Les contresignatures

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1
Contresignatures de banquiers sur les deniers de la République Romaine
Cette étude se propose de répertorier et d’interpréter les diverses contresignatures rencontrées
sur les deniers de la République romaine et peut-être de trouver de façon concomitante de nouvelles
réponses à leurs fonctions. Ces nombreux signes archaïques, si souvent poinçonnés sur les deniers de
cette période, ont, à mon sens, d’autres rôles qu’une simple fonction de vérification qualitative de la
monnaie ; je développerai cette idée par la suite mais je pense qu’il faut différencier plusieurs
emplois à une telle méthode de marquage monétaire. Ces signatures de banquiers ont encore
beaucoup de secrets à nous livrer.
Depuis longtemps, certains numismates considèrent ces contresignatures comme des ajouts néfastes
à la monnaie, enlevant une partie de sa beauté originelle. Lorsque le denier était en circulation, ce
poinçonnage devenait un gage de qualité ; ce petit artefact constitue donc encore une preuve réelle
de sa circulation dans l’économie de marché romaine. En conséquence, la contresignature garantit
l’authenticité d’une monnaie face à celles proposées de nos jours et pour lesquelles même une étude
minutieuse ne permet quelquefois pas de distinguer un faux moderne d’un denier authentique de
qualité exceptionnelle : son rôle initial est donc encore actif dans le marché actuel de la
numismatique !
Il n’existe pas à ma connaissance d’étude complète des contresignatures et de leurs rôles dans la
littérature numismatique reposant sur l’observation quantitative et qualitative de ces marques.
L’excellent ouvrage d’Hubert Zenhacker1 ne donne que très peu de réponses sur le sujet mais il m’a
été d’une aide précieuse pour la méthodologie de cet article et les renseignements sur les techniques
de frappe de ces signatures. De même, il existe un Bulletin, imprimé en Avril 1888 par la Société
départementale d’archéologie et de statistique de la Drôme, dans lequel Roger Vallentin2 aborde de
façon descriptive les contremarques apposées durant la période impériale sur quelques deniers
républicains trouvés dans sa région. Mais ce numismate fait malheureusement un amalgame entre
les contremarques et les contresignatures décrites et interprète les signes rencontrés de façon
purement hypothétique.
En avant propos, je me propose donc d’exposer de façon succincte les différents rôles des acteurs de
la vie financière privée de l’économie républicaine ; cette mise au point permettra de mieux
comprendre la deuxième partie de cette étude traitant des techniques d’essai des monnaies ainsi
que du rôle des contresignatures dans les transactions commerciales variées de l’économie romaine.
Nous verrons que la relecture des textes anciens et les récentes conclusions issues de données
archéologiques mettent en évidence le rôle prépondérant des banquiers privés.
La présente étude n’est bien sûr pas exhaustive. Les différentes observations découlent de l’examen
des monnaies issues de collections privées, de ventes sur offres publiques ou provenant d’autres
sources iconographiques de musées ou de fonds nationaux. Je remercie tous les collectionneurs qui
m’ont apporté leur contribution photographique par le biais d’internet. Une synthèse des
contresignatures que j’ai relevées terminera cet article. Ma plus grande déception reste de ne pas
avoir eu à étudier un lot cohérent assez important de deniers contresignés issus d’un même dépôt3.
Généralités sur le rôle de la monnaie
L’apparition de la monnaie changea beaucoup de choses dans l’activité économique romaine. Le
résultat essentiel de la circulation monétaire a été de dématérialiser les échanges de biens4 qui
avaient court dans la vie du citoyen. En effet, la monnaie a remplacé le troc de denrées
indispensables, développant de même les commerces et créant de nouveaux métiers. Elle a aussi
contribué à accroître la richesse de certains commerçants aisés, sénateurs et autres chevaliers mais a
aussi abaissé le statut social d’autres, moins chanceux. Elle accéléra la survenue des différences
sociales au sein de la population. Elle permit de développer une économie interrégionale, territoriale
et coloniale, favorisant les échanges économiques entre les diverses contrées sous domination
romaine. Elle créa une communauté économique cohérente qui n’existait pas jusqu’alors, resserrant
les liens qui unissaient tous les territoires de Rome. L’apparition des prêts à intérêt confiés aux
banquiers a permis la capitalisation et la diversification des moyens d’enrichissement de l’élite. La
monnaie joua aussi un rôle important dans la politique romaine.
1
H. ZEHNACKER – Recherches sur l’organisation et l’art des émissions monétaires de la République Romaine (1973).
R. VALLENTIN – Contremarques sur des monnaies d’argent de la République Romaine trouvées dans le territoire des Vocontii (1888).
3
Seules ont pu être étudiées des monnaies trouvées dans un même lieu mais rien ne prouve malheureusement qu’elles furent déposées
en même temps.
4
Il faut se rappeler que la société économique romaine ne repose à ses débuts que sur l’agriculture, l’élevage et l’échange de leurs
produits.
2
2
Les différents acteurs de l’économie privée
Je n’aborderai pas dans cette section les acteurs agissant pour le compte de l’état car ils
n’interviennent pas dans les échanges nécessitant l’emploi des contresignatures. J’évoquerai
simplement leur rôle dans le paragraphe traitant des transferts d’espèces.
Le développement de l’économie républicaine a donné naissance à des institutions privées
permettant de servir au mieux les échanges commerciaux florissants. Les entreprises privées, dont
les acteurs principaux étaient les argentarii, les premiers banquiers de métier de l’antiquité romaine,
ont réglementé et introduit la notion de fides5 dans le monde des affaires. Appelé trapézite chez les
grecs, argentarius et coactor argentarius puis nummularius à partir du IIème siècle ap. J.C. chez les
romains, le banquier de dépôt s’affirme comme étant un trait d’union entre la richesse des notables
ou des aristocrates6 et les besoins des autres citoyens en quête de financer leurs projets. Ils
apparaissent sur le forum à la fin du IVème siècle avant J.C.7 Leur fonction principale était d’être des
intermédiaires de choix entre les diverses classes de la société romaine. Ils étaient les garants du bon
déroulement des transactions commerciales. Ces argentarii, qui exerçaient pour la plupart à Rome et
en Italie, étaient considérés dans la société comme de petits entrepreneurs. Mais ils ne faisaient pas
partie d’un ordre privilégié à l’égal des notables ou des chevaliers. Ils travaillaient à horaires fixes à
un comptoir et étaient à la fois essayeurs de monnaies, changeurs et banquiers de dépôt jusqu’au
IIème siècle avant J.C. où ils n’eurent plus qu’un rôle de banquiers de dépôt. Ils participaient alors aux
ventes aux enchères en fournissant des crédits aux acheteurs.
J. Andreau8 fait remarquer que les notables trouvaient, par le biais des affaires qu’ils faisaient avec
les banquiers, un nouveau moyen d’augmenter leurs espèces en prêtant avec intérêt9 de l’argent de
façon occasionnelle ou régulière.
Au début du règne d’Auguste, un autre métier sensiblement différent apparaît : celui de
nummularius qui se consacre uniquement à la monnaie comme matière métallique et non comme
réserve de valeur. Notons d’ores et déjà ici que le rôle de l’essayage des monnaies n’est plus dans les
attributions de l’argentarius mais dans celles des nummularii. On peut donc affirmer que les
contresignatures ont été effectuées par des personnes de métiers différents suivant les périodes et
les types de monnaies étudiées. Les contresignatures provenant de divers acteurs sont forcément de
factures différentes.
Les coactores arrivent alors dans l’économie romaine en tant qu’encaisseurs privés gardant une
commission sur les actes réalisés pour leurs clients. Ils encaissaient l’argent des acheteurs dans les
ventes aux enchères pour le remettre aux vendeurs.
Il apparaît enfin, au début ou au milieu du Ier siècle av J.C., une nouvelle catégorie de métier : celle de
coactores argentarii. Ils sont à la fois encaisseurs et changeurs-banquiers pouvant effectuer des prêts
aux acheteurs.
Les prêteurs d’argent faisaient pour la majorité partie des notables trouvant ainsi un moyen de faire
fructifier leur patrimoine. Cette élite se réunissait à Rome sur le forum au Puteal Libonis et sous
l’arche du Janus Medius. Les sommes prêtées à leurs clients par l’intermédiaire des banquiers leur
rapportaient des intérêts10. Quelquefois, les notables accordaient des prêts sans intérêt, dans un
souci de générosité, glorifiant ainsi le rang social de leur famille aux yeux des autres citoyens. Ces
prêts gratuits se transformaient même quelquefois en don à la fin de la République. Mais l’influence
de la vie politique sur les prêts d’argent a conduit certaines de ces transactions à une gratuité
apparente ; les intérêts de ces prêts étaient nuls justement parce que le bénéfice escompté n’était
pas financier mais tout simplement politique. Plus tard, même l’empereur prêtait de l’argent par
l’intermédiaire d’esclaves et d’affranchis, bénéficiant ainsi en retour d’une grande estime de la
population.
D’autres notables prêtaient sans passer par les banquiers de plus grosses sommes, avec une plus
grande fréquence dans leurs affaires afin de s’enrichir rapidement et d’accroître leur patrimoine. Ces
hommes appelés feneratores ou publicanii ne prêtaient qu’avec intérêt, sans générosité, ni gratuité,
faisant aussi fructifier des sommes d’argent que leur confiaient d’autres notables11. Leur but était
aussi de monter dans la hiérarchie de l’élite romaine en accroissant leurs richesses et
subséquemment d’offrir à leur descendance la possibilité de devenir sénateur ou chevalier.
5
Fides : notion reposant sur la confiance bilatérale lors des échanges commerciaux.
C’était pour la plupart des sénateurs, des chevaliers et autres riches commerçants de Rome.
7
Les textes anciens attestent de leur présence sur le forum entre 318 et 310 av J.C.
8
J. ANDREAU – Banque et affaires dans le monde romain (2001).
9
Le taux de prêt était variable et inversement proportionnel à la valeur des terres qu’ils possédaient.
10
Avec un taux variable selon la nature des événements politiques et militaires de la République. Le taux pouvait varier de 4 à 12 % par an
selon la période.
11
Certains feneratores étaient des intermédiaires de crédit et prêtaient de l’argent qu’ils avaient reçu d’autres épargnants.
6
3
Nous avons vu que la frontière entre notables financiers et banquiers de métier est nette ; il n’en est
pas de même pour différencier les notables et les grands hommes d’affaires.
Avec l’accélération du développement économique, un problème de sécurité commençait à se poser
pour acheminer les fonds lorsque les affaires privées étaient conclues : le transport d’espèces entre
les différentes régions était souvent la cible d’attaques de voleurs. La sécurité des affaires conclues
par l’état était attribuée à des sociétés de publicains qui en assuraient la protection lors des
transferts de fonds. Les notables trouvèrent les chargés d’affaires pour le transfert privé ne
nécessitant pas d’opération de crédit12 : le rôle de ces hommes était de payer une somme d’argent à
la personne bénéficiaire éloignée du créancier ; ceci évitait toutes attaques incongrues lors d’un
transport d’espèces matérielles et rendait la transaction plus sûre. On faisait vérifier les espèces lors
des transactions pour un transfert ou un paiement de dette. Il existait aussi des professionnels dans
les différentes colonies13 qui, à l’inverse, encaissaient les loyers et autres dettes pour les restituer aux
grands propriétaires.
Mais ces notables n’étaient pas de vrais spécialistes comme les argentarii ; ils n’en faisaient pas un
métier mais trouvèrent ainsi un moyen de diversifier la gestion de leurs biens. C’était au final les
revenus de leurs terres qui leur offraient le plus de sécurité pour la pérennité de leurs patrimoines.
Toutefois, si l’argent prêté n’était pas remboursé à temps, le créancier pouvait vendre les biens mis
en gage par les emprunteurs et se rembourser sur le montant de la vente. Les financiers
s’entouraient aussi d’esclaves ou d’affranchis les aidant à réaliser leurs transactions : les actores14,
les dispensatores15 (trésoriers des notables) et les arcarii16 (les caissiers) travaillaient en leur nom17.
De même, des procurateurs se trouvant éloignés en distance des notables s’occupaient de la gestion
des affaires hors de Rome.
Différence entre une contremarque et une contresignature
Les contresignatures sont des signes archaïques en creux, traduisant la validité de la monnaie,
poinçonnée postérieurement à la frappe par les argentarii au début du IVème siècle avant J.C., puis
par les nummularii et autres acteurs privés18 par la suite.
Il existe aussi de véritables contremarques19 que l’on rencontre sur un certain nombre de monnaies
d’argent de la République. Leur présence sur ces monnaies indique que certains deniers républicains
circulaient encore dans l’Empire et n'étaient pas démonétisés. Elles avaient cours dans les
transactions de l’époque au même titre que les monnaies émises sous le règne d'un empereur20.
Ernest Babelon21 signale une contremarque sur un didrachme Romano-Campanéen qui pourrait
attester que ces monnaies de diamètre et de poids différent d’un denier de la République pouvaient
circuler dans les échanges commerciaux de la République avec une valeur fiduciaire abaissée à celle
d’un denier.
A titre d'exemple, on trouve aussi des deniers de la République contremarqués sous Vespasien : un
poinçon VESP ou IMPVESP22 est gravé en relief sur l’une des faces de la monnaie. Dans ce cas, la
principale raison qui poussa Vespasien à remettre ces deniers de la République en circulation fut sans
doute la pénurie d'argent et la préférence des Germains pour l’imagerie des anciens deniers de la
République.
Mais, contrairement aux contresignatures, ces contremarques sont apposées par des hommes de
l’administration23 qui agissent sous autorité de l’état24 et non par des acteurs privés de la vie
12
Le paiement de loyers dans des endroits éloignés de Rome ou l’envoi de fonds à un membre de la famille vivant dans une colonie faisait
partie de ces transferts de fonds.
13
Moins de 20% des argentarii étaient installés hors d’Italie.
14
L’actor avait le pouvoir sur la gestion financière du domaine ou de l’atelier de son maître : c’était un gérant de sa fortune.
15
Le dispensator s’occupait de la gestion économique de la maison de son maître et participait à l’administration des dépenses. Ces deux
catégories de professionnels étaient capables de mener des affaires personnelles pour s’enrichir en parallèle de leur travail pour leur
maître.
16
L’arcarius tenait la caisse, le coffre-fort, mais avait sans doute des compétences pour l’essai des monnaies et parfois le change
(J. ANDREAU, op. cit. p. 126).
17
Il s’agissait souvent d’esclaves ou d’affranchis travaillant pour eux.
18
Les essayeurs-changeurs mais aussi plus tard des commerçants et des armateurs dans les ports commerciaux apposaient aussi des
contresignatures.
19
Ce sont des empreintes appliquées sur le flan de la monnaie à une époque postérieure à son émission à l'aide d'un poinçon produisant
une empreinte en relief et plus rarement en creux.
20
On connaît des exemples de contremarques pour Vespasien, Titus et Néron.
21
E. BABELON – Description historique et chronologique des monnaies de la République Romaine (1885-86).
22
IMPVESP en monogramme pour IMPERATOR VESPASIANUS.
23
C’est le décurion qui pouvait appliquer par décret des contremarques sous l’autorité de l’état. On retrouve des contremarques DD sur
certains as de Nîmes signifiant « par décret du décurion ».
24
Souvent par décision de l’empereur en place.
4
économique. Elles sont significatives d’une décision centrale, reflétant une volonté impériale qui
tentait de limiter les conséquences des crises économiques monétaires25. Les contremarques étaient
issues de l’état et leur présence permettait de remettre en circulation certaines monnaies
républicaines émises antérieurement à la période pour endiguer le manque de numéraire en
circulation sans toucher au trésor de l’état.
Ces contremarques n’ont donc aucun rapport avec les contresignatures de banquiers, de nature et
de rôle bien différents. Apposées par des acteurs privés de la vie économique de la République et au
début de l’Empire, les contresignatures étaient destinées à sécuriser des transactions commerciales
dans lesquelles l’état était peu présent. Les rares interventions de l’état dans les affaires privées de la
République concernaient le plafonnement du taux de prêt à certaines périodes délicates de l’histoire
romaine et quelques contrôles sur les livres de compte des banquiers.
L’essai et le change des monnaies
Les fausses monnaies firent leur apparition avec l’essor du développement commercial. Pour
sécuriser les frappes monétaires d’état, certains affirment que l’on créa le denier serratus, rendant
plus complexe la réalisation de monnaies fourrées avec des berges dentelées. Les faux monnayeurs
étaient aussi de vrais artistes et la difficulté technique fut vite contournée : on vit apparaître des
deniers serratii fourrés. L’état créa en parallèle un système de contrôle intrinsèque à la frappe du
denier afin de contrôler la quantité de numéraire émis. Les faussaires ne furent pas gênés par
l’introduction de systèmes de marques de contrôle complexes décrits par Hubert Zehnacker26. Un
contrôle humain plus minutieux se mit en place par l’application de signes sur les monnaies : on les
appelle contresignatures27. Elles marquaient le passage de la monnaie chez un essayeur-changeur.
Les essayeurs-changeurs furent les maillons indispensables de l’économie romaine garantissant la
qualité du numéraire en circulation. En facilitant les échanges et les paiements, ils contribuaient à
leur niveau à l’assainissement du trésor d’état ainsi qu’à l’activité commerciale, se trouvant souvent
installés dans les ports et sur les marchés. Les clients se rendaient chez des essayeurs-changeurs qui
tenaient boutique indépendamment des banquiers à l’extérieur de leurs comptoirs, sur un étal ou
dans une échoppe voisine. Ces testeurs essayaient des monnaies apportées par des personnes qui se
rendaient chez eux avec leurs créanciers afin de s’assurer de la bonne qualité des espèces au
moment de la transaction.
L’essai de monnaie est un ensemble de techniques qui variait selon les situations : les essayeurs
regardaient, tâtaient la monnaie, la faisait sonner. Ils vérifiaient son titre et contrôlaient qu’elle ne
fut pas fourrée ou saucée. Ils examinaient ses dimensions et son type en le comparant à des
échantillons qu’ils possédaient. Enfin, ils pesaient au moyen d’un trébuchet28 et vérifiaient qu’elle
n’avait pas perdu son poids d’usage par rognage ou grattage. Ils devaient alors appliquer la
contresignature par poinçonnage29, attestant de la vérification de la monnaie au moment des
différentes transactions. Ces signatures de nature archaïque30, étaient imprimées dans le métal à
l’aide d’un simple poinçon. En imprimant un coup de marteau31 sur le poinçon à l’avers ou au revers
de la monnaie, cette dernière subissait une dépression métallique en creux, laissant une trace
ineffaçable par la suite. Ce poinçonnage est observé presque uniquement sur les monnaies
d’argent32.
Des dépôts scellés33 étaient confiés aux argentarii dans des sacs, sur lesquels étaient apposés des
tessères nummulaires34 certifiant que les monnaies avaient été testées.
25
R .Vallentin interprète notamment une contresignature en V sur un quinaire Porcia de 94 av J.C. comme une contremarque du temps de
Vespasien. Ceci n’est pas une contremarque mais plutôt une contresignature d’essayeur qui n’a rien de commun avec une contremarque
officielle. De même pour le denier Claudia de 79 av J.C. dont le M semble lui faire penser à Massalia comme atelier !
26
H. ZEHNACKER – Recherches sur l’organisation et l’art des émissions monétaires de la République Romaine (1973).
27
Ce terme de contresignature me paraît plus adéquat que celui de signature de banquier, car ce n’est qu’au début de la République que
seuls les argentarii avaient le monopole de l’essayage des monnaies.
28
Trutina : c’est une sorte de balance avec deux plateaux identiques en forme de coupe que l’on tenait à la main.
29
Il est à noter que pour une contresignature de même type, il existe plusieurs poinçons d’origines différentes. A titre d’exemple, la
contresignature en « S » se retrouve souvent de taille et de forme variées sur les nombreux deniers étudiés. Ceci tend donc à prouver que
pour une même contresignature, il existait plusieurs poinçons.
30
Ce sont souvent des formes simples ou des lettres comme nous le verrons par la suite dans le répertoire des contresignatures.
31
Maleator : instrument semblable à un maillet, marteau en bois servant à imprimer en creux sur la surface des monnaies la signature
représentée sur le poinçon de l’essayeur.
32
J’ai pu observer quelques monnaies de bronze contresignées provenant le plus souvent des territoires des colonies romaines.
Poinçonnées ainsi, elles ont reçu l’aval d’un trésorier de notable lors d’un paiement et devaient être considérées de même valeur que les
bronzes de la république.
33
C’était des dépôts dits réguliers servant uniquement aux paiements de dettes.
34
Les tessères nummulaires étaient des étiquettes en os ou en bronze attachées par une ficelle aux sacs de monnaies sur lesquelles on
pouvait lire entre autres renseignements les noms des esclaves travaillant pour un notable et les dates des transactions.
5
R. Herzog35 fut le premier à mettre en évidence le rôle des tessères nummulaires dans l’essai des
monnaies : ces bâtonnets, accrochés avec une ficelle à des sacs de monnaies cachetés en
garantissaient l’authenticité et la bonne qualité. Ces sacs pouvaient alors circuler en toute confiance
entre les financiers, les tessères étant un gage de bon aloi du contenant. De telles étiquettes
n’étaient pas utilisées systématiquement à chaque essayage de monnaie, mais elles étaient apposées
lorsque les sacs devaient changer de main ou être transportés.
Ils avaient aussi un rôle prépondérant dans le change des monnaies de diverses origines circulant sur
le territoire romain et italien36 mais aussi dans le change de monnaie en divisionnaires de différents
métaux37. Les transactions des banquiers étaient de nature différente : on a évoqué le change, le
prêt38 et l’essayage. Les contresignatures étaient employées abondamment lors de ces différents
actes.
Nous avons vu que les clients venaient faire essayer des monnaies avant une transaction. Mais
comment finissaient les fausses monnaies ? Aucune source antique ne nous l’indique. Il est bien
probable que les monnaies étaient retirées du lot par les banquiers39 et ainsi de l’économie romaine.
Elles devaient être soumises simplement à la destruction.
Elargissement des échanges commerciaux privés
Il est clair qu’au moment où l’économie devint florissante, un besoin d’intermédiaires de confiance
s’est vite fait ressentir en Italie car les échanges commerciaux s’effectuaient sur un territoire en
perpétuelle expansion. Par conséquent, les notables financiers devenaient propriétaires de terres et
de propriétés de plus en plus éloignées de Rome : n’oublions pas que la plupart étaient contraints de
résider à Rome, honorant des fonctions municipales ou sénatoriales importantes liées à leur rang.
Ce mouvement commercial existait aussi au sein même de l’Italie pour assouvir les besoins
grandissants de la capitale : Rome était le centre financier de la République et toutes les opérations
de commerce émanant des autres régions convergeaient vers la ville devenue un centre d’échange
perpétuel.
On peut remarquer que la fréquence des deniers contresignés augmente lorsque les types
monétaires sont issus de la fin de la République : il n’est pas rare en effet de trouver des deniers des
triumvirs contresignés plusieurs fois. Il est vrai qu’a ce moment là le territoire sous domination
romaine a beaucoup grandi suite aux conquêtes successives des deux triumvirats. La plus grande
concentration de banquiers se trouvait donc à Rome. Les établissements bancaires se sont multipliés
proportionnellement aux échanges et les contresignatures monétaires attestent de l’accélération des
transactions privées entre les différents pôles de l’ager romanum.
La disparition des contresignatures est datée de la première moitié du Ier siècle après J.C. ; ceci peut
s’expliquer par les rôles de plus en plus importants joués par l’empereur, ses proches et leurs
patrimoines, tendant à centraliser les responsabilités mais aussi par les transformations importantes
de la vie politique de l’Empire.
Répertoire des contresignatures rencontrées lors de cette étude
Voici un tableau faisant la synthèse des signatures que j’ai rencontrées lors de mon étude. Il est
sûrement incomplet mais permet d’avoir une vision variée des signes que l’on rencontre sur les
deniers de la République. J’ai volontairement adopté une méthodologie rigoureuse de comparaison
afin d’écarter tous graffitis intempestifs pouvant être considérés comme signature. C’est pourquoi
tous les signes de ce tableau ont été rencontrés au moins deux fois sur des monnaies décrites.
Les cases comportant plusieurs signes rapportent des variantes de formes, d’orientation et de style
des signatures et m’ont permis des rapprochements nécessaires pour que l’identification ultérieure
en soit plus confortable.
35
R. HERZOG - Aus der Geschichte des Bankwesens im Altertum Tesserae nummulariae (1919).
Certaines étaient émises dans les colonies et devaient être changées pour circuler dans Rome.
37
Ils avaient aussi la charge de changer les monnaies d’or en argent ou en divisionnaires de monnaies de bronze. Je pense que c’est pour
cette raison que l’on retrouve des contresignatures sur certains Dupondius de Nimes.
38
Nous ne connaissons pas la durée exacte de ces prêts mais leurs durées ne devaient pas dépasser les 6 mois à un an.
39
Il m’est arrivé de trouver un denier fourré contresigné. Je considère ceci comme une erreur d’appréciation de l’essayeur, cette monnaie
ayant échappé à la vigilance du professionnel. Lorsque les essais d’espèces étaient importants, il se peut que devant l’ampleur de la tâche,
l’essayeur soit allé un peu vite en besogne.
36
6
Il faut savoir que certains types de deniers circulaient encore 200 ans après leur frappe ; ceci rend
impossible la classification des contresignatures par période.
Tableau regroupant les contresignatures rencontrées
La fréquence des signes
L’étude met en évidence que le signe le plus couramment apposé sur ces deniers est celui qui
représente un S40. Cette contresignature se rencontre sur plus de la moitié des monnaies
contresignées que j’ai pu étudier. La forme et la taille varient mais la signature reste la même. Son
emploi abondant traduit vraisemblablement un rôle courant et commun à tous les acteurs de
l’économie privée.
Jean Andreau fait remarquer que dans plusieurs textes anciens41, spectare signifie essayer des
monnaies ou essayer des métaux non monnayés. On peut supposer que la contresignature en S
marque une monnaie essayée. En effet, un seul et même banquier ne peut pas avoir contresigné des
deniers durant plus de trois siècles et quasiment de la même façon ! Il me paraît évident que cette
signature a été reprise par plusieurs professionnels de l’essayage en même temps et sur une longue
durée. La redondance de ce signe montre qu’un code commun à tous les essayeurs de monnaie
devait exister. Tout du moins il existait une certaine continuité de signes durant les différentes
périodes de la République. Le signe A est très fréquent sur les deniers de la fin de la République, et
ce, jusqu'à Auguste. Notons que la signature en arc de cercle42 est aussi fréquente mais bien moins
que le S.
Contresignature en « S » sur un denier Junia de 54 av J.C. (Coll.Neron1, fredericweber.com)
D’autres signatures paraissent moins nombreuses43. Elles pourraient correspondre à mon avis à des
signatures de commerçants. On distinguera alors des signatures de banquiers et des signatures de
propriété de notables44, d’armateurs45 ou de riches commerçants exerçant dans les ports ou sur les
marchés lorsque la fonction d’essayage s’ouvrit à d’autres professions.
40
Cf. tableau : signature N°8.
PLAUTE, Persa, 3, 3, 437 ; OVIDE, Tristia, 1, 5, 25.
42
Cf. tableau : signature N°1.
43
Cf. tableau : signatures N°17, N°14, N°32.
44
Les notables financiers employaient des esclaves et affranchis qui pouvaient contresigner les monnaies essayées pour leurs transactions
avec un signe distinctif appartenant au maître pour lequel il travaillait. On retrouve cette « paternité » sur les noms d’esclaves gravées sur
les différentes faces des tessères nummulaires (cf. H. Handreau).
45
Les armateurs vérifiaient aussi directement les monnaies dans les ports lors des ventes de cargaisons venues d’horizons lointains.
41
7
La nature des signes
Afin de répertorier les différentes signatures, je propose un classement selon leur nature.
Les signatures simples sont les plus fréquemment rencontrées. Elles représentent des points46, des
cercles47, des croix48 et bien d’autres signes archaïques49 n’ayant aucune qualité artistique confirmant
bien le rôle pratique et exécutoire de ces signatures. Elles sont gravées de façon aléatoire sur l’avers
ou le revers des deniers. On peut y rajouter l’arabesque en forme de S que j’estime être la marque
d’authenticité du denier vérifié.
Signature simple en cercle sur denier Sissenia de 49 av J.C (coll. C.Oliva, fredericweber.com)
Les signatures alphabétiques50 sont de moindre fréquence mais assez variées. Il existe des
contresignatures de nature alphabétique pouvant servir à différencier les nombreux essayeurs. Ces
lettres sont de taille variable et se retrouvent quelquefois nombreuses sur le même denier.
Le cas du denier contresigné plusieurs fois appelle quelques réflexions : certains deniers sont
couverts de contresignatures simples et alphabétiques sur l’avers et le revers (cf. denier Thoria cidessous). Il serait peu crédible de penser qu’ils furent authentifiés quatre voire cinq fois par des
banquiers différents juste pour en vérifier la qualité ! Vous conviendrez qu’autant de vérifications sur
une seule et même monnaie n’est pas concevable. Je pense plutôt que ces deniers ont sûrement
servi à de nombreuses transactions commerciales successives et ont donc été poinçonnés autant de
fois qu’ils ont servi à une transaction.
La particularité du signe N° 15 est que cette signature correspond à la lettre G. Elle se rencontre
surtout sur les deniers de Marc-Antoine. En effet, H.A. Grueber note dans le BMCRR51 que sur le
monnayage de l'Est de Marc-Antoine, beaucoup d'émissions spéciales de monnaies des légions
présentent une particularité : la forme de la lettre G se présente sous la forme d’une faucille.
Signature alphabétique « A » sur un denier Thoria de 105 av J.C. comportant plusieurs signes (Coll. Carlos Jorge, Denarios.org)
Les signatures complexes sont beaucoup plus rares. Ce sont des signatures de nature inconnue ou
avec une combinaison de plusieurs natures. On peut noter le N°17 qui semble être un monogramme.
L’étude des contresignatures sur les monnaies d’argent de la République révèle la complexité du
système économique privé romain, lui-même orchestré par de nombreux acteurs qui varient selon
les périodes. Ce dernier point explique la variété des diverses contresignatures, qui attestent aussi du
rôle obligatoire des essayeurs de monnaie dans les échanges commerciaux. Ces petits signes sont les
témoins de l’activité florissante des échanges privés, dont les notables surent tirer parti en leur
faveur.
Christophe OLIVA
46
Cf. tableau : signatures N°2, N°3 et N°4.
Cf. tableau : signature N°2.
48
Cf. tableau : signatures N°10 et 11.
49
Cf. tableau : signatures N°5, N°6 et N°20.
50
Cf. tableau : signatures N°12, N°13, N°15, N°16, N°18, N°24 et N° 27.
51
H.A. GRUEBER – Coins of the roman republic in the British museum (1970).
47
8
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