisse
pas
l
exercer
Mais
qu
est
ce
que
le
savoir
et
pourquoi
nous
importe
t
il
Platon
a
donné
la
définition
canonique
le
savoir
c
est
l
opinion
vraie
accompagnée
de
raison
On
peut
bien
avoir
des
croyances
vraies
mais
si
on
les
ob
tient
par
hasard
et
si
l
on
est
incapa
ble
de
les
justifier
on
ne
sait
pas
Le
savoir
n
existe
et
n
a
de
valeur
que
s
il
est
enraciné
dans
l
esprit
et
per
met
d
acquérir
d
autres
savoirs
C
est
ce
que
l
on
appelle
apprentissage
et
éducation
Si
ces
conditions
ne
sont
pas
remplies
la
vertu
de
savoir
se
transforme
en
vice
intellectuel
Ily
a
trois
grands
vices
cognitifs
le
sno
bisme
le
plagiat
et
la
sottise
Le
snobisme
c
est
le
fait
de
priser
une
opinion
parce
que
des
gens
«impor
tants»
l
ont
Le
snob
comme
disait
Karl
Kraus
n
est
jamais
sûr
ce
qu
il
loue
peut
être
bon
Le
plagiat
c
est
le
fait
de
voler
le
travail
intellectuel
d
autrui
en
s
appropriant
des
véri
tés
qu on
n
a
pas
pensées
par
soi
même
La
sottise
n
est
pas
l
imbécil
lité
ou
le
manque
d
intelligence
c
est
le
fait
de
n
avoir
cure
de
la
vérité
et
du
savoir
Selon
l
expression
du
philosophe
Harry
Frankfurt
c
est
«l
art
de
dire
des
conneries»
sans
se
soucier
des
conséquences
et
de
la
valeur
de
la
vérité
Cette
conception
classique
de
la
connaissance
est
celle
des
Lumières
et
c
est
aussi
celle
de
l
idéal
hum
boldtien
de
l
université
On
y
cultive
le
savoir
par
la
recherche
et
par
l
en
seignement
en
apprenant
à
acqué
rir
non
pas
des
croyances
mais
à
donner
des
raisons
et
à
les
critiquer
Mais
cette
conception
est
battue
en
brèche
De
plus
en
plus
on
appelle
«connaissance»
de
simples
opi
nions
vraies
ou
des
«informations»
comme
l
indiquent
des
termes
tels
que
«gestion
des
connaissances»
ou
«traitement
des
connaissances»
Une
conception
light
du
savoir
se
lon
laquelle
il
suffit
que
de
l
infor
mation
«circule»
tend
ainsi
de
plus
en
plus
à
se
substituer
à
la
concep
tion
classique
Le
fait
que
les
tech
nologies
de
la
communication
fa
vorisent
d
une
manière
jusque
inédite
la
diffusion
massive
de
ce
«savoir»y
estpour
beaucoup
Le
pla
giat
la
sottise
et
le
snobisme
attei
gnent
des
degrés
jamais
atteints
La
confusion
entre
le
savoir
light
et
l
éducation
atteint
son
comble
quand
des
universités
comme
Stan
ford
et
Harvard
consacrent
des
mil
lions
de
dollars
à
la
mise
en
place
d
enseignements
par
ordinateur
avec
évaluation
électronique
par
lo
giciels
et
par
«externalisation
ouverte»
crowdsourcing
Mais
même
si
on
peut
admettre
qu un
ensemble
de
podcasts
soit
l
équiva
lent
électronique
du
manuel
de
ja
dis
ce
n
est
pas
l
équivalent
d
un
en
seignant
La
relation
directe
de
l
enseignant
et
de
l
étudiant
n
est
pas
un
simple
flux
d
informations
même
calibrées
agréablement
elle
suppose
des
idées
et
un
échange
d
arguments
qui
se
fait
dans
le
tête
à
tête
ou
la
classe
Dans
les
discipli
nes
des
humanités
c
est
encore
plus
vrai
qu
ailleurs
bien
qu
il
soit
ab
surde
de
supposer
que
cela
dût
être
moins
vrai
dans
les
sciences
De
So
crate
à
Confucius
de
Laplace
à
Eins
tein
et
d
Aristote
à
Schrôdinger
on
n
a
jamais
fait
mieux
et
on
aura
beau
récréer
comme
on
l
a
fait
avec
des
vedettes
décédées
chantant
sui
des
scènes
vides
Kant
ou
Feynman
en
hologrammes
cela
ne
rempla
cera
pas
une
bonne
discussion
in
vivo
avec
un
philosophe
kantien
ou
un
physicien
De
telles
discussions
ne
seront
elles
pas
réservées
à
de
toutes
petites
élites
choisies
alors
que
les
masses
podcasteront
tout
comme
les
bons
restaurants
sont
réservés
aux
happy
few
On
aura
beau
nous
dire
que
l
on
peut
faire
des
podcasts
académiques
qui
soient
meilleurs
que
leur
équiva
lent
culinaire
en
fast
food
ce
ne
se
rait
pas
on
en
conviendra
le
but
des
apôtres
du
droit
universel
au
savoir
Aucune
technologie
n
est
en
elle
même
bonne
ou
mauvaise
c
est
l
usage
qu on
en
fait
qui
est
bon
ou
mauvais
et
il
n
y
a
aucune
raison
de
penser
qu
il
n
y ait
pas
de
très
bons
usages
de
ces
techniques
que
la
plupart
des
enseignants
intègrent
de
manière
créative
sans
renoncer
à
la
conception
classique
du
savoir
Mais
beaucoup
pensent
au
con
traire
qu
il
nous
faut
renoncer
à
cette
conception
et
qu
il
n
y
a
pas
autre
chose
à
faire
qu
à
constater
sa
ruine
Que
le
savoir
soit
devenu
même
chez
les
scientifiques
l
opi
nion
que
les
réseaux
et
les
hits
sur
Google
deviennent
plus
impor
tants
que
l
activité
de
critique
et
de
discussion
semblent
à
beaucoup
d
excellentes
choses
On
nous
en
joint
de
renoncer
aux
idéaux
classi
ques
étriqués
et
ennuyeux
de
ratio
nalité
et
de
vérité
T
es
plus
dans
l
coup
papa
Le
philosophe
fran
çais
Michel
Serres
s
est
fait
depuis
bien
longtemps
le
prophète
de
ces
mutations
Dans
son
œuvre
prolifi
que
de
la
philosophie
de
Leibniz
vue
comme
un
réseau
aux
nouvel
les
technologies
en
passant
par
Lucrèce
comme
théoricien
de
l
in
formation
Jules
Verne
thermody
namicien
Carpaccio
comme
artiste
du
codage
et
Hergé
comme
philo
sophe
de
la
communication
il
a
placé
la
circulation
de
l
opinion
au
cœur
du
savoir
Pour
lui
la
concep
tion
light
est
une
Bonne
Chose
Son
LeTemps
18.09.2012 Seite1/2
Auflage/Seite 42433/15 7490
Ausgaben 300/J. 10104048
©LeTemps,Genève ZMSMonitoringServicesAGMediaMonitoringwww.zms.ch
œuvre
est
un
véritable
florilège
des
lieux
communs
postmodemes
Chacun
de
ses
livres
nous
annonce
une
catastrophe
potentielle
que
tel
le
progrès
scientifique
pourrait
produire
pour
finalement
nous
ap
porter
la
Bonne
Nouvelle
que
ces
catastrophes
n
auront
pas
lieu
parce
que
les
humains
s
adaptent
Vive
l
homme
nouveau
la
«petite
poucette»
et
le
cyber
étudiant
ou
professeur
plagiaire
Vive
l
incom
pétence
le
papillonnage
l
incons
tance
la
dispersion
et
le
chaos
qui
sont
à
l
image
des
révolutions
de
l
information
du
moment
que
cela
nous
fait
plaisir
et
que
cela
suscite
en
nous
des
émotions
Fini
les
pro
fesseurs
et
les
étudiants
«Nous
sommes
nous
dit
il
sept
milliards
d
épistémologues
»
Les
20
d
anal
phabètes
qu
il
y
a
dans
le
monde
et
les
millions
d
enfants
qui
n
ont
pas
accès
à
une
salle
de
classe
apprécie
ront
Les
livres
de
Serres
sont
écrits
dans
le
style
light
et
métaphorique
qui
convient
à
la
philosophie
litté
raire
Seuls
des
pisse
froid
comme
le
Pr
Jacques
Bouveresse
un
précé
dent
docteur
honoris
causa
de
Ge
nève
peuvent
dire
qu
ils
contien
nent
de
nombreuses
sottises
comme
celle
qui
consiste
à
parler
d
un
principe
de
«Gôdel
Debray»
comparant
de
manière
absurde
les
systèmes
sociaux
aux
formalismes
logico
mathématiques
Que
les
universités
comme
celle
de
Genève
préfèrent
accompagner
en
les
maîtrisant
les
mutations
dans
la
diffusion
du
savoir
plutôt
que
de
les
subir
est
parfaitement
normal
Mais
qu
elles
décident
de
décerner
un
doctorat
honoris
causa
à
un
penseur
comme
Michel
Serres
est
plus
étonnant
L
idéal
humbold
tien
y
serait
il
mort
Professeur
de
philosophie
Université
de
Genève
L
œuvre
de
Michel
Serres
est
un
florilège
des
lieux
communs
postmodernes
Pourquoi
l
Université
de
Genève
le
distingue
t
elle
LeTemps
18.09.2012 Seite2/2
Auflage/Seite 42433/15 7490
Ausgaben 300/J. 10104048
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