Linsoutenable légèreté du savoir

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Le Temps
18.09.2012
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42433 / 15
300 / J.
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Linsoutenable légèreté du savoir
«connaissance»
de simples opi
ne seront elles pas réservées à de
toutes petites élites choisies alors
On dit que nous sommes dans la comme l indiquent des termes tels que les masses podcasteront tout
Pascal Engel
«société de la connaissance»
nions vraies ou des «informations»
bien
que «gestion des connaissances» ou
comme les bons restaurants sont
que manifestement tout le monde
n y ait pas accès On parle aussi de
droit au savoir bien que tout le
monde ne puisse pas l exercer Mais
qu est ce que le savoir et pourquoi
nous importe t il Platon a donné
la définition canonique le savoir
c est l opinion vraie accompagnée
de raison On peut bien avoir des
croyances vraies mais si on les ob
tient par hasard et si l on est incapa
ble de les justifier on ne sait pas Le
savoir n existe et n a de valeur que
s il est enraciné dans l esprit et per
met d acquérir d autres savoirs C est
ce que l on appelle apprentissage et
réservés aux happy few On aura
«traitement des connaissances»
Une conception light du savoir se beau nous dire que l on peut faire
lon laquelle il suffit que de l infor des podcasts académiques qui
mation «circule» tend ainsi de plus soient meilleurs que leur équiva
en plus à se substituer à la concep lent culinaire en fast food ce ne se
tion classique Le fait que les tech rait pas on en conviendra le but
nologies de la communication fa des apôtres du droit universel au
savoir
vorisent d une manière jusque là
Aucune technologie n est en elle
inédite la diffusion massive de ce
éducation Si ces conditions ne sont
lions de dollars à la mise en place la conception classique du savoir
d enseignements par ordinateur Mais beaucoup pensent au con
avec évaluation électronique par lo traire qu il nous faut renoncer à
giciels et par
«externalisation cette conception et qu il n y a pas
ouverte»
crowdsourcing
Mais autre chose à faire qu à constater sa
même bonne ou mauvaise
ford et Harvard consacrent des mil
pas remplies la vertu de savoir se
transforme en vice intellectuel Ily a
trois grands vices cognitifs le sno
bisme le plagiat et la sottise Le
snobisme c est le fait de priser une
opinion parce que des gens «impor même si on peut admettre qu un
tants» l ont Le snob comme disait ensemble de podcasts soit l équiva
Karl Kraus n est jamais sûr ce qu il lent électronique du manuel de ja
loue peut être bon Le plagiat c est dis ce n est pas l équivalent d un en
le fait de voler le travail intellectuel seignant La relation directe de
d autrui en s appropriant des véri l enseignant et de l étudiant n est
tés qu on n a pas pensées par soi pas un simple flux d informations
même La sottise n est pas l imbécil même calibrées agréablement elle
lité ou le manque d intelligence suppose des idées et un échange
c est le fait de n avoir cure de la vérité d arguments qui se fait dans le tête
et du savoir Selon l expression du à tête ou la classe Dans les discipli
philosophe Harry Frankfurt c est nes des humanités c est encore plus
«l art de dire des conneries» sans se vrai qu ailleurs bien qu il soit ab
soucier des conséquences et de la surde de supposer que cela dût être
valeur de la vérité
moins vrai dans les sciences De So
Cette conception classique de la crate à Confucius de Laplace à Eins
connaissance est celle des Lumières tein et dAristote à Schrôdinger on
et c est aussi celle de l idéal hum n a jamais fait mieux et on aura
boldtien de l université On y cultive beau récréer comme on l a fait avec
le savoir par la recherche et par l en des vedettes décédées chantant sui
seignement en apprenant à acqué des scènes vides Kant ou Feynman
rir non pas des croyances mais à en hologrammes cela ne rempla
donner des raisons et à les critiquer cera pas une bonne discussion in
Mais cette conception est battue en vivo avec un philosophe kantien ou
brèche De plus en plus on appelle un physicien De telles discussions
© Le Temps, Genève
c est
«savoir»y estpour beaucoup Le pla
giat la sottise et le snobisme attei l usage qu on en fait qui est bon ou
gnent des degrés jamais atteints La mauvais et il n y a aucune raison de
confusion entre le savoir light et penser qu il n y ait pas de très bons
l éducation atteint son comble usages de ces techniques que la
quand des universités comme Stan plupart des enseignants intègrent
de manière créative sans renoncer à
ruine Que le savoir soit devenu
même chez les scientifiques l opi
nion que les réseaux et les hits sur
Google deviennent plus impor
tants que l activité de critique et de
discussion semblent à beaucoup
d excellentes choses On nous en
joint de renoncer aux idéaux classi
ques étriqués et ennuyeux de ratio
nalité et de vérité T es plus dans
l coup papa Le philosophe fran
çais Michel Serres s est fait depuis
bien longtemps le prophète de ces
mutations Dans son
œuvre prolifi
que de la philosophie de Leibniz
vue comme un réseau aux nouvel
les technologies en passant par
Lucrèce comme théoricien de l in
formation Jules Verne thermody
namicien Carpaccio comme artiste
du codage et Hergé comme philo
sophe de la communication il a
placé la circulation de l opinion au
cœur du savoir Pour lui la
concep
tion light est une Bonne Chose Son
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œuvre est un véritable florilège des le Pr Jacques Bouveresse un précé
lieux communs postmodemes dent docteur honoris causa de Ge
Chacun de ses livres nous annonce nève peuvent dire qu ils contien
une catastrophe potentielle que tel nent de nombreuses sottises
le progrès scientifique pourrait comme celle qui consiste à parler
produire pour finalement nous ap d un principe de «Gôdel Debray»
porter la Bonne Nouvelle que ces comparant de manière absurde les
catastrophes n auront pas lieu systèmes sociaux aux formalismes
parce que les humains s adaptent logico mathématiques
Que les universités comme celle
Vive l homme nouveau la «petite
poucette» et le cyber étudiant ou de Genève préfèrent accompagner
professeur plagiaire Vive l incom en les maîtrisant les mutations
pétence le papillonnage l incons dans la diffusion du savoir plutôt
tance la dispersion et le chaos qui que de les subir est parfaitement
sont à l image des révolutions de normal Mais qu elles décident de
l information du moment que cela décerner un doctorat honoris causa
nous fait plaisir et que cela suscite à un penseur comme Michel Serres
en nous des émotions Fini les pro est plus étonnant Lidéal humbold
fesseurs et les étudiants
«Nous tien y serait il mort
sommes nous dit il sept milliards
d épistémologues » Les 20 d Professeur de philosophie
phabètes qu il y a dans le monde et Université de Genève
les millions d enfants qui n ont pas
œuvre de Michel Serres
accès à une salle de classe apprécie L
ront Les livres de Serres sont écrits
dans le style light et métaphorique
qui convient à la philosophie litté
raire Seuls des pisse froid comme
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est un florilège
des lieux communs postmodernes Pourquoi
l Université de Genève le distingue t elle
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