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Département de sociologie Gilles Gagné
Faculté des sciences sociales Bureau 6457
Université Laval Tél. : 656-2131 (2226)
Hiver 2008 [email protected]
SOC-66872 LA SOCIOLOGIE DIALECTIQUE DE MICHEL FREITAG
Depuis ses commencements au tournant du XXe siècle, la sociologie québécoise a été
ponctuée à intervalles réguliers de réflexions qui portaient sur le lien entre le rôle que voulaient
tenir les sciences sociales dans la société de leur temps et une approche théorique de ce temps
historique. La sociologie de Gérin, par exemple, qui était une version originale de la théorie
leplaysienne, voulait mettre dans la lumière des grandes mutations sociétales occidentales les
« tâches » modernisatrices que des esprits libres proposaient alors au Canada français
d’entreprendre. C’est de la même manière que la sociologie catholique fut la contemporaine de
Weber quand, professant avec lui qu’il n’y avait de science que des moyens, elle soutint que
c’était mettre la science au service des finalités chrétiennes que de l’utiliser pour convertir ces
dernières aux réalités de l’industrie… et vice versa. Quant à la conjonction implicite du
fonctionnalisme de Rocher avec la sociologie de la culture de Dumont, c’est sans doute la rupture
avec le vieux Canada français qui lui donne son sens, puisque c’est dans les nouvelles pratiques
sociales que « ces mineurs de transcendance » voudront alors (par participation interposée)
trouver le sens d’une « modernisation » ambiguë, une modernisation qui leur semblait procéder
en l’absence de l’« Homme » et des humanités modernes. Tout cela pour dire que contrairement à
ce qui est le cas pour les savoir-faire brevetés, la sociologie n’a pas pu rayonner dans les sociétés
périphériques sans que les intentions théoriques formées dans les métropoles n’y soient assumées
à nouveaux frais. On verrait comment le même phénomène s’est produit de nouveau, mais d’une
autre manière, quand le marxisme, qui était pourtant en ce temps là « l’horizon indépassable » de
la pensée, n’a pu être entendu ici qu’en prenant à sa charge la question nationale, rebranchant par
là l’étude de la société québécoise sur l’effort plus général de comprendre l’histoire moderne.
Bref, de la même manière que ce sont les débats qui restructurent périodiquement l’espace
théorique de la sociologie qui maintiennent son unité, c’est par le détour de la théorie que les
traditions nationales de LA sociologie restent en communication entre elles.
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Voilà en gros sur quelles bases, qui relèvent de la sociologie de la connaissance, il faudrait
procéder si l’on devait aujourd’hui justifier l’étude de l’œuvre sociologique et philosophique de
Michel Freitag et si on devait le faire indépendamment de sa valeur intrinsèque. La sociologie de
Michel Freitag, en effet, joue depuis quelques années (sans doute avec d'autres oeuvres) le rôle
d’un tel lieu d'appartenance et de participation de la pensée québécoise au monde culturel plus
large où s'inscrit cette pensée, et cela parce qu'elle est venue à occuper une place centrale dans
l'espace de la théorie sociologique au moment même où s'affirmait chez les sociologues d’ici (en
particulier chez ceux qui sont venus récemment à la discipline) la conviction de pouvoir
s'approprier du même geste les questions de leur temps et celles de leur lieu. C'est pourquoi cette
sociologie est devenue l’un des points majeurs où se forme et s'exprime couramment l'intérêt
pour la pensée théorique contemporaine, entendue au sens large. Quelle que soit, donc, l’attitude
que l’on entretienne face au projet théorique de cet auteur, le seul fait que ce projet se présente
comme sociologie générale (et qu’il se situe sur le terrain des grandes synthèses où s’est
manifestée depuis un siècle et demi la saisie conceptuelle de la modernité) le désigne comme l’un
des plus solides raccords de « nos » études de sociologie avec « la » sociologie.
Ceci étant dit et malgré la valeur que l’on peut accorder à un ordre de justification qui
relèverait ainsi du jugement de pertinence, ce n’est évidemment pas de ce seul point de vue que
se recommande le séminaire qui est ici proposé. Outre le fait que l’étude d’une pensée doive
trouver dans le contenu même de cette dernière l’essentiel du profit et des raisons de cette étude,
il faut encore indiquer ici, et comme de l’extérieur, dans quelle conjoncture théorique générale
nous situerons d’office cette pensée et quelles sont les raisons de la mettre au programme de
notre enquête qui découlent de cette conjoncture.
Dans la tradition de la « grande théorie », la sociologie se présente aujourd’hui selon une
alternative qui fait problème. D’un côté, il nous est proposé de redéfinir la pensée théorique sur la
base d’une « matière » - le social, le lien social, la socialité, l’action sociale, etc. – et
d’abandonner les références à la société (immanentes pourtant à toute pratique « sociale ») aux
perspectives spécialisées mieux faites pour accueillir les contingences historiques propres aux
sociétés concrètes : l’histoire ou la politique, par exemple, pourraient s’occuper des sociétés
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particulières, mais il conviendrait selon cette vue que la théorie sociologique se détournât de
« la » société, une sorte d’hypostase conceptuelle à caractère essentiellement idéologique ne
pouvant servir qu’à embrouiller la saisie des interactions sociales. De l’autre côté, et dans la ligne
cette fois d’un très évident « classicisme » sociologique, on soutient que la théorie du rapport
social ne peut pas faire l’économie de la « société », quitte pour cela à se mettre en accord avec
les lignes de force de l’évolution actuelle en définissant cette totalité comme « système » et en
accueillant d’un tonitruant « rien de nouveau sous le soleil » la formation concrète d’un
« espace » globalisé de l’économie et, plus généralement, du « contrôle » : oui à la société, en
somme, mais comprise alors comme « système » empirique des circulations planétaires
quelconques. Bref, d’un côté des approches de la « relation sociale » et de l’autre de grandes
théories de « la société sans hommes », pour reprendre ici une formule célèbre.1
Or, il nous semble que c’est justement dans cette conjoncture, où le classicisme
sociologique donne des signes inquiétants de devenir l’apanage exclusif du systémisme
luhmannien (et de lui être abandonné sans regret par les amoureux du « social » et de la
« relation »), qu’il faut placer la sociologie de Michel Freitag, tout comme il nous semble que
c’est sur le terrain de ce classicisme qu’il faut montrer la valeur de cette sociologie quand elle
vise à dépasser sur le mode critique et politique la double mise entre parenthèse de la totalité
significative qui s’exprime aussi bien dans le positivisme de la relation que dans le mysticisme du
système. C’est donc la structure même du champ théorique contemporain qui sera à l’horizon du
séminaire que nous proposons puisque notre enquête voudra éprouver la valeur du dépassement
que propose Michel Freitag quand il refuse de réifier les pôles de cette alternative et de s’obliger
sur cette base à chercher ensuite dans la « communication » des raccordements factices entre le
vécu et les systèmes. Plus généralement, c’est entre l’effritement déjà presque consommé de la
discipline sociologique en de multiples « choses » (le secret, les jeunes, le discours, l’amour, le
travail, le vécu, la déviance, le vote, le don, l’agir, etc.) et les théories de l’unité « sans sujet ni
fin » qui font elles aussi, quoiqu’en sens contraire, bon marché de l'histoire, que nous nous
demanderons si cette « discipline » peut encore être une manière de regarder son temps sans y
1 C’est dans le paysage théorique marqué par cet écartèlement que le groupe d’étude sur la postmodernité avait, dès
1986, défini sa propre entreprise.
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décomposer la vision en facettes, une manière de s’occuper intelligemment des évidences de la
connaissance commune sans y adhérer globalement.
Après avoir décrit dans ses grandes lignes le contexte théorique où s’est formée la
sociologie de Michel Freitag, le séminaire, qui sera ainsi un séminaire de lecture, passera en
revue des textes marquants de cette œuvre, et cela aussi bien pour explorer la cohérence de cette
dernière, pour suivre ses développements que pour en éprouver la valeur pour une réflexion qui
porterait sur le devenir des sociétés contemporaines : épistémologie et théorie de la pratique
significative (critique du positivisme, ontologie dialectique, théorie du rapport d’objet),
sociologie générale (unité de la société, régulation des pratiques, reproduction de la structure des
rapports sociaux, médiations objectives), typologie des formes historiques de la société et,
finalement, la question de la postmodernité seront donc autant de moments de notre exploration,
moments qui devront, d’une semaine à l’autre, se traduire dans la succession des textes dont nous
prendrons prétexte, parfois en faisant des détours par des auteurs ou des courants de pensée
discutés dans ce que nous lirons. Ce qui est ici proposé en tant que « plan » pourra donc être, à
l’occasion, bouleversé par la marche du séminaire ou par des importations inopinées issues de
vos préoccupations.
Appelant à penser l’histoire à nouveaux frais, Michel Freitag a voulu commencer par
« aider la pensée à revenir à pied d’œuvre ». Si je devais, par impossible, céder à la CADEUL
pour une fois et énoncer en toutes lettres « l’objectif » de ce séminaire, c’est exactement ainsi que
je le désignerais.
Le déroulement concret du séminaire sera cette année terriblement simplifié. Nous lirons
les deux tomes de Dialectique et société, puis ensuite une partie de L’oubli de la société, un
chapitre après l’autre, tout simplement. L’expérience a montré que cette entreprise de lecture était
assez difficile pour qu’il soit judicieux de lui accorder tout le temps nécessaire. Les autres écrits
de l’auteur, de même que les critiques et les débats, seront facilement disponibles et nous les
aborderons accessoirement; mais il reste que notre travail collectif s’accrochera d’abord et avant
tout aux pages indiquées dans la liste qui suit. Nos rencontres hebdomadaires procéderont donc
en trois moments : je reviendrai d’abord sur le texte que vous aurez lu, nous en discuterons
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ensuite (critiques, comparaisons, prolongements) à partir de vos commentaires et de vos
questions et je terminerai en présentant sommairement le texte de la semaine suivante. Lecture,
écriture et discussion : on ne peut pas dire de ce séminaire que nous nous y dépenserons à
réinventer la roue des « formules » pédagogiques. Mais soyez assurés que nous ne manquerons
pas d’ouvrage.
PLAN DU SÉMINAIRE
1) 17 janvier
Présentation et marche du séminaire. Dialectique et sociologie.
«De la ville-société à la ville-milieu. L’unité du processus social de constitution et de dissolution
de l’objet urbain », Sociologie et Sociétés. Vol. 3, numéro 1, mai, 1971, p. 25-57.
2) 25 janvier
Le problème ontologique de la pratique.
Dialectique et Société, Vol. I, Introduction à une théorie générale du symbolique, Lausanne et
Montréal, L’Âge d’Homme et St-Martin, 1986, p. 75-125.
3) 31 janvier
Le problème ontologique de la pratique.
Idem, p. 127-169.
4) 7 février
La structure du rapport d’objet symbolique.
Idem, p. 170-204
5) 14 février
La structure du rapport d’objet symbolique.
Idem, p. 205-227.
6) 21 février
Le mode d’existence de la société.
Dialectique et Société. Vol. II, Culture, pouvoir, contrôle. Les modes de reproduction formels de
la société, Lausanne et Montréal, L’Âge d’Homme et St-Martin, 1986, p. 9-75.
7) 28 février
Semaine de lecture.
8) 6 mars
La reproduction culturelle-symbolique.
Idem, p. 79-58.
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