d’un ensemble de contraintes restreignant cet exercice. On comprend dès lors que
l’exercice de la souveraineté monétaire peut prendre des formes très différentes selon les
époques, selon les lieux, selon les formes de pouvoir politique, selon les contraintes
perçues.
Un second cadre conceptuel est issu des travaux de Théret (dir., 2007) posant les
fondements d’une analyse pluridisciplinaire des crises monétaires intégrant, précisant et
étendant les travaux issus de Aglietta et Orléan (dir. 1998), qui posaient une théorie de la
monnaie fondée sur le «!trépied!» dette, souveraineté, confiance. En identifiant trois
formes fonctionnelles de la monnaie dans le compte, le paiement et le monnayage et en les
articulant au trépied dette (état objectivé), souveraineté (état institutionnalisé) et
confiance (état incorporé), Théret (2007) fournit les bases d’une analyse
multidimensionnelle des crises monétaires. En première approche, les crises monétaires
liées à des situations de guerre peuvent s’assimiler à des cas particuliers de la forme IV des
crises (Théret, 2007, pp. 60-61). Ce sont en effet des crises externes au système de
monnayage qui sont exogènes au régime monétaire. La crise se caractérise par une
confrontation sur le territoire en situation de conflit, et particulièrement en situation
d’occupation ou de contrôle par une puissance étrangère, de plusieurs arbitraires
monétaires. Cette confrontation ne tient que par l’accumulation de tensions que les règles
édictées par la ou les puissances en présence peuvent imposer au moyen d’un système de
coercition très étendu. Enfin, la règle concernée de façon centrale ici est celle du change,
bien que le compte, le monnayage et le paiement puissent constituer d’importants points
de friction.
La lutte pour le contrôle de la monnaie durant la seconde guerre mondiale en
France peut être éclairée par ces deux cadres conceptuels, en identifiant par exemple les
restrictions de souveraineté imposées par l’Allemagne au Régime de Vichy, la capacité de
la puissance occupante de déterminer des éléments fondamentaux de l’organisation
monétaire (via le change et les transferts financiers imposés), les difficultés qu’ont eus les
gouvernements de la Libération de restaurer un ordre monétaire considéré comme
complètement souverain, etc.
1.3. Cadrage historique
A la veille de l’invasion allemande, le franc venait de subir depuis quatre ans de
profondes transformations. La France avait coupé le «!fil d’or!» en octobre 1936 devant
l’ampleur des fuites de capitaux, et mis en oeuvre une politique financière stricte à partir
de mai puis surtout de novembre 1938 lorsque Paul Reynaud avait pris le portefeuille de
ministre des Finances. Malgré les remous internationaux, on ne se préparait guère au
conflit qui approchait!; l’atmosphère politique et sociale qui prévalait n’était pas propice
au réarmement3. En septembre 1938, Munich consacra les reculades franco-britanniques
face à l’Allemagne qui reçut l’aval des Alliés pour annexer les Sudètes.
En définitive, on préparait mieux les finances de la guerre que la guerre elle-même.
Les capitaux, attirés par la politique de Reynaud, affluèrent en masse, mais ils se résolurent
surtout dans l'accumulation de réserves d'or, si bien qu’à la déclaration de guerre, «!la
France avait fait le nécessaire pour retenir sa monnaie à la dérive et pour accroître son trésor de guerre
; mais elle avait négligé de donner des armes à ses soldats!»4.
3 Voir Alfred SAUVY, La vie économique des Français de 1939 à 1945, Paris : Flammarion, 1978, pp. 12-22. Il
écrit, à propos de l’état d’esprit qui prévalait fin 1938, et contre lequel se battait Reynaud, que «!personne ne
veut préparer la guerre, ou, du moins, sacrifier à cette préparation quoi que ce soit, fut-ce un principe!» (p. 18).
4 René SÉDILLOT, op.cit., 1945, p. 17.