MISES EN THÉÂTRE DE LA VILLE ET JEUX DE DUPE1 DIRK BAECKER I. Avant de considérer comment des compagnies de théâtre de tous types – depuis les jongleurs de fêtes foraines aux troupes qui investissent les palais des princes et des cardinaux, en passant par les compagnies municipales et indépendantes jusqu'aux théâtre de rue – sont en représentation dans la cité et par là même transforment potentiellement celle-ci par leurs représentations, il nous faut considérer la façon dont la cité elle-même est toujours-déjà en représentation2. La cité n'est pas un espace vide qui attend le baiser du théâtre pour reprendre vie ; elle déborde toujours-déjà de vie de toute sorte. On songe aux mairies, aux marchés, aux églises, aux écoles, aux hôpitaux, aux commerces, aux ateliers ; à la circulation, aux transports publics ; on songe aux habitants eux-mêmes : ils sont chez eux, circulent dans la rue, sont assis dans leur voiture ; d'autres encore attendent dans des hôtels, arrivent dans des aéroports, dans des gares, dans des ports ; certains s'en vont. La ville est en état de jeu/en représentation bien avant que des troupes de théâtre ne s'interrogent sur la façon dont elles pourraient jouer dans la cité. La cité est en effet toujoursdéjà en représentation en ceci que toute interaction, toute communication et en définitive toute action suppose qu'un sujet agissant soit mis en contact direct – soit à titre personnel, soit sous le couvert d'une institution, soit en restant anonyme – avec un auditoire, un public ou des observateurs. Erving Goffman nous apprend que toutes ces représentations courent perpétuellement le risque de se voir détournées, subverties ou de s'effondrer complètement en raison d'erreurs dans le processus de représentation ou parce que le « public » s'indigne, ou qu'il détourne son attention (voir Goffman 1959 et – en vertu d'une définition étendue du mot « public » – White 1955 et Ikegami 2000). À ce titre, au moment où les théâtres commencent à mettre sur la scène des pièces, réintroduisant ce faisant dans la ville du jeu, des « public » et des situations d'observations mutuelles, il existe déjà dans la cité un savoir préalable sur le caractère équivoque et dangereux de toute situation de représentation (Agnew 1986) et sur les façons dont ces dangers et ambiguïtés peuvent être gérés. Lorsque les troupes de théâtre prennent en compte ce caractère toujours-déjà en représentation de la cité (si tant est qu'elles le prennent en compte), il se peut qu'elles considèrent que les « représentations » de la cité manquent de vie, de vigueur et d'esprit et qu'il leur appartient d'améliorer ces « représentations » grâce à leur imagination, leur expertise et leur raffinement. Ce serait par suite leur tâche d'introduire dans la ville la 1 Manuscrit d'une conférence donnée au colloque international reART:the URBAN, Zürcher Hochschule der Künste and Theaterhaus Gessneralle, Zürich, 26 Octobre 2006. 2 Le texte original utilise les termes intraduisibles « perform / performances » qui, tout en insistant sur l'idée de « représentation » (c'est à dire de la création d'une situation fictive, d'une « reproduction » de la réalité de type mimésis) mettent aussi l'accent (bien plus que le terme français « représentation ») sur l'idée d'une action physique en cours (et donc sur l'idée du « jeu » des « acteurs »). Selon le cas, nous traduirons ces termes par « représenter » / « représentation » ; « jouer » -­‐ « mettre en scène » / « mise en jeu » – « mise en scène », voire (lorsque le contexte l'exige) par le doublon : "mise en jeu/représentation" (NdT). comédie, l'énergie dramatique et la beauté. Mais ces jugements de valeurs – car c'est bien de cela qu'il s'agit – ne sont pas nécessairement partagés par les habitants de la cité. Il se peut même que ceux-ci considèrent que ce qui se passe sur un marché, dans une coure de justice ou lors d'une manifestation politique soit bien plus intéressant en termes de motivation, de finalités et de moyens d'action, en termes de savoir-faire et d'ingéniosité que n'importe quelle représentation théâtrale. Il se peut en outre que des troupes de théâtre se persuadent que les représentations inhérentes à la cité sont par nature malhonnêtes et trompeuses en vertu du fait qu'un acteur ou une institution se mette à travers elles en scène pour un public que par suite elle abuse d'une manière ou d'une autre. Le théâtre deviendrait alors le lieu de la critique : critique de la malhonnêteté et de la duperie, le lieu où régneraient la sincérité des opinions et les sentiments authentiques. Mais quel jugement le théâtre devrait-il dans ce cas porter sur la nécessité où il se trouve luimême de gagner l'attention d'un public ? Ne doit-il pas, lui aussi, user d'artifices, accomplir sur le mode professionnel cette même activité qu'au sein de la cité, les acteurs de la ville et les institutions essaient de maîtriser et de comprendre ? Il nous faudra donc comparer « représentation » et « représentation »: celles inhérentes à la vie de la cité et celles qui font incursion dans la cité, introduites par des troupes de théâtre qui agissent comme si elles venaient de l'extérieur. Comment ces représentations « professionnelles » modifient-elles la ville, si tant qu'elles la modifient ? Nous considérons dans un premier temps comment la cité est toujours-déjà en état de jeu/de représentation, puis nous étudierons le rôle et la fonction dans la cité des représentations professionnelles, avant de considérer pour finir les transformations éventuelles des modes de représentations « civiles » sous l'influence des représentations proprement « théâtrales ». Le théâtre a en effet une fonction bien définie à remplir dans la cité, qu'il s'agisse de celui de la place du marché ou des foires, celui des tribunaux ou des salles de spectacles. Troupes en tournées et troupes permanentes, spectacles joués dans la rue sur une bâche ou avec l'attirail technologique et les scénographies complexes des plateaux contemporains, troupes organisées en collectifs collaboratifs ou institutions strictement hiérarchisées : dans toutes ses configurations, le théâtre est comme un prisme qui capte l'intérêt que la cité lui porte et le soutien qu'elle lui accorde et qui, en retour, déverse sur la société des ré-interprétations esthétiques, littéraires, musicales, gestuelles ou imitatives de la vie du marché, du tribunal et de la cité. Si l'on souhaite comprendre quoi que ce soit à la fonction que remplit le théâtre dans la cité, il faut considérer les représentations et les publics pour ce qu'ils/elles sont : une constellation éphémère d'individus fluctuants et de technologies incertaines. Les modalités selon lesquelles le théâtre est institutionnalisé, ses modes de financement, les sponsors et les donateurs qu'il attire, les codes de représentations (traditionnels ou expérimentaux) qu'il adopte et les publics qu'il rassemble : tels sont les facteurs qui déterminent les multiples visages qu'adopte le théâtre tout au long de sa riche histoire. Il nous faudra les prendre en compte. II. Nous nous intéresserons donc en premier lieu à la ville en tant qu'elle est toujours-déjà en représentation. Depuis les travaux sur l'histoire de la ville par Max Weber (1958), la ville peut être considérée en théorie sociologique comme un « universel évolutif » (Parsons 1964) qui permet aux individus de vivre ensemble sans avoir à se connaître et sans être liés par des liens de famille. L'émergence de la ville constitua à ce titre une rupture radicale dans l'histoire des sociétés tribales. Après s'être réorganisées politiquement et économiquement autour des palais selon une dynamique centre/périphérie, celles-ci se sont ensuite redistribuées autour des cités elles-mêmes (toujours en cherchant à se rapprocher des palais et des fortifications – et sans doute de la gestion des systèmes d'irrigation), si bien que ces sociétés nouvelles ont été peu à peu portées par une dynamique de développement économique, politique et cultuel autonome qui a progressivement transformé la société tribale en une société antique (Benevolo 1980 ; et Tilly 1992 pour des développements plus récents). S'ils souhaitaient vivre en bonne entente, les individus des sociétés tribales devaient soit se connaître personnellement, soit tuer « l'autre » avant d'être tués par un groupe rival, soit accorder à cet « autre » le statut d'« invité » ou de « visiteur » pour différer le moment où l'autre les tuerait ou serait tué par eux. Il était en revanche impossible d'être à l'aise dans le voisinage d'étrangers, ne serait-ce que parce que la catégorie même d'« étranger » n'existait pas (Simmel 1950; Stichweh 1977, 2010) ; en lieu et place, les sociétés primitives désignaient « l'autre » comme un « barbare » qu'on devait tenir à distance. L'apport de la cité antique (et moderne) fut d'enseigner l'art de vivre dans le voisinage d'étrangers, transformant de fait l' « étranger » en un « inconnu » avec lequel on pouvait choisir à tout moment de faire connaissance. Ces « inconnus » anonymes qui caractérisent la vie urbaine achètent l'un à l'autre des biens et (pari plus risqué encore) ils se vendent mutuellement des biens ; ils envoient leurs enfants dans des écoles où officient des enseignants que les parents ne connaissent pas (et qui ne connaissent pas les parents) ; dans les tribunaux, les délinquants acceptent des verdicts prononcés par des juges qu'ils n'ont jamais rencontrés et qui, dans une large mesure, sont ignorants de leur milieu social. Les habitants des villes sont qui plus est gouvernés par des personnes qu'ils ne connaissent pas de visu, et dans les hôpitaux les traitements (et même les actes chirurgicaux) sont pratiqués par des médecins dont les patients ne connaissent pas le nom... On pourrait multiplier les exemples (Baecker 2004). Reste que l'étape qui consiste à accepter ce type de sociabilité où « l'étranger » devient un citoyen anonyme est absolument décisive : elle transforme la société tribale en société antique. Pour Max Weber, cette révolution n'était possible qu'en passant de la religion polythéiste au monothéisme. Le dimanche, les habitants de la cité pouvaient constater en se rendant à l'église que « l'autre » rend un culte au même Dieu et donc qu'il accepte un « système symbolique que tous reçoivent en partage (Parson/Shils 1951, 16-21). On pourrait ici étendre l'idée de Weber en suggérant que le rôle de la ville dans une société est d'être le « mécanisme symbiotique » (Luhmann 2012, 227-9) qui rattache le caractère abstrait de la communication des décisions politiques, des transactions économiques, des pratiques pédagogiques, des croyances religieuses, des traitements médicaux, de la recherche scientifique et même de la production artistique, au concret des lieux, des sites, des bâtiments, des places, des rues ainsi qu'au concret des gens qui circulent, s'arrêtent et se rencontrent dans ces lieux. Par la ville, la réalité de la société est manifestée, la cité ellemême constituant le symbole le plus évident de tout ce qui « se joue » dans la société. Qu'on observe la vie d'une ville et on se rend en effet simultanément compte que l'on ne sait pas exactement ce qui s'y « joue » ni comment les choses s'y « jouent », mais qu'on peut malgré tout acquérir sur la ville à la fois des idées abstraites et du savoir ancré localement. N'importe quel habitant d'une ville acquiert ainsi un point de vue – insuffisant – sur ce qui advient dans la ville, tout en sachant que ce point de vue est partiel et ne peut servir que comme point de départ. En accord avec la théorie de la cité développée par l'École de Sociologie de Chicago, nous souhaitons faire ici l'hypothèse que la cité « joue » et « représente » sans cesse son écologie fondamentale : rassembler les inconnus en un même lieu, les encourager à nouer connaissance, leur permettre de se séparer ensuite. Ces regroupements s'effectuent autour de quelques systèmes essentiels : les voisinages, les marchés, les professions et la circulation d'information (Park/Burgess/McKenzie 1967). Dans le cadre de leurs voisinages, les gens se sentent davantage chez eux : ils gèrent donc avec une certaine aisance ceux avec qui ils vivent sans pourtant les connaître ; ils font leurs achats dans les mêmes magasins, envoient leurs enfants dans les mêmes écoles, passent le dimanche dans les mêmes églises ou les mêmes bars et, les jours de semaine, font ensemble les trajets entre domicile et lieu de travail. La fonction des marchés est de disséminer le savoir nécessaire sur les produits que l'on peut proposer à la vente (force de travail incluse) et sur les produits disponibles à l'achat en terme de qualité, de quantité et de prix (ceci selon les circuits de production de masse ou de luxe). Le système des professions donne quant-à-lui une idée du type de compétences à développer ainsi que du type de services disponibles pour faciliter la vie et le travail de chacun tandis que les systèmes de circulation de l'information rappellent aux gens ce qui se passe près ou loin de chez eux, tout en leur permettant d'envoyer leurs propres messages le cas échéant, si ceux-ci présentent un quelconque intérêt pour les autres. Les mécanismes de circulation de l'information peuvent être considérés par ailleurs comme incluant la publicité (qui permet d'envoyer et de recevoir des messages pour lesquels personne n'a manifesté un intérêt), ainsi que tout ce qui a trait au divertissement (qui permet aux individus de gérer leur capacité à distinguer le sérieux et la réalité du ludique et de la fiction) (voir Luhmann 2000). L'école de Chicago emploie l'expression « écologie de la ville » parce qu'en réalité ces quelques mécanismes rassembleurs suffisent à assurer à la ville une organisation autonome indépendamment d'une super-structure qui établirait des normes, des réglementations et des lois. Des normes, des réglementations et des lois peuvent certes émerger à partir des mécanismes essentiels que nous avons décrits pour réguler les affaires de la cité : les quartiers sont alors « régulés » politiquement, les marchés économiquement, les emplois dans une logique de non-compétition et la circulation des informations selon son propre ordre du jour. Mais tout super-système qui émerge est créé, géré, puis jugulé par l'écologie fondamentale de la ville qui vise à stabiliser et sécuriser ses propres dynamiques. Or, la cité met en scène sa propre écologie. Cette mise en scène comprend des dynamiques d'avancées et de reculs, de mouvements et d'émergences d'espaces, de rencontres et d'évitements, dynamiques qui sont déterminées par des objectifs, des opportunités, des distinctions et des orientations sans cesse fluctuants. Dans le frétillement de la représentation sociétale, ce sont toujours les même « suspects » qui émergent : les églises, les mairies, les écoles, les hôpitaux, les galeries, les magasins, les ateliers et les bars – autant de lieux qui répondent aux besoins d'une vie qui s'organise non plus entres « étrangers » mais entre « citoyens anonymes ». III. La question que nous posons est de savoir en quoi l'addition des « représentations » des théâtres aux « représentations » de la ville est nécessaire ? Jean-Christophe Agnew a répondu à cette question dans Worlds Apart (1986). Il décrit deux mondes dans son ouvrage : celui du théâtre et celui du marché. Les cités auraient besoin des théâtres pour que soit mis en scène le drame et la comédie des tromperies, escroqueries et duperies que les habitants de la ville s'infligent (les uns aux autres et à eux-mêmes) sur les marchés et dans les institutions environnantes. Le théâtre permet donc une « mise en jeu » explicite des « jeux » que les citoyens « jouent » entre eux, offrant ainsi comme un cadre qui permet d'observer les tragédies et comédies quotidiennes. Selon un argument très répandu, les sociétés ne supportent la malveillance, les intrigues et la nécessaire méfiance qu'elles entraînent qu'à la condition d'avoir à leur disposition un lieu où le spectacle d'individus s'escroquant peut être représenté, et un autre où l'observation et l'apprentissage des ces pratiques de duperie est possible : comment ces choses sont elles faites ? Comment les faire soi-même ? Comment s'en protéger ? En ce sens, le théâtre instruit la société. Tel était déjà le rôle du chœur dans la tragédie antique, lequel mettait en scène le bon sens de la communauté – un bon sens pas toujours en phase ni en accord avec l'action représentée. Ce rôle est aisé à saisir, même sans prendre en compte la théorie de René Girard (1977, 1991) selon laquelle l'introduction du chœur dans le théâtre antique permet de représenter à la fois le danger imminent qu'un désir mimétique débouche sur une crise sacrificielle et la possibilité d'éviter cette crise en détournant le dit désir vers des objectifs que chacun peut atteindre en libre concurrence avec tous (objectifs eux-mêmes toujours atteignables). Le théâtre antique a tiré profit de l'introduction dans la société de jeux à somme non nulle, comme (par exemple) la recherche du profit financier ou de la miséricorde divine. Et peutêtre le théâtre est-il lui-même un de ces jeux à somme non nulle en ceci qu'il présente sur la scène de multiples manières de gérer des affects de tous types dans des spectacles conçus, optimisés et testés pour que ces affects soient partageables par le plus grand nombre. Comme le montre Talcott Parsons, les affects peuvent en effet être considérés comme des média d'importance capitale pour construire puis faire circuler une solidarité susceptible de réunifier la société – alors que l'intellect, le charisme et le prestige sont des véhicules qui servent de support à d'autres types d'actions (Parsons 1977). Ce qui nous amène à l'idée essentielle que nous souhaitons développer dans cet essai. Le théâtre que décrivent Agnew et Girard est un théâtre qui représente la deuxième partie des « jeux de dupe » qui ne cessent d'avoir lieu dans la société. Ces jeux de dupe sont des jeux où deux tricheurs, en l'occurrence un « opérateur » et un « pacificateur », agissent de concert : ils bernent d'abord celui qu'on appelle la « cible » (c'est-à-dire le dupe) et ensuite ils l'apaisent et le calment pour qu'il n'appelle pas la police (ce qui mettrait en danger les projets futurs par lesquels les tricheurs ont prévu de berner d'autres « cibles » potentielles). Cette opération d'apaisement consiste en un premier lieu à s'assurer que le dupe ait pris conscience qu'il s'est lui-même couvert de ridicule en se faisant duper (une information qu'il préférera dès lors probablement garder pour lui). Il faut dans un deuxième temps faire miroiter au dupe l'idée que l'opération dont il a été la « cible » lui a appris quelque chose et qu'on ne le trompera pas aussi facilement à l'avenir : il aurait donc à présent une longueur d'avance sur les autres. Ervin Goffman (1952) suggère que le grand jeu qui anime notre société (et peut-être toutes les sociétés) n'est pas le jeu de la déception, mais celui – sans cesse réitéré – de l'apaisement des dupes. C'est en ce sens que le théâtre peut être considéré comme le lieu où les citoyens apprennent à faire confiance à leur capacité à s'adapter à leur propres échecs – à condition bien sûr qu'ils aient accepté eu préalable l'idée qu'ils ne commettront pas deux fois la même erreur, et à condition également que soit établi le fait qu'ils ne sont pas les seuls à essuyer ces échecs. Cette fonction du théâtre dans la cité comme miroir du jeu de dupes est suffisamment complexe pour qu'il ne semble pas utile de lui chercher plus loin d'autres fonctions, d'autres rôles. Le théâtre est le lieu qui produit l'intelligence nécessaire à l'individu pour commencer à comprendre la vie sociale et pour se rassurer à l'idée qu'il dispose d'une volonté « faible mais libre » (Giambattista Vico) dont il pourra faire usage sur autrui et sur lui-même dans le cadre de ce qu'il considère comme ses rapports sociaux. IV. Or d'un coin à l'autre du pays, les théâtres cherchent aujourd'hui à exercer de nouveaux rôles et de nouvelles fonctions dans la cité. Il y a deux explications possibles à ce phénomène (voir par exemple Mc Kenzie 2001, Lehmann 2006, Giannachi 2007 et Balme 2010). La première est que le théâtre a oublié quels étaient ses rôles et fonctions et qu'il est dans l'erreur en les recherchant. La seconde est que le rôle traditionnel du théâtre (qui consiste à représenter la deuxième partie du jeu de dupes social) est à présent redondant parce que d'autres lieux et d'autres institutions accomplissent la même tâche avec plus d'efficacité, peut-être de façon plus innocente (en cédant par exemple moins à la tentation de la provocation). On songe bien sûr aux médias de masse et à l'industrie de la culture qui fournit au plus grand nombre de « l'art sans rêve » (pour reprendre l'expression de Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, 2002, 98). Le seul besoin que satisfont les programmes d'information, les émissions de divertissement et les publicités produits par cette industrie est ce besoin que ressentent les populations d'accumuler des informations qui leur permettent d'accepter un monde à la fois horrible et fascinant qu'ils n'ont pas les moyens de changer et qu'ils ne sont pas supposés changer. Reste que ce besoin est pleinement satisfait. Est-ce à dire que le théâtre a été vaincu dans son rôle d'apaisement des « cibles » par des concurrents comme les mass médias qui rempliraient aujourd'hui cette fonction qui consiste à faire croire aux « cibles » qu'elles ne seront pas deux fois les victimes d'une duperie ? Et si tel est le cas – c'est-à-dire si nous ne choisissons pas l'autre possibilité, à savoir que le théâtre aurait tout simplement oublié sa fonction et son rôle et qu'il faudrait simplement le lui rappeler (mais qui le fera ?) pour qu'il reprenne confiance en lui-même – si en effet le théâtre s'est vu usurpé son rôle traditionnel par d'autres média plus adaptés aux besoins d'une société toujours plus complexe, quel bénéfice pourrait-on alors trouver dans l'idée contemporaine d'un théâtre qui devrait non seulement jouer son rôle par rapport aux jeux de dupes sociaux, mais qui devrait aussi réoccuper des territoires en se rendant dans la cité pour jouer à nouveau dans la rue, sur la place du marché et dans d'autres lieux inhabituels (voir par exemple Lilenthal 2003, Deuflhard 2006) ? Or le théâtre n'a pas changé : son rôle est toujours de nous faire reprendre confiance. La société et les cités n'ont pas changé non plus : elles ne cessent de nous confronter à la peur et la fascination que nous éprouvons à vivre dans une réalité trompeuse. Certes, des changements ont eu lieu. La société moderne fondée sur l'imprimerie se métamorphose en une société à venir qui repose sur l'électricité, la télévision, l'ordinateur et ses réseaux (McLuhan 1964). Et dans la foulée, la ville évolue : le mécanisme symbiotique qui manifestait l'ordre fonctionnel de la société moderne (la ville moderne) devient un mécanisme symbiotique qui manifeste le désordre rhizomal de la société à venir (Baecker 2009, 2007). Le théâtre dont nous parlons aujourd'hui est un théâtre qui doit s'adapter à une cité dont les environnements sont électroniques, les marchés mondiaux, les professions volatiles, la circulation d'informations aléatoire. Les publics plus ou moins stables des foires, des palais, des théâtres municipaux et de l'art expérimental sont en voie d'extinction. Au mieux, ils se transforment en mélancoliques réminiscences de ce qu'ils furent et des temps meilleurs qu'ils ont connus (Blau 1980). Mais ceci ne signifie en rien que les jeux de dupes ont cessé ni que les opérations d'apaisement sont devenues superflues. Au contraire, la duperie est partout mais son absence de transparence (entretenue par tous) la rend de plus en plus difficile à détecter. Que recherchent alors les troupes de théâtre qu'on voit dans les rues et ailleurs dans la cité, et quel est le sens de leur démarche ? Quel rôle jouent-elles dans les nouvelles structures et les nouvelles cultures d'une société caractérisée par des systèmes peu fiables, des réseaux défaillants et des formes fluctuantes ? Partout ces troupes de théâtre – c'est du moins notre hypothèse – redécouvrent que la ville est un mécanisme symbiotique qui représente la société, et elles s'interrogent (de concert avec leur éphémère public) à quel genre de réalité cette nouvelle société est liée, si tant qu'elle soit liée à une quelconque réalité. Ceci implique dans un premier temps de s'assurer qu'il existe toujours une ville susceptible d'être vécue en tant que ville, c'est-à-dire en tant qu'espace public où des rassemblements de toutes natures peuvent prendre place puis se disperser, un espace ou – par suite – les publics qui émergent en permanence sont les occasions d'un va et vient de l'attention où il est donc logiquement possible que l'attention se fixe sur certaines questions pendant une certaine durée (White, 1995 ; pour la pertinence de la notion de « publics » de préférence à celle de « masses » voir Tardes 1989 et Ikegami 2000). La cité est donc revivifiée (par le théâtre délocalisé – ndt) comme un espace qui combine des corps, des sons, des esprits, des rapports sociaux et un appartus technologique pour former une représentation / une performance en évolution constante où des voix, des gestes, des actions et des histoires se mêlent dans une confrontation en évolution constante à des artefacts technologiques, des programmes électroniques, des images projetées et aux aspects les plus déviants de la vie quotidienne. Ce théâtre contemporain qui fait incursion dans la ville reste en lien avec la seconde partie du jeu de dupe. Il formule en effet une promesse : apaiser un public qui se sent floué par une ville qui n'existe plus. Car nous nous sentons trahis par une ville qui ne joue plus son rôle. Reste que, même si ce sentiment repose sur une méprise, sur notre inaptitude à distinguer la nouvelle ville qui émerge tandis que la ville moderne disparaît, cette méprise est infiniment créatrice dans la mesure où – sans le vouloir – elle permet d'aborder habilement la question de ce qui est « en jeu » dans la cité. Un théâtre qui se considère comme floué par la ville dont il attendait traditionnellement qu'elle lui présente des jeux où sont mis en branle des mécanismes d'apaisement pose à nouveau son regard sur cette ville et se met à observer comment la ville change. Si le théâtre réussit un jour à se convaincre que la ville demeure et qu'elle remplira toujours sa fonction – certes selon des modalités toujours différentes – alors il retournera dans ses salles institutionnelles pour y faire usage de ses nouvelles possibilités technologiques et nous présentera alors ses impressions sur la vie dans la cité de la société qui vient. V. Nous concluons cet essai sur le théâtre et la ville par une espèce de mise en équation qui cherche à modéliser la façon dont le théâtre déplie ses représentations dans une ville toujours-déjà en représentation. Cette modélisation rendra compte également des variables qui déterminent l'étendue et la portée des « représentations » théâtrales. Nous utiliserons à cette fin le système de notations de distinctions mis en place par George Spencer Brown (2008 ; voir aussi Baecker 1999), où les distinctions observées sont concaténées en distinctions plus subtiles, et passées aux filtres d'autres observateurs – notamment d'observateurs de deuxième ordre – de façon à faire apparaître la valeur propre (l'eigenvalue) qui permet de décrire le cadre institutionnel qui est exploré et exploité par le théâtre et la ville qui observe les « représentations » théâtrales au cœur de ses propres « représentations ». Commençons par le concept de ville selon Max Weber, qui peut être modélisé comme suit _______ Ville = étrangers |vivant | ensemble | | |____________| Cette formule peut se lire comme une équation désignant la cité comme la valeur propre (eigenvalue) d'une fonction récursive de distinctions établies par des observateurs qui utilisent les facteurs « étrangers », « vivant », « ensemble » comme les variables distinctes à mettre en lien les unes aux autres pour déterminer les valeurs qui définissent chaque ville spécifique. Nous sommes ainsi confrontés à une forme universelle de la ville définie en tant que telle par une théorie sociologique que l'on pourra – à l'évidence – désigner comme valide ou fausse (pour des raisons à la fois théoriques et empiriques) mais qui peut être utilisée dans l'intervalle pour permettre de donner à chaque cité une forme qui permettra de la comparer aux autres cités (à l'échelle du monde ou à l'échelle de l'histoire). Les différentes cités ne peuvent être comparées dans les valeurs que l'on donne aux variables, mais elles restent comparables dans le rapport des variables entre elles, en ceci que ce rapport définit une manifestation de la ville considérée comme une création historiquement stable de l'humanité. On notera cependant que la notion d'« étranger » ne s'applique qu'aux premiers stades de l'évolution de la ville, lesquels tendent cependant à ré-émerger dans des villes aujourd'hui travaillées par des conflits territoriaux de type tribal et par des disputes dynastiques sur les questions hiérarchies (Bollens 2011). Le citoyen qui habite à côté de moi redeviendra en effet forcément l'étranger qu'il est fondamentalement. Notre seconde forme détermine la valeur propre (eigenvalue) de « l'action sociale » au sein d'une société et de sa ville, ces deux espaces étant structurellement et culturellement caractérisés par la possibilité pour les « publics » d'un va et vient de l'attention entre des « représentations » de tous types qui rythment la vie quotidienne, rituelle, économique, politique, éducative ou théâtrale de la ville/société en question. __________ | Action = performance | public | changement| |_________________| Notre troisième équation définit la culture comme une distinction de valeurs entre la possibilité d'adopter de nouvelles valeurs dans le cadre de tentatives de recherche et d'adoption d'identités (voir White 1995, presque cité verbatim ici) : _________ Culture = valeur | changement | identité | | |_______________| L'identité peut ainsi être définie comme un processus de second-ordre qui permet de tester des valeurs tout en se réservant la possibilité de retourner celles-ci, c'est-à-dire de s'engager avec des valeurs sans nécessairement leur rester fidèle. (Luhmann 1986). Par suite la culture peut être définie comme ce que créent des individus capables (ou entraînés par la culture ambiante à se rendre capables) de substituer d'autres valeurs aux leurs tout en restant identiques à eux-mêmes. Pour faire gagner en réalisme à nos modélisations, il faut à présent considérer les jeux de dupes et les jeux de consolations : _________ | Jeu de dupe = cible |opérateur | pacificateur | |_______________| En conformité avec ce que nous avons vu, cette équation nous apprend que la structuration profonde de la société isolée par Goffman (1952) implique non seulement que des trahisons ont lieu presque partout et presque en permanence, mais aussi que des discours, des pratiques, des conventions et des institutions ont pour fonction de disséminer auprès de chacun l'idée que se faire duper nous rend plus conscients du piège dans lequel on est tombé. Comprendre les jeux de dupes de la société – même si nul n'échappe à ces jeux – rend la société supportable à tout point de vue (pour une version différente de la même théorie voir Serres 1982). Presque chacun d'entre nous s'accommode de ces jeux tant qu'il subsiste des occasions de renverser les rôles. Johan Galtung affirmerait peut-être ici que la « violence structurelle » n'intervient dans le jeu que lorsque les cibles sont toujours choisies parmi les mêmes groupes, et que les « opérateurs » et les « pacificateurs » sont également issus des mêmes groupes, transformant de fait le jeu en structures d'exclusion et d'inclusion. La place spécifique et absolument privilégiée qu'occupe le théâtre dans ces jeux de dupes ne peut se comprendre qu'en prenant en compte la triple opération de « concevoir des jeux de dupes », « jouer/montrer des jeux de dupes », « critiquer les jeux de dupes » : _______ Théâtre = duperie | jeu | critique | | |____________| En premier lieu donc, le théâtre est l'espace qui rassure chacun en distribuant des rôles stables et clairement définis : « acteurs », « organisateurs » et « public ». Pendant la durée de la représentation, rien ne saurait être plus évident que cela et chacun peut se détendre dans l'assurance qu'il connaît sa fonction et va pouvoir assumer une position d'observateur. Cette situation correspond à la réalité dans ce qu'elle a de plus stable, une stabilité confirmée qui plus est par le caractère fictionnel de la situation représentée au théâtre. Mais le théâtre a par ailleurs les moyens de présenter et représenter des jeux de dupes avec leurs infinies variations (tragiques, comiques, épiques et poétiques) de façon à ce que des publics puissent en observer le spectacle en en tirant un enseignement : ils trouvent quel est leur propre rôle dans les jeux de dupes et tâchent de déterminer les moyens de ne pas tomber eux-mêmes dans les pièges de ces jeux (Girard, 1965, 1991). Enfin, le théâtre peut se permettre de critiquer le triste état des choses et d'en chanter la complainte, d'appeler à une société différente où chacun ferait naturellement confiance à chacun, closant de fait un cycle : le théâtre console chacun en critiquant toute chose. Nos conclusions peuvent donc se résumer comme suit : le théâtre peut être considéré comme une « représentation » (performance) de second ordre qui opère à la fois à l'intérieur et à l'extérieur d'une ville toujours-déjà en « représentation ». De même on peut établir que le théâtre est un jeu de dupes de second-ordre qui a pour fonction d'apaiser les publics en rappelant que sous la permutation des rôles dans le jeu de dupe, il y a identité des rôles. En présentant, en critiquant et en re-présentant des permutations entre des opérations, des contextes, des valeurs et des formes, le théâtre réinvente la ville – dans une perspective à la fois critique et nostalgique – comme le lieu où il est de facto possible de vivre avec des étrangers. La maîtrise véritable du jeu de dupe demande en effet que nul ne sache lequel des trois rôles possibles il joue dans le jeu – ce qui vaut aussi pour chacun d'entre nous. Bibliographie Agnew, Jean-Christophe (1986): Worlds Apart: The Market and the Theatre in Anglo- American Thought, 1550-1750, Cambridge: Cambridge UP. Baecker, Dirk (ed.): Problems of Form, Stanford, CA: Stanford UP. Baecker, Dirk (2004): "Miteinander leben, ohne sich zu kennen", Soziale Systeme 10, 257272. 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