MISE AU POINT Rôle des lymphocytes B dans le développement de l’athérosclérose Role of B cells in atherosclerosis H. Aït-Oufella*, O. Herbin*, J. Joffre*, A. Tedgui*, Z. Mallat* L * Paris Cardiovascular Center (PARCC), Inserm U970, Paris. e rapport 2007 de l’Organisation mondiale de la santé nous apprend que les maladies cardiovasculaires sont et resteront la première cause de mortalité dans le monde, devant les cancers, pour la période 2002-2030. L’athérosclérose étant la principale étiologie des coronaropathies et des accidents vasculaires cérébraux, il est indispensable d’en comprendre les mécanismes physiopathologiques et de développer des stratégies thérapeutiques pour limiter son développement et ses complications. Depuis une trentaine d’années, les travaux des cliniciens et des chercheurs ont montré que l’inflammation jouait un rôle central dans le développement et la déstabilisation des plaques d’athérosclérose (1). Le scénario actuellement admis commence par le passage des lipoprotéines de basse densité (LDL) riches en cholestérol depuis la lumière vasculaire vers l’espace sous-intimal. Les LDL s’oxydent et activent les cellules endothéliales qui vont d’une part produire des chimiokines chémoattractantes pour les leucocytes circulants (exemple MCP-1) [2], et d’autre part exprimer des molécules d’adhésion comme VCAM, qui vont permettre leur adhésion et leur diapédèse. Une fois dans l’espace sous-intimal, les monocytes deviennent successivement des macrophages, puis des cellules spumeuses, riches en lipides. Ils produisent un certain nombre de médiateurs (cytokines, métalloprotéinases), interagissent avec les autres cellules inflammatoires, les cellules vasculaires et favorisent le développement et la rupture des plaques d’athérosclérose. Leur rôle est tel que le blocage de la maturation des monocytes en macrophages, chez la souris apoE/M-CSF -/-, induit une quasi-disparition de la maladie vasculaire (3). À côté du rôle de l’immunité naturelle s’est dessiné plus récemment le rôle de l’immunité adaptative et, 24 | La Lettre du Cardiologue • n° 451 - janvier 2012 plus spécifiquement, des lymphocytes T CD4+. Les modèles animaux et les différents travaux cliniques chez les patients coronariens nous ont enseigné que certains sous-types lymphocytaires T CD4+ favorisaient le développement et les complications de l’athérosclérose. C’est le cas des lymphocytes de type Th1, qui produisent de l’interféron gamma (IFNγ). D’autres sont plutôt protecteurs, comme les lymphocytes T régulateurs, producteurs d’IL-10 et/ou de TGFβ, les lymphocytes Th2, producteurs d’IL-5 (4), et les lymphocytes Th17, producteurs d’IL-17 (5). L’objectif de cette revue est de faire le point sur le rôle des lymphocytes B dans le développement de la maladie athéroscléreuse à partir de travaux expérimentaux et cliniques. Ontogenèse des lymphocytes B Le développement des lymphocytes B s’effectue au niveau de la moelle osseuse à partir des cellules souches hématopoïétiques. Alors que certains progéniteurs lymphocytaires communs migrent vers le thymus pour la formation des lymphocytes T, d’autres restent dans la moelle pour former les lymphocytes B. La différenciation des lymphocytes B à partir des cellules souches hématopoïétiques CD34+ en cellules pro-B, puis pré-B, puis B immatures, et enfin B matures, est marquée d’une part par le réarrangement des gènes des immunoglobulines, et d’autre part par la modification de marqueurs membranaires de différenciation (6). Au stade B immature, elles expriment alors le B220, le CD19, des IgM et le CD20. Enfin, dans la périphérie, elles portent des IgG en plus des marqueurs B220, CD19 et IgM. L’activation des lymphocytes B conduit par la suite à leur différen- Résumé L’athérosclérose est une maladie inflammatoire chronique des gros vaisseaux. Le processus de formation de la plaque fait intervenir plusieurs acteurs pathogènes de l’inflammation, en particulier les monocytes/ macrophages et les lymphocytes T CD4+ de type Th1. L’immunité B a essentiellement été explorée au travers des anticorps dirigés contre les lipoprotéines de basse densité oxydées (LDLox). Les travaux expérimentaux chez l’homme ont montré que les anticorps naturels de type IgM, produits par les lymphocytes B1, étaient protecteurs dans l’athérosclérose. Le rôle des IgG anti-LDL oxydés n’est pas clairement établi. Des travaux récents se sont intéressés aux fonctions cellulaires des lymphocytes B et ont montré qu’ils participaient au développement de l’athérosclérose en amplifiant la réponse immune et en polarisant les lymphocytes T CD4+ vers un phénotype proathérogène. ciation en cellules B mémoires et en plasmocytes sécréteurs d’immunoglobulines, stade auquel elles perdent les marqueurs cités précédemment. Cependant, il est important de souligner que plusieurs sous-types de lymphocytes B ont été décrits, les principaux étant les B1 et les B2. Les B2, considérés comme les B “classiques”, représentent la majorité des cellules B. Ils sont classés dans le système immunitaire adaptatif dans la mesure où leur activation et la production d’anticorps requièrent la présence d’un récepteur (B-Cell Receptor [BCR]), une coopération lymphocytaire T et une stimulation antigénique spécifique. À l’inverse, les B1 sont plutôt apparentés au système immunitaire inné, dans la mesure où ils produisent des anticorps dits “naturels”, majoritairement de type IgM en l’absence de stimulation antigénique préalable ou d’interaction lymphocytaire T (7). Les lymphocytes de type B1 sont d’importants acteurs de défense rapide contre les pathogènes (8). Chez la souris, la sécrétion de ces IgM d’origine B1 a lieu principalement au niveau des séreuses, et plus particulièrement au niveau du péritoine où ces cellules résident. Cependant, la rate semble indispensable à leur survie et à leur fonction. Lymphocytes B et réponse humorale dans l’athérosclérose Si les lymphocytes B sont retrouvés de manière très ponctuelle dans les plaques d’athérosclérose, des anticorps de type IgM et IgG sont détectés en grande quantité dans les plaques dès les premiers stades de la maladie. Les anticorps de type IgG et IgM dirigés contre les épitopes des LDL oxydées (LDLox) sont également présents dans le sang chez l’animal (9, 10) et chez l’homme (11). Anticorps naturels de type IgM Les anticorps naturels, essentiellement de type IgM, sont sécretés par les lymphocytes B1. Ils sont présents dès les premiers stades de la vie fœtale, comme l’atteste leur présence dans le sang du cordon. L’origine maternelle de ces anticorps est peu probable, dans la mesure où les IgM ne passent pas la barrière placentaire. Ces anticorps constituent une première ligne de défense contre les infections et reconnaissent, entre autres, des motifs membranaires bactériens. L’anticorps naturel T15 reconnaît ainsi la phosphorylcholine de l’enveloppe du Streptococcus pneumoniae et permet une protection contre cette bactérie. Chez l’homme, les membranes cellulaires et les LDL sont riches en phosphorylcholine, mais sont reconnues comme du soi. Dans certaines situations, les LDL sont modifiées (comme l’ajout d’un motif MDA), oxydées, et leur structure devient très proche de celle des phospholipides bactériens. Elles peuvent alors être la cible d’anticorps naturels comme l’idiotype T15. Chez la souris, l’immunisation avec des composants bactériens de pneumocoque induit une augmentation considérable des taux plasmatiques d’IgM T15, ainsi qu'une diminution des plaques d’athérosclérose (12). De plus, l’injection répétée d’IgM antiphosphorylcholine chez la souris réduit le développement de l’athérosclérose (13). D’autres anticorps naturels dirigés contre des motifs des LDLox ont été identifiés et clonés (14, 15). Les mécanismes athéroprotecteurs des anticorps naturels sont multiples. Tout d’abord, en se fixant sur les LDLox, ils empêchent les interactions avec les scavengers récepteurs (récepteurs “éboueurs”) et diminuent le formation des cellules spumeuses (16, 17). De plus, les anticorps naturels se fixent sur les phospholipides membranaires des cellules apoptotiques et accélèrent leur élimination. Un travail récent chez la souris a montré que la splénectomie réduisait considérablement la population lymphocytaire B1a et le taux d’IgM anti-LDLox. Les conséquences sont une accélération de l’athérosclérose et une augmentation de la taille du noyau nécroticoapoptotique. Le transfert de lymphocytes B1a, qui permet de reconstituer le pool d’IgM chez ces souris splénectomisées, induit une diminution de la taille des plaques d’athérosclérose et du noyau nécrotique (18). Les lymphocytes T CD4+ interagissent avec les cellules B et modulent leur fonction humorale. Chez la souris, l’immunisation par injection souscutanée de LDLox induit une augmentation de la production d’IL-5 par les lymphocytes T CD4+. L’IL-5, une cytokine de type Th2, est importante pour la maturation lymphocytaire B1 et pour la production Mots-clés Athérosclérose Inflammation Anticorps Lymphocytes Summary Atherosclerosis is a chronic inflammatory disease of the vascular wall that involves several pathogenic actors such as monocytes/macrophages and CD4+ Th1 T cells. B cell immunity was mainly explored through antibodies against oxidized LDL. Animal and human studies have shown that natural anti-oxidized LDL IgM antibodies produced by B1 cells are atheroprotective. The role of IgG anti-oxidized LDL is not clear. Recent studies, focused on cellular functions, have shown that B cells participate in the development of atherosclerosis by amplifying the immune response and polarizing CD4+ T cells toward a pro-atherogenic phenotype. Keywords Atherosclerosis Inflammation Antibodies Lymphocytes La Lettre du Cardiologue • n° 451 - janvier 2012 | 25 MISE AU POINT Rôle des lymphocytes B dans le développement de l’athérosclérose d’IgM, dans la mesure où la souris IL-5 -/- produit moins d’anticorps circulants de type T15. L’immunisation de ces souris déficientes en IL-5 n’induit pas d’anticorps anti-LDLox. Dans un modèle murin d’athérosclérose, la déficience en IL-5 s’accompagne d’une diminution considérable des taux d’anticorps anti-LDLox et d’une augmentation de la taille des plaques d’athérosclérose. Ces éléments illustrent clairement la coopération entre les lymphocytes T CD4+ de type Th2 et les lymphocytes de type B1 dans la réponse humorale via la production d’IL-5 (19). Les IgM anti-LDLox sont présents dans le sang des patients coronariens et dans les plaques d’athérosclérose. J. Su et al. ont rapporté que les taux élevés d’IgM anti-LDLox et antiphosphorylcholine étaient associés à une progression moins rapide de l’athérosclérose chez des patients hypertendus (20). J. Karvonen et al. ont montré une relation négative entre le taux d’IgM et l’épaisseur intima-média (21). Enfin, S. Tsimikas et al. ont mis en évidence une relation inverse entre le taux d’IgM et l’importance des lésions coronaires évaluées par coronarographie (22). L’ensemble de ces résultats chez l’animal et chez l’homme suggère un rôle protecteur des IgM naturels et des lymphocytes B1 dans l’athérosclérose. Anticorps de type IgG Les anticorps anti-LDLox de type IgG sont produits par les lymphocytes B2 “classiques”. Ils ont été identifiés à la fois dans le plasma de sujets volontaires sains et chez les patients coronariens, et ils circulent essentiellement sous la forme de complexes immuns. Les IgG représentent la majorité des anticorps anti-LDLox, ils sont 8 fois plus nombreux que les IgM sur une cohorte de patients diabétiques (23). Les complexes immuns qu’ils forment avec les LDL (LDL-IC) sont connus pour être pro-inflammatoires et proathérogènes (24) par leur liaison sur les Fcγ récepteurs des cellules phagocytaires (25). Ces LDL-IC sont présents dans les plaques humaines et dans celles des modèles animaux (26), et leur taux circulant est positivement corrélé à la sévérité de la maladie coronarienne (27, 28). Cette corrélation est d’autant plus forte que la cholesterolémie est élevée (22). Fonction cellulaire B et athérosclérose Le rôle antiathérogène des lymphocytes B1 et des IgM anti-LDLox semble probable à la fois sur des 26 | La Lettre du Cardiologue • n° 451 - janvier 2012 données expérimentales et sur des études de corrélation chez l’homme. En revanche, le rôle des autres types lymphocytaires B n’est pas clairement établi. Cela d’autant que leur fonction ne se limite pas à la production d’anticorps. Les lymphocytes B peuvent présenter l’antigène, exprimer des molécules de costimulation comme le CD40 et le CD80/86, et donc moduler la réponse immune cellulaire et notamment lymphocytaire T (29, 30). Deux études ont étudié l’effet de la modulation de la population lymphocytaire B sur le développement expérimental de l’athérosclérose. G. Caligiuri et al. ont réalisé une splénectomie chez des souris apoE-/- sensibles à l’athérosclérose (31). A.S. Major et al. ont retransplanté des souris LDLr-/-, sensibles à l’athérosclérose, avec la moelle de souris µMT (déficientes en chaîne μ du BCR, et donc déficientes en lymphocytes B) [32]. Dans ces 2 modèles caractérisés par une diminution du pool de lymphocytes B, les auteurs ont retrouvé une augmentation de la taille des lésions et ont conclu au rôle proathérogène des cellules B. Cependant, il s’agit de modèles expérimentaux complexes qui altèrent d’autres types cellulaires et qui modifient à tel point l’homéostasie de la réponse immune que leur conclusion sur le rôle des lymphocytes B dans l’athérosclérose est discutable. Pour explorer le rôle des lymphocytes B dans le développement des plaques d’athérosclérose, nous avons élaboré une approche plus ciblée, fondée sur l’administration d’anticorps déplétants antiCD20 chez des animaux immunocompétents. Nous avons montré que la déplétion lymphocytaire B (> 95 %) ainsi obtenue dans le sang, dans la rate et dans les ganglions s’accompagnait d’une réduction importante du développement de l’athéro­sclérose (figure 1) chez des souris adultes, et induisait un phénotype lésionnel plus stable (diminution de l’infiltration de macrophages et de lymphocytes T dans la plaque [figure 2]). Ces données ont été confirmées dans différents modèles murins (apoE-/-, LDLr -/- ), sous différents régimes alimentaires (pauvres ou riches en matières grasses), à différentes périodes. Nous avons montré que la déplétion lymphocytaire B induisait une profonde désactivation lymphocytaire T CD4+ avec une diminution de la prolifération (in vivo, ex vivo), une diminution de l’expression de marqueurs d’activation et une diminution de la production de cytokines proathérogènes comme l’IFNγ, et une augmentation de la production de cytokines antiathérogènes comme IL-17. La déplétion lymphocytaire B induisait également une désactivation des cellules dendritiques, comme l’illustre la diminution majeure d’expres- MISE AU POINT sion du CD40 membranaire (− 65 %). La déplétion lymphocytaire B s’accompagnait d’une diminution majeure (90 %) des taux d’IgG anti-LDLox, mais d’une réduction plus faible des IgM anti-LDLox. Cela est lié au fait que le pool péritonéal de lymphocytes B1a était peu affecté par l’anticorps déplétant. Dans une dernière série d’expériences, nous avons montré que l’inhibition endogène de l’IL-17 abolissait l’effet athéroprotecteur de la déplétion lymphocytaire B sans modifier les taux d’anticorps anti-LDLox. Cette expérience suggère que l’effet athéroprotecteur de la déplétion lymphocytaire B est essentiellement lié à une polarisation lymphocytaire T vers un type Th17 (33), et souligne l’importance de la coopération cellulaire entre les différents acteurs cellulaires de la réponse immuno-inflammatoire dans l’athérogenèse (figure 3, p. 28). Ces résultats ont récemment été confirmés par une autre équipe (34). Ces résultats sont importants pour la compréhension de la maladie vasculaire. Ils sont également rassurants quant à l’utilisation d’anticorps déplétants anti-CD20 (rituximab, par exemple) dans des pathologies auto-immunes − comme le lupus (35) −, qui présentent une prévalence élevée de l’athérosclérose. Conclusion L’athérosclérose est une maladie inflammatoire chronique des gros vaisseaux où l’immunité innée (monocytes/macrophages) et l'immunité adaptative 50 Surface des lésions (x 10.103 μm2) p = 0,01 40 30 20 10 CTr 0 α-CD20 CTr α–CD20 Figure 1. La déplétion lymphocytaire B (α-CD20) chez la souris apoE-/- induit une réduction de la taille des plaques d’athérosclérose (d’après [33]). 30 Nombre de lymphocytes T/section p = 0,01 25 20 15 10 5 CTr α-CD20 0 CTr α–CD20 Figure 2. La déplétion lymphocytaire B (α-CD20) chez la souris apoE-/- induit une réduction de 60 % de l’infiltration lymphocytaire T dans les plaques d’athérosclérose (p = 0,03) [d’après (33)]. La Lettre du Cardiologue • n° 451 - janvier 2012 | 27 MISE AU POINT Rôle des lymphocytes B dans le développement de l’athérosclérose Lymphocytes T pathogènes Th1 Lymphocytes B Cellules présentatrices d’antigènes IgG anti-LDLox (lymphocytes T CD4+) jouent un rôle majeur à la fois dans le développement et dans les complications de la maladie. Les lymphocytes de type B1, et les anticorps IgM anti-LDLox qu’ils produisent, sont protecteurs. Des données récentes suggèrent que d’autres types lymphocytaires B favorisent le développement de l’athérosclérose en activant et en polarisant les lymphocytes T CD4+ vers un phénotype pro-inflammatoire proathérogène. ■ IgM anti-LDLox protecteurs LDLox Th2 B1 IL-5 Figure 3. Les lymphocytes B1, stimulés par la voie Th2, produisent des anticorps protecteurs anti-LDLox. D’autres types lymphocytaires B activent et polarisent les lymphocytes T et les cellules présentatrices d’antigènes vers un phénotype pro-inflammatoire proathérogène. 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