
Ibrahima Konate : Les contextes qui répondent le mieux à l’action humanitaire sont les
situations de guerre, mais aussi les situations où les besoins en services urgents de santé ne
sont pas couverts.
- Au sein de MSF, la chirurgie doit-elle se limiter à des procédures « de base » orientées
sur le « life saving » et l’urgence ? Existe-il une place pour des programmes de chirurgie
programmée ou à haute technicité (chirurgie reconstructrice par exemple, comme en
Tchétchénie ou en Jordanie) ?
Khaled Menapal : Pourquoi ne pas faire de la chirurgie de haute technicité quand le contexte
le permet, et que cela correspond à une demande du terrain ? Il ne faut pas opposer ce type de
chirurgie à la chirurgie programmée, parce que d’après mon expérience en situation de guerre
ou d’urgence, il nous arrive d’avoir la chance de ne pas avoir de blessés de guerre à prendre
en charge : ce qui permet d’effectuer de la chirurgie froide ou programmée. J’ai aussi constaté
une mauvaise interprétation de la chirurgie d’urgence par l’équipe de coordination, qui ne
voulait pas pratiquer de la chirurgie non liée à la guerre. Je l’ai pratiquée quand même car
pour moi, l’essentiel était d’aider le plus grand nombre de malades (blessés de guerre ou pas)
toujours avec l’accord de l’équipe chirurgicale (anesthésiste, infirmier bloc opératoire).
Pierre Gielis et Nathalie Civet : Dans ses projets chirurgicaux et autres, MSF doit toujours
se souvenir que notre action n’est que temporaire et que quand nous partons, nous ne devons
pas laisser une organisation dont les responsables locaux ne pourront pas assurer la continuité.
Il existe de la chirurgie programmée, mais elle doit aussi être limitée en technicité. Elle doit
répondre à une incapacité physique, ou à une menace sur l’intégrité physique. Nous avons un
devoir de formation, et il faut commencer à former et à s’assurer de l’application des
standards minimaux de la chirurgie (hygiène générale, stérilisation et transfusion, nombre
suffisant et formation du personnel et post-opératoire de qualité) avant d’augmenter la
technicité. Cette technicité ne pourra être intégrée de manière qualitative qu’une fois les bases
connues. La chirurgie reconstructrice (fistules obstétricales, séquelles de brûlures, séquelles
de poliomyélite, chirurgie de la main, de la face, etc.) peut exister parallèlement à une activité
chirurgicale régulière, mais de manière ponctuelle et parfaitement organisée, avec une
formation préalable et la définition d’une stratégie adaptée au contexte.
Stefan Krieger : Bien sûr, il existe une place pour ces activités ! La chirurgie reconstructrice
en situation de guerre ou d’après guerre, la chirurgie des brûlures et d’ostéomyélites, ou
encore la chirurgie de la main (guerre / après guerre) sont des activités qui ont toute leur place
à MSF.
Jean-Paul Dixmeras : En apparence au moins, le « life-saving » et l’urgence semblent
s’imposer d’eux-mêmes. Pour autant, cette vision me paraît simpliste, insatisfaisante et
insuffisante : d’une part parce que l’urgence n’est pas toujours accessible (je pense par
exemple aux problèmes posés par l’Irak ou l’Afghanistan aujourd’hui, mais aussi aux
difficultés d’accès dans certaines catastrophes naturelles) ; d’autre part parce qu’on ne peut
pas considérer un travail terminé au prétexte d’une survie assurée. Indiscutablement, dans la
mesure du possible technique et matériel, la réparation doit être poursuivie. Par rapport à
certains programmes tels que la nutrition ou la prise en charge du sida, la chirurgie a
« l’avantage » de donner des résultats définitifs. Profitons-en ! Un patient verticalisé ne
redeviendra pas grabataire, une « gueule cassée » ne sera plus jamais une frayeur pour lui-
même et son entourage.