Immunologie et psychiatrie
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 206, janvier 1998
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Zisook et coll. (29), chez des femmes
veuves depuis deux mois n’ayant aucun
antécédent dépressif, déprimées ou non
au moment de l’enquête, ne constatent
aucune anomalie immunitaire significati-
ve dans la totalité du groupe pendant la
période de suivi (13 mois après le décès).
En revanche, une baisse de deux para-
mètres immunitaires, l’activité des cel-
lules NK et la prolifération lymphocytaire
in vitro en présence de concanavaline A,
est observée dans la sous-population
répondant aux critères d’épisode dépressif
majeur (30 % des veuves au bout de
deux mois). Ces résultats indiqueraient
que la dépression proprement dite, à la
différence d’une simple réaction de deuil,
entraîne des modifications immunitaires.
De plus, la morbidité somatique augmen-
terait en cas de veuvage selon les auteurs.
Mais cette notion n’est pas confirmée par
d’autres travaux et on ne sait si les ano-
malies immunitaires constatées sont res-
ponsables de cette vulnérabilité à la mala-
die.
Enfin, la rupture d’une relation conjugale
augmenterait également le taux de morbi-
dité et de mortalité. Des études contrôlées
montrent, là aussi, une baisse de l’immu-
nocompétence, baisse plus marquée si
l’attachement au partenaire reste plus
intense et si la séparation est plus récente
(13). Il faut souligner que de nombreuses
variables ne sont pas prises en compte par
ces études : un sujet qui vit seul, outre une
éventuelle réaction dépressive après la
séparation, ne se comporte plus de la
même manière (par exemple prise de
risques, consommation de tabac et d’al-
cool).
Axe corticotrope, axe thyréotrope
et immunité
Des anomalies de l’axe hypothalamo-
hypophyso-surrénalien ont été décrites
dans les états dépressifs sévères. Or les
lymphocytes portent à la surface de leur
membrane des récepteurs à l’ACTH
(Adreno-Corticotrophic Hor-mone
sécrétée par le lobe antérieur de l’hypo-
physe) et au CRF (Corticotropin
Releasing Factor sécrétée par l’hypotha-
lamus), qui interviennent dans la régula-
tion de l’axe corticotrope. Les cellules
lymphocytaires synthétisent le précur-
seur de l’ACTH. Leur sensibilité aux
corticoïdes n’est pas la même chez les
patients déprimés. Kok et coll. (14) ont
ainsi montré que la sécrétion d’immuno-
globulines de type IgM était induite chez
eux par des doses d’hydrocortisone plus
élevées que chez les sujets sains. La
résistance à la freination de la sécrétion
de cortisol plasmatique par l’administra-
tion de dexaméthasone (DST), long-
temps considérée comme paradigma-
tique de la dépression, se retrouve au
niveau cellulaire. De même, la sensibili-
té de la TRH à l’administration de TSH
est diminuée chez le sujet déprimé, aussi
bien au niveau plasmatique qu’au niveau
lymphocytaire in vitro (9).
Les déprimés caractérisés par une ano-
malie du fonctionnement corticotrope
présentent-ils davantage de modifica-
tions immunitaires ? Kronfol et coll. (15)
ne trouvent aucune différence dans les
mesures de prolifération lymphocytaire
entre les patients dont la sécrétion de cor-
tisol urinaire est élevée, ceux dont la
sécrétion est normale et les témoins
sains. En raison de l’absence d’associa-
tion entre les paramètres immunitaires et
la cortisolémie ou la réponse au DST
constatée par la grande majorité des
auteurs, et pour tenir compte des pics
sécrétoires de cortisol, Miller et coll. (22)
ont calculé la corrélation entre la quanti-
té de cortisol mesurée dans le plasma
pendant 3 heures et l’activité NK, sou-
vent diminuée dans la dépression : aucu-
ne corrélation n’apparaît. Charles et coll.
(3) proposent une explication : l’élément
déterminant serait le niveau d’anxiété ;
ils ont noté une corrélation positive entre
le rapport lymphocytaire T4/T8 et le
score à l’échelle d’anxiété de Hamilton
dans le seul sous-groupe non suppres-
seur au DST d’une population de
patients déprimés et anxieux.
L’administration de dexaméthasone lors
du DST peut aussi constituer un biais
(16) car ce corticoïde de synthèse ne
régule pas seulement la cortisolémie
mais provoque aussi des effets immuni-
taires : une inhibition de la prolifération
lymphocytaire et de la production d’in-
terleukine chez les témoins normaux.
Existe-t-il des anomalies immuni-
taires dans les dépressions
majeures caractérisées ?
Miller et Stein (22) ont analysé dans la
littérature 24 études contrôlées des
fonctions immunitaires de patients
déprimés majeurs, comparés à des
témoins sains. Ces travaux étudient le
nombre et la fonction des immuno-
cytes. Une mise au point plus récente
du même groupe (23) confirme ces
données essentiellement négatives.
Numération cellulaire
Des anomalies du nombre de globules
blancs (augmenté dans 2 études sur 7), de
polynucléaires neutrophiles (augmenté
dans 2 travaux sur 6) et de lymphocytes
(abaissé dans 2 études sur 8) sont obser-
vées de manière inconstante (tableau I).
La rareté de la lymphopénie est surpre-
nante étant donné l’hypercortisolisme
caractéristique de la dépression.
Le nombre de lymphocytes T, cellules
régulatrices et effectrices, est diminué
dans 2 études sur 9. Une seule étude (sur
4) trouve une augmentation du rapport
T4/T8 et une autre (sur 6) une baisse du
nombre de lymphocytes B. Maes et coll.
(17) constatent également une élévation
du rapport T4/T8 dans la dépression. En
analysant plus finement les sous-groupes
de lymphocytes T4 et T8 marqués par des
anticorps monoclonaux, cette équipe par-
vient à diagnostiquer les dé-primés
mélancoliques avec une sensibilité de
68 % et une spécificité de 95 %.
Fonction cellulaire
La fonction cellulaire n’apparaît pas