Dépression et immunité : du stress à la dépression, modifications du

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Immunologie et psychiatrie
Situations de stress prolongé chez
l’homme
Chez l’animal, la répétition de chocs élec-
triques aléatoires et inévitables conduit à
une situation de désespoir appris (learned
helplessness) comportant des anomalies
immunitaires (développement accéléré de
greffes de tumeur, échec de vaccinations).
Cet état est sensible à l’effet des médica-
ments antidépresseurs utilisés en patholo-
gie humaine. Chez l’homme, les situa-
tions de stress prolongé peuvent déclen-
cher une réaction dépressive. Kiecolt-
Glaser et coll. (12) ont étudié pendant plus
d’un an un groupe de sujets prenant en
charge un parent alzheimérien. Ils consta-
tent une augmentation de la morbidité
(notamment des affections ORL) et une
baisse de plusieurs paramètres de l’immu-
nité cellulaire. Cependant, le nombre de
sujets remplissant les critères de dépres-
sion majeure augmente peu au cours de
cette prise en charge (de 25 % au début de
l’étude à 32 % au bout de 13 mois) et les
anomalies immunitaires ne sont pas cor-
rélées avec les scores à l’échelle de
dépression de Hamilton.
De même, sur le plan biologique, le décès
du conjoint entraîne une baisse de la pro-
lifération des lymphocytes stimulés in
vitro par des substances mitogènes et de
l’activité des cellules natural killer (NK),
en particulier chez les maris survivants
qui paraissent plus vulnérables que les
épouses (13). Ces anomalies ne survien-
nent pas immédiatement mais après un
délai de plusieurs semaines et se normali-
sent dans l’année (25). Des femmes dont
le mari est traité pour un cancer du pou-
mon métastasé présentent moins d’ano-
malies immunitaires qu’un groupe de
femmes dont le mari est mort depuis
moins de 6 mois (11) ; la fonction immu-
nitaire peut même être stimulée chez le
mari anticipant le décès de sa femme (27).
Ces phénomènes ont pu être interprétés
comme l’expression du deuil, vécu ou
encore à venir, avec une période critique
de durée limitée où des anomalies immu-
nitaires peuvent être observées.
Dépression et immunité :
du stress à la dépression, modifications du
système immunitaire ?
A. Galinowski*
Le terme de dépression est utilisé à la fois par les immu-
nologistes, pour désigner une baisse de l’immunocompé-
tence, et par les psychiatres pour qualifier un trouble de
l’humeur. L’hypothèse a souvent été évoquée d’un lien entre
état dépressif et dépression immunitaire, conduisant à une
pathologie organique, en particulier cancéreuse.
Cependant, une étude prospective chez des femmes opé-
rées pour un cancer du sein ne trouve aucun lien entre
l’existence d’une dépression majeure ou le deuil d’un
proche pendant le déroulement de l’étude et la survenue
d’une rechute
(1).
Le rôle du psychisme serait seulement
déterminant dans la rémission des cancers non métastasés
(8).
Une étude contrôlée montre qu’une psychothérapie de
groupe, améliorant le coping (attitude devant une situation
de stress) face au mélanome malin, diminue le taux de
mortalité chez les patients bénéficiant de cette prise en
charge, parallèlement à l’augmentation de l’activité des
cellules natural killer (NK)
(7).
Le syndrome de fatigue
chronique est aussi un exemple de pathologie interprétée
par certains auteurs comme une altération des fonctions
immunitaires et par d’autres comme une forme de dépres-
sion. Plusieurs questions se posent : des réactions de type
dépressif dans les situations de stress prolongé sont-elles à
l’origine d’anomalies immunitaires ? La fonction immuni-
taire est-elle altérée dans les états dépressifs majeurs
caractérisés ? Les modifications observées sont-elles liées à
certains symptômes dépressifs ?
* SHU, Sainte-Anne, Paris.
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Immunologie et psychiatrie
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 206, janvier 1998
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Zisook et coll. (29), chez des femmes
veuves depuis deux mois n’ayant aucun
antécédent dépressif, déprimées ou non
au moment de l’enquête, ne constatent
aucune anomalie immunitaire significati-
ve dans la totalité du groupe pendant la
période de suivi (13 mois après le décès).
En revanche, une baisse de deux para-
mètres immunitaires, l’activité des cel-
lules NK et la prolifération lymphocytaire
in vitro en présence de concanavaline A,
est observée dans la sous-population
répondant aux critères d’épisode dépressif
majeur (30 % des veuves au bout de
deux mois). Ces résultats indiqueraient
que la dépression proprement dite, à la
différence d’une simple réaction de deuil,
entraîne des modifications immunitaires.
De plus, la morbidité somatique augmen-
terait en cas de veuvage selon les auteurs.
Mais cette notion n’est pas confirmée par
d’autres travaux et on ne sait si les ano-
malies immunitaires constatées sont res-
ponsables de cette vulnérabilité à la mala-
die.
Enfin, la rupture d’une relation conjugale
augmenterait également le taux de morbi-
dité et de mortalité. Des études contrôlées
montrent, là aussi, une baisse de l’immu-
nocompétence, baisse plus marquée si
l’attachement au partenaire reste plus
intense et si la séparation est plus récente
(13). Il faut souligner que de nombreuses
variables ne sont pas prises en compte par
ces études : un sujet qui vit seul, outre une
éventuelle réaction dépressive après la
séparation, ne se comporte plus de la
même manière (par exemple prise de
risques, consommation de tabac et d’al-
cool).
Axe corticotrope, axe thyréotrope
et immunité
Des anomalies de l’axe hypothalamo-
hypophyso-surrénalien ont été décrites
dans les états dépressifs sévères. Or les
lymphocytes portent à la surface de leur
membrane des récepteurs à l’ACTH
(Adreno-Corticotrophic Hor-mone
sécrétée par le lobe antérieur de l’hypo-
physe) et au CRF (Corticotropin
Releasing Factor sécrétée par l’hypotha-
lamus), qui interviennent dans la régula-
tion de l’axe corticotrope. Les cellules
lymphocytaires synthétisent le précur-
seur de l’ACTH. Leur sensibilité aux
corticoïdes n’est pas la même chez les
patients déprimés. Kok et coll. (14) ont
ainsi montré que la sécrétion d’immuno-
globulines de type IgM était induite chez
eux par des doses d’hydrocortisone plus
élevées que chez les sujets sains. La
résistance à la freination de la sécrétion
de cortisol plasmatique par l’administra-
tion de dexaméthasone (DST), long-
temps considérée comme paradigma-
tique de la dépression, se retrouve au
niveau cellulaire. De même, la sensibili-
té de la TRH à l’administration de TSH
est diminuée chez le sujet déprimé, aussi
bien au niveau plasmatique qu’au niveau
lymphocytaire in vitro (9).
Les déprimés caractérisés par une ano-
malie du fonctionnement corticotrope
présentent-ils davantage de modifica-
tions immunitaires ? Kronfol et coll. (15)
ne trouvent aucune différence dans les
mesures de prolifération lymphocytaire
entre les patients dont la sécrétion de cor-
tisol urinaire est élevée, ceux dont la
sécrétion est normale et les témoins
sains. En raison de l’absence d’associa-
tion entre les paramètres immunitaires et
la cortisolémie ou la réponse au DST
constatée par la grande majorité des
auteurs, et pour tenir compte des pics
sécrétoires de cortisol, Miller et coll. (22)
ont calculé la corrélation entre la quanti-
té de cortisol mesurée dans le plasma
pendant 3 heures et l’activité NK, sou-
vent diminuée dans la dépression : aucu-
ne corrélation n’apparaît. Charles et coll.
(3) proposent une explication : l’élément
déterminant serait le niveau d’anxiété ;
ils ont noté une corrélation positive entre
le rapport lymphocytaire T4/T8 et le
score à l’échelle d’anxiété de Hamilton
dans le seul sous-groupe non suppres-
seur au DST d’une population de
patients déprimés et anxieux.
L’administration de dexaméthasone lors
du DST peut aussi constituer un biais
(16) car ce corticoïde de synthèse ne
régule pas seulement la cortisolémie
mais provoque aussi des effets immuni-
taires : une inhibition de la prolifération
lymphocytaire et de la production d’in-
terleukine chez les témoins normaux.
Existe-t-il des anomalies immuni-
taires dans les dépressions
majeures caractérisées ?
Miller et Stein (22) ont analysé dans la
littérature 24 études contrôlées des
fonctions immunitaires de patients
déprimés majeurs, comparés à des
témoins sains. Ces travaux étudient le
nombre et la fonction des immuno-
cytes. Une mise au point plus récente
du même groupe (23) confirme ces
données essentiellement négatives.
Numération cellulaire
Des anomalies du nombre de globules
blancs (augmenté dans 2 études sur 7), de
polynucléaires neutrophiles (augmenté
dans 2 travaux sur 6) et de lymphocytes
(abaissé dans 2 études sur 8) sont obser-
vées de manière inconstante (tableau I).
La rareté de la lymphopénie est surpre-
nante étant donné l’hypercortisolisme
caractéristique de la dépression.
Le nombre de lymphocytes T, cellules
régulatrices et effectrices, est diminué
dans 2 études sur 9. Une seule étude (sur
4) trouve une augmentation du rapport
T4/T8 et une autre (sur 6) une baisse du
nombre de lymphocytes B. Maes et coll.
(17) constatent également une élévation
du rapport T4/T8 dans la dépression. En
analysant plus finement les sous-groupes
de lymphocytes T4 et T8 marqués par des
anticorps monoclonaux, cette équipe par-
vient à diagnostiquer les dé-primés
mélancoliques avec une sensibilité de
68 % et une spécificité de 95 %.
Fonction cellulaire
La fonction cellulaire n’apparaît pas
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non plus comme nettement altérée. Une
mi-norité d’auteurs cons-tatent une bais-
se des capacités de prolifération lympho-
cytaire en présence de mitogènes, la plu-
part rapportant une réponse normale
(tableau II). Selon Schleifer et coll. (26),
bien que restant dans les limites de la
normale, la prolifération lymphocytaire
diminue avec l’âge et l’intensité de la
dépression.
L’activité NK apparaît diminuée dans 6
études sur 10, et cette fois ni l’âge ni l’in-
tensité de la dépression n’interviennent
(23). Evans et coll. (6) notent aussi une
diminution du nombre de cellules NK et
de leur activité, mais seulement chez les
déprimés de sexe masculin. La baisse de
l’activité NK semble la moins inconstan-
te des modifications immunitaires
retrouvées dans la dépression.
Herbert et
Cohen (10)
proposent
une méta-
analyse
moins néga-
tive de la lit-
térature, à
partir de 14
études
concernant
des patients
déprimés
diagnosti-
qués sur des
critères dia-
gnostiques
(RDC et
DSM), ap-
pariés à des
témoins de
même âge et
de même
sexe et non
traités au
moment des
examens
immunolo-
giques. Leur
méta-analyse,
bien étayée
sur le plan
statistique,
montre plusieurs anomalies de la fonc-
tion cellulaire : baisse de la lymphoproli-
fération en présence de mitogènes, bais-
se de l’activité NK et altération du
nombre de cellules (augmentation des
leucocytes, baisse des lymphocytes
totaux, des lymphocytes B, T, T helper, T
suppressor ainsi que du pourcentage des
cellules NK et du rapport T4/T8). Ces
altérations sont plus marquées chez les
patients plus âgés et hospitalisés. Une
corrélation avec l’intensité de la dépres-
sion est notée pour la baisse de plusieurs
paramètres de l’immunité cellulaire (pro-
lifération des lymphocytes ; activité NK,
cette dernière corrélation apparaissant
peu robuste). Bien que cette méta-analy-
se rigoureuse mette en évidence des ano-
malies significatives, contrairement à
Miller et coll. (22, 23), il n’est pas établi
que ces anomalies prédisposent à la
maladie. L’analyse de Miller et coll. ne
portait que sur les dépressions majeures
au sens du DSM, sans retenir les autres
types de critères, et surtout ne prenait pas
en compte l’existence d’une fenêtre thé-
rapeutique. Or, le traitement antidépres-
seur modifie certains paramètres immu-
nitaires. Weizman et coll. (28) ont ainsi
montré que la baisse de l’IL-1 bêta et de
l’activité IL-2 et IL-3 like observée dans
la dépression majeure avant traitement
était corrigée par un traitement de
4 semaines par la clomipramine.
Des anomalies décelées in vitro peuvent
également ne pas refléter le fonctionne-
ment immunitaire in vivo : d’autres tests
permettraient de répondre à cette derniè-
re question (étude de la réponse anti-
corps à un antigène non pathogène,
hypersensibilité retardée).
Anomalies immunitaires et dimen-
sions du syndrome dépressif
Les symptômes qui composent le
tableau dépressif sont-ils individuelle-
ment associés à des modifications de la
fonction immunitaire ? Herbert et
Cohen (10) ont recherché une relation
entre tests fonctionnels et humeur
dépressive dans 9 études réalisées chez
des sujets ne présentant pas de dépres-
sion caractérisée, mais seulement dans
un tableau psychiatrique différent, une
dimension dépressive évaluée par
diverses échelles (comme le BDI :
Beck Depression Inventory).
L’intensité de l’humeur dépressive
apparaît significativement corrélée à
une baisse de la prolifération mitogé-
nique (avec la phytohémagglutinine :
PHA) et à une baisse de l’activité NK.
Ce profil ne recouvre pas exactement
les corrélations mises en évidence par
les auteurs avec le score à l’échelle de
dépression de Hamilton dans la dépres-
sion avérée.
Outre l’humeur dépressive, les troubles
neuro-végétatifs ont été associés à des
Numération Nombre d'études
Leucocytes
Neutrophiles
Lymphocytes
Cell. T
CD4+
CD8+
Cell. B
Cell. NK
0
0
2
2
0
0
1
2
5
4
6
7
5
5
5
1
2
2
0
0
0
0
0
0
=
=
: baisse du nombre de leucocytes comparativement aux témoins normaux.
: pas de différence avec témoins normaux.
: augmentation comparativement aux témoins normaux.
Tableau I. Études du nombre des leucocytes dans la dépression majeure (23).
Mitogène Nombre d'études
Phytohémagglutinine (PHA)
Concanavaline A (Con A)
Pokeweed Mitogen (PWM)
6
7
6
10
7
7
1
0
0
=
=
: baisse de la prolifération comparativement aux témoins normaux.
: pas de différence avec témoins normaux.
: augmentation de la prolifération comparativement aux témoins normaux.
Tableau II. Études de la réponse lymphocytaire aux substances mitogènes dans
la dépression majeure (23).
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anomalies immunitaires. La privation
de sommeil, utilisée comme une théra-
peutique antidépressive par certains cli-
niciens, est associée à une immunosti-
mulation (5). Selon Cover et Irwin (4),
le score aux items évaluant les troubles
du sommeil dans l’échelle de dépres-
sion de Hamilton est corrélé négative-
ment avec le paramètre immunitaire le
plus constamment modifié dans les
états dépressifs : l’activité NK. Les
autres regroupements d’items de cette
échelle ne sont pas liés à l’activité NK
en dehors du ralentissement moteur, si
typique de la dépression. Les auteurs
soulignent que la latence du sommeil
paradoxal, généralement présentée
comme significativement plus courte
dans la dépression, n’a pas de lien avec
l’activité NK.
Paramètres immunitaires et lieu de
contrôle
Selon que les patients déprimés, interro-
gés à l’aide d’un questionnaire, attribuent
l’origine de leurs troubles à un facteur
externe sur lequel ils n’exercent aucun
contrôle ou à un facteur interne dont ils se
sentent responsables, l’activité NK diffè-
re : elle diminue davantage chez ceux qui
attribuent leur dépression à des causes
extérieures dont ils seraient les victimes.
En revanche, ni le nombre de cellules
NK, ni les tests de lymphoprolifération ne
différencient les deux groupes de
patients. Ainsi, la perception du contrôle
de la situation, qui renvoie au style de
coping, apparaît-elle liée à cet aspect du
fonctionnement immunitaire (24).
Suicide et fonctionnement immuni-
taire : une étude chrono-épidémio-
logique
Reprenant les statistiques belges des
morts par suicide violent entre 1979 et
1987, Maes et coll. (19) ont montré que
pendant la période correspondant au
plus grand nombre de ces suicides
(mars à mai) plusieurs paramètres bio-
logiques (mesurés dans un groupe de
volontaires sains étudiés régulièrement
pendant une année) sont modifiés. Ils
reflètent l’activité sérotoninergique
(taux de tryptophane, binding de la
paroxétine) classiquement associée au
comportements suicidaires impulsifs et
le fonctionnement immunitaire. Le
nombre de lymphocytes CD 20+ et le
ratio T4/T8 diminuent significative-
ment pendant cette période critique.
Auto-immunité, infection virale et
dépression
Une théorie auto-immune est avancée
dans la schizophrénie, rarement dans
la dépression. La présence d’auto-
anticorps, notamment antinucléaires
et antithyroïdiens, n’a pas été établie,
pas plus qu’une association avec un
système HLA particulier. Maes et
coll. (18) ont noté chez des patients
déprimés, particulièrement dans un
sous-groupe de mélancoliques, des
taux d’auto-anticorps antiphospholi-
pides plus élevés que dans un groupe
de témoins sains. Cependant, les taux
mesurés restaient inférieurs aux taux
observés dans une affection auto-
immune comme le lupus érythéma-
teux. Le même groupe avait déjà rele-
vé dans la dépression des taux élevés
de récepteurs solubles à l’IL-2, mar-
queurs d’une activation des lympho-
cytes T, associés à la présence d’anti-
corps antinucléaires chez certains
patients et corrélés aux taux d’anti-
corps anticardiolipine.
À côté de ces indices d’une hypothé-
tique activation auto-immmune, les
concentrations d’anticorps antiviraux
(cytomégalo virus et virus d’Epstein-
Barr) restaient normaux, n’apportant
aucun argument en faveur d’une par-
ticipation virale dans le développe-
ment des états dépressifs.
Récemment, des traces de virus équin
Borna ont été trouvées dans le sang
de patients déprimés. Un traitement
par amantadine (qui possède une acti-
vité antivirale) a guéri une malade
déprimée porteuse du virus et rece-
vant ce traitement pour une maladie
de Parkinson associée (2). Cepen-
dant, il existe, là encore, moins d’ar-
guments en faveur d’une théorie vira-
le dans la dépression que dans la schi-
zophrénie.
Le modèle de Maes
Maes a proposé le modèle immunitaire
le plus élaboré dans la dépression (figu-
re 1). S’appuyant sur de nombreuses
études personnelles, il défend l’existen-
ce d’une activation auto-immune dans
les états dépressifs. Cette activation
explique en particulier l’augmentation
qui a pu être observée du taux des
autoanticorps antinucléaires, la modifi-
cation du pourcentage de lymphocytes
T4 helpers (augmentés) et de lympho-
cytes T8 suppresseurs (diminués),
l’augmentation de la concentration
plasmatique de néoptérine et l’activité
accrue des cellules phagocytaires
(polynucléaires neutrophiles, mono-
cytes). Au centre de ce dispositif biolo-
gique, l’augmentation de la sécrétion
d’interleukine 1 bêta et d’interleukine 6
est en tout premier lieu responsable de
la stimulation de l’immunité humorale
(auto-anticorps) et cellulaire. Quatre
autres effets biologiques seraient la
conséquence de cette hypothèse des
interleukines :
les interleukines provoqueraient une
activation de l’axe hypothalamo-hypo-
physo-surrénalien, avec des taux de
cortisol plasmatique élevés qui en
retour inhibent la sécrétion d’interleu-
kines ;
les interleukines au niveau du cer-
veau participeraient au déclenchement
des symptômes non spécifiques du
“comportement de maladie” (anorexie
et amaigrissement, troubles du som-
meil, inhibition psychomotrice...) ;
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l’activation immunitaire réduirait le
passage du tryptophane libre plasma-
tique, précurseur de la sérotonine dans
le cerveau ;
enfin, comme dans les processus
inflammatoires, ces interleukines règle-
raient au niveau hépatique la sécrétion
des protéines de phase aiguë, les pro-
téines positives, comme l’haptoglobine
étant augmentées et les protéines néga-
tives (transferrine, albumine..) dimi-
nuées. Selon ce modèle, le système
immunitaire ne jouerait pas ici son rôle
traditionnel de défense contre la mala-
die. Au contraire, c’est l’activation de
l’axe corticotrope, observée dans les
états dépressifs, qui protégerait l’orga-
nisme contre une activité immunitaire
excessive serait caractéristique de la
dépression (19).
Conclusion
Les données en faveur d’une hypothèse
immunitaire de la dépression restent
encore controversées. Quelques résul-
tats semblent plus robustes, comme la
baisse de l’activité NK au cours des
états dépressifs. Cependant, la réponse
immunitaire est sensible à de nombreux
facteurs, en particulier neurotransmet-
teurs et hormones, spécifiques ou non
des mécanismes invoqués dans les
troubles de l’humeur. Ainsi la mélatoni-
ne, qui retient actuellement l’attention
par son rôle dans la chronobiologie de
la dépression, module l’activité NK et
d’autres paramètres immunitaires (20).
À l’avenir, des études longitudinales
permettront peut-être de préciser le
passage d’une situation de stress qui
n’est pas encore pathologique à un état
dépressif cliniquement repérable, la
neuro-immunomodulation traduisant
l’adaptation de l’organisme entier dans
sa lutte contre la maladie.
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IL-1 β
Comportement
dépressif
NA, 5HT
CRH
ACTH
Cortisol
Foie Activité NK
Prostaglandines
Activité et
prolifération
des lympho T
Prolifération
des lympho β
Prot.
phase aiguë
IL-6
+
+
+
++
+
-
-
-
Figure 1. Modèle de Maes (1995).
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