Focus Cornée Conduite à tenir devant un ulcère trophique de la cornée Trophic ulcer of the cornea J. Gueudry, A. Aifa, M. Muraine (Service d’ophtalmologie, hôpital Charles-Nicolle, Rouen) ✔ Mots-clés. Kératite neurotrophique • Greffe de membrane amniotique • Thérapie matricielle • Cicatrisation cornéenne. ✔ Keywords. Neurotrophic keratitis • Amniotic membrane transplantation • Matrix therapy • Corneal wound healing. L a kératite neurotrophique est une atteinte dégénérative chronique de l’épithélium cornéen caractérisée par un retard de cicatrisation épithéliale lié à la diminution de la sensibilité cornéenne. La survenue d’un ulcère trophique cornéen est une pathologie rare qui nécessite un traitement rapide et agressif afin d’éviter la progression de l’ulcère épithélial vers la fonte stromale et la perforation cornéenne. L’hypoesthésie cornéenne est responsable d’une souffrance de la surface oculaire La cause la plus fréquente d’hypoesthésie ou d’anesthésie cornéenne est représentée par les séquelles d’infections cornéennes herpétiques ou zostériennes (tableau). L’hypoesthésie cornéenne aboutit à un trouble majeur de la surface oculaire. Ainsi, le film lacrymal se trouve altéré par une diminution de la sécrétion lacrymale, une augmentation de sa viscosité et une diminution du réflexe de clignement. Les cellules épithéliales cornéennes perdent leurs microvillosités entraînant un défaut d’adhésion du film lacrymal et la régénération cellulaire est ralentie. Cela a pour conséquence une vulnérabilité épithéliale et une mauvaise régénération cellulaire, aboutissant à la souffrance épithéliale cornéenne. La kératite neurotrophique évolue selon différents stades cliniques de gravité Les signes fonctionnels associent une baisse de l’acuité visuelle, une hyperhémie conjonctivale, un larmoiement et une douleur absente ou modérée. Le tableau clinique débute par une instabilité du film lacrymal et une irrégularité de la surface épithéliale, puis par une kératite ponctuée superficielle. Ensuite, l’ulcère épithélial apparaît, caractérisé par sa forme ovalaire, au niveau de la moitié inférieure de la cornée, et ses bords qui s’enroulent avec le temps. Il est parfois compliqué d’un œdème stromal et d’un effet de Tyndall cellulaire et protéique en chambre antérieure. Enfin, l’ulcère stromal survient. La priorité est l’éviction de tout agent local toxique pour la surface oculaire Tableau. Étiologies principales des ulcères cornéens trophiques. Virus de la varicelle et du zona Herpes Simplex Virus Paralysie de la cinquième paire crânienne – Anévrismes – Post-traumatique – Postchirurgicale, etc. Brûlures chimiques Abus médicamenteux : anesthésiques locaux, collyres anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) Postopératoires – Traumatisme chirurgicaux ou par laser des nerfs ciliaires, LASIK, etc. Diabète, déficit en vitamine A 28 Images en Ophtalmologie • Vol. VII • no 2 • mars-avril 2013 Le traitement habituel des ulcères trophiques s’avère souvent difficile. La priorité est l’éviction de tout collyre toxique pour la surface oculaire comprenant les collyres avec conservateurs, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) en collyre (1) et les pommades ou collyres antiviraux et/ou antibiotiques. Les agents lubrifiants sans conservateurs sont recommandés, auxquels un collyre antiseptique sans conservateur peut être ajouté. Selon l’évolution, la pose d’une lentille souple à visée thérapeutique peut être proposée. Le collyre au sérum autologue, riche en facteurs de croissance et en inhibiteurs de protéases, peut également être envisagé. Cependant, la réglementation contraignante ne le rend disponible que dans certains centres. L’administration en collyre de NGF (Nerve Growth Factor) semble efficace, mais son utilisation est encore du domaine de la recherche. Focus Cornée Au stade d’ulcère stromal, la préservation de l’intégrité du globe oculaire prévaut sur la réhabilitation de la fonction visuelle La greffe de membrane amniotique est nécessaire dans les ulcères réfractaires ou en cas d’ulcères préperforatifs ou perforés d’emblée (2). Elle est utilisée le plus souvent suturée parfois collée dans le fond de l’ulcère en une ou plusieurs couches. Elle possède des propriétés anti-inflammatoires, procicatrisantes et fournit également un support physique qui facilite la migration des cellules des berges de l’ulcère. En cas d’échec, le recouvrement conjonctival partiel ou total peut parfois s’avérer nécessaire pour préserver anatomiquement le globe oculaire (3). Les colles cyanoacrylates ou biologiques de type colles de fibrine sont parfois utilisées pour les perforations de très petite taille (figure 1) [4]. La tarsorraphie temporaire ou les injections de toxine botulique peuvent permettre de passer un cap en cas de malocclusion associée. La greffe de cornée lamellaire ou transfixiante à chaud dite “bouchon” est utilisée en dernier recours dans les perforations de grand diamètre. La thérapie matricielle est en cours d’évaluation Le RGTA® (ReGeneraTing Agents), sous forme de collyre, pourrait être efficace dans le traitement de l’ulcère trophique en se substituant aux héparanes sulfates de la matrice extracellulaire dégradée (5). Au centre hospitalier universitaire de Rouen, nous avons effectué une étude prospective non contrôlée sur 11 yeux (11 patients) présentant un ulcère trophique persistant. Nous avons constaté 3 échecs thérapeutiques ayant nécessité une greffe de membrane amniotique (2 patients) et une greffe de cornée à chaud (1 patient) ; 8 patients ont cicatrisé (figure 2, p. 30). Une étude randomisée européenne doit bientôt débuter pour confirmer ces premiers résultats encourageants. Bien qu’il n’existe pas de conduite à tenir codifiée pour le traitement de l’ulcère de cornée trophique, un schéma thérapeutique est proposé dans la figure 3, p. 30. II 1a 1b 1c 1d Figure 1. Ulcère trophique perforé après kératoplastie transfixiante (a, b) ; mise en place d’un point de colle de cyanoacrylate, avec récidive précoce (c) ; évolution favorable après greffe de membrane amniotique en multicouches (d). Images en Ophtalmologie • Vol. VII • no 2 • mars-avril 2013 29 Focus Cornée 2a 2b 2c 2d Figure 2. Ulcère trophique cornéen creusant compliquant une kératite herpétique (a, b) ; évolution favorable après 4 semaines de traitement par RGTA® (ReGeneraTing Agents) [c, d]. Ulcération épithéliale cornéenne trophique Arrêt des conservateurs et des collyres toxiques Agents mouillants sans conservateur Correction d’anomalies palpébrales aggravantes Cicatrisation Surveillance Absence de cicatrisation avec ou sans ulcère stromal débutant Lentille thérapeutique Collyre au sérum autologue RGTA® collyre Cicatrisation Surveillance Absence de cicatrisation avec ou sans descemétocèle ou perforation Greffe de membrane amniotique Colle cyanoacrylate ou biologique Greffe “bouchon” Recouvrement conjonctival Cicatrisation Surveillance Figure 3. Schéma thérapeutique proposé. 30 Images en Ophtalmologie • Vol. VII • no 2 • mars-avril 2013 Références bibliographiques 1. Gueudry J, Lebel H, Muraine M. Severe corneal complications associated with topical indomethacin use. Br J Ophthalmol 2010;94(1):133-4. 2. Muraine M, Gueudry J, Toubeau D et al. [Advantages of amniotic membrane transplantation in eye surface diseases]. J Fr Ophtalmol 2006;29(9):1070-83. 3. Boidin H, Gueudry J, Portmann A, Muraine M. [Conjunctival flap: still a relevant procedure]. J Fr Ophtalmol 2012;35(3):170-5. 4. Vera L, Benzerroug M, Gueudry J et al. [An update on the use of tissue adhesives in ophthalmology]. J Fr Ophtalmol 2009;32(4):290-305. 5. Aifa A, Gueudry J, Portmann A, Delcampe A, Muraine M. Topical treatment with a new matrix therapy agent (RGTA) for the treatment of corneal neurotrophic ulcers. Invest Ophthalmol Vis Sci 2012;53(13):8181-5.