Dépression et immunité : du stress à la dépression, modifications du

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Immunologie et psychiatrie
Dépression et immunité :
du stress à la dépression, modifications du
système immunitaire ?
A. Galinowski*
L
e terme de dépression est utilisé à la fois par les immunologistes, pour désigner une baisse de l’immunocompétence, et par les psychiatres pour qualifier un trouble de
l’humeur. L’hypothèse a souvent été évoquée d’un lien entre
état dépressif et dépression immunitaire, conduisant à une
pathologie organique, en par ticulier cancéreuse.
Cependant, une étude prospective chez des femmes opérées pour un cancer du sein ne trouve aucun lien entre
l’existence d’une dépression majeure ou le deuil d’un
proche pendant le déroulement de l’étude et la survenue
d’une rechute (1). Le rôle du psychisme serait seulement
déterminant dans la rémission des cancers non métastasés
(8). Une étude contrôlée montre qu’une psychothérapie de
groupe, améliorant le coping (attitude devant une situation
de stress) face au mélanome malin, diminue le taux de
mortalité chez les patients bénéficiant de cette prise en
charge, parallèlement à l’augmentation de l’activité des
cellules natural killer (NK) (7). Le syndrome de fatigue
chronique est aussi un exemple de pathologie interprétée
par certains auteurs comme une altération des fonctions
immunitaires et par d’autres comme une forme de dépression. Plusieurs questions se posent : des réactions de type
dépressif dans les situations de stress prolongé sont-elles à
l’origine d’anomalies immunitaires ? La fonction immunitaire est-elle altérée dans les états dépressifs majeurs
caractérisés ? Les modifications observées sont-elles liées à
certains symptômes dépressifs ?
* SHU, Sainte-Anne, Paris.
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Situations de stress prolongé chez
l’homme
Chez l’animal, la répétition de chocs électriques aléatoires et inévitables conduit à
une situation de désespoir appris (learned
helplessness) comportant des anomalies
immunitaires (développement accéléré de
greffes de tumeur, échec de vaccinations).
Cet état est sensible à l’effet des médicaments antidépresseurs utilisés en pathologie humaine. Chez l’homme, les situations de stress prolongé peuvent déclencher une réaction dépressive. KiecoltGlaser et coll. (12) ont étudié pendant plus
d’un an un groupe de sujets prenant en
charge un parent alzheimérien. Ils constatent une augmentation de la morbidité
(notamment des affections ORL) et une
baisse de plusieurs paramètres de l’immunité cellulaire. Cependant, le nombre de
sujets remplissant les critères de dépression majeure augmente peu au cours de
cette prise en charge (de 25 % au début de
l’étude à 32 % au bout de 13 mois) et les
anomalies immunitaires ne sont pas corrélées avec les scores à l’échelle de
dépression de Hamilton.
De même, sur le plan biologique, le décès
du conjoint entraîne une baisse de la prolifération des lymphocytes stimulés in
vitro par des substances mitogènes et de
l’activité des cellules natural killer (NK),
en particulier chez les maris survivants
qui paraissent plus vulnérables que les
épouses (13). Ces anomalies ne surviennent pas immédiatement mais après un
délai de plusieurs semaines et se normalisent dans l’année (25). Des femmes dont
le mari est traité pour un cancer du poumon métastasé présentent moins d’anomalies immunitaires qu’un groupe de
femmes dont le mari est mort depuis
moins de 6 mois (11) ; la fonction immunitaire peut même être stimulée chez le
mari anticipant le décès de sa femme (27).
Ces phénomènes ont pu être interprétés
comme l’expression du deuil, vécu ou
encore à venir, avec une période critique
de durée limitée où des anomalies immunitaires peuvent être observées.
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Zisook et coll. (29), chez des femmes
veuves depuis deux mois n’ayant aucun
antécédent dépressif, déprimées ou non
au moment de l’enquête, ne constatent
aucune anomalie immunitaire significative dans la totalité du groupe pendant la
période de suivi (13 mois après le décès).
En revanche, une baisse de deux paramètres immunitaires, l’activité des cellules NK et la prolifération lymphocytaire
in vitro en présence de concanavaline A,
est observée dans la sous-population
répondant aux critères d’épisode dépressif
majeur (30 % des veuves au bout de
deux mois). Ces résultats indiqueraient
que la dépression proprement dite, à la
différence d’une simple réaction de deuil,
entraîne des modifications immunitaires.
De plus, la morbidité somatique augmenterait en cas de veuvage selon les auteurs.
Mais cette notion n’est pas confirmée par
d’autres travaux et on ne sait si les anomalies immunitaires constatées sont responsables de cette vulnérabilité à la maladie.
Enfin, la rupture d’une relation conjugale
augmenterait également le taux de morbidité et de mortalité. Des études contrôlées
montrent, là aussi, une baisse de l’immunocompétence, baisse plus marquée si
l’attachement au partenaire reste plus
intense et si la séparation est plus récente
(13). Il faut souligner que de nombreuses
variables ne sont pas prises en compte par
ces études : un sujet qui vit seul, outre une
éventuelle réaction dépressive après la
séparation, ne se comporte plus de la
même manière (par exemple prise de
risques, consommation de tabac et d’alcool).
Axe corticotrope, axe thyréotrope
et immunité
Des anomalies de l’axe hypothalamohypophyso-surrénalien ont été décrites
dans les états dépressifs sévères. Or les
lymphocytes portent à la surface de leur
membrane des récepteurs à l’ACTH
(Adreno-Corticotrophic
Hor-mone
sécrétée par le lobe antérieur de l’hypo-
physe) et au CRF (Corticotropin
Releasing Factor sécrétée par l’hypothalamus), qui interviennent dans la régulation de l’axe corticotrope. Les cellules
lymphocytaires synthétisent le précurseur de l’ACTH. Leur sensibilité aux
corticoïdes n’est pas la même chez les
patients déprimés. Kok et coll. (14) ont
ainsi montré que la sécrétion d’immunoglobulines de type IgM était induite chez
eux par des doses d’hydrocortisone plus
élevées que chez les sujets sains. La
résistance à la freination de la sécrétion
de cortisol plasmatique par l’administration de dexaméthasone (DST), longtemps considérée comme paradigmatique de la dépression, se retrouve au
niveau cellulaire. De même, la sensibilité de la TRH à l’administration de TSH
est diminuée chez le sujet déprimé, aussi
bien au niveau plasmatique qu’au niveau
lymphocytaire in vitro (9).
Les déprimés caractérisés par une anomalie du fonctionnement corticotrope
présentent-ils davantage de modifications immunitaires ? Kronfol et coll. (15)
ne trouvent aucune différence dans les
mesures de prolifération lymphocytaire
entre les patients dont la sécrétion de cortisol urinaire est élevée, ceux dont la
sécrétion est normale et les témoins
sains. En raison de l’absence d’association entre les paramètres immunitaires et
la cortisolémie ou la réponse au DST
constatée par la grande majorité des
auteurs, et pour tenir compte des pics
sécrétoires de cortisol, Miller et coll. (22)
ont calculé la corrélation entre la quantité de cortisol mesurée dans le plasma
pendant 3 heures et l’activité NK, souvent diminuée dans la dépression : aucune corrélation n’apparaît. Charles et coll.
(3) proposent une explication : l’élément
déterminant serait le niveau d’anxiété ;
ils ont noté une corrélation positive entre
le rapport lymphocytaire T4/T8 et le
score à l’échelle d’anxiété de Hamilton
dans le seul sous-groupe non suppresseur au DST d’une population de
patients
déprimés
et
anxieux.
L’administration de dexaméthasone lors
du DST peut aussi constituer un biais
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(16) car ce corticoïde de synthèse ne
régule pas seulement la cortisolémie
mais provoque aussi des effets immunitaires : une inhibition de la prolifération
lymphocytaire et de la production d’interleukine chez les témoins normaux.
Existe-t-il des anomalies immunitaires dans les dépressions
majeures caractérisées ?
Miller et Stein (22) ont analysé dans la
littérature 24 études contrôlées des
fonctions immunitaires de patients
déprimés majeurs, comparés à des
témoins sains. Ces travaux étudient le
nombre et la fonction des immunocytes. Une mise au point plus récente
du même groupe (23) confirme ces
données essentiellement négatives.
Numération cellulaire
Des anomalies du nombre de globules
blancs (augmenté dans 2 études sur 7), de
polynucléaires neutrophiles (augmenté
dans 2 travaux sur 6) et de lymphocytes
(abaissé dans 2 études sur 8) sont observées de manière inconstante (tableau I).
La rareté de la lymphopénie est surprenante étant donné l’hypercortisolisme
caractéristique de la dépression.
Le nombre de lymphocytes T, cellules
régulatrices et effectrices, est diminué
dans 2 études sur 9. Une seule étude (sur
4) trouve une augmentation du rapport
T4/T8 et une autre (sur 6) une baisse du
nombre de lymphocytes B. Maes et coll.
(17) constatent également une élévation
du rapport T4/T8 dans la dépression. En
analysant plus finement les sous-groupes
de lymphocytes T4 et T8 marqués par des
anticorps monoclonaux, cette équipe parvient à diagnostiquer les dé-primés
mélancoliques avec une sensibilité de
68 % et une spécificité de 95 %.
Fonction cellulaire
La fonction cellulaire n’apparaît pas
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Herbert et
Cohen (10)
proposent
Numération
Nombre d'études
une méta=
analyse
moins néga2
5
0
Leucocytes
tive de la lit2
4
0
Neutrophiles
térature, à
0
6
2
Lymphocytes
partir de 14
0
7
2
Cell. T
é t u d e s
0
5
0
CD4+
concer nant
0
5
0
CD8+
des patients
0
5
1
Cell. B
déprimés
0
1
2
Cell. NK
diagnostiqués sur des
: baisse du nombre de leucocytes comparativement aux témoins normaux.
critères dia= : pas de différence avec témoins normaux.
: augmentation comparativement aux témoins normaux.
gnostiques
(RDC
et
DSM), apTableau II. Études de la réponse lymphocytaire aux substances mitogènes dans pariés à des
la dépression majeure (23).
témoins de
même âge et
Mitogène
Nombre d'études
de
même
sexe et non
=
traités au
1
10
Phytohémagglutinine (PHA) 6
moment des
0
7
7
Concanavaline A (Con A)
examens
0
7
Pokeweed Mitogen (PWM) 6
immunologiques. Leur
: baisse de la prolifération comparativement aux témoins normaux.
= : pas de différence avec témoins normaux.
méta-analyse,
: augmentation de la prolifération comparativement aux témoins normaux.
bien étayée
sur le plan
statistique,
non plus comme nettement altérée. Une
montre
plusieurs
anomalies
de la foncmi-norité d’auteurs cons-tatent une baistion cellulaire : baisse de la lymphoprolise des capacités de prolifération lymphofération en présence de mitogènes, baiscytaire en présence de mitogènes, la pluse de l’activité NK et altération du
part rapportant une réponse normale
nombre de cellules (augmentation des
(tableau II). Selon Schleifer et coll. (26),
leucocytes, baisse des lymphocytes
bien que restant dans les limites de la
totaux, des lymphocytes B, T, T helper, T
normale, la prolifération lymphocytaire
suppressor ainsi que du pourcentage des
diminue avec l’âge et l’intensité de la
cellules NK et du rapport T4/T8). Ces
dépression.
altérations sont plus marquées chez les
L’activité NK apparaît diminuée dans 6
patients plus âgés et hospitalisés. Une
études sur 10, et cette fois ni l’âge ni l’incorrélation avec l’intensité de la déprestensité de la dépression n’interviennent
sion est notée pour la baisse de plusieurs
(23). Evans et coll. (6) notent aussi une
paramètres de l’immunité cellulaire (prodiminution du nombre de cellules NK et
lifération des lymphocytes ; activité NK,
de leur activité, mais seulement chez les
cette dernière corrélation apparaissant
déprimés de sexe masculin. La baisse de
peu robuste). Bien que cette méta-analyl’activité NK semble la moins inconstanse rigoureuse mette en évidence des anote des modifications immunitaires
retrouvées dans la dépression.
malies significatives, contrairement à
Tableau I. Études du nombre des leucocytes dans la dépression majeure (23).
3585
Miller et coll. (22, 23), il n’est pas établi
que ces anomalies prédisposent à la
maladie. L’analyse de Miller et coll. ne
portait que sur les dépressions majeures
au sens du DSM, sans retenir les autres
types de critères, et surtout ne prenait pas
en compte l’existence d’une fenêtre thérapeutique. Or, le traitement antidépresseur modifie certains paramètres immunitaires. Weizman et coll. (28) ont ainsi
montré que la baisse de l’IL-1 bêta et de
l’activité IL-2 et IL-3 like observée dans
la dépression majeure avant traitement
était corrigée par un traitement de
4 semaines par la clomipramine.
Des anomalies décelées in vitro peuvent
également ne pas refléter le fonctionnement immunitaire in vivo : d’autres tests
permettraient de répondre à cette dernière question (étude de la réponse anticorps à un antigène non pathogène,
hypersensibilité retardée).
Anomalies immunitaires et dimensions du syndrome dépressif
Les symptômes qui composent le
tableau dépressif sont-ils individuellement associés à des modifications de la
fonction immunitaire ? Herbert et
Cohen (10) ont recherché une relation
entre tests fonctionnels et humeur
dépressive dans 9 études réalisées chez
des sujets ne présentant pas de dépression caractérisée, mais seulement dans
un tableau psychiatrique différent, une
dimension dépressive évaluée par
diverses échelles (comme le BDI :
Beck
Depression
Inventory).
L’intensité de l’humeur dépressive
apparaît significativement corrélée à
une baisse de la prolifération mitogénique (avec la phytohémagglutinine :
PHA) et à une baisse de l’activité NK.
Ce profil ne recouvre pas exactement
les corrélations mises en évidence par
les auteurs avec le score à l’échelle de
dépression de Hamilton dans la dépression avérée.
Outre l’humeur dépressive, les troubles
neuro-végétatifs ont été associés à des
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anomalies immunitaires. La privation
de sommeil, utilisée comme une thérapeutique antidépressive par certains cliniciens, est associée à une immunostimulation (5). Selon Cover et Irwin (4),
le score aux items évaluant les troubles
du sommeil dans l’échelle de dépression de Hamilton est corrélé négativement avec le paramètre immunitaire le
plus constamment modifié dans les
états dépressifs : l’activité NK. Les
autres regroupements d’items de cette
échelle ne sont pas liés à l’activité NK
en dehors du ralentissement moteur, si
typique de la dépression. Les auteurs
soulignent que la latence du sommeil
paradoxal, généralement présentée
comme significativement plus courte
dans la dépression, n’a pas de lien avec
l’activité NK.
Paramètres immunitaires et lieu de
contrôle
Selon que les patients déprimés, interrogés à l’aide d’un questionnaire, attribuent
l’origine de leurs troubles à un facteur
externe sur lequel ils n’exercent aucun
contrôle ou à un facteur interne dont ils se
sentent responsables, l’activité NK diffère : elle diminue davantage chez ceux qui
attribuent leur dépression à des causes
extérieures dont ils seraient les victimes.
En revanche, ni le nombre de cellules
NK, ni les tests de lymphoprolifération ne
différencient les deux groupes de
patients. Ainsi, la perception du contrôle
de la situation, qui renvoie au style de
coping, apparaît-elle liée à cet aspect du
fonctionnement immunitaire (24).
Suicide et fonctionnement immunitaire : une étude chrono-épidémiologique
Reprenant les statistiques belges des
morts par suicide violent entre 1979 et
1987, Maes et coll. (19) ont montré que
pendant la période correspondant au
plus grand nombre de ces suicides
(mars à mai) plusieurs paramètres biologiques (mesurés dans un groupe de
volontaires sains étudiés régulièrement
pendant une année) sont modifiés. Ils
reflètent l’activité sérotoninergique
(taux de tryptophane, binding de la
paroxétine) classiquement associée au
comportements suicidaires impulsifs et
le fonctionnement immunitaire. Le
nombre de lymphocytes CD 20+ et le
ratio T4/T8 diminuent significativement pendant cette période critique.
Auto-immunité, infection virale et
dépression
Une théorie auto-immune est avancée
dans la schizophrénie, rarement dans
la dépression. La présence d’autoanticorps, notamment antinucléaires
et antithyroïdiens, n’a pas été établie,
pas plus qu’une association avec un
système HLA particulier. Maes et
coll. (18) ont noté chez des patients
déprimés, particulièrement dans un
sous-groupe de mélancoliques, des
taux d’auto-anticorps antiphospholipides plus élevés que dans un groupe
de témoins sains. Cependant, les taux
mesurés restaient inférieurs aux taux
observés dans une affection autoimmune comme le lupus érythémateux. Le même groupe avait déjà relevé dans la dépression des taux élevés
de récepteurs solubles à l’IL-2, marqueurs d’une activation des lymphocytes T, associés à la présence d’anticorps antinucléaires chez certains
patients et corrélés aux taux d’anticorps anticardiolipine.
À côté de ces indices d’une hypothétique activation auto-immmune, les
concentrations d’anticorps antiviraux
(cytomégalo virus et virus d’EpsteinBarr) restaient normaux, n’apportant
aucun argument en faveur d’une participation virale dans le développement des états dépressifs.
Récemment, des traces de virus équin
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Borna ont été trouvées dans le sang
de patients déprimés. Un traitement
par amantadine (qui possède une activité antivirale) a guéri une malade
déprimée porteuse du virus et recevant ce traitement pour une maladie
de Parkinson associée (2). Cependant, il existe, là encore, moins d’arguments en faveur d’une théorie virale dans la dépression que dans la schizophrénie.
Le modèle de Maes
Maes a proposé le modèle immunitaire
le plus élaboré dans la dépression (figure 1). S’appuyant sur de nombreuses
études personnelles, il défend l’existence d’une activation auto-immune dans
les états dépressifs. Cette activation
explique en particulier l’augmentation
qui a pu être observée du taux des
autoanticorps antinucléaires, la modification du pourcentage de lymphocytes
T4 helpers (augmentés) et de lymphocytes T8 suppresseurs (diminués),
l’augmentation de la concentration
plasmatique de néoptérine et l’activité
accrue des cellules phagocytaires
(polynucléaires neutrophiles, monocytes). Au centre de ce dispositif biologique, l’augmentation de la sécrétion
d’interleukine 1 bêta et d’interleukine 6
est en tout premier lieu responsable de
la stimulation de l’immunité humorale
(auto-anticorps) et cellulaire. Quatre
autres effets biologiques seraient la
conséquence de cette hypothèse des
interleukines :
– les interleukines provoqueraient une
activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, avec des taux de
cortisol plasmatique élevés qui en
retour inhibent la sécrétion d’interleukines ;
– les interleukines au niveau du cerveau participeraient au déclenchement
des symptômes non spécifiques du
“comportement de maladie” (anorexie
et amaigrissement, troubles du sommeil, inhibition psychomotrice...) ;
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tats semblent plus robustes, comme la
baisse de l’activité NK au cours des
états dépressifs. Cependant, la réponse
immunitaire est sensible à de nombreux
facteurs, en particulier neurotransmetteurs et hormones, spécifiques ou non
des mécanismes invoqués dans les
troubles de l’humeur. Ainsi la mélatonine, qui retient actuellement l’attention
par son rôle dans la chronobiologie de
la dépression, module l’activité NK et
d’autres paramètres immunitaires (20).
À l’avenir, des études longitudinales
permettront peut-être de préciser le
passage d’une situation de stress qui
n’est pas encore pathologique à un état
dépressif cliniquement repérable, la
neuro-immunomodulation traduisant
l’adaptation de l’organisme entier dans
sa lutte contre la maladie.
– l’activation immunitaire réduirait le
passage du tryptophane libre plasmatique, précurseur de la sérotonine dans
le cerveau ;
– enfin, comme dans les processus
inflammatoires, ces interleukines règleraient au niveau hépatique la sécrétion
des protéines de phase aiguë, les protéines positives, comme l’haptoglobine
étant augmentées et les protéines négatives (transferrine, albumine..) diminuées. Selon ce modèle, le système
immunitaire ne jouerait pas ici son rôle
traditionnel de défense contre la maladie. Au contraire, c’est l’activation de
l’axe corticotrope, observée dans les
états dépressifs, qui protégerait l’organisme contre une activité immunitaire
excessive serait caractéristique de la
dépression (19).
Conclusion
Références
Les données en faveur d’une hypothèse
immunitaire de la dépression restent
encore controversées. Quelques résul-
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Comportement
dépressif
NA, 5HT
CRH
+
ACTH
+
Cortisol
IL-1 β
+
IL-6
+
Foie
+
Prostaglandines
Prot.
phase aiguë
-
+
Activité et
prolifération
des lympho T
-
Prolifération
des lympho β
Activité NK
Figure 1. Modèle de Maes (1995).
3587
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OBSERVATOIRE DE LA SCHIZOPHRÉNIE
LILLY
quadri
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 206, janvier 1998
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