PARCOURS DE SOINS Dossier coordonné par Brigitte Némirovsky DR Troubles des apprentissages du langage oral et écrit Conseillère scientifique Dr Catherine Billard Centre de référence des troubles du langage et des apprentissages, Le Kremlin-Bicêtre 1 2 780. Consultations du médecin de premier recours : nécessairement dédiées Dr Jean-Paul Blanc, Monique Touzin 788. Deuxième recours : pluridisciplinarité pour une évaluation et un suivi spécialisés de proximité Dr Thiébaut-Noël Willig TOME 136 | N° 10 | DÉCEMBRE 2014 étape Dr Catherine Billard 2 3 P étape étape P 778. Éclairer un parcours, pour l’heure encore labyrinthique suite L’urgence d’un niveau intermédiaire de soins 793. Incontournable, le deuxième recours doit s’appuyer sur l’existant Dr Catherine Billard 800. Centres de référence : trois missions et non pas substituts du niveau 2 Dr Marie-Ange Nguyen Morel 804. Le parcours de soins : une avancée indispensable et réalisable Dr Catherine Billard Tous droits reservés - Le Concours médical LE CONCOURS MÉDICAL | 777 P PARCOURS DE SOINS Troubles des apprentissages du langage oral et écrit Éclairer un parcours, pour l’heure encore labyrinthique Dr Catherine Billard ([email protected]), centre de référence des troubles du langage et des apprentissages, CHU-Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre, centre ressource Paris santé réussite Les troubles des apprentissages, les médecins généralistes « les rencontrent » régulièrement dans leurs cabinets. Et pourtant cette problématique si fréquente ne leur a jamais été enseignée sur les bancs de la faculté, et peu dans le cadre de la formation continue ! « Ils les rencontrent » car ils prescrivent tous à la demande des parents et/ou des enseignants « un bilan orthophonique et rééducation si nécessaire » pour un enfant chez lequel le développement du langage oral ou écrit paraît inhabituel. Cependant, rien à voir avec la situation d’une otite où ils interrogent l’enfant et sa famille, examinent les oreilles et prescrivent, ou non, de façon éclairée des antibiotiques ! La nature même des troubles des apprentissages engendre la complexité de leur prise en charge. Le double objectif de ce dossier est de : – démystifier les troubles des apprentissages du langage oral et écrit ; – donner les clés d’un vrai plan d’action éducatif et de soins en un parcours organisé, avec des filières cohérentes. Les troubles des apprentissages : entre éducation, société et médecine Les programmes d’entraînement pédagogique à la lecture restent trop peu employés en France s$UNPOINTDEVUESÏMIOLOGIQUEONREGROUpe sous le terme « troubles des apprentissages » un ensemble d’anomalies dans le développement cognitif de l’enfant touchant soit le langage oral, SOITLESFONCTIONSPRAXIQUESGESTUELLESOUVISUO spatiales, soit les capacités d’attention, notamment dans les apprentissages scolaires – lecture, orthographe, graphisme et calcul. 1. De quels troubles parle-t-on ? Les troubles spécifiques des apprentissages sont classés dans les troubles neurodéveloppementaux (classifications internationales : CIM 10, DSM 5). On parle de trouble lorsque le déficit est avéré et étayé par un bilan normé. Ce trouble est durable s’il perdure au moins deux ans. Il est spécifique lorsqu’il ne peut pas être totalement expliqué par une déficience sensorielle ou intellectuelle, ou par une pathologie avérée neurologique ou psychiatrique, ou des conditions pédagogiques/linguistiques particulièrement inadéquates. Les troubles spécifiques d’acquisition du langage écrit (TSLE ou dyslexie-dysorthographie) sont caractérisés par un déficit avéré, durable et spécifique des compétences en lecture et/ou orthographe. Les troubles spécifiques du développement du langage oral sont caractérisés par un déficit avéré, durable et spécifique des compétences de parole et langage (TSLO, communément appelés dysphasie). 778 | LE CONCOURS MÉDICAL Pour certains enfants, ces anomalies s’intègrent DANSUNEPATHOLOGIEQUILESEXPLIQUEENTIÒREMENT (comme une surdité ou une amblyopie sévère, une PATHOLOGIENEUROLOGIQUELÏSIONNELLE;SÏQUELLESDE souffrance périnatale ou traumatisme crânien] ou PÏDOPSYCHIATRIQUE;TROUBLESENVAHISSANTSDUDÏveloppement], voire une déficience mentale). Ils peuvent aussi s’inscrire dans un contexte psychoLOGIQUE FAMILIAL OU SOCIAL QUI SANS LES EXPLIQUER TOTALEMENT LES AGGRAVE ,ORSQUILS SONT INATTENDUSPARCEQUILSSURVIENNENTISOLÏMENTENDEHORS des causes précédemment décrites, on les appelle iTROUBLESSPÏCIlQUESDESAPPRENTISSAGESETFONCtions cognitives » (encadré 1). Pour ajouter à la complexité, certains enfants vont évoluer favorablement, et leurs troubles SERONTTRANSITOIRESTANDISQUEPOURDAUTRESCES troubles seront durables, laissant à long terme DES SÏQUELLES VARIABLES QUI NE DOIVENT PAS EMpêcher le futur adulte de vivre sur ses talents. Nous aborderons ici les troubles du langage oral ETÏCRITLESPLUSFRÏQUENTSETLESMIEUXCONNUS s$UNPOINTDEVUETERMINOLOGIQUEPLUSIEURS ambiguïtés brouillent la compréhension : – « apprentissages » suggère apprentissages scolaires, donc domaine réservé à l’école. « Apprentissage » est aussi un abus de langage, car si la lecture et l’orthographe s’apprennent, le langage oral se développe, lui, de manière naturelle avec la stimulation de l’environnement familial, de la crèche ou de l’école ; – « trouble » suggère une situation peu claire entre DIFlCULTÏ ET PATHOLOGIE !LORS QUAND ET POURQUOI TOME 136 | N° 10 | DÉCEMBRE 2014 Tous droits reservés - Le Concours médical Troubles des apprentissages du langage oral et écrit CONSIDÏRER QUIL SAGIT DUN DOMAINE MÏDICAL Où se situerait la limite entre le « normal » et le i PATHOLOGIQUE w 0OUR LE MÏDECIN NON FORMÏ AUTANT DE QUESTIONS QUI CONTRIBUENT Ë LA COMplexité de ce thème transversal entre éducation, société et médecine. Le médecin de premier recours démuni face à l’inquiétude des familles %T POURTANT PUISQUIL ARRIVE AU MÏDECIN DE famille de prescrire, à juste titre, des séances d’orthophonie, sa place mérite d’être reconsidérée. Adresser de façon éclairée à l’orthophoniste ou non, au psychologue ou non, suggérer une évaluation hospitalière dans un de ces fameux centres référents des troubles du langage et des apprentissages (CRTLA), dont on n’a le plus souvent pas décrit la nature et les missions, adresser à un collègue QUISYINTÏRESSEÏCHANGERAVECLEMÏDECINSCOLAIRE échanger pour guider la famille et revoir l’enfant, n’est-ce pas exactement le rôle du médecin de l’enFANT #ONFRONTÏ Ë UNE LONGUE LISTE DALTERNATIVES AUCURDELINQUIÏTUDEDESFAMILLESLEMÏDECINGÏnéraliste se sent aujourd’hui légitimement démuni. $AUTANTQUELESMÏDECINSNESONTPASSANSSAVOIR – tant les journaux tirent les sonnettes d’alarme – QUELESAPPRENTISSAGESDESPETITS&RANÎAISSONTLOIN de s’améliorer : les enfants ne maîtrisant pas la lecture sont de plus en plus nombreux, leur niveau de plus en plus faible, et l’écart entre « les bons et les faibles » de plus en plus grand(1). Un avenir sombre QUISEDESSINEPOUREUXDANSUNESOCIÏTÏMOINSINdulgente avec la diversité des talents. ,ESMÏDECINSGÏNÏRALISTESSAVENTAUSSIQUELES enfants « dys » font l’objet de plusieurs guides RÏCENTS ÏMANANT PAR EXEMPLE DE LA $IRECTION GÏNÏRALEDELOFFREDESOINS$'/3OUBIENDE LA #AISSE NATIONALE DE SOLIDARITÏ ACTIVE #.3! $EUXQUESTIONSLUNESOCIÏTALERELEVANTDEL²DUcation nationale, l’autre médicale fondée sur la prescription du médecin. Il est aujourd’hui peutÐTRE ENCORE PLUS QUE JAMAIS INDISPENSABLE DE réfléchir à des filières de soins cohérentes pour optimiser l’efficacité avec des coûts maîtrisés. Un plan d’action cohérent en trois niveaux de soins précédés d’un niveau préventif s,APRÏVENTIONPÏDAGOGIQUEOUÏDUCATIVESEST organisée dans de nombreux pays depuis plus de vingt ans. Les programmes de stimulation du langaGEORALÏVALUÏSSCIENTIlQUEMENTEXISTENTDESTINÏS TOME 136 | N° 10 | DÉCEMBRE 2014 2. Les enjeux d’un parcours de soins selon une gradation en trois niveaux 1. Devant un développement inhabituel du langage oral ou écrit, donner aux médecins généralistes les outils pour leur permettre de prescrire de façon éclairée les bilans complémentaires et reconnaître les situations plus complexes, selon des référentiels clairs (niveau 1). Ces évaluations et ces soins étant assurés selon le profil des troubles par des rééducateurs ambulatoires (dont les orthophonistes) ou institutionnels (dont les CMPP). 2. Développer, valoriser, créer un maillage territorial de réseaux ou structures de niveau 2, qui serviront de recours aux généralistes et aux familles dès que la situation de l’enfant ne paraît pas si simple ou n’évolue pas suffisamment favorablement. 3. Les CRTLA étant aujourd’hui débordés, recentrer leurs missions, au plan clinique, vers les situations les plus complexes nécessitant leur hyperspécialisation, leur permettant ainsi de mieux se consacrer à la recherche et à sa diffusion. aux parents, éducateurs, enseignants, orthophonistes s’occupant d’enfants des milieux précaires. Pour exemples, des programmes expérimentaux américains(2) mais aussi français, tel le « Parler bambin » développé par M. Zorman † (3). Il en est de MÐMEDESENTRAÔNEMENTSPÏDAGOGIQUESËLAPPRENTISSAGEDELALECTUREQUIONTLARGEMENTPROUVÏLEURS EFFETSAUX²TATS5NISCOMMEEN&RANCEPROGRAMME0!2,%2OU032;=,ASEULEVRAIEQUESTION ESTPOURQUOISONTILSSIPEUDIFFUSÏSEN&RANCE s5NPARCOURSDESOINSCOHÏRENTETSTRUCTURÏ des troubles des apprentissages a fait récemment l’objet d’une réflexion d’un groupe de travail ministériel(5) ; – son objectif : permettre une égalité territoriale et dans toutes les populations d’accès aux soins si nécessaire ; – son organisation : une gradation des soins et une cohésion des filières selon la sévérité des troubles et leur évolution ; nSAMISEENPLACESOUSLADÏPENDANCEDES!23 – son caractère innovant : offrir à l’enfant et sa famille des réponses correspondant à leurs besoins ; – son principe : assurer un niveau intermédiaire entre les soins de ville prescrits par le médecin de l’enfant (généraliste, pédiatre ou scolaire) et les centres référents (CRTLA régionaux mis en place par le Plan langage 2001). C’est là où réside l’enjeu majeur d’un parcours de soins cohérent fondé sur trois niveaux (encadré 2). Ce dossier décrit ces trois niveaux de soins, clarifiant ainsi le rôle de chacun au bénéfice de l’enfant et sa famille. s L’auteure signale comme seul lien avec le sujet de ce dossier du Concours médical qu’elle coordonne le fait d’être un des auteurs de la batterie EDA citée. Tous droits reservés - Le Concours médical 1. Enquête PISA 2012 www.oecd. org/pisa/keyfindings/pisa-2012results-overview-FR.pdf 2. Quelques programmes http:// opensiuc.lib.siu.edu/gs_rp;http:// www.jstor.org/stable/30035543; http://abc.fpg.unc.edu/ 3. www.cognisciences.com/ IMG/001_008_ANAE_112_ Zorman_B.pdf 4. http://www.readinghorizons. com/blog/post/2010/11/10/ Dr-Joseph-Torgesen-PresentsTeaching-all-students-to-readIs-it-really-possible.aspx ; www. cognisciences.com/rubrique. php3?id_rubrique=8; http:// www.lemonde.fr/societe/ article/2014/02/03/les-enfantsde-pauvres-sont-ils-condamnes-a-lillettrisme_4358954_3224.html 5. http://www.sante.gouv.fr/IMG/ pdf/Parcours_de_soins_des_ enfants_atteints_de_troubles_des_ apprentissages.pdf LE CONCOURS MÉDICAL | 779 P PARCOURS DE SOINS étape 1 Troubles des apprentissages du langage oral et écrit Consultations du médecin de premier recours : nécessairement dédiées Dr Jean-Paul Blanc ([email protected]), pédiatre, Saint-Étienne, Monique Touzin ([email protected]), orthophoniste, centre d’adaptation psychopédagogique (CAPP) Paul-Meurice, Paris Environ 20 % des enfants sont en difficulté pour apprendre à lire. Tous n’ont pas une pathologie ni un trouble spécifique : certains peuvent bénéficier de l’apport de la pédagogie, à laquelle pour d’autres il faudra adjoindre une rééducation orthophonique ou un autre traitement. C’est pourquoi le rôle du médecin de premier recours est important pour la prescription éclairée des soins et pour assurer la guidance parentale. Or ce rôle est loin d’être évident à assurer tant la formation initiale a peu abordé ce champ. L’orthophoniste est le partenaire privilégié du médecin dans l’évaluation et la prise en charge des difficultés de ces enfants. OMPTE TENU DES DIFFÏRENTES TÉCHES QUI INcombent au médecin de premier recours DANS LE CADRE DE CETTE PROBLÏMATIQUE LA prescription d’un bilan d’orthophonie initial ou de renouvellement, sans voir l’enfant et sans y consacrer une consultation dédiée, nous paraît une faute médicale. En effet, le rôle du médecin est fondamental pour orienter l’enfant vers le bon rééducateur (souvent un orthophoniste, mais pas toujours et pas de façon exclusive). 2. Authentifier un réel trouble du langage oral ou DELALECTUREDEVANTLAPLAINTESACHANTQUE – l’enfant est un être en développement, et chaQUEENFANTNAPASLEMÐMERYTHME nLESINQUIÏTUDESDESPARENTSOUDESENSEIGNANTS peuvent concerner des particularités très « visibles » comme par exemple un zozotement ou un trouble articulatoire sans caractère pathologiQUEENMATERNELLEALORSQUUNDÏlCITDULANGAGE n’est pas toujours aussi « parlant ». 3. !PPRÏCIER LE CONTEXTE DANS LEQUEL LA PLAINTE Le rôle du médecin de l’enfant se situe : 3IX OBJECTIFS MAJEURS GUIDENT CETTE PREMIÒRE – le trouble du langage oral ou écrit est-il inscrit étape du parcours de soins. dans un retard global de développement, une 1.2EPÏRERLESDIFlCULTÏSQUINESONTPASTOUJOURS PATHOLOGIE SENSORIELLE PSYCHIATRIQUE OU NEUROmises en avant lors de la consultation, car : LOGIQUEAVÏRÏE – certains parents (voir certains enseignants) ne nOUBIENSAGITILDUNTROUBLESPÏCIlQUE PENSENTPASQUELEMÏDECINGÏNÏRALISTEOULEPÏ- n QUEL EST LE CONTEXTE PÏDAGOGIQUE FAMILIAL SOCIAL diatre a un rôle à jouer dans ces cas-là ; – les difficultés sont souvent cachées derrière – le trouble est-il « simple » ou bien associé à des réponses paravent de type : « Il est un peu d’autres troubles (agitation, graphisme…). fainéant, quand il veut il peut, il a du mal à 4. Conseiller les parents : nLORSQUEDESBILANSONTÏTÏPRESCRITSLEMÏDECIN se concentrer, il a un blocage… » ; – celles-ci peuvent être au deuxième plan chez de premier recours doit savoir les interpréter et UN ENFANT QUI VIENT POUR DES TROUBLES DU COM- suspecter, voire poser un diagnostic simple (de portement, voire des troubles anxieux (troubles dyslexie, par exemple) ; du sommeil, angoisses, douleurs abdominales, nDANSDAUTRESCASLORSQUELETABLEAUESTPLUSSÏVÒRE parfois véritable phobie, ou des troubles de l’hu- OUPLUSCOMPLEXEDYSPHASIETROUBLESPRAXIQUESOU MEUR;LESSENTIMENTSDÏPRESSIFSNESONTPASRA- de communication associés), le médecin adressera l’enfant vers le professionnel ou la structure de soins res chez ces enfants]) ; – l’histoire des troubles repérés est très impor- de niveau 2 la mieux à même de poser ce diagnostic. TANTE QUAND SONTILS APPARUS COMMENT ÏVO- 5. Aider les parents en les conseillant sur la LUENTILSYATILEUUNERÏGRESSIONOUNON meilleure façon d’accompagner leur enfant C 780 | LE CONCOURS MÉDICAL TOME 136 | N° 10 | DÉCEMBRE 2014 Tous droits reservés - Le Concours médical